FEMMES DES ANNÉES 2020 : La passagère/La dérive des continents (au Sud)/Un beau matin

Qu’elles soient marin-pêcheur sous l’emprise de la passion, coordinatrice pour l’Union européenne ou traductrice confrontée à la perte de mémoire d’un père intello, Cécile de France, Isabelle Carré et Léa Seydoux campent des femmes belles et fortes dans ces trois films solaires de 2022, à (re)découvrir en DVD.

 

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« C’est fou ce que tu es sûre de toi. Il n’y a jamais de demi-mesure. Tu fais toujours ce que tu veux. T’as toujours fait comme ça. »

 

LA PASSAGÈRE

Héloïse Pelloquet
2022
Paru en salles le 28 décembre 2022
Disponible en DVD chez Blaq Out le 16 mai 2023

Depuis que, dix-neuf plus tôt, elle a rencontré son mari Antoine (Grégoire Monsaingeon), marin-pêcheur natif d’une île de la côte atlantique, Chiara (Cécile de France) partage le métier de son époux et a été adoptée par les îliens. Le travail, particulièrement physique – en mer par tous les temps –, oblige le couple, très uni, à embaucher un apprenti. L’arrivée du séduisant jeune homme (Félix Lefebvre), issu d’un milieu bourgeois, va briser cette belle harmonie…

Remarquée pour ses courts-métrages, la jeune Héloïse Pelloquet signe avec ce premier long un film audacieux aux allures de mélodrame classique. Cette histoire d’adultère entre une quadragénaire énergique et un jeune homme sensible ne verse dans aucun cliché. Ancré dans un contexte social superbement dépeint (la réalisatrice a grandi sur l’île de Noirmoutier), La passagère a un formidable cachet naturaliste. Actrice aussi courageuse que son personnage, Cécile de France exprime une palette d’émotions : trouble, désir, passion, culpabilité… Ses petits regards parfois honteux, ses éclats de rire ou de colère, ont, comme toujours avec la comédienne, de confondants accents de vérité. Le jeune Félix Lefebvre, révélé par Été 85, de François Ozon, se défend avec élégance dans les scènes de sexe parfois osées, d’autant que la cinéaste filme le désir et les corps avec une sincérité qui conjure toute présomption de voyeurisme. Ce portrait d’une femme libre, épanouie, qui choisit d’assumer ses choix envers et contre tout, a quelque chose de radieux, et le film, chargé d’atmosphère, surprend jusqu’à sa dernière image. À noter que Héloïse Pelloquet est également monteuse, elle a récemment signé le montage du très beau Petite Solange, d’Axelle Ropert.
1 h 33 Et avec Jean-Pierre Couton, Imane Laurence, Ghislaine Girard, Caroline Ferrus, Gauvain Pontoizeau, Françoise Gillard…

 

Le DVD de belle facture propose de découvrir l’étonnant Côté cœur, court-métrage de 30 minutes d’Héloïse Pelloquet. Cette histoire d’adolescente frustrée (incarnée par Imane Laurence, l’interprète d’Océane dans La Passagère) se déroule également sur l’île de Noirmoutier.

 

 

 

 

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« Non, là, c’est une zone interdite, c’est dangereux. Il n’y a plus d’eau, plus d’électricité…
– Ben voilà ! C’est cette partie du camp que le président Macron doit visiter ! Vous allez me déplacer tout ce petit monde ici. Les migrants dormiront sous tente, comme à la Porte de la Chapelle. Les spectateurs comprendront mieux l’image je pense… »

 

LA DÉRIVE DES CONTINENTS (AU SUD)

Lionel Baier
2022
Paru en salles le 24 août 2022
Disponible en DVD chez Blaq Out depuis le 17 janvier 2023

Nathalie Adler (Isabelle Carré) est chargée de mission pour l’Union Européenne dans une Sicile en proie à l’afflux de migrants. À Catane, elle doit organiser la prochaine venue dans un camp de réfugiés des présidents Macron et Merkel. Ils souhaitent montrer aux médias l’efficacité de l’engagement européen en matière d’accueil. Mais alors qu’elle se débat avec les desideratas absurdes de l’attaché du cabinet présidentiel venu préparer le terrain, elle découvre que son fils (Théodore Pellerin), qui a coupé les ponts avec elle depuis des années, est un des militants de l’ONG implantée dans le camp…

