ADOLESCENCE

Cette mini-série venue d’Albion est un phénomène depuis son arrivée sur Netflix. Sa particularité : chacun des quatre épisodes est filmé en un seul plan séquence. Une approche qui suscite une sensation d’immersion inouïe. Pour autant, ce drame policier n’est pas qu’un exercice de style, il dénonce avec intelligence les influences auxquelles sont confrontés les ados d’aujourd’hui, et met en exergue le fossé grandissant entre les générations.

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« C’est fou hein, ce que ton cerveau te fait faire quand t’es un gosse… » 

 

ADOLESCENCE

2025
Mini-série britannique créée par Stephen Graham et Jack Thorne, réalisée par Philip Barantini

Disponible depuis le 13 mars 2025 sur Netflix

À six heures du matin, des policiers lourdement armés débarquent chez les Miller, une famille ordinaire d’une petite ville du Yorkshire. Ils embarquent sans ménagement le jeune Jamie (Owen Cooper), treize ans, devant les parents et la sœur aînée de celui-ci. Il est soupçonné d’avoir assassiné une collégienne de plusieurs coups de couteau. L’adolescent jure qu’il n’a rien fait, et ses parents, abasourdis, sont convaincus qu’il s’agit d’une méprise… 

En 2021, The Chef (Boiling Point en VO), sur les coulisses d’un restaurant branché de Londres, avait fait sensation, notamment en Angleterre où la critique avait loué le parti pris de la mise en scène, une véritable prouesse technique. En effet, ce film signé Philip Barantini était constitué d’un unique plan-séquence. La vedette en était Stephen Graham, comédien britannique à la filmographie foisonnante, révélé par Snatch de Guy Ritchie. C’est lui qui est à l’initiative d’Adolescence, qu’il a coécrite avec le scénariste anglais Jack Thorne, créateur de la série Glue — il a également collaboré à This Is England, Skins ou la saga Enola Holmes. Comme de juste, c’est Philip Barantini qui a assuré la mise en scène. Ici, de la même manière que The Chief, les quatre épisodes d’une heure sont filmés en un seul plan-séquence, méticuleusement chorégraphié en amont. L’immersion, le réalisme et la tension sont ainsi exacerbés. Le spectateur est propulsé dans le récit dès la première minute, et reste tenu en haleine jusqu’au bout. La question, on le comprend très vite, n’est pas de savoir si Jamie est coupable, mais pourquoi il est passé à l’acte. Les épisodes portent chacun sur un aspect de l’enquête. Et, des flics qui tentent de trouver des réponses au collège et découvrent un monde violent et codifié qui leur échappe, aux parents déboussolés, en passant par la confrontation de Jamie avec la psychologue, bienveillante mais déterminée, chaque partie est tout aussi édifiante. C’est la multiplication des meurtres au couteau commis ces derniers temps par des mineurs qui a poussé les auteurs à s’interroger sur la manière dont les enfants grandissent dans la société aujourd’hui. Les réseaux sociaux où se propagent les images trafiquées, les fake news, la pornographie et les propagandes de toutes sortes laissent des traces dans les jeunes cerveaux. La série est une sonnette d’alarme pour les parents qui croient leur progéniture en sécurité à la maison, dans le sanctuaire de leur chambre. Autre atout du show, sa distribution. Le jeune Owen Cooper, dans sa première apparition à l’écran, est impressionnant. On retrouve avec plaisir des acteurs récurrents des séries britanniques, tels Ashley Walters (Top Boy), Faye Marsay (The White Queen), Christine Tremarco (The Responder), ou Erin Doherty (The Crown). Quant à Stephen Graham, en père de Jamie, il est à fendre le cœur.
4 épisodes d’environ 60 minutes. Et avec Amelie Pease, Jo Hartley, Mark Stanley, Claudius Peters, Lewis Pemberton, Kaine Davis, Douglas Russel…

UN PARFAIT INCONNU (A Complete Unknown)

Après avoir rendu hommage à Johnny Cash, le réalisateur américain James Mangold s’attaque à un autre monument de la musique : Bob Dylan, l’un des artistes les plus marquants de son époque, mais aussi l’une de ses figures les plus énigmatiques. Fabuleux !

