LE CAS BABYLON

Le cinéaste de La La Land s’empare de l’histoire d’Hollywood au temps du muet et réalise une fresque monumentale, volontiers outrancière, pour montrer la débauche, la luxure et la liberté incroyable qui ont accompagné l’industrie naissante du cinéma. Très documenté, ce film impressionnant et plus sombre qu’il n’y paraît oscille constamment entre burlesque et tragédie. Flop de l’année aux États-Unis, Babylon n’en finit pas de diviser la critique. Une chose est certaine, Margot Robbie y fait une performance hallucinante. Et chose encore plus dingue, elle n’est même pas nommée à l’Oscar.

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« It’s written in the stars. I am a star. »

  

BABYLON

Damien Chazelle
2022
Depuis le 18 janvier 2023 sur les écrans français

À Los Angeles, en 1926, Manny (Diego Calva), homme à tout faire d’un riche producteur, rêve d’entrer dans le monde du cinéma. Lors d’une fête gargantuesque organisée par son boss, il rencontre une aspirante actrice culottée, Nelly LaRoy (Margot Robbie), prête à tout pour réussir. Pour son malheur, il en tombe fou amoureux…

L’histoire d’Hollywood n’est pas que strass et paillettes. Elle recèle une multitude de drames et de tragédies, notamment lors du passage du muet au parlant, qui a conduit bon nombre d’acteurs au suicide. Ainsi, Babylon — dont le titre est emprunté à la fois au livre sulfureux Hollywood Babylone (avec un « e » car le livre a d’abord été publié en France), de Kenneth Anger, et à la magnifique série Babylon Berlin — peut se voir comme la version tragique de Chantons sous la pluie, une référence dont Damien Chazelle abuse d’ailleurs dans son film. S’appuyant sur les nombreuses anecdotes contées par l’historien du cinéma Kevin Brownlow dans son ouvrage La parade est passée (The Parade’s Gone By), le cinéaste a reconstitué cette période folle, décadente, anarchique et cosmopolite des années 20 à Hollywood, quand la liberté de création (et de comportement)  était totale. L’arrivée du parlant et de la censure allait changer la donne. Tous les protagonistes sont ainsi des émanations de figures de l’époque. Nelly LaRoy emprunte à Clara Bow, la première it girl, dont les frasques étaient célèbres. Jack Conrad (Brad Pitt) est inspiré de John Gilbert, le fiancé de Greta Garbo qui a fait fantasmer des générations de midinettes. L’envoûtante Lady Fay Zhu (Li Jun Li, vue dans Wu Assassins et Devils) est un clone d’Anna May Wong, la première star d’origine chinoise, partenaire de Douglas Fairbanks dans Le voleur de Bagdad, tandis qu’Elinor St John, campée par une formidable Jean Smart, redonne vie à la piquante chroniqueuse, scénariste et romancière anglaise Elinor Glyn. Via le personnage de Ruth Adler (Olivia Hamilton), Damien Chazelle n’omet pas de pointer la présence des femmes derrière la caméra, nombreuses à cette période (Lois Weber, Dorothy Arzner, la pionnière Alice Guy…). Le cinéaste filme en virtuose les fêtes orgiaques et les tournages de péplums pharaoniques en plein désert de Californie (incroyable mise en abyme lors d’une séquence d’action à couper le souffle). Boostée par le jazz endiablé du fidèle Justin Hurwitz, la première partie de Babylon en met plein les mirettes : du Baz Luhrmann sous acide ! Margot Robbie est éblouissante, les numéros de Brad Pitt sont tordants (c’est aussi lui le plus émouvant). La distribution en jette, et même les vétérans Joe Dalessandro et Eric Roberts sont de la partie. Mais il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Damien Chazelle, qui semble avoir une drôle de fascination pour les turpitudes, les freaks, les excréments et le vomi. Sous Hollywood, la fange ! Tout cela finit par avoir quelque chose de mortifère. Plus qu’une mélancolie, il émane de ce film fleuve (où on ne s’ennuie pas une seconde) une tristesse infinie. C’est le paradoxe de cette œuvre folle et de son cinéaste profondément amoureux du cinéma, mais qui ne peut choisir entre l’admiration et le dégoût qu’Hollywood lui inspire. Quentin Tarantino avait sublimé et idéalisé la Mecque du cinéma dans Il était une fois à Hollywood (avec Brad Pitt et Margot Robbie déjà), Damien Chazelle, lui, exprime une sorte d’amour-haine qui donne à son film un goût incroyablement amer.
3 h 09 Et avec Jovan Adepo, Flea, Olivia Wilde, Lukas Haas, Kaia Gerber, Max Minghella, Samara Weaving, Tobey Maguire…

 

THE OFFER, mini-série jubilatoire

Ce n’est pas Damien Chazelle qui dira le contraire, Hollywood et ses mythes sont une formidable source d’inspiration pour les cinéastes et scénaristes. Après Feud : Bette and Joan et Hollywood, il faut se ruer sur ce bijou de mini-série, disponible sur Paramount+ depuis la fin décembre. Adaptée des mémoires du producteur Albert S. Ruddy, elle narre la genèse et l’histoire rocambolesque du tournage du Parrain, de Francis Ford Coppola. On y découvre qu’entre les intrigues des mafieux et des hommes d’affaires, les états d’âme des artistes en questionnement et les humeurs de Frank Sinatra, l’existence même de ce classique tient du miracle. Un régal.

