CÉSAR 2023, où sont les femmes ?

Le cinéma français ayant brillé en 2022, la 48ème cérémonie des César se devait d’être à la hauteur. Et à l’Olympia, ce 24 février 2023, tout avait bien commencé, par une introduction piquante de Jamel Debbouze, plutôt bon dans l’exercice.

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@Rossel&cie

« Cette année, nous avons décidé d’opter pour une coprésentation. Pourquoi une coprésentation ? Pour l’unité, le partage, la cohésion… Mais surtout parce que personne ne voulait la présenter tout seul… Je comprends mes collègues, je comprends leur refus. Ça devient dangereux de présenter ce genre de cérémonie. T’es pas à l’abri d’une « Will Smith », un mec vénère qui monte sur scène, qui te met une grande baffe dans la gueule. »

ET JULIETTE S’EST LEVÉE

Mal lui en a pris cependant de tacler le cinéma d’auteur français. Il a juste réussi à mettre Juliette Binoche en colère. Elle lui a asséné : « Nous aussi on fait des entrées ! » À ce quoi l’humoriste lui a répondu du tac au tac : « Tu rajoutes des ninjas Juliette, sur la vie de ma mère, on fait un malheur. » Le lendemain de la cérémonie, elle reviendra sur Instagram sur cet échange houleux avec une conclusion peu relevée à l’adresse de Jamel « T’as de la chance que je ne sois pas la sœur de Will Smith ! » Avec Juliette, on ne peut pas rire de tout…

@Lewis Joly/AP/SIPA

Bref, la cérémonie présidée par Tahar Rahim serait donc « collégiale », plus concise et plus courte que d’habitude (comme aux Oscars, une petite musique venant abréger les discours). Mais tous les intervenants n’étant pas aussi drôles, on s’est pris à regretter que la soirée n’ait pas été confiée à un seul maître de cérémonie, au hasard, Jérôme Commandeur.

 « Chers professionnels du cinéma, mais pas uniquement d’ailleurs. Je veux dire qu’il n’y a pas que des professionnels du cinéma dans la salle. Dans les grands événements, on a toujours son petit quota de pique-assiettes… En arrivant, dans le hall, j’ai croisé le responsable de l’office du tourisme du Mont-Saint-Michel, le lien avec le cinéma n’est pas urgent… »

 On saluera le numéro d’Alex Lutz et Audrey Lamy, ainsi que celui, plus inattendu, d’Emmanuelle Devos et Raphaël Personnaz :


@Marechal Aurore/ABACA/Shutterstock

R. P. : « Bonsoir, c’est le moment que tout le monde attend, c’est un peu le clou du spectacle. C’est d’ailleurs pour ça qu’on nous a appelé je pense. On va remettre le César de la catégorie reine des César, à savoir le César du court-métrage documentaire…

E. D. : Voilà… vous voyez ? Ce rire léger, cette petite gêne selon l’émotion que vous venez d’avoir, c’est aussi celui ou celle qu’a eu le banquier, l’ami, la famille ou même l’amour de la réalisatrice ou du réalisateur qui leur a annoncé un jour qu’il voulait faire du court-métrage documentaire.

R.P : Hé ouais… On le sait, tout le monde s’est détourné de vous, assez lâchement d’ailleurs, parce que vos perspectives étaient faibles, voire nulles.

  

GLAMOUR

 Il y eut donc quelques fulgurances, mais ce serait mentir que de parler de flamboyance. Tout cela sentait le convenu. Heureusement, Virginie Efira, en fourreau Saint-Laurent, a mis du glamour dans la soirée, suivie de près par Brad Pitt, venu surprendre David Fincher (et toute la salle par la même occasion) qui recevait un César d’honneur.