Injustement passé inaperçu lors de sa sortie, ce film caustique joue sur le mélange des genres (et des langues) et mêle à la satire politique l’histoire d’une relation manquée entre une mère et son fils. Le réalisateur suisse, qui alterne depuis ses débuts en 2000 la fiction et le documentaire, est un fervent Européen. Il s’amuse cependant à montrer les failles de ces institutions aux initiatives louables. Ainsi, La dérive des continents (au Sud) est le troisième volet d’une tétralogie qui compte déjà Comme des voleurs (à l’Est) et Les grandes ondes (à l’Ouest). À l’instar de celle de Nathalie Adler, l’Europe est une grande famille dysfonctionnelle. L’aspect le plus réussi du film est sa partie politique, lorsqu’il prend un air de comédie italienne. L’hypocrisie de l’attaché du cabinet présidentiel français épris de sensationnalisme médiatique génère des scènes désopilantes. Entre toutes ces instances de nationalité différentes, en présence, la communication est un vrai problème. On aime aussi le côté absurde, imprévisible et burlesque des situations : une météorite atterrit sur la voiture de l’héroïne, l’obligeant à marcher dans la campagne pendant des heures et à rencontrer la population rurale. Ballottée entre son job et le désir de reconstruire la relation avec son fils, qu’elle a abandonné il y a plusieurs années pour privilégier sa liberté, Nathalie Adler est campée par une Isabelle Carré solide, rayonnante et touchante. Ce film au ton très personnel est une piquante réflexion sur notre époque.
1 h 29 Et avec Ursina Lardi, Tom Villa, Adama Diop, Daphne Scoccia…

 

 

 

Le film est enrichi d’un entretien très pertinent avec le réalisateur (26 minutes).

 

 

 

 

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« Moi, tu me vois ?
– Oui, bien sûr, je te vois.
– Et est-ce que tu peux me dire si j’ai les cheveux courts ou longs ?
– Ils pourraient être longs… »

 

Un beau matin

Mia Hansen-Løve
2022
Paru en salles le 5 octobre 2022
Disponible en DVD chez Blaq Out depuis mars 2023

Depuis la mort de son époux, Sandra (Léa Seydoux) élève seule sa fille de huit ans et partage son temps entre son travail de traductrice et les visites à son père (Pascal Greggory), professeur de philosophie réputé atteint de dégénérescence du cerveau. L’état de ce dernier empirant, le placement en Ehpad médicalisé devient urgent. Sandra et sa famille se lancent alors dans un véritable parcours du combattant. Un jour, dans un parc, elle croise Clément (Melvil Poupaud), un ami perdu de vue…

Sur un sujet grave, Mia Hansen-Løve (Tout est pardonné, Eden, L’avenir, Un amour de jeunesse…) a réalisé un film aussi éclatant que son titre. Tandis que l’esprit de son père s’efface, voici que pointe, pour Sandra, la promesse d’un amour. Deux émotions contradictoires traversent l’héroïne et deux récits se croisent de façon subtile. La vie et la mort s’enchevêtrent. La cinéaste a le mérite d’aborder des thèmes essentiels, à la fois banals et préoccupants : la maladie des parents et l’accueil dans les établissements qui leur sont dédiés. Les situations les plus épineuses sont filmées avec simplicité et délicatesse, et l’humour s’invite parfois, notamment avec le personnage campé par Nicole Garcia, interprète de la mère de Sandra, dont le franc-parler fait merveille. Toutes les scènes redoutées finissent par faire sourire : Que faire des tonnes de livres de la bibliothèque ? Comment choisir un établissement décent et digne d’un père qu’on adore ? Présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, ce film mélancolique aux accents rohmériens s’inspire de la propre expérience de la cinéaste, qui a elle-même été affectée par la maladie dégénérative de son père. Les plans sur le visage en détresse ou rêveur de Léa Seydoux traversant la ville, à pied, en bus, en métro sont éblouissants. Un beau film, qui bouleverse et console en même temps.
1 h 52 Et avec Sarah Le Picard, Catherine Vinatier, Fejria Deliba, Pierre Meunier, Camille Leban Martins…

 

