LIFE OF CHUCK

Le créateur des horrifiques The Haunting of Hill House et The Haunting of Bly Manor adapte une nouvelle de Stephen King. Un film mystérieux et bouleversant sur la beauté de l’existence. Du grand cinéma ! (PAS DE SPOILERS DANS CET ARTICLE)

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« I am large, I contain multitudes. »
(Walt Whitman)

 

LIFE OF CHUCK (The Life Of Chuck)

Mike Flanagan
2024
Dans les salles françaises depuis le 11 juin 2025

Alors qu’il rentre chez lui, le professeur Marty Anderson (Chiwetel Ejiofor) est pris dans d’énormes embouteillages. À la télévision, les nouvelles sont de plus en plus alarmantes : séismes, incendies… Internet ne fonctionne plus. Marty parvient à rejoindre son ex-épouse Felicia (Karen Gillan), infirmière d’un hôpital déserté par ses médecins. Tous deux se demandent si ce n’est pas la fin du monde, et surtout qui peut bien être ce Chuck (Tom Hiddleston), le comptable en photo sur les panneaux publicitaires qui fleurissent partout en ville, remercié pour ses trente-neuf ans de travail ?

Est-ce parce qu’il est originaire de Salem, dans le Massachusetts, mais la spécialité de Mike Flanagan était jusqu’ici l’épouvante. Le réalisateur américain avait notamment cassé la baraque avec ses deux séries Netflix The Haunting of Hill House et The Haunting of Bly Manor(inspirée du Tour d’écrou, de Henry James). Le quadragénaire est aussi un grand amateur de l’œuvre de Stephen King qu’il a déjà portée à l’écran à deux reprises (avec Jessie et Doctor Sleep). Ici, il a adapté La Vie de Chuck, nouvelle de King parue en 2020 dans le recueil Si ça saigne (if It Bleeds), de manière extrêmement fidèle, reprenant le canevas des trois actes dont la chronologie est inversée. Une œuvre-puzzle qui déconcerte au début et dont chaque scène ensuite apporte son lot d’indices… et de surprises. On frémit, on rit, on s’émeut et on s’émerveille tout au long de cette étonnante et poétique ode à l’existence. Un peu mélo façon Spielberg, un peu fantastique façon Shyamalan, mais surtout un film avec une vraie dimension cosmique, constellé de moments de bravoure. Tom Hiddleston brille littéralement (notamment lors d’une séquence à couper le souffle), tout comme les jeunes Benjamin Pajak et Jacob Tremblay. Le légendaire Mark Hamill trouve là son meilleur rôle depuis longtemps et le reste de la distribution (dont les revenants Matthew Lillard et Mia Sara) fait un sans-faute. Depuis Magnolia, de Paul Thomas Anderson, on n’avait vu de célébration de la condition humaine aussi époustouflante. Un bijou !
1 h 51 Et avec Alexandria Basso, The Pocket Queen, Carl Lumbly, David Dastmalchian, Q’orianka Kilcher, Kate Siegel…

 

LA RÈGLE DU JEU : Retour en Collector

Revoilà le chef-d’œuvre de Jean Renoir ! Le « film des films » selon François Truffaut est réédité dans une somptueuse édition Collector 4K truffée de suppléments, dont une poignée d’inédits.

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« Tu comprends, sur cette Terre, il y a quelque chose d’effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons. »
(Octave au Marquis de la Chesnaye)

  

LA RÈGLE DU JEU

Jean Renoir
1939
Coffret 4K 2-Blu-ray + Livre et Coffret double-DVD disponible depuis le 4 juin 2025 chez Rimini Éditions 

Dans leur propriété de la Colinière, en Sologne, le riche Marquis de la Chesnaye (Marcel Dalio) et son épouse Christine (Nora Gregor) attendent des invités pour une partie de chasse. Parmi eux, l’aviateur André Jurieux (Roland Toutain), désespérément amoureux de Christine…