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« Tous ces gens veulent que je sois quelqu’un d’autre. Qu’ils me laissent…
– Te laissent quoi ?
– Être ce qu’ils ne veulent pas que je sois. »

 

UN PARFAIT INCONNU (A Complete Unknown)

James Mangold
2024
Dans les salles françaises depuis le 29 janvier 2025

En 1961, Bob Dylan (Timothée Chalamet) a vingt ans. Guitare sur le dos, pas un sou en poche, il débarque de son Minnesota natal à New York. Il est bien décidé à rencontrer son maître, Woodie Guthrie, le chantre de la musique populaire américaine. Ce dernier (Scott McNairy), atteint d’une grave maladie dégénérative, réside désormais à l’hôpital. Dans la chambre, Dylan le trouve en compagnie de Pete Seeger (Edward Norton), autre pionnier du folk. Amusés par cette arrivée impromptue, les deux amis invitent le jeune troubadour à leur jouer quelque chose. Ils vont être sidérés…

Il est moins sexy que Elvis Presley ou Mick Jagger, moins glam que David Bowie, et pourtant Bob Dylan est peut-être le plus rock’n’roll d’entre tous. Et, assurément, le plus rebelle. C’est ce qui frappe dans ce biopic de James Mangold qui, entre autres mérites, a celui de permettre d’approcher un peu la psyché de l’icône de la pop music, poète et auteur au génie incontestable (le premier chanteur à avoir remporté un Prix Nobel, qu’il n’est pas venu chercher…), mais à la personnalité insaisissable, presque abstraite. Individualiste forcené, Dylan brouille constamment les pistes, exècre le star-system, les postures, la popularité, et refuse d’entrer dans les cases. Qu’il s’agisse d’art ou de relations humaines. Il traite ses petites amies avec désinvolture et une négligence qui confine à la cruauté. Timothée Chalamet, comme on pouvait s’y attendre, incarne magnifiquement cette figure pleine de contradictions, et parvient, grâce à son charisme naturel, à rendre attachant ce sale gosse insolemment doué qui prétend ne vouloir être que lui-même. Autre prouesse de l’acteur : il chante et joue lui-même les chansons (à l’instar de la plupart des comédiens du film). À ce titre, les séquences musicales sont bluffantes et, on s’en félicite, beaucoup de morceaux sont joués dans leur intégralité. Le cinéaste déjà réalisateur en 2005 d’un magistral film sur Johnny Cash (Walk The Line — voir ma critique ici), s’est focalisé sur une période précise de la vie de Dylan : de son arrivée à New York jusqu’à son passage à la guitare électrique, en 1965, qui a grandement contrarié la communauté folk. Le scénario, écrit par Mangold et Jay Cocks, se base sur le livre du journaliste Elijah Wald paru en 2015, Dylan Goes Electric ! :Newport, Seeger, Dylan And The Night That Split The Sixties (la version française est disponible chez Rivages). Un parfait inconnu, traduction de A Complete Unknown, vers tiré de la monumentale chanson « Like A Rolling Stone » n’est pas la première fiction consacrée à Bob Dylan. En 2007, Todd Haynes avait réalisé un portrait kaléidoscopique de l’artiste aussi audacieux que déroutant (voir ma critique ici). La forme adoptée par Mangold, plus traditionnelle, est susceptible de séduire un public plus large, aficionados comme néophytes. Dès les premiers plans, la reconstitution de ce Greenwich Village mythique et aujourd’hui disparu, éblouit dans les moindres détails. La distribution décoiffe également. Edward Norton émeut en Pete Seeger, le mentor éperdument admiratif de son poulain. Monica Barbaro en Joan Baez, et Boyd Holdbrook en Johnny Cash, sont magnifiques. Elle Fanning fait une bouleversante Suze Rotolo — rebaptisée ici Sylvie Russo à la demande de Bob Dylan lui-même — la petite amie et muse des débuts qui figure sur la pochette de l’album Freewheelin’. Car si Martin Scorsese n’avait pas été autorisé à rencontrer l’artiste lors de la conception du documentaire No Direction Home, James Mangold, lui, a pu échanger avec le musicien, qui a validé le scénario. Il a également adoubé Timothée Chalamet via un tweet. Quant à savoir s’il a pris la peine de voir le film, c’est une autre histoire.
2 h 21 Et avec Joe Tippett, Eriko Atsune, Dan Fogler, Will Harrison, Charlie Tahan, Laura Kariuki…