Le DVD propose La leçon de cinéma Mia Hansen-Løve, animée en septembre 2022 à la Cinémathèque par Frédéric Bonnaud et Bernard Benoliel à la suite de la projection d’Un amour de jeunesse, au programme d’une rétrospective sur l’œuvre de la réalisatrice. L’essentiel de la Master Class porte sur ce film, mais la cinéaste évoque les liens avec le reste de sa filmographie, dont Un beau matin. (1 h 22)

 

 

SEXE, MENSONGES ET VIDÉO en Blu-ray

Culte pour toute une génération, la Palme d’Or de Cannes 1989, qui a relancé le cinéma indépendant américain, est pour la première fois disponible en Blu-ray en France. Le film a bénéficié d’un nouveau master Haute Définition et de suppléments de haute volée… Indispensable !

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« You’re right, I’ve got a lot of problems… But they belong to me. »

  

SEXE, MENSONGES & VIDÉO (Sex, Lies And Videotape)

Steven Soderbergh
1989
Edition Collector 4K Ultra HD + Blu-ray, Blu-ray et DVD parus chez L’Atelier d’images en février 2022

John (Peter Gallagher) est un jeune avocat opportuniste qui a réussi et trompe, dans le plus grand secret, son épouse devenue frigide (Andie MacDowell) avec la sœur de cette dernière, plutôt délurée (Laura San Giacomo). Le cours de leurs vies va être radicalement altéré par l’arrivée d’un ancien ami d’université de John, Graham (James Spader), individu aussi étrange que fascinant. Ce dernier a la manie de collectionner les cassettes vidéo sur lesquelles il enregistre les témoignages de femmes sur leurs expériences amoureuses et sexuelles…

Coup d’éclat du 42ème festival de Cannes, où il a raflé la Palme d’or de manière totalement inattendue, Sexe Mensonges & vidéo a révélé en 1989 le génie de son auteur, Steven Soderbergh, alors et seulement âgé de vingt-six ans. Wim Wenders, président du festival cette année-là, avait eu un coup de foudre pour ce premier film audacieux et parfaitement maîtrisé, interprété par un quatuor de jeunes comédiens talentueux et quasi-inconnus. Le prodige n’avait nullement anticipé le succès de son film à petit budget (d’un million et demi de dollars, il allait en rapporter soixante…) qu’il destinait plutôt au marché de la vidéo. Il avait compté sans l’enthousiasme des cinéphiles et trentenaires de l’époque, séduits par le sentiment de modernité et de liberté émanant de cette œuvre puissante, subversive et plus politique qu’elle en avait l’air. Steven Soderbergh, qui s’était inspiré d’éléments de sa propre vie, avait confié à la revue Positif que ce drôle de titre rassemblait les thèmes du film, mais également ceux de l’Amérique de l’époque : « La vente du sexe, la pratique du mensonge et l’invasion de la vidéo. » Sexe Mensonges & vidéo reflète aussi le sentiment de malaise que peut inspirer la pseudo-liberté sexuelle, et évoque avec pertinence les problèmes de relation et de communication entre les êtres. À l’écran, le sexe y est plus commenté que pratiqué, et c’est bien ce qui fait l’attrait de ce film cérébral où l’ambiguïté est reine et l’érotisme latent. Couronné du Prix d’interprétation masculine à Cannes, James Spader (le futur Reddington de la série Blacklist) n’a jamais été plus sexy que dans ce rôle d’impuissant qui manipule les femmes, tandis qu’Andie MacDowell, la Jane de Greystoke, en révoltée entreprenante, donnait toute la mesure de son talent. À noter qu’il s’agissait de la première bande originale composée par Cliff Martinez (Solaris, Drive, The Neon Demon…), illustre batteur des Red Hot Chili Peppers et de Captain Beefheart.
1 h 40 Et avec Steven Brill, Ron Vauwter, Alexandra Root…

 

TEST EDITION COLLECTOR 

 