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« Hey, who is that guy ?
– Bob Evans, head of Paramount. That guy’s more connected than God, and yeah, he’s always that tan. »

  

THE OFFER

Leslie Greif et Michael Tolkin
2022
Première diffusion sur Paramount+ en avril 2022 aux USA et le 1er décembre 2022 en France

Dans les années 60, Albert S. Ruddy (Miles Teller) est programmateur au sein d’un laboratoire d’idées, la Rand Corporation, mais rêve de cinéma. Par l’entremise d’un ami scénariste, il rencontre l’exubérant Robert Evans (Matthew Goode), vice-président du département production de Paramount. Parallèlement, l’écrivain américain d’origine napolitaine Mario Puzo (Patrick Gallo), endetté et échaudé par l’échec de son dernier roman, se lance sur les conseils de son épouse dans l’écriture d’un ouvrage susceptible de toucher le public : un livre sur la mafia…

Il n’y avait pas de plus belle façon d’inaugurer la plateforme Paramount+ proposée pour la première fois en France par Canal+, ni de rendre hommage au Parrain, dont on a fêté le cinquantenaire en 2022. Le film de Francis Ford Coppola a non seulement remporté trois Oscars en 1973 — Meilleur film, Meilleur acteur (Marlon Brando) et Meilleur scénario adapté — sur onze nominations, mais il est unanimement considéré comme l’un des cinq plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma. The Offer permet de découvrir à quel point sa création ne fut pas un chemin de roses. Écrite par Michael Tolkin, auquel on doit le scénario de The Player, formidable satire sur les coulisses d’Hollywood réalisée par Robert Altman, elle reconstitue cette aventure extraordinaire avec brio et un sens de l’ironie qui fait mouche. Si tout le monde associe le nom de Coppola au Parrain, peu connaissent celui de son producteur, Albert S. Ruddy, sans qui ce film-là n’aurait pu voir le jour. Sans expérience, mais avec la passion et l’ambition chevillées au corps, ce jeune homme audacieux s’est démené pour que les coscénaristes (Francis F. Coppola et Mario Puzo) puissent porter leur vision à l’écran. Ruddy, incarné ici par le solide Miles Teller, confiera que chaque jour du tournage était le pire de sa vie. Alors que tout semblait voué à l’échec, cette tête brûlée va pourtant surmonter les obstacles (et pas des moindres, la mafia ayant dès le départ le film dans le collimateur) avec l’aide d’une jeune secrétaire-assistante aussi fougueuse que lui, et campée dans la mini-série par la formidable Juno Temple (dans un rôle similaire à celui qu’elle incarnait dans l’épatante série Vinyl). Grâce aux dialogues piquants et aux comédiens renversants, les dix épisodes fourmillent de scènes jubilatoires. En Francis F. Coppola et Mario Puzo, Dan Fogler et Patrick Gallo sont délicieusement drôles, à l’instar de Burn Gorman en Charlie Bluhdorn (l’impitoyable propriétaire de Paramount), et Colin Hanks, en cadre dirigeant tête à claques du studio (personnage résultant d’un mélange de plusieurs personnalités de l’époque). Jake Cannavale (frère de Bobby) et Giovanni Ribisi (en Joe Columbo) font des mafieux touchants tandis que Justin Chambers impressionne en Marlon Brando. Mais la palme revient à Matthew Goode. Il incarne un Robert Evans flamboyant, playboy tantôt génial tantôt pathétique, producteur des futurs Chinatown et Marathon Man. L’acteur britannique (excellent dans Match Point, A Single Man, Downton Abbey ou The Crown), est tout à fait semblable à la description d’Evans faite par Peter Biskin dans son livre sur le Nouvel Hollywood (c’est aussi son titre), et qui ne manque pas de sel :

« Exubérant et ambitieux, il était effectivement furieusement beau. Bronzé toute l’année, des dents blanches éblouissantes, les cheveux en arrière, il ressemblait un peu à Robert Wagner… Evans était l’homme de ces dames. S’il n’avait pas eu la chance de rencontrer Charlie Bluhdorn, il aurait probablement passé sa vie à faire le gigolo en escortant des douairières à travers tous les spas d’Europe. »

The Offer prend certes des raccourcis, fait la part belle aux clichés et aux fantasmes d’Hollywood circa 70, mais ces dix épisodes palpitants rendent un hommage somptueux à la création artistique et au cinéma.
Et avec Nora Arnezeder, Lou Ferrigno, Josh Zuckerman, Eric Balfour, Frank John Hugues, T.J. Thyne, Anthony Skordi, Anthony Ippolito…