UNE PLUIE SANS FIN

Le Grand Prix 2018 du Festival International du Film Policier de Beaune paraît sur les écrans français en pleine canicule estivale. Un timing qui ne manque pas d’ironie et pourrait bien profiter à ce petit bijou de film noir, romantique et désespéré à souhait.

 

« Vous êtes trop fort Maestro !
– Je n’y peux rien. C’est un don »

 

Une pluie sans fin (The Looming Storm – Bao Xue Jiang Zhi)

Dong Yue (Meilleur Nouveau Réalisateur aux Asian Film Awards 2018)
2017
Dans les salles françaises depuis le 25 juillet 2018

En cet hiver 1997, quelques mois avant la rétrocession de Hong Kong, la province du Yunan, dans le sud de la Chine, est confrontée à des intempéries inhabituelles. Yu Guowei (Duan Yihong), surveillant de la fonderie d’une petite ville industrielle, est sollicité par le chef de la police qui enquête sur une série de meurtres de jeunes femmes. Le corps de la dernière victime ayant été découvert, comme les précédents, aux abords de l’usine, les soupçons se portent en effet sur les employés de celle-ci. Flanqué de son jeune assistant Liu (Zheng Wei), Yu, que ses camarades surnomment « Détective Yu » à cause de son zèle et son intégrité, décide de mener les investigations en marge de la police. Sa détermination à découvrir le coupable va tourner à l’obsession…

Le titre français sied comme un gant à ce premier long-métrage du Chinois Dong Yue, qui, ce n’est pas une surprise, a commencé sa carrière comme chef-opérateur. En effet, le film frappe par sa beauté stupéfiante, ses plans magnifiques et ses atmosphères rendues presque irréelles par les ciels plombés, les pluies torrentielles et une palette de couleurs volontairement ternes et désaturées. Même si le cinéaste quadragénaire a confié avoir été influencé par Sueurs Froides d’Alfred Hitchcock et Conversation secrète de Francis Ford Coppola, c’est d’abord au chef-d’œuvre coréen Memories Of Murder que l’on pense. Très vite pourtant, il apparaît évident que les motivations de Dong Yue sont autres. L’intrigue policière, inspirée d’un fait divers chinois, est surtout prétexte à dépeindre un pays en pleine mutation. En cette fin de décennie 90, l’ouverture au capitalisme d’état entraîne la fermeture des vieilles usines, réduisant les ouvriers au chômage et à la misère. La riche Hong Kong rétrocédée à la Chine fait alors rêver bon nombre de ces laissés pour compte qui aspirent à une seconde chance. Le réalisateur montre avec brio la décrépitude ambiante de ce monde qui se meurt. Très peu de touches d’humour, mais Dong Yue joue volontiers avec l’absurde. Ainsi, Yu, décoré en tant qu’employé modèle de son usine par les instances du parti – sans être valorisé pour autant – est traité avec condescendance et mépris par celles-ci, tout comme par les autorités locales. Pour son malheur, Yu ne s’en rend pas compte. Ses camarades et son disciple Liu le confortent dans l’idée qu’il est « important » et qu’il a un talent spécial pour repérer les coupables. La poursuite du tueur en série, qui tient la police en échec, devient donc « son affaire » et prend le pas sur le reste, notamment sur sa relation avec la jolie prostituée Yanzi, qu’il protège d’une bien drôle de façon. Très expressif, l’acteur Duan Yihong, star en Chine, suscite une empathie totale. Yu le solitaire, tout comme les héros de films noirs, est écrasé par la fatalité de sa destinée. Il nous entraîne dans la spirale de son obsession. Point d’orgue du film : une course-poursuite sous une pluie battante, dans la carcasse de l’usine gigantesque et le long des voies ferrées, entre deux hommes vêtus d’un même ciré dont la capuche ruisselante dissimule le visage. Une scène à couper le souffle, filmée de main de maître, climax d’un polar désespéré et impressionnant qui hante longtemps après la projection.
Chine. 2 heures. Distribué en France par Wild Bunch. Et avec : Jiang Yiyan, Du Yuan…

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