LA RÈGLE DU JEU : Retour en Collector

Revoilà le chef-d’œuvre de Jean Renoir ! Le « film des films » selon François Truffaut est réédité dans une somptueuse édition Collector 4K truffée de suppléments, dont une poignée d’inédits.

(Click on the planet above to switch language.) 

 

« Tu comprends, sur cette Terre, il y a quelque chose d’effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons. »
(Octave au Marquis de la Chesnaye)

  

LA RÈGLE DU JEU

Jean Renoir
1939
Coffret 4K 2-Blu-ray + Livre et Coffret double-DVD disponible depuis le 4 juin 2025 chez Rimini Éditions 

Dans leur propriété de la Colinière, en Sologne, le riche Marquis de la Chesnaye (Marcel Dalio) et son épouse Christine (Nora Gregor) attendent des invités pour une partie de chasse. Parmi eux, l’aviateur André Jurieux (Roland Toutain), désespérément amoureux de Christine…

Deux ans après avoir réalisé La Grande illusion, Jean Renoir, cinéaste acclamé, change de ton. Il décide de s’atteler à une fantaisie dramatique qu’il va lui-même qualifier de « drame gai ». Tournant le dos au naturalisme de ses films précédents, Renoir va s’inspirer de Marivaux et de Beaumarchais, mais surtout, des Caprices de Marianne, d’Alfred de Musset. Tout commence comme une comédie survoltée, volontiers burlesque, mais le chassé-croisé amoureux va prendre des accents tragiques. C’est aussi que la période n’est pas si légère. Cette comédie de mœurs sur un monde bourgeois à la dérive reflète les états d’âme désenchantés, mais profondément lucides, de Renoir, à la veille de la Seconde guerre mondiale. Le réalisateur est en effet sidéré par le comportement des aristocrates français qui continuent à mener une vie insouciante, inconscients des enjeux qui s’annoncent, comme s’ils « dansaient sur un volcan ». Le cinéaste interprète lui-même Octave, ce dandy bonhomme et quelque peu désabusé qui ne dévoile pas ses cartes. Le jeu un peu décalé de Renoir, qui n’est pas acteur professionnel, confère au film une modernité étonnante. C’est bien cette modernité, ajoutée à une vision de l’amour plutôt avant-gardiste, à l’agonie prophétique d’un lapin (un vrai) lors de la scène violente de la chasse, et à l’hystérie collective qui semble parfois s’emparer de cette troupe, qui a déconcerté le public à la sortie du film. Car s’il est considéré comme un classique aujourd’hui, La Règle du jeu a bel et bien essuyé un échec en 1939, au point que Renoir fut contraint d’y effectuer une douzaine de coupes. Ce chef-d’œuvre sur la nature humaine, d’une totale liberté, qui fait fi des clichés et des évidences (à la manière du cinéma de John Cassavetes), attendra 1959 pour retrouver sa version intégrale et une reconnaissance méritée. Il reste aujourd’hui le film fétiche de beaucoup de cinéastes.
Et avec Paulette Dubost, Julien Carette, Gaston Modot, Francœur… (Henri Cartier-Bresson apparaît en domestique anglais)

 

COFFRET COLLECTOR 4K Ultra HD
+ 2 Blu-ray + Livre + Cartes

L’édition propose quatre reproductions d’affiches en cartes postales ainsi qu’un livret de 64 pages sur les coulisses de La Règle du jeu, écrit par Charlotte Garson, critique aux Cahiers du cinéma.

La qualité de l’image et du son fait un petit pas de plus à chaque nouvelle édition. Celle-ci, parue chez Rimini, surpasse la dernière française de 2022, chez ESC. L’image est lumineuse, contrastée, avec une impression de grain appréciable. La piste sonore, soigneusement nettoyée, est claire et harmonieuse.

On se réjouit de retrouver ici beaucoup des suppléments du DVD Collector édité chez Montparnasse en 2005 : l’introduction piquante de Jean Renoir ; le commentaire intégral du film par l’historien du cinéma Olivier Curchod, qui revient également sur sa création dans un entretien de 27 minutes ; une interview exceptionnelle de Jean Renoir réalisée par Jacques Rivette en 1966 dans la série “Cinéastes de notre temps” ; des points de vue d’admirateurs du film dont Claude Chabrol et Noémie Lvovsky.

