THE FABELMANS : la fabrique du génie

Steven Spielberg revisite son enfance et son adolescence dans cette fable humaniste à la fois intime et universelle. Déclaration d’amour à la famille et au cinéma, le film a fait un four aux États-Unis (comme Babylon), mais a suscité des critiques dithyrambiques en France. Ce n’est peut-être pas le chef-d’œuvre escompté, mais on en sort émerveillé.

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« Movies are dreams that you never forget. »

 

THE FABELMANS

Steven Spielberg
2002
Dans les salles françaises depuis le 22 février 2023
Golden Globes 2023 du Meilleur film et du Meilleur réalisateur

Le 10 janvier 1952, à Philadelphie, Burt (Paul Dano) et Mitzi (Michelle Williams), les parents du jeune Sam Fabelman (Mateo Zoryon) l’emmènent pour la première fois voir un film au cinéma. Il s’agit de Sous le plus grand chapiteau du monde (The Greatest Show On Earth), de Cecil B. DeMille. L’enfant de six ans, qui appréhende de se retrouver dans une salle obscure, ignore à quel point cet événement va bouleverser sa vie…

« Beaucoup de mes films s’inspirent d’expériences que j’ai vécues. Mais dans The Fabelmans, il ne s’agit plus seulement de métaphores, mais de souvenirs » a déclaré Steven Spielberg en amorce d’une des bandes-annonces de cette autobiographie sur grand écran. L’un des plus importants cinéastes de son temps — cinq de ses œuvres figurent dans la liste de l’American Film Institute des cent meilleurs films américains de l’histoire — revient ici pour la première fois explicitement sur son enfance et son adolescence, et dévoile, dans le même temps, les fondements de son cinéma. Ce projet le taraudait depuis longtemps. Il s’est imposé d’attendre la disparition de ses parents pour s’autoriser à mettre en scène l’histoire intime de sa famille, rebaptisée Fabelman, un nom symbolique pour un récit à valeur de thérapie. Il a écrit le scénario pendant le confinement avec Tony Kushner, auteur de la célèbre pièce Angels In America avec lequel il collabore depuis Munich. Tout commence par une scène grandiose, en quelque sorte la pierre angulaire de l’œuvre du cinéaste. Et puis, on pénètre dans le quotidien de la famille Fabelman. On découvre que si le père est un génie de l’informatique, un geek avant l’heure, c’est la mère qui vampirise le clan. John Cassavetes ferait dire d’elle à Peter Falk qu’elle est « spéciale ». Car Mitzi a beaucoup de points communs avec la Mabel campée par Gena Rowlands dans Une femme sous influence. Artiste contrainte d’abandonner une carrière de concertiste pour devenir femme au foyer et s’occuper de ses quatre enfants (lot de beaucoup de ses congénères à l’époque), elle évacue ses frustrations par un comportement fantasque qui confine à l’hystérie. Contrairement à son scientifique d’époux, Mitzi sera pourtant le soutien indéfectible de son fils et son premier public, celle qui, contre vents et marées, encouragera sa vocation de cinéaste et lui offrira sa première caméra. Certains ont reproché à Spielberg de faire ici l’autocélébration de sa vie (il y a effectivement des longueurs dans la première partie dédiée aux atermoiements de cette famille juive volubile), mais contre toute attente, le réalisateur n’est pas toujours tendre dans son évocation. Il n’élude pas les aspects les plus embarrassants de cette figure fantasque (également inspirée par la mère de Tony Kuschner). Elle est campée par Michelle Williams, ex-vilain petit canard de la série Dawson devenue actrice qui compte. Enlaidie pour le rôle faute à une coupe de cheveux ingrate, la comédienne ne lésine pas sur le côté exalté du personnage ni sur sa propension à susciter le malaise. Il est aisé de comprendre pourquoi le jeune Sam se réfugie dans l’imaginaire… Le cinéma est le moyen d’exorciser ses angoisses face à une situation familiale souvent explosive. L’émerveillement lorsqu’il découvre les classiques du 7ème art va de pair avec son envie de réinventer le monde, comme une façon de contrôler ce qui lui échappe dans le réel. C’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans The Fabelmans : le regard de l’enfant qui projette son film au creux de ses mains, puis de l’adolescent qui scrute la pellicule avec sa loupe, son travail méticuleux sur la table de montage, ou encore l’incrédulité lorsqu’il découvre, dans une scène façon Blow Up, l’infidélité de sa mère, à l’arrière-plan d’un film de pique-nique familial. Les dents de la mer, E. T., Il faut sauver le soldat Ryan… tout est déjà là, dans les films amateurs de Sam. Le jeune Gabriel LaBelle est bouleversant dans la peau de cet adolescent sage, mais à l’imagination débordante, dévasté par la séparation de ses parents. À ses côtés, Paul Dano est touchant en père introverti et dépassé, incapable de comprendre sa femme et ses enfants qu’il déracine au gré de ses affectations — la famille se déplace ainsi du New Jersey en Arizona jusqu’en Californie, traçant sans le savoir la trajectoire de Sam/Steven vers Hollywood. En ami du clan, Seth Rogen est formidable, à l’instar de tous les jeunes interprètes. Force est de constater qu’à l’heure de Everything Everywhere All At Once, The Fabelmans détonne par son parti pris rétro (les fidèles John Williams et Janusz Kaminski sont respectivement à la musique et la photo). Spielberg ne sacrifie rien de son univers. Il est passé à côté de la révolution pop-rock de son époque et il l’assume. Sur la plage californienne, on n’entend pas les Beach Boys, mais James Darren, et à l’université, on chante plutôt du Burt Bacharach (la sublime « Walk On By »). Le film n’est pas exempt de défauts, mais la scène finale, tirée d’une anecdote vraie, emporte tout sur son passage.
2 h 31 Et avec Judd Hirsh, Jeannie Berlin, Keeley Karsten, Julia Butters, Chloe East, Isabelle Kusman, Sam Rechner, Oakes Fegley, David Lynch…

