LES BANSHEES D’INISHERIN

Quatorze ans après avoir réuni Colin Farrell et Brendan Gleeson dans le mémorable Bons baisers de Bruges, Martin McDonagh les confronte dans une nouvelle tragicomédie de son cru. Déjà primée à Venise et aux Golden Globes, cette fable absurde et désespérée sur la condition humaine marque le retour du scénariste et réalisateur britannique à ses origines irlandaises. Puissant !

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« You used to be nice ! And now, do you know what your are ? Not nice.
– Ah, well, I suppose niceness doesn’t last then, does it ? »

  

LES BANSHEES D’INISHERIN (The Banshees Of Inisherin)

Martin McDonagh
2022
Dans les salles françaises depuis le 28 décembre 2022

En 1923, sur une petite île à l’ouest de l’Irlande alors en proie à la guerre civile, Colm Doherty (Brendan Gleeson) a subitement décidé de mettre un terme à son amitié de longue date avec Pádraic Súilleabháin (Colin Farrell), qu’il juge désormais « ennuyeux ». Déboussolé, ce dernier tente de le ramener à la raison. Cela va prendre des proportions inattendues…

Ce n’est pas l’Irlande riante de L’homme tranquille, de John Ford. Inisherin, île fictive, est bien plus sauvage. Les paysages impressionnants et accidentés d’Inishmore, la plus grande des îles d’Aran, et les falaises abruptes du comté de Mayo (le réalisateur y a passé son enfance) ont servi de décor à ce drame où la nature inhospitalière est un personnage à part entière. Écrit tout spécialement pour le tandem Colin Farrell – Brendan Gleeson, Les Banshees d’Inisherin rappelle à bien des égards pourtant l’américain Three Billboards, les panneaux de la vengeance, le film précédent de Martin McDonagh. Dramaturge avant d’être cinéaste, avec un penchant pour l’absurde, comme Harold Pinter et Samuel Beckett avant lui, McDonagh soigne ses dialogues. Ceux des Banshees… pourraient être déclamés sur une scène de théâtre. Comme dans Three Billboards, l’action se déroule au sein d’une petite communauté, et les situations dégénèrent de manière hallucinante. Ici, c’est une déclaration péremptoire — « Tu ne m’as rien fait, mais je ne t’apprécie plus. » —qui va déclencher une spirale de violence, sous le regard déconcerté des villageois. Car Pádraic, malheureux, ne peut accepter le revirement de son ami de toujours. Le cinéaste, explorateur de la nature humaine, ne tourne pas autour du pot et a le mérite d’aller jusqu’au bout de son idée. L’entêtement, le désespoir, conduisent à faire des folies. On peut y voir une métaphore du couple, mais aussi de la guerre (des bruits d’explosions et de tirs provenant du conflit irlandais sur l’autre rive retentissent par intermittence). Au début, l’affaire prête à sourire, à rire même. Mais peu à peu l’humour cède la place à la tristesse. La fin de l’amitié avec Colm et c’est le monde de Pádraic qui s’effondre. L’île devient un piège qui se referme sur lui comme sur ses habitants. Car sur Inisherin, la vie se déroule dans une désolante monotonie. Le temps libre est partagé entre l’église et le pub, unique rempart contre la solitude. Pour la forme, Martin McDonagh a confié s’être inspiré des westerns de Sergio Leone et du cinéma de Terrence Malick. Mais pour pimenter l’intrigue, il y a ajouté une touche de mythologie celte. Figure annonciatrice de mort, la banshee du titre a le visage de la vieille Mrs McCormick (Sheila Flitton) qui parcourt l’île avec son sourire narquois. Si Colin Farrell, habité et dont le jeu à la limite du pathos est à fendre le cœur, a mérité son Golden Globe et son Prix d’interprétation à Venise, on notera également la belle présence de ses partenaires, irlandais comme lui : Brendan Gleeson, énigmatique et buté, effrayé par la fuite du temps, Kerry Condon, sœur de Pádraic et seul personnage sensé de l’histoire, et Barry Keoghan, l’idiot du village, attachant et pas si bête. Aux Golden Globes, où il a remporté trois trophées, dont ceux du Meilleur film et scénario, Les Banshees… était classé dans la catégorie comédie. Pour un récit sur le désespoir, ça ne manque pas d’ironie.
1 h 54 Et avec Gary Lydon, John Carty, Jon Kenny, Pat Shortt… La musique est signée Carter Burwell, compositeur fétiche de McDonagh (et des frères Coen).
Prix du scénario et Prix d’interprétation (pour Colin Farrell) au festival de Venise 2022
Golden Globes 2023 du Meilleur film, Meilleur scénario et Meilleur acteur (pour Colin Farrell)