Deux ans après avoir réalisé La Grande illusion, Jean Renoir, cinéaste acclamé, change de ton. Il décide de s’atteler à une fantaisie dramatique qu’il va lui-même qualifier de « drame gai ». Tournant le dos au naturalisme de ses films précédents, Renoir va s’inspirer de Marivaux et de Beaumarchais, mais surtout, des Caprices de Marianne, d’Alfred de Musset. Tout commence comme une comédie survoltée, volontiers burlesque, mais le chassé-croisé amoureux va prendre des accents tragiques. C’est aussi que la période n’est pas si légère. Cette comédie de mœurs sur un monde bourgeois à la dérive reflète les états d’âme désenchantés, mais profondément lucides, de Renoir, à la veille de la Seconde guerre mondiale. Le réalisateur est en effet sidéré par le comportement des aristocrates français qui continuent à mener une vie insouciante, inconscients des enjeux qui s’annoncent, comme s’ils « dansaient sur un volcan ». Le cinéaste interprète lui-même Octave, ce dandy bonhomme et quelque peu désabusé qui ne dévoile pas ses cartes. Le jeu un peu décalé de Renoir, qui n’est pas acteur professionnel, confère au film une modernité étonnante. C’est bien cette modernité, ajoutée à une vision de l’amour plutôt avant-gardiste, à l’agonie prophétique d’un lapin (un vrai) lors de la scène violente de la chasse, et à l’hystérie collective qui semble parfois s’emparer de cette troupe, qui a déconcerté le public à la sortie du film. Car s’il est considéré comme un classique aujourd’hui, La Règle du jeu a bel et bien essuyé un échec en 1939, au point que Renoir fut contraint d’y effectuer une douzaine de coupes. Ce chef-d’œuvre sur la nature humaine, d’une totale liberté, qui fait fi des clichés et des évidences (à la manière du cinéma de John Cassavetes), attendra 1959 pour retrouver sa version intégrale et une reconnaissance méritée. Il reste aujourd’hui le film fétiche de beaucoup de cinéastes.
Et avec Paulette Dubost, Julien Carette, Gaston Modot, Francœur… (Henri Cartier-Bresson apparaît en domestique anglais)

 

COFFRET COLLECTOR 4K Ultra HD
+ 2 Blu-ray + Livre + Cartes

L’édition propose quatre reproductions d’affiches en cartes postales ainsi qu’un livret de 64 pages sur les coulisses de La Règle du jeu, écrit par Charlotte Garson, critique aux Cahiers du cinéma.

La qualité de l’image et du son fait un petit pas de plus à chaque nouvelle édition. Celle-ci, parue chez Rimini, surpasse la dernière française de 2022, chez ESC. L’image est lumineuse, contrastée, avec une impression de grain appréciable. La piste sonore, soigneusement nettoyée, est claire et harmonieuse.

On se réjouit de retrouver ici beaucoup des suppléments du DVD Collector édité chez Montparnasse en 2005 : l’introduction piquante de Jean Renoir ; le commentaire intégral du film par l’historien du cinéma Olivier Curchod, qui revient également sur sa création dans un entretien de 27 minutes ; une interview exceptionnelle de Jean Renoir réalisée par Jacques Rivette en 1966 dans la série “Cinéastes de notre temps” ; des points de vue d’admirateurs du film dont Claude Chabrol et Noémie Lvovsky.

On découvrira parmi les inédits un reportage de 1965 dans lequel les cinéphiles Jacques Durand et Jean Gaborit racontent l’aventure de la reconstitution de La Règle du jeu. Le négatif original ayant été détruit après un bombardement en 1942, Ils ont en effet mené des recherches laborieuses pour retrouver des bobines de copies existantes. François Truffaut, présente puis discute du film en compagnie d’Alexandra Stewart, Yvonne Baby et Jean Loup Dabadie après sa diffusion à la télévision en 1972 (23 minutes). Jean Douchet et Arnaud Desplechin analysent le film devant le public après une projection à la Cinémathèque en 2014. Le Maître de conférences en études cinématographiques Philippe Roger revient sur l’utilisation de la musique dans le film. Le programme s’achève sur un extrait de l’enregistrement symphonique de l’opéra-comique Le Déserteur, de Pierre-Alexandre Monsigny, que l’on peut entendre à la fin du film.