 

OSCARS 2023 : bienvenue dans le multivers !

La 95ème édition des Oscars qui s’est déroulée le 12 mars au Dolby Theatre de Hollywood, à Los Angeles, a joué la carte de l’apaisement. Encore hantés par le scandale Will Smith de l’année précédente, les organisateurs ont confié les rênes de la soirée à l’humoriste et animateur de télévision Jimmy Kimmel qui, à défaut de génie, a fait preuve de professionnalisme. On est loin de Ricky Gervais… Quelques saillies méritent néanmoins d’être signalées.

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©Myung J.Chun/LA Times

« On dit que Hollywood n’a plus d’idées. Même Steven Spielberg a dû faire un film sur Steven Spielberg. »

« Une belle année pour la diversité. On a des nommés de tous les quartiers de Dublin. »

 « S’il se passe quelque chose d’imprévisible ou de violent, faites la même chose que la dernière fois : rien. Restez totalement impassibles et, vous verrez, tout se passera bien. »

 

PALMARÈS
 

 

LA RAZZIA EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE


©Jeff Kravitz/Film Magic

La cérémonie, terriblement sage et consensuelle, ne restera pas dans les annales, mais son palmarès a pris des allures de petite révolution. Les onze nominations attribuées à Everything Everywhere All At Once avaient étonné, mais les sept Oscars raflés par ce film déjanté, truffé de références et souvent confus – mêlant univers parallèles (le multivers) et famille dysfonctionnelle –, laissent pantois. Non pas qu’il ne méritât pas de récompenses, mais autant de trophées pour une œuvre conceptuelle au message gentillet, à laquelle, personnellement, j’aurais également donné, tant qu’on y était, l’Oscar du film le plus épuisant, me semble totalement injustifié. EEAAO, son titre en abrégé, n’a laissé aucune miette aux autres poids lourds en lice, à savoir Les Banshees d’Inisherin (9 nominations), Elvis (8 nominations) ou encore The Fabelmans (7 nominations). Babylon, la fresque grandiose de Damien Chazelle avec une Margot Robbie géniale et même pas nommée, passe lui aussi à la trappe. Forcément, on se dit que Hollywood marche sur la tête. Mais le palmarès fait écho aux goûts du public américain, qui a fait un triomphe à EEAAO, érigé en phénomène de l’année aux US, alors que les films de Damien Chazelle et de Steven Spielberg ont fait un flop. À son tour, Hollywood semble tourner le dos au cinéma classique et a encensé, dimanche, une nouvelle génération de réalisateurs, trentenaires et issus du Web, en même temps qu’une certaine forme de liberté de création. C’est un bouleversement, mais faut-il s’en réjouir ?