Brad Pitt : « S’il y a bien un truc qu’on ne dit jamais en sortant d’un film de David Fincher c’est : “C’était marrant, on aurait dû amener les enfants !” »

 

« Lorsque des gens qui se soucient profondément de la qualité de l’art, de littérature, de photographie, de mode, d’architecture, de nourriture, de vin et de cinéma vous demandent de venir faire la fête, vous y allez… Je salue la culture du cinéma français, le métier, la critique, je salue votre engagement pour un cinéma qui reflète ce que nous sommes, dans ce que nous avons de plus petit et de plus simple, et pas simplement nos aspirations héroïques, une fois que nous avons enfilé nos collants. » (Juliette Binoche a dû apprécier) 

 

RIEN NE VA PLUS

 @Bordes-Jacovides/BestImage

Pour rappeler les dures réalités du monde, Juliette Binoche, au bord des larmes, a évoqué la guerre en Ukraine, Golshifteh Farahani, la révolte des femmes en Iran. Il y eut un couac lorsque la la chaîne a cru bon d’interrompre la retransmission suite à l’arrivée inopinée, sur scène, d’une activiste, laissant Ahmed Sylla et Léa Drucker, les maîtres de cérémonie de l’instant, désemparés. Vite évacuée par le service de sécurité de l’Olympia, cette militante du mouvement écologiste Dernière Rénovation, arborait sur son t-shirt le slogan « We have 761 days left », référence au compte à rebours évoqué par le dernier rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Cet absurde boycott de la chaîne a eu pour effet de laisser penser que le monde du cinéma se fichait éperdument de l’urgence climatique. Dès le lendemain, Juliette Binoche (décidément…), Dominik Moll ou encore Gilles Lellouche se sont empressés de déplorer cette censure dans une tribune du journal Le Monde.

 

OÙ SONT LES FEMMES ?

Leitmotiv au cours de cette soirée : les femmes et leur absence. Le fait qu’aucune réalisatrice ne figurait dans la liste des nommées a été ressenti par certain(es) comme une « invisibilité » voire une censure. Virginie Efira a réparé cet impair en lançant un « Où es-tu Alice Winocour, où sont les réalisatrices ? » Noémie Merlant a eu une pensée pour « celles qui n’ont pas été nommées ce soir ». Alice Diop, dont le premier long-métrage de fiction, Saint-Omer, a remporté le César de la Meilleure première œuvre, a renchéri :

« Cette année j’ai vu des films extraordinaires qui m’ont fait réfléchir aux possibilités du cinéma. Je voudrais citer ici les films de Claire Denis, Rebecca Zlotowski, Mia Hansen-Løve, Alice Winocour, Cécile Devaux, Blandine Lenoir. On ne sera ni de passage, ni un effet de mode. On est appelées à se renouveler année après année et à s’agrandir. Merci à vous les filles, merci d’être là. »

 

PALMARÈS 

 

LE TRIOMPHE DE LA NUIT DU 12

@EmmanuelDunand/AFP

Avec leurs dix et onze nominations respectives, le polar La nuit du 12, de Dominik Moll, et la comédie L’innocent, de Louis Garrel, qui ont fait l’unanimité en 2022, dominaient largement la sélection. Il était difficile de les départager tant ils méritaient l’un et l’autre d’obtenir la consécration. La nuit du 12 (voir ma critique) l’a emporté, en raflant six trophées : Meilleur film, Meilleure réalisation, Meilleure adaptation, Meilleur son, Meilleur espoir masculin pour Bastien Bouillon (à trente-sept ans et vingt de carrière, le retrouver dans cette catégorie ne manque pas d’ironie), et Meilleur second rôle pour Bouli Lanners (qui n’en est pas revenu). Le film a également obtenu lundi dernier le César des Lycéens, décerné par un groupe représentatif d’élèves de terminale.

 « Un César pour avoir gardé espoir. Même si j’imagine que le plus dur est encore à venir. »

 « Je suis tellement content… Ce moment est totalement improbable pour moi. Putain, je vis à Liège quand même ! »

 

ET LES AUTRES

@EmmanuelDunand/AFP

L’innocent (voir ma critique) a obtenu malgré tout les César du meilleur scénario original, signé Louis Garrel, Tanguy Viel et Naïla Guiguet, et le César du meilleur second rôle féminin, pour l’étincelante Noémie Merlant, en robe Louis Vuitton. Une évidence.