On découvrira parmi les inédits un reportage de 1965 dans lequel les cinéphiles Jacques Durand et Jean Gaborit racontent l’aventure de la reconstitution de La Règle du jeu. Le négatif original ayant été détruit après un bombardement en 1942, Ils ont en effet mené des recherches laborieuses pour retrouver des bobines de copies existantes. François Truffaut, présente puis discute du film en compagnie d’Alexandra Stewart, Yvonne Baby et Jean Loup Dabadie après sa diffusion à la télévision en 1972 (23 minutes). Jean Douchet et Arnaud Desplechin analysent le film devant le public après une projection à la Cinémathèque en 2014. Le Maître de conférences en études cinématographiques Philippe Roger revient sur l’utilisation de la musique dans le film. Le programme s’achève sur un extrait de l’enregistrement symphonique de l’opéra-comique Le Déserteur, de Pierre-Alexandre Monsigny, que l’on peut entendre à la fin du film.

« L’amitié avec un homme ? Autant parler de la Lune en plein midi ! »
(Lisette/Paulette Dubost)

 

LOVE & MERCY : l’incroyable destin de Brian Wilson

Il y a onze ans, le producteur passionné de musique Bill Pohlad passait derrière la caméra pour retracer le parcours édifiant de Brian Wilson, leader des Beach Boys, qui vient de disparaître, ce 11 juin 2025, à quatre-vingt deux ans. Si vous avez raté ce petit bijou, c’est le moment de vous rattraper !

(Click on the planet above to switch language.) 

 

« We’re not surfers, we never have been and real surfers don’t dig our music anyway ! »
Brian Wilson

 

LOVE & MERCY

Bill Pohlad
2014
Paru dans les salles françaises le 1er juillet 2015
Disponible en DVD/Blu-ray chez ARP

Au milieu des années 60, les tubes des Beach Boys déferlent sur les ondes US, et Brian Wilson (Paul Dano), leur leader, annonce au groupe (composé, entre autres, de ses deux frères) qu’il ne montera plus sur scène avec eux et se consacrera désormais à l’écriture des chansons en studio. Alors que son génie fait l’admiration de tous, le compositeur est de plus en plus sujet à des crises d’angoisse et de schizophrénie, dues à des traumatismes d’enfance. Vingt ans plus tard, Brian Wilson (John Cusack), qui n’est plus que l’ombre de lui-même et vit sous l’emprise d’un psychiatre véreux et manipulateur (Paul Giamatti), rencontre la femme qui pourrait bien lui sauver la vie (Elizabeth Banks)…

Le biopic musical peut prendre des formes diverses et variées. Il en est des académiques, des linéaires qui relatent les événements de manière très chronologique (Ray) et des déjantés, qui tiennent davantage de la vision que de la biographie, tels Velvet Goldmine ou I’m Not There. Certains ont eu l’autorisation d’utiliser les chansons originales, d’autres non (et parmi ceux-là, certains sont cependant des bons films, Velvet Goldmine en témoigne). Love & Mercy (titre d’une chanson de Brian Wilson publiée en 1988 sur l’album éponyme) a bénéficié de l’aval et de la totale collaboration du musicien, ce qui permet non seulement d’entendre les tubes mythiques (« God Only Knows », « Good Vibrations »…), mais également d’assister, telle une petite souris qui se serait glissée dans le studio d’enregistrement, à la reconstitution de leur création. Le film ramène dès l’ouverture dans la Californie des sixties, reconstituée de manière saisissante par un travail soigné des couleurs et du grain de l’image. Très vite, on bascule dans la période sombre des années 80, et s’ensuit un va-et-vient très habile entre les deux décennies, qui permet aux séquences de se répondre mutuellement. On ne dévoilera pas tout du film, tant cette histoire (incroyable mais vraie) réserve de surprises. Basé sur un scénario de Michael A. Lerner, peaufiné par Oren Moverman (déjà scénariste de I’m Not There), Love & Mercy est signé Bill Pohlad, un passionné de la musique de Brian Wilson. Il s’agit seulement de son deuxième long-métrage en tant que réalisateur après l’obscur Old Explorers, paru en 1990. Ce fils de milliardaire et producteur réputé (12 Years A Slave, Into The Wild, The Tree Of Life, The Runaways…) qui se prépare à porter à l’écran l’histoire d’amour de Miles Davis et Juliette Gréco, a accompli ici un tour de force. Son film parvient à propulser le spectateur à l’intérieur de la tête du génial Brian Wilson, compositeur touché par la grâce, et à rendre palpable sa souffrance, sa solitude et son désarroi. Sensationnel, Paul Dano fait un Brian Wilson tourmenté troublant de ressemblance. John Cusack est littéralement bouleversant ; Paul Giamatti campe son rôle de vilain avec jubilation et Elizabeth Banks, en héroïne et personnage clé de l’histoire, n’a jamais paru aussi fabuleuse. Ce film est une merveille et son épilogue, un petit bijou.
Et avec : Jake Abel, Kenny Wormald, Brett Davern, Tyson Ritter…