Everything Everywhere All At Once (tout partout à la fois) de Daniel Scheinert et Daniel Kwan a ainsi remporté devant un public en liesse les Oscars du Meilleur Film, Meilleur réalisation, Meilleure actrice, Meilleurs seconds rôles masculin et féminin, Meilleur scénario original et Meilleur montage (mérité celui-ci). Les Daniels comme on les surnomme, ont fait leurs armes dans l’univers du clip et de la publicité. Déjà culte, leur premier long-métrage réalisé en 2016, Swiss Army Man, avec Paul Dano et Daniel Radcliffe, narrait la rencontre d’un homme en dépression et d’un cadavre pétomane. Leurs discours n’ont pas manqué de sel.


©Todd Heisler/The New York Times

« Ce qu’on peut faire de mieux, c’est se protéger les uns les autres du chaos qui nous entoure. Le monde est en train de changer très rapidement. Nos histoires le racontent au mieux. Parfois c’est un peu effrayant de voir que les films racontent l’histoire année après année, alors que sur Internet, les histoires se racontent seconde par seconde. » Daniel Kwan

« Le génie, ça ne vient pas de nulle part. Ça ne vient pas d’une vision. Ça s’incarne par un collectif. On est juste des produits de notre environnement. Il y a de la grandeur chez chacun d’entre nous, peu importe qui nous sommes. Merci à ceux qui ont trouvé la clé pour libérer le génie qui est en moi. » Daniel Kwan

« Merci à ma mère et mon père de ne pas avoir écrasé ma créativité lorsque je réalisais des films d’horreur vraiment tordus, ou des comédies bizarroïdes ou quand je m’habillais avec des vêtements de fille et que je ne menaçais absolument personne. » Daniel Scheinert

 Après avoir remporté le Golden Globe, la sympathique Michelle Yeoh, qui fut la reine du cinéma d’action à Hong Kong dans années 90 avant de poursuivre une carrière internationale, décroche également l’Oscar de la Meilleure actrice. La compagne de Jean Todt devient la première comédienne d’origine asiatique à recevoir ce trophée. Elle a eu le triomphe modeste.


©Kevin Winter/Getty Images

« Mesdames, Mesdemoiselles, ne permettez à personne de vous dire que vous êtes allées trop loin, que vous en demandez trop… Je dois dédier cet Oscar à ma mère, à toutes les mères, car ce sont elles les super-héroïnes du monde. Sans elles, aucun ni aucune d’entre nous ne serait ici ce soir. »

 

Même si on espérait une autre issue, on s’est réjoui malgré tout du bonheur des deux improbables élus à l’Oscar du Meilleur second rôle, dont l’implication physique dans le film force le respect. L’acteur d’origine vietnamienne Ke Huy Quan, qui fut en 1984 (à douze ans) le gamin d’Indiana Jones et le temple maudit, puis de la bande des Goonies, remporte son trophée devant les yeux émerveillés de Steven Spielberg.


©Kevin Winter/Getty Images
« J’ai du mal à croire que ça m’arrive à moi ! C’est ça le rêve américain. »

 

Jamie Lee Curtis, cultissime interprète de Laurie Strode dans la saga Halloween, n’en revenait pas non plus d’avoir gagné :


©ABC

« Mon père et ma mère avaient tous les deux été nommés dans des catégories différentes… Je viens de gagner un Oscar !  »

En effet, ni Tony Curtis, nommé à l’Oscar du Meilleur acteur pour La chaîne, de Stanley Kramer, ni Janet Leigh, nommée à l’Oscar du Meilleur second rôle pour Psychose, de Hitchcock, n’ont remporté le trophée durant leur carrière.

 

LE COME BACK

On attendait Austin Butler ou Colin Farrell, mais c’est le revenant Brendan Fraser, ex-beau gosse des années 90 (Radio Rebels, George de la jungle, La momie…), quasiment disparu des radars depuis quinze ans, qui gagné l’Oscar du Meilleur acteur, pour son rôle de professeur obèse dans le film de Darren Aronofsky, The Whale. Le film repart également avec l’Oscar des meilleurs maquillages.

©Kevin Winter/Getty Images

« Donc le multivers, ça ressemble à ça. »

 

À L’OUEST, TOUJOURS DU NOUVEAU

Avec ses quatre Oscars (sur neuf nominations), le germanique À l’ouest, rien de nouveau, dernière adaptation en date du livre de Erich Maria Remarque (la Première Guerre mondiale vue par un jeune soldat allemand), s’en sort plutôt bien. Après avoir brillé aux BAFTA (il y avait décroché pas moins de sept trophées, dont celui du Meilleur film), cette reconstitution éprouvante signée Edward Berger (réalisateur de l’excellente série Deutschland 83) rafle quatre Oscars : Meilleur film étranger, Meilleure photo (de James Friend), Meilleurs décors et Meilleure musique signée Volker Bertelmann. À noter qu’il est paru directement sur Netflix.