Interactivité ****
Les suppléments, dont beaucoup sont inédits, sont une véritable mine d’or et proviennent des trois rééditions successives (2009, 2018 et aujourd’hui). Philippe Rouyer, journaliste à Positif, revient avec fougue et moult anecdotes sur la genèse du film, son incroyable sacre à Cannes et insiste sur le fait qu’il a contribué à encourager une nouvelle vague de réalisateurs, relançant le cinéma indépendant américain quasiment disparu depuis la fin du Nouvel Hollywood (24 minutes). Il analyse ensuite une scène du film avec beaucoup de pertinence. On apprécie également le commentaire audio du réalisateur conversant avec Neil La Bute, cinéaste révélé par le sulfureux En Compagnie des hommes et fervent disciple de Soderbergh. Les coulisses du tournage, document de 28 minutes tourné en 2018 pour l’édition Criterion, permet de retrouver trois des acteurs du film se remémorant leur expérience (manque James Spader, grand absent ici…). Cliff Martinez et l’ingénieur du son Larry Blake évoquent ensuite leur travail sur la bande-son (19 minutes). Soderbergh commente une scène inédite, avant de rappeler ses influences dans une séquence d’archives enregistrée en 1990. On se régale aussi des interventions des acteurs et du cinéaste captées dans un court document réalisé à Sundance à l’occasion du 20ème anniversaire du film, qui y avait à l’époque remporté le Prix du Public avant de faire la carrière internationale qu’on lui connaît.

Image ****
Format : 1.85
Réputé pour le soin apporté aux restaurations, L’Atelier d’images propose la version du film la plus éblouissante à ce jour sur le Blu-ray UHD de cette édition collector (qui inclut le Blu-ray HD). La restauration provient du travail déjà effectué par Criterion en 2018 à partir du négatif original. La qualité des contrastes, la précision de l’image et la gestion des couleurs sont plus que probantes.

Son ***
DTS-HD Master Audio 5.1 en anglais et français
Le son n’est pas le point fort de l’édition. Il a néanmoins été remixé lui aussi sous la supervision de Steven Soderbergh. En bref : ne pas s’attendre à de grands effets multicanaux, mais à un équilibre sonore de qualité, idéal pour une œuvre aussi intimiste.

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À noter que L’Atelier d’images publie le 19 avril 2022 une belle édition Blu-ray de l’étonnant The Jacket, film indépendant coproduit en 2005 par Steven Soderbergh et Georges Clooney, réalisé par John Maybury et interprété, entre autres, par Adrien Brody et Keira Knightley. L’édition est enrichie d’un making of de 28 minutes.

HOLLYWOOD MASTER CLASS

Quatre chefs-d’œuvre de l’âge d’or d’Hollywood viennent de paraître en Combo Blu-ray+DVD (et DVD Collector) chez Elephant Films, dans la collection Cinema Master Class, en version restaurée et assortis de suppléments exclusifs. Quatre comédies sophistiquées pour rire ou pleurer, signés par les plus grands cinéastes de leur temps.

 

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« Votre mère ne vous a jamais dit qu’il y avait des choses correctes et d’autres pas ?
– Non, elle parle beaucoup pour ne rien dire. »

 

MY MAN GODFREY (Godfrey)

Gregory La Cava
1936

Deux mondaines, Irene (Carole Lombard) et sa sœur Cornelia (Gail Patrick), participent à une course au trésor un peu spéciale organisée par la haute société new-yorkaise. Il s’agit de dénicher un objet dont personne ne veut. Irene jette son dévolu sur un clochard, Godfrey (William Powell), qui vient d’envoyer sa sœur sur les roses. Elle le trouve si sympathique qu’elle convainc même sa mère de l’engager comme majordome dans leur très chic maison de Park Avenue. Contre toute attente, Godfrey va se révéler extrêmement efficace et ses bonnes manières surprendre toute la maisonnée. Et pour cause, car il n’est pas vraiment celui qu’il prétend être…