 

 Nommé dans neuf catégories, Pacifiction : Tourment sur les îles, de Albert Serra, sorte de « grand paquebot à la dérive » (dixit les Cahiers du cinéma qui en ont fait leur film favori de 2022), est légitimement couronné pour sa photo d’Artur Tort, sublime, et son interprète principal, Benoît Magimel, qui remporte le César du Meilleur acteur pour la deuxième année consécutive, une première dans l’histoire de la cérémonie. Il avait obtenu son premier César (du Meilleur second rôle), en 2016, pour La tête haute, et le deuxième en 2022 pour De son vivant.

@Bertrand Gay/AFP

« C’est totalement irréel, c’est encore mieux la troisième fois. »

 

Après avoir été nommée quatre fois auparavant dans cette même catégorie, Virginie Efira, radieuse et aux anges, remporte enfin le César de la meilleure actrice, pour Revoir Paris, de Alice Winocour. La comédienne belge était à l’affiche de quatre films en 2022 (En attendant Bojangles, Don Juan, Revoir Paris et Les enfants des autres.)

@AFP

« C’est trop chouette ! En même temps, j’ai fait soixante-trois films cette année, donc arithmétiquement je m’étais un peu donné des chances.

 

 @AFP

J’aurais choisi Rebecca Marder, révélation de l’excellent Une jeune fille qui va bien, le premier film de Sandrine Kiberlain. Mais le César du Meilleur espoir féminin est allé à Nadia Tereszkiewicz (vue dans la série Possessions, aux côtés de Reda Kateb) pour Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi, film maudit puisqu’entaché par la mise en examen en octobre dernier de Sofina Bennacer, acteur principal et compagnon de la réalisatrice, accusé de viols et violences. Le comédien de vingt-cinq ans figurait dans la liste des nommés au César du Meilleur espoir masculin avant d’en être retiré.

 

Le formidable As Bestas remporte le César du Meilleur film étranger (voir ma critique). L’émotion et la joie de son metteur en scène, l’Espagnol Rodrigo Sorogoyen faisait plaisir à voir :

@Bertrand Gay/AFP

 « Merci beaucoup. Je ne sais pas comment on est arrivés ici (avec sa scénariste Isabel Peña). Quand on est venu dans le train, on s’est dit : “pourquoi ? Qu’est-ce qu’on fait ici ?” Merci de nous laisser être une petite partie du cinéma français. C’est un honneur ! »

 

Le César du Meilleur film d’animation est allé à Ma famille Afghane, de Michaela Pavlátová et Ron Dyens. Il narre les aventures d’une jeune femme d’origine tchèque qui décide de tout quitter pour suivre son mari à Kaboul, en 2001, et devient témoin des bouleversements qui agitent le pays.

 

Le César du Meilleur documentaire a couronné Retour à Reims (Fragments) de Jean-Gabriel Périot et Marie-Ange Luciani. Cette libre adaptation de l’essai autobiographique de Didier Eribon raconte en images d’archives l’histoire du monde ouvrier français des années 50 à aujourd’hui.

 

Ma préférence allait à Olivier Marguerit, pour sa petite musique envoutante de La nuit du 12, mais c’est Irène Dresel, compositrice de musique électronique, qui a obtenu le César de la Meilleure musique pour son travail sur À plein temps. C’est la première fois qu’une femme obtient le trophée dans cette catégorie. Récompensé dans moult festivals, dont celui de Venise, le film d’Éric Revel, porté par Laure Calamy, a également remporté le César du Meilleur montage.