 

LES AUTRES

Le féministe Women Talking a reçu l’Oscar de la Meilleure adaptation (en l’occurrence d’un ouvrage de Miriam Toews) et c’est sa réalisatrice et coscénariste, l’actrice Sarah Polley, qui est venu chercher la statuette.


©Kevin Winter/Getty Images

« Merci à l’Académie de ne pas avoir été offensée par le fait que les mots Women et Talking soient si proches l’un de l’autre. Ce film dépeint une démocratie radicale où les femmes se parlent et s’écoutent. »

 

C’est l’adaptation sombre et politique de Pinocchio par Guillermo del Toro qui remporte, logiquement, l’Oscar du Meilleur film d’animation.


©Lapresse

« L’animation c’est du cinéma à part entière. L’animation n’est pas un genre ou une catégorie. L’animation est prête à passer un nouveau cap. »

 

Contrairement à celle des Golden Globes, l’Académie des Oscars a refusé de présenter un discours préenregistré du président ukrainien. Cependant, le trophée du Meilleur documentaire est allé à Navalny, réalisé par le Canadien Daniel Roher. Il relate l’ascension politique d’Alexeï Navalny, chef de l’opposition russe, puis la tentative d’assassinat à laquelle il a réchappé. Le dissident est aujourd’hui en détention à l’isolement.


©Invision

« Je dédie cet Oscar à Alexeï Navalny et à tous les prisonniers politiques. On n’a pas oublié ton message Alexeï : il ne faut pas avoir peur de s’opposer aux dictateurs. »

L’épouse d’Alexeï Navalny a renchéri :


©Kevin Winter/Getty Images
« Je rêve du jour où tu seras libéré, où mon pays sera libéré. Garde des forces mon amour. »

 

L’Oscar des Meilleurs costumes est allé à Ruth E. Carter pour Black Panther : Wakanda Forever, de Ryan Coogler, un camouflet pour Catherine Martin et son travail prodigieux sur Elvis.

Sans surprise, le trophée des effets spéciaux est allé à Avatar 2, de James Cameron, et Top Gun : Maverick, de Joseph Kosinski, a décroché l’Oscar du Meilleur son.

 

 


©AP/Chris Pizzelo

Prétendantes à l’Oscar de la Meilleure chanson originale, Lady Gaga (pour Top Gun) a chanté, Rihanna aussi — pour Black Panther (toute la salle s’est levée dans une sorte de grande communion…), mais elles se sont fait damer le pion par « Naatu Naatu », la chanson de RRR, le film fou de l’Indien S. S. Rajamouli. La chorégraphie bollywoodienne sur scène était de toute beauté et la statuette est revenue aux compositeur et parolier M. M. Keeravani et Chandrabose.


©Myung J.Chun/LA Times

« Quand j’étais petit, j’écoutais les Carpenters, et aujourd’hui, je tiens un Oscar dans ma main. »

 

CHAGRIN


©Reuters

John Travolta, très ému, a présenté In Memoriam, l’hommage aux disparus (Olivia Newton-John et Kirstie Alley, deux de ses partenaires et amies figurant dans la séquence) tandis que, sur scène, Lenny Kravitz chantait son titre « Calling All Angels », en s’accompagnant au piano. Si les décès de Anne Heche, de Charlbi Dean (la jeune héroïne de Sans Filtre, pourtant nommé) ou de Paul Sorvino n’ont curieusement pas été mentionnés, Jean-Luc Godard et Jacques Perrin n’ont pas été oubliés.


©Patrick T. Fallon/Getty Images


Anne Heche dans Six jours sept nuits d’Ivan Reitman en 1998

 

FAUTE DE GOÛT

Venu remettre l’Oscar du meilleur décor en compagnie d’Andie MacDowell sa partenaire de Trois mariages et un enterrement, Hugh Grant a fait montre d’un humour tout britannique :


©Kevin Winter/Getty Images

« On est ici pour deux raisons. La première est de rappeler l’importance de mettre de la crème hydratante tous les jours. Andie fait ça depuis vingt-neuf ans quotidiennement et moi pas une seule fois. Elle est encore sublime et moi je ressemble à un scrotum. »

 

DÉCEPTIONS

Qu’importe les Oscars. Elvis (voir ma critique), Les Banshees d’Inisherin (voir ma critique), Babylon (voir ma critique) et The Fabelmans restent pour moi les grands films à encenser ; Austin Butler et Colin Farrell, les meilleurs acteurs ; Margot Robbie, la Meilleure actrice.