Ce n’est pas la première screwball comedy de l’histoire. Cet honneur revient au New York-Miami de Capra et Train de luxe de Hawks, parus en 1934, soit deux ans plus tôt. Mais My Man Godfrey peut s’enorgueillir d’avoir popularisé le terme. C’est en effet lors de la sortie du film de Gregory La Cava qu’est apparue pour la première fois dans la presse l’expression « screwball comedy ». Ce sous-genre de la comédie romantique traite moins de romance que d’affrontement entre les sexes et de leur rapprochement. Pour contourner la censure, les scénaristes et dialoguistes rivalisaient d’imagination. Ils avaient le chic de glisser dans le bavardage des sous-entendus parfois aussi osés que des scènes de sexe. Il fallait également faire oublier au public la morosité ambiante en cette période de Grande Dépression. Pour cela, rien de mieux qu’aborder la différence des classes : ridiculiser les riches, tout en montrant le faste de leur train de vie. C’est ce qui fait précisément le sel de My Man Godfrey, salué par six nominations aux Oscars en 1937, histoire d’imposture prétexte à un festival de situations loufoques, de dialogues absurdes et désopilants. La famille Bullock réunit toutes les figures typiques du genre : une enfant gâtée insupportable mais attachante, une sœur aussi belle que perfide, une mère totalement écervelée, un père dépassé par la situation, qui s’étonne à peine de découvrir un cheval dans le salon un lendemain de fête arrosée. La mise en scène est brillamment assurée, et avec un rythme effréné, par Gregory La Cava, cinéaste venu du dessin animé qui s’est imposé dans les années 30 comme l’un des maîtres de la comédie loufoque. On lui doit Fifth Avenue Girl, avec Ginger Rodgers, She Married Her Boss avec Claudette Colbert ou Pension d’artistes (Stage Door) avec Katharine Hepburn. Ici, c’est la ravissante Carole Lombard qui fait montre de ses talents comiques. L’actrice est en totale alchimie avec William Powell, son ex-époux dans la vie. Ce dernier, à l’époque héros de la série des Thin Man (L’introuvable) aux côtés de Myrna Loy, campe à merveille ce Godfrey ambigu et placide qui ne se dépare pas de son calme, même dans les situations les plus délirantes, telle celle qui clôt le film, et qui n’est pas la moins surprenante.
1 h 34 Et avec Gail Patrick, Alice Brady, Eugene Pallette, Alan Mowbray, Mischa Auer, Jean Dixon…

Le film, joliment restauré en Haute Définition, est uniquement présenté en version originale (avec option de sous-titres français ou anglais) en DTS-HD Master audio 2.0. Il est accompagné d’une présentation intéressante du critique et professeur d’histoire de cinéma Nachiketas Wignesan et d’un bêtisier (plutôt rare pour un film de cette époque). La bande-annonce d’origine et d’autres de la collection sont également au menu de ce combo Blu-ray+DVD.

 

 

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« J’ai oublié de vous dire… Vous partez pour l’Amérique…
– L’Amérique ? Le pays de l’esclavage ?
– Oh, plus maintenant, un certain Pocahontas y a mis fin… »

 

L’EXTRAVAGANT MISTER RUGGLES (Ruggles Of Red Gap)

Leo McCarey
1935

En 1908, Marmaduke Ruggles (Charles Laughton) est le valet exemplaire du comte Earl Of Burnstead (Roland Young), qui séjourne à Paris. Un matin, il apprend de la bouche de son aristocrate de maître qu’il a été l’enjeu d’une partie de cartes disputée la veille avec un millionnaire américain. Le comte ayant perdu, l’infortuné Ruggles doit donc rejoindre Mr et Mrs Floud (Charles Ruggles et Mary Borland) et partir avec eux pour le Far West. Un véritable choc pour ce majordome à la rigueur très britannique, car au grand dam de Madame, qui aimerait avoir ses entrées dans la haute-société, Monsieur a des manières de cow-boy dont il n’a aucune intention de se défaire. Au début épouvanté, Ruggles va découvrir que le Nouveau Monde a des avantages insoupçonnés…

L’extravagant Mr Ruggles, nommé pour l’Oscar du Meilleur film en 1936, est à juste titre considéré comme le premier chef-d’œuvre de Leo McCarey. Cet ancien assistant de Tod Browning devenu spécialiste de films burlesques pour le producteur Hal Roach, a supervisé bon nombre d’épisodes de Laurel et Hardy et mis en scène les Marx Brothers dans La soupe aux canards. Sa carrière de réalisateur débute véritablement dans les années 30 lorsqu’il se met au service des stars de l’époque (Gloria Swanson, Mae West, Jeanette MacDonald…) avant d’imposer sa griffe dans des films plus personnels, comme ce Ruggles Of Red Gap adapté d’un roman de Harry Leon Wilson déjà porté deux fois à l’écran au cours des décennies précédentes. Comédie sur le choc des cultures, cette farce est irrésistible grâce à l’interprétation enlevée des acteurs. Charles Laughton, en valet pince-sans-rire et plus snob que ses patrons, est hilarant, même s’il a parfois tendance à cabotiner. Il émane de cette aventure réellement « extravagante » une joie de vivre, une humanité et une bienveillance manifestes. Au contact des habitants attachants de ce qu’il pensait être un « pays de barbares », le majordome défenseur de la Vieille Angleterre va découvrir les vertus de la démocratie et de l’égalité des classes. Ruggles ira même jusqu’à réciter le discours de Lincoln devant les habitués du saloon de Red Gap, totalement médusés. Capra n’aurait pas fait mieux !
1 h 30 et avec Leila Hyams, Zazu Pitts, Maude Eburne, Leota Lorraine, Lucien Littlefield…