 

LA FAVORITE/MADEMOISELLE DE JONCQUIÈRES

CRUAUTÉS FÉMININES

Dans La favorite, l’audacieux Yorgos Lanthimos met en scène avec faste et extravagance un jeu de pouvoir entre les deux favorites de la reine Anne, dans l’Angleterre du début du 18ème siècle. En lice pour les Oscars 2019, cette production américano-irlando-britannique est portée par un trio d’actrices tout bonnement bluffantes. La manipulation est également au cœur de Mademoiselle de Joncquières, paru le mois dernier en DVD. Adaptation raffinée et moderne de Diderot par Emmanuel Mouret, il révèle une Cécile de France époustouflante en amoureuse blessée et vengeresse.

 

« Sometimes, a lady likes to have some fun ! »

 

La favorite (The Favorite)

Yorgos Lanthimos
2018

Dans les salles françaises depuis le 6 février 2019
Dix nominations aux Oscars 2019
Golden Globe 2019 de la Meilleure actrice (Olivia Colman)
Oscar 2019 de la Meilleure actrice (Olivia Colman)

Dernière de la lignée des Stuart, Anne, reine d’Angleterre, (Olivia Colman, un vrai numéro !) est en ce début du 18èmesiècle une monarque instable, capricieuse et malade (de la goutte). Elle entretient depuis longtemps une relation particulière et intime avec Sarah Jennings (Rachel Weitz), dont l’époux, John Churchill, Duc de Malborough, est un soldat émérite. Cette confidente omniprésente est aussi sa conseillère politique, au grand dam de Robert Harley (Nicholas Hoult), chef du clan des Tories, qui aimerait avoir l’oreille de la reine, notamment pour la convaincre de cesser la guerre interminable et ruineuse qu’elle mène contre les Français. C’est alors que débarque à la cour la jolie Abigail Hill (Emma Stone), lointaine cousine de Sarah, aristocrate déchue de son rang à cause d’un père inconséquent et joueur invétéré. Reléguée par Sarah aux tâches les plus ingrates, Abigail va élaborer une stratégie pour évincer sa cousine et s’assurer une position plus confortable…

Plusieurs fois honoré à Cannes — avec l’horrifique Canine en 2009 (Prix Un Certain Regard), puis les fables surréalistes dérangeantes The Lobster (Prix du Jury en 2015) et La mise à mort du cerf sacré (Prix du Scénario en 2017) — le cinéaste grec Yorgos Lanthimos signe avec La favorite un film plus conventionnel, mais tout aussi vénéneux. La cour de la reine Anne d’Angleterre, monarque quelque peu oubliée qui régna de 1702 à 1714, fait un terrain de jeu idéal pour ce maître de l’absurde et de l’humour noir. Emmenée par trois actrices sensationnelles (Olivia Colman et Karen Weisz figuraient déjà au générique de The Lobster), cette lutte de pouvoir féroce (à la fois politique et sexuel) reflète la cruauté ordinaire et l’hypocrisie en vigueur dans les relations sociales d’une époque rigide. Le scénario de Deborah Davis et Tony McNamara s’inspire d’ailleurs librement de la correspondance des véritables protagonistes. Une leçon d’histoire qui n’est cependant pas académique. Comme Stanley Kubrick ou Peter Greenaway avant lui (impossible de ne pas penser à Meurtre dans un jardin anglais), Yorgos Lanthimos multiplie les audaces formelles pour accentuer le grotesque des situations et l’impression de claustrophobie. Panoramiques, effets de fish-eye, ralentis, contre-plongées, éclairages à la bougie… tout est bon pour mettre en exergue le sentiment d’écrasement des personnages, pris au piège de ce palais labyrinthe aux pièces gigantesques, aux couloirs sans fin. Certains jugeront l’exercice (de style) un peu trop tape à l’œil, les ressorts narratifs un peu trop attendus… Il n’en est rien ! Le jeu de massacre  va s’avérer plus surprenant que prévu. Si le cynisme et l’ironie sont de mise, la nuance et l’humanité aussi. Comme Lady Susan dans le jubilatoire Love & Friendship de Whit Stillman, adapté de Jane Austen, ces Machiavels en jupons sont des femmes blessées qui souffrent et aiment dans un univers d’hommes (ici ridicules ou grotesques) : condamnées à dominer, coûte que coûte, pour ne pas l’être, elles les surpassent en intelligence. Selon Balzac, ce sont les plus dangereuses.
1h 59 Et avec James Smith, Mark Gatiss, Joe Alwyn, Carolyn Saint-Pé…