« L’amitié avec un homme ? Autant parler de la Lune en plein midi ! »
(Lisette/Paulette Dubost)

 

LOVE & MERCY : l’incroyable destin de Brian Wilson

Il y a onze ans, le producteur passionné de musique Bill Pohlad passait derrière la caméra pour retracer le parcours édifiant de Brian Wilson, leader des Beach Boys, qui vient de disparaître, ce 11 juin 2025, à quatre-vingt deux ans. Si vous avez raté ce petit bijou, c’est le moment de vous rattraper !

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« We’re not surfers, we never have been and real surfers don’t dig our music anyway ! »
Brian Wilson

 

LOVE & MERCY

Bill Pohlad
2014
Paru dans les salles françaises le 1er juillet 2015
Disponible en DVD/Blu-ray chez ARP

Au milieu des années 60, les tubes des Beach Boys déferlent sur les ondes US, et Brian Wilson (Paul Dano), leur leader, annonce au groupe (composé, entre autres, de ses deux frères) qu’il ne montera plus sur scène avec eux et se consacrera désormais à l’écriture des chansons en studio. Alors que son génie fait l’admiration de tous, le compositeur est de plus en plus sujet à des crises d’angoisse et de schizophrénie, dues à des traumatismes d’enfance. Vingt ans plus tard, Brian Wilson (John Cusack), qui n’est plus que l’ombre de lui-même et vit sous l’emprise d’un psychiatre véreux et manipulateur (Paul Giamatti), rencontre la femme qui pourrait bien lui sauver la vie (Elizabeth Banks)…

Le biopic musical peut prendre des formes diverses et variées. Il en est des académiques, des linéaires qui relatent les événements de manière très chronologique (Ray) et des déjantés, qui tiennent davantage de la vision que de la biographie, tels Velvet Goldmine ou I’m Not There. Certains ont eu l’autorisation d’utiliser les chansons originales, d’autres non (et parmi ceux-là, certains sont cependant des bons films, Velvet Goldmine en témoigne). Love & Mercy (titre d’une chanson de Brian Wilson publiée en 1988 sur l’album éponyme) a bénéficié de l’aval et de la totale collaboration du musicien, ce qui permet non seulement d’entendre les tubes mythiques (« God Only Knows », « Good Vibrations »…), mais également d’assister, telle une petite souris qui se serait glissée dans le studio d’enregistrement, à la reconstitution de leur création. Le film ramène dès l’ouverture dans la Californie des sixties, reconstituée de manière saisissante par un travail soigné des couleurs et du grain de l’image. Très vite, on bascule dans la période sombre des années 80, et s’ensuit un va-et-vient très habile entre les deux décennies, qui permet aux séquences de se répondre mutuellement. On ne dévoilera pas tout du film, tant cette histoire (incroyable mais vraie) réserve de surprises. Basé sur un scénario de Michael A. Lerner, peaufiné par Oren Moverman (déjà scénariste de I’m Not There), Love & Mercy est signé Bill Pohlad, un passionné de la musique de Brian Wilson. Il s’agit seulement de son deuxième long-métrage en tant que réalisateur après l’obscur Old Explorers, paru en 1990. Ce fils de milliardaire et producteur réputé (12 Years A Slave, Into The Wild, The Tree Of Life, The Runaways…) qui se prépare à porter à l’écran l’histoire d’amour de Miles Davis et Juliette Gréco, a accompli ici un tour de force. Son film parvient à propulser le spectateur à l’intérieur de la tête du génial Brian Wilson, compositeur touché par la grâce, et à rendre palpable sa souffrance, sa solitude et son désarroi. Sensationnel, Paul Dano fait un Brian Wilson tourmenté troublant de ressemblance. John Cusack est littéralement bouleversant ; Paul Giamatti campe son rôle de vilain avec jubilation et Elizabeth Banks, en héroïne et personnage clé de l’histoire, n’a jamais paru aussi fabuleuse. Ce film est une merveille et son épilogue, un petit bijou.
Et avec : Jake Abel, Kenny Wormald, Brett Davern, Tyson Ritter…