 

 

Le film, joliment restauré en Haute Définition, est uniquement présenté en version originale (avec option de sous-titres français ou anglais) en DTS-HD Master audio 2.0. Il est accompagné d’une présentation très instructive de 28 minutes par le critique Olivier Père, directeur d’Arte France Cinéma. Des bandes-annonces complètent le programme.

 

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« Un petit conseil jeune dame : ne soyez pas trop maligne, ne pensez pas tout savoir. Prenez les choses comme elles viennent ! »

 

LA VIE FACILE (Easy Living)

Mitchell Leisen
1937

B. Ball (Edward Arnold), riche banquier new-yorkais, est las des dépenses inconsidérées de son épouse qui « collectionne » les manteaux de fourrure. Sur un coup de tête, il décide de jeter le dernier en date du balcon de leur appartement sur la 6ème Avenue. La fourrure de zibeline échoue sur la tête (ou plutôt le chapeau) d’une modeste dactylo (Jean Arthur). La vie de la jeune femme va en être changée…

Pur joyau de screwball comedy, Easy Living est l’œuvre d’un tandem de haut vol : Mitchell Leisen (à la réalisation) et Preston Sturges (au scénario). Le premier a fait ses classes comme costumier chez Cecil B. DeMille et collaboré ensuite avec des pointures comme Allan Dwan ou Raoul Walsh (il a signé les costumes de Robin des bois et du Voleur de Bagdad, avec Douglas Fairbanks). Avec le temps, il s’est spécialisé dans la mise en scène de comédies loufoques et sophistiquées, s’alliant avec des scénaristes de talent, comme Billy Wilder ou ici, Preston Sturges. Ce dernier, qui réalisera quatre ans plus tard le fameux Les voyages de Sullivan et deviendra l’un des maîtres de la screwball comedy (Madame et ses flirts, Infidèlement vôtre…) a le génie du burlesque. Il y a chez lui un mélange de cynisme, d’agressivité et de comique qui n’est pas sans similitudes avec l’humour de Tex Avery. Issu de la grande bourgeoisie, Sturges n’a pas son pareil pour la tourner en ridicule. Dans Easy Living, librement inspiré d’un récit de Vera Caspary (Laura, Chaînes conjugales…), c’est un manteau de fourrure tombé du ciel qui sera la source de quiproquos et d’ennuis pour la jeune Mary Smith, entraînée dans des situations plus absurdes les unes que les autres. À l’image de la séquence du self-service en plein chaos, cette peinture d’une Amérique encore sous le coup de la Grande Dépression est un joyeux bazar, irrésistiblement drôle. L’immense star Jean Arthur, belle et futée, illumine cette comédie aux côtés de Edward Arnold (les deux acteurs sont à la même époque des comédiens fétiches de Capra) et du jeune Ray Milland, parfait dans le rôle du fils à papa en pleine rébellion. Comme la distribution, les dialogues sont aux petits oignons :

« Ai-je dit qu’il était mort ?
– Eh bien vous avez dit : “Pauvre vieux papa”…
– Pas besoin d’être mort pour ça. Même pas d’être pauvre.
– Ni d’être vieux non plus… »
1h 28 Et avec Luis Alberni, Mary Nash, Franklin Pangborn…

 

Le film, joliment restauré en Haute Définition, est uniquement présenté en version originale (avec option de sous-titres français ou anglais) en DTS-HD Master audio 2.0. Il profite d’une présentation riche en anecdotes du sémillant Jean-Pierre Dionnet (13 minutes), à côté de laquelle l’introduction par l’historien américain Robert Osborne, animateur de la chaîne Turner Classic Movies fait pâle figure (2 minutes). Des bandes-annonces complètent le programme.