BANDE-ANNONCE

 

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« Si aucune âme juste ne tente de corriger les hommes, comment espérer de meilleure société ? »

Mademoiselle de Joncquières

Emmanuel Mouret
2018

Sur les écrans en septembre 2018,
En DVD depuis le 16 janvier 2019 chez France Télévisions Distribution
Six nominations aux César 2019

Au 18èmesiècle, Madame de La Pommeraye (Cécile de France), jeune et jolie veuve, vit à l’écart du monde, à la campagne. Elle ne reçoit guère que sa meilleure amie Lucienne (Laure Calamy) ainsi que le Marquis des Arcis (Edouard Baer) un libertin dont elle goûte l’esprit et qui lui fait une cour pressante. Elle finit par céder à ses avances et les deux amants vivent quelque temps un bonheur sans faille. Mais bientôt, Madame de La Pommeraye découvre un changement d’attitude chez le Marquis qui lui fait dire que celui-ci s’est lassé de leur union. Blessée, amoureuse et trahie, elle va fomenter sa vengeance…

L’épisode édifiant de Madame de La Pommeraye, inclus dans le roman Jacques le Fataliste et son maître, de Denis Diderot, avait inspiré en 1945 à Robert Bresson un chef-d’œuvre, Les dames du bois de Boulogne, avec une mémorable Maria Casarès et des dialogues signés Jean Cocteau. Soixante-treize ans après, Emmanuel Mouret, spécialiste de la comédie sentimentale et du marivaudage moderne, se distingue de son prédécesseur en demeurant plus fidèle au livre, à l’exception du personnage de Lucienne, inventé de toutes pièces. Savamment découpée en tableaux épurés, lui donnant parfois un air d’équation mathématique, cette nouvelle adaptation, plus solaire, est de toute beauté. On savoure les joutes verbales raffinées et chaque réplique empoisonnée qui émane de la jolie bouche de Cécile de France, remarquable dans ce rôle à contre-emploi de vengeresse manipulatrice que le malheur rend impitoyable. Face à elle, tout sourire espiègle, Edouard Baer fait un charmeur de haute volée mais sincère, qui émeut en devenant à son insu le dindon de la farce. Entre l’univers de Choderlos de Laclos et celui de Woody Allen, Mademoiselle de Joncquières s’inscrit idéalement dans la filmographie du réalisateur des épatants Changement d’adresseUn baiser s’il vous plaît et Caprice. Un régal !
1h 49 Et avec Alice Isaaz, Natalia Dontcheva…

BANDE-ANNONCE

Test DVD :

Interactivité**
On n’apprendra rien sur les coulisses du tournage. En revanche, on ne négligera pas les intéressantes scènes inédites ni Aucun regret, court-métrage très rohmérien réalisé par Emmanuel Mouret en 2016.

Image ***
Format : 2.35
Pas de Blu-ray hélas pour ce film qui brille aussi par sa splendide photographie. Elle est signée Laurent Desmet, complice de longue date du réalisateur. Heureusement, l’image est ici lumineuse et parfaitement contrastée.

Son : ****
DD 5.1 en français
Sous-titres pour sourds et malentendants
Audiodescription
Une belle spatialisation et un équilibre parfait entre la musique (classique et baroque) et les dialogues.