FAMILIES LIKE OURS

Et si la situation s’inversait ? Si, à cause du changement climatique, les populations des pays les plus favorisés subissaient à leur tour le sort des migrants. Devenaient persona non grata dans les pays avoisinants, soumises aux quotas, aux visas et aux permis de travail ? C’est ce qu’a imaginé le Danois Thomas Vinterberg, cofondateur du Dogme 95 et cinéaste des remarquables Festen, La Chasse ou Drunk. C’est réaliste, émouvant et terriblement humain.

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When the day is done
Down to Earth then sinks the sun
Along with everything that was lost and won
When the day is done

(Nick Drake 1969) 

 

FAMILIES LIKE OURS (Familier Som Vores)

2025
Mini-série créée et réalisée par Thomas Vinterberg
Disponible depuis le 6 janvier sur Canal+

Au cours de l’été, face à la montée inexorable du niveau de la mer, le gouvernement danois annonce la prochaine évacuation du pays. La population est abasourdie. À Copenhague, Jacob (Nikolaj Lie Kaas), architecte aisé et père de deux enfants, découvre que sa belle maison ne vaut plus rien. Quant à sa fille aînée Laura (Amaryllis April Maltha August), qui s’apprête à passer le bac et vient de tomber amoureuse, elle voit son avenir tout à coup s’obscurcir…

« Day Is Done », la déchirante ballade de Nick Drake, hante la série, lui conférant à la fois un caractère tragique et une magnifique mélancolie. Ne pas s’attendre à des images spectaculaires, ni à des effets spéciaux façon Roland Emmerich. Pour filmer les aventures de ses personnages (tous gravitant autour de la même famille) confrontés à des événements déstabilisants, Thomas Vinterberg reste toujours à hauteur d’homme. Curieusement, alors que la crise climatique est de plus en plus préoccupante, elle n’est que le point de départ de la série. L’ambition du cinéaste était d’évoquer la perte de repères, le sentiment de déracinement, celui-là même qu’il avait ressenti un matin alors qu’il séjournait à Paris. Avec l’intensification des phénomènes climatiques, le scénario dont il avait commencé l’écriture il y a sept ans s’est révélé de plus en plus pertinent et en phase avec les enjeux contemporains. Moins politique que Years And Years, la remarquable dystopie de Russell T. Davies, Families Like Ours s’attarde davantage sur les drames intimes qui agitent cette petite communauté alors que le pays se vide à vitesse grand V. Plus de lycées, de banques, d’entreprises, de transports… Les Danois doivent prendre leur destin en mains et recommencer de zéro. La solidarité est mise à l’épreuve et il leur faut impérativement décrocher le Graal : un pays d’accueil. L’histoire de tous les réfugiés en somme, mais rien n’avait préparé ces privilégiés à devenir si vite les parias de l’Europe. Certains choix sont cruels. Ceux de Laura, la jeune et courageuse héroïne de la série — difficile de ne pas y voir, de la part de Thomas Vinterberg, un hommage à sa fille de dix-neuf printemps, disparue cinq années plus tôt dans un accident de la route —, s’avèrent imprudents voire déraisonnables. Ils vont avoir des conséquences terribles. Si le réalisme prévaut, avec une touche de cruauté parfois, le réalisateur ne s’interdit pas de flirter avec le mélo, ni même avec le fantastique. Très investis, les comédiens font vibrer cette mini-série oppressante, et surtout, jusqu’au bout, formidablement émouvante.
7 épisodes de 52 minutes. Et avec Albert Rudbeck Lindhardt, Magnus Millang, Paprika Steen, Esben Smed, Helene Reingaard Neumann (Madame Vinterberg à la ville), Asta Kamma August, Thomas Bo Larsen…