 

 

ADOLESCENCE

Cette mini-série venue d’Albion est un phénomène depuis son arrivée sur Netflix. Sa particularité : chacun des quatre épisodes est filmé en un seul plan séquence. Une approche qui suscite une sensation d’immersion inouïe. Pour autant, ce drame policier n’est pas qu’un exercice de style, il dénonce avec intelligence les influences auxquelles sont confrontés les ados d’aujourd’hui, et met en exergue le fossé grandissant entre les générations.

(Click on the planet above to switch language.) 

 

« C’est fou hein, ce que ton cerveau te fait faire quand t’es un gosse… » 

 

ADOLESCENCE

2025
Mini-série britannique créée par Stephen Graham et Jack Thorne, réalisée par Philip Barantini

Disponible depuis le 13 mars 2025 sur Netflix

À six heures du matin, des policiers lourdement armés débarquent chez les Miller, une famille ordinaire d’une petite ville du Yorkshire. Ils embarquent sans ménagement le jeune Jamie (Owen Cooper), treize ans, devant les parents et la sœur aînée de celui-ci. Il est soupçonné d’avoir assassiné une collégienne de plusieurs coups de couteau. L’adolescent jure qu’il n’a rien fait, et ses parents, abasourdis, sont convaincus qu’il s’agit d’une méprise… 

En 2021, The Chef (Boiling Point en VO), sur les coulisses d’un restaurant branché de Londres, avait fait sensation, notamment en Angleterre où la critique avait loué le parti pris de la mise en scène, une véritable prouesse technique. En effet, ce film signé Philip Barantini était constitué d’un unique plan-séquence. La vedette en était Stephen Graham, comédien britannique à la filmographie foisonnante, révélé par Snatch de Guy Ritchie. C’est lui qui est à l’initiative d’Adolescence, qu’il a coécrite avec le scénariste anglais Jack Thorne, créateur de la série Glue — il a également collaboré à This Is England, Skins ou la saga Enola Holmes. Comme de juste, c’est Philip Barantini qui a assuré la mise en scène. Ici, de la même manière que The Chief, les quatre épisodes d’une heure sont filmés en un seul plan-séquence, méticuleusement chorégraphié en amont. L’immersion, le réalisme et la tension sont ainsi exacerbés. Le spectateur est propulsé dans le récit dès la première minute, et reste tenu en haleine jusqu’au bout. La question, on le comprend très vite, n’est pas de savoir si Jamie est coupable, mais pourquoi il est passé à l’acte. Les épisodes portent chacun sur un aspect de l’enquête. Et, des flics qui tentent de trouver des réponses au collège et découvrent un monde violent et codifié qui leur échappe, aux parents déboussolés, en passant par la confrontation de Jamie avec la psychologue, bienveillante mais déterminée, chaque partie est tout aussi édifiante. C’est la multiplication des meurtres au couteau commis ces derniers temps par des mineurs qui a poussé les auteurs à s’interroger sur la manière dont les enfants grandissent dans la société aujourd’hui. Les réseaux sociaux où se propagent les images trafiquées, les fake news, la pornographie et les propagandes de toutes sortes laissent des traces dans les jeunes cerveaux. La série est une sonnette d’alarme pour les parents qui croient leur progéniture en sécurité à la maison, dans le sanctuaire de leur chambre. Autre atout du show, sa distribution. Le jeune Owen Cooper, dans sa première apparition à l’écran, est impressionnant. On retrouve avec plaisir des acteurs récurrents des séries britanniques, tels Ashley Walters (Top Boy), Faye Marsay (The White Queen), Christine Tremarco (The Responder), ou Erin Doherty (The Crown). Quant à Stephen Graham, en père de Jamie, il est à fendre le cœur.
4 épisodes d’environ 60 minutes. Et avec Amelie Pease, Jo Hartley, Mark Stanley, Claudius Peters, Lewis Pemberton, Kaine Davis, Douglas Russel…