 

 

 

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« Pourquoi ne pas voir les choses en face Grand-mère ?
– À dix-sept ans, le monde est beau. Voir les choses en face est aussi agréable que sortir ou aller danser. Mais à soixante-dix ans, on n’aime plus danser. On ne pense plus à sortir. Le seul plaisir qui te reste, c’est de faire semblant de ne pas avoir de problèmes. Alors si ça ne te fait rien, je vais continuer à faire semblant. »

 

 

PLACE AUX JEUNES (Make Way For Tomorrow)

Leo McCarey
1937

Lors d’un déjeuner en famille, Bark (Victor Moore) et Lucy Cooper (Beulah Bondi), mariés depuis cinquante ans, annoncent à leurs enfants adultes que leur maison va être saisie par la banque. À la retraite depuis quelques années, totalement désargenté, Bark n’a pas pu honorer les traites. Le hic, c’est qu’aucun des cinq enfants n’est dans une situation financière mirobolante, et aucun ne peut accueillir les deux parents ensemble…

Paru pour la première fois en France sous le titre Le crépuscule de la vie, et rebaptisé Place aux jeunes par le critique Pierre Rissient dans les années 60, Make Way For Tomorrow a une place à part dans la filmographie de Leo McCarey. Plus connu pour ses comédies, le génial réalisateur de Cette sacrée vérité, La route semée d’étoiles ou Elle et lui, détenteur de trois Oscars, a eu l’audace de s’attaquer de front à un sujet pour le moins tabou au cinéma : la vieillesse — thème qui inspirera à Yasujirō Ozu en 1953 un chef-d’œuvre : Voyage à Tokyo. Cette lente agonie d’un vieux couple dans l’obligation de se séparer pour des raisons financières, est filmée d’une manière aussi juste que cruelle. Dans cette Amérique de 1937, touchée par la crise économique, le cas des époux Cooper n’est pas isolé et le film est d’ailleurs librement adapté de Years Are So Long, roman écrit quatre ans plus tôt par la journaliste Josephine Lawrence qui a relaté dans plusieurs de ses ouvrages les effets de la Grande Dépression sur la population. Ici, McCarey et sa scénariste Viña Delmar ont l’intelligence de ne pas grossir le trait. S’ils sont égoïstes, les enfants ne sont pas des monstres. Et à cause de leur caractère, Lucy et Bark qui se retrouvent l’un chez un fils, l’autre une fille, ne sont pas non plus « faciles » à héberger. La présence de Lucy chez George et son épouse conciliante (formidables Thomas Mitchell et Fay Bainter) amène des complications inévitables dans la vie familiale. Par petites touches, parfois non dénuées d’humour, le réalisateur restitue le malaise créé par certaines situations, embarrassantes pour tout le monde, spectateur y compris. Même la parenthèse enchantée offerte aux protagonistes a quelque chose de déchirant, d’autant qu’elle annonce un épilogue implacable. On s’en doute, paru en plein essor de la comédie burlesque, ce « vilain petit canard » fut un échec à sa sortie, obtenant même un statut de film maudit avant d’être réhabilité par les cinéphiles. C’était pourtant le préféré de Leo McCarey, et l’un des favoris de beaucoup de ses pairs, Frank Capra en tête. Quatre-vingt-cinq ans après sa création, ce film sur la condition humaine n’a rien perdu de sa pertinence et donne toujours à réfléchir.
1h 31 Et avec Barbara Read, Elisabeth Risdon, Ray Mayer, Louise Beavers…

 

 

Le film, joliment restauré en Haute Définition, est uniquement présenté en version originale (avec option de sous-titres français ou anglais) en DTS-HD Master audio 2.0. Il est accompagné d’un entretien instructif de 27 minutes avec Olivier Père, grand admirateur de l’œuvre de Leo McCarey. On y apprend que Beulah Bondi, l’interprète de Lucy Cooper, avait en fait quarante-huit ans, quasiment le même âge que Thomas Mitchell, qui incarne son fils. Des bandes-annonces complètent le programme.

 

 

 

Les amoureux de Screwball Comedy peuvent aussi se tourner vers cet excellent coffret DVD paru aux éditions Montparnasse en 2019, incluant La dame du vendredi, My Man Godfrey, La joyeuse suicidée, et deux documentaires, l’un sur la Screwball, l’autre sur Billy Wilder.