 

LE PLUS BEAU LOOK

Ça tombe bien, la plus belle, c’était elle, Michelle Yeoh, magnifique dans sa robe Dior Haute Couture.


©Michael Yada/A.M.P.A.S.

 

RAZZIE AWARDS 2023

La veille des Oscars, avait lieu la cérémonie des Razzie Awards, qui récompensent le pire du cinéma. Voici les lauréats de 2022, et là aussi, on est dans le multivers :

Pire film : Blonde de Andrew Dominik
Pire acteur : Jared Leto pour Morbius de Daniel Espinosa
Pire second rôle féminin: Adria Arjona pour Morbius
Pire second rôle masculin : Tom Hanks pour Elvis de Baz Luhrmann
Pire remake : Pinocchio de Guillermo del Toro
Pire scénario : Andrew Dominik pour Blonde
Pire réalisateur : Machine Gun Kelly et Mod Sun pour Good Mourning
Prix spécial de la Rédemption : Colin Farrell 

SUFFRAGETTE CITY

En ce 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, et tandis que beaucoup d’entre-elles sont encore sous le joug de l’oppression dans le monde, retour sur la première vague de militantisme féministe.

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« On vous arrêtera.
– En faisant quoi ? En nous enfermant toutes ? On est la moitié de l’humanité, vous ne nous arrêterez pas. »

 

Les suffragettes (Suffragette)

Sarah Gavron
2015

Paru dans les salles françaises le 18 novembre 2015

En 1912 à Londres, Maud (Carey Mulligan), blanchisseuse pauvre, mariée et mère d’un jeune garçon, est incitée par une collègue à rejoindre les suffragettes. Sous la houlette de l’impétueuse Emmeline Pankhurst (Meryl Streep), ces femmes de conditions diverses sont déterminées à obtenir l’égalité avec les hommes, à commencer par le droit de vote. À leurs revendications, le gouvernement oppose une répression brutale, les obligeant à se radicaliser et à entrer en clandestinité. Petit à petit, Maud va prendre conscience de l’injustice de sa condition, et devenir un soldat de la cause, au risque de tout perdre…

Le cinéma s’est très peu penché sur l’histoire des suffragettes, dont l’évocation a toujours été teintée d’ironie et de condescendance. Paru en 2015, l’année où l’Arabie saoudite a, pour la première fois, autorisé les femmes à voter, le film de la Britannique Sarah Gavron répare cet impair et rend à ces pionnières un hommage légitime. Car si le mot a une connotation charmante, le sort réservé par la police de George V à ces militantes, considérées comme des anarchistes, lui, ne l’était pas. Emprisonnées, battues, torturées, et honnies par leur entourage (le plus souvent pour des caillassages de vitrines ou autres dégâts matériels), elles finiront par durcir leurs actions en s’attaquant à des sites stratégiques. Sarah Gavron (Rendez-vous à Brick Lane, Rocks…) et sa scénariste Abi Morgan à laquelle on doit les scénarios de Shame, La dame de fer et l’excellente série The Hour (dont les deux vedettes, Romola Garai et Ben Whishaw, sont présentes ici) ont choisi de s’attacher à une héroïne fictive, dont le destin va s’entremêler avec celui des véritables figures du féminisme de l’époque, telles Emmeline Pankhurst, incarnée par Meryl Streep, et l’infortunée Emily Davison (Natalie Press). Carey Mulligan prête sa grâce et sa force de caractère à cette blanchisseuse discrète qui comprend soudainement qu’il n’y a rien d’inéluctable à sa vie misérable d’ouvrière exploitée et assujettie à la loi masculine. Cette manière d’entrelacer la petite histoire à la grande confère au film une justesse et une humanité éclatantes. Sans pour autant être académique, cette reconstitution méticuleuse de l’Angleterre troublée des années 1910 fait un cours d’histoire idéal pour les adolescents d’aujourd’hui. Ce qui fait d’ailleurs regretter cette fin un peu trop expédiée.
1 h 48 Et avec Anne-Marie Duff, Helena Bonham Carter, Brendan Gleeson, Samuel West