« Ça fait quarante-huit ans que les César du cinéma existent. Depuis ces longues années, cinq femmes seulement ont été nommées, mais jamais aucune d’entre elles n’a été récompensée. Alors ce César, je le dédie surtout à toutes les femmes compositrices de musique à l’image. Merci ! »

 

LES DISPARUS

Jacques Perrin sur le tournage des Demoiselles de Rochefort

La séquence dédiée aux disparus de l’année a été quelque peu « expédiée », et même les hommages à Jacques Perrin, Jean-Louis Trintignant, Jean-Luc Godard, Gaspard Ulliel, Bertrand Tavernier et Michel Bouquet ont été bien trop consensuels. Feue-Dani a eu droit à une « performance » hommage de la part de Charlotte Gainsbourg et du rappeur Dinos, qui ont repris en duo « Comme un boomerang » de Serge Gainsbourg, que Dani chantait avec Étienne Daho. Ce n’était pas bien joli, mais Dani, bonne fille, aurait été fichue d’aimer.

 @Marechal Aurore/ABACA

 

LES DÉÇUS

Bien pourvus en nombre de nominations (huit et six) En corps de Cédric Klapisch, sur les mésaventures d’une danseuse de l’Opéra de Paris, et Novembre de Cédric Jimenez, autour des cinq jours qui ont suivi les attentats du 13 novembre, ont fait chou blanc. Qu’importe, ils ont été adoubés par le public.

 

LES PLUS BEAUX LOOK DES CÉSAR

Virginie Efira et Noémie Merlant. Photos Marc Piasecki et Bordes-Jacovides/BestImage

 

LE CAS BABYLON

Le cinéaste de La La Land s’empare de l’histoire d’Hollywood au temps du muet et réalise une fresque monumentale, volontiers outrancière, pour montrer la débauche, la luxure et la liberté incroyable qui ont accompagné l’industrie naissante du cinéma. Très documenté, ce film impressionnant et plus sombre qu’il n’y paraît oscille constamment entre burlesque et tragédie. Flop de l’année aux États-Unis, Babylon n’en finit pas de diviser la critique. Une chose est certaine, Margot Robbie y fait une performance hallucinante. Et chose encore plus dingue, elle n’est même pas nommée à l’Oscar.

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« It’s written in the stars. I am a star. »

  

BABYLON

Damien Chazelle
2022
Depuis le 18 janvier 2023 sur les écrans français

À Los Angeles, en 1926, Manny (Diego Calva), homme à tout faire d’un riche producteur, rêve d’entrer dans le monde du cinéma. Lors d’une fête gargantuesque organisée par son boss, il rencontre une aspirante actrice culottée, Nelly LaRoy (Margot Robbie), prête à tout pour réussir. Pour son malheur, il en tombe fou amoureux…

L’histoire d’Hollywood n’est pas que strass et paillettes. Elle recèle une multitude de drames et de tragédies, notamment lors du passage du muet au parlant, qui a conduit bon nombre d’acteurs au suicide. Ainsi, Babylon — dont le titre est emprunté à la fois au livre sulfureux Hollywood Babylone (avec un « e » car le livre a d’abord été publié en France), de Kenneth Anger, et à la magnifique série Babylon Berlin — peut se voir comme la version tragique de Chantons sous la pluie, une référence dont Damien Chazelle abuse d’ailleurs dans son film. S’appuyant sur les nombreuses anecdotes contées par l’historien du cinéma Kevin Brownlow dans son ouvrage La parade est passée (The Parade’s Gone By), le cinéaste a reconstitué cette période folle, décadente, anarchique et cosmopolite des années 20 à Hollywood, quand la liberté de création (et de comportement)  était totale. L’arrivée du parlant et de la censure allait changer la donne. Tous les protagonistes sont ainsi des émanations de figures de l’époque. Nelly LaRoy emprunte à Clara Bow, la première it girl, dont les frasques étaient célèbres. Jack Conrad (Brad Pitt) est inspiré de John Gilbert, le fiancé de Greta Garbo qui a fait fantasmer des générations de midinettes. L’envoûtante Lady Fay Zhu (Li Jun Li, vue dans Wu Assassins et Devils) est un clone d’Anna May Wong, la première star d’origine chinoise, partenaire de Douglas Fairbanks dans Le voleur de Bagdad, tandis qu’Elinor St John, campée par une formidable Jean Smart, redonne vie à la piquante chroniqueuse, scénariste et romancière anglaise Elinor Glyn. Via le personnage de Ruth Adler (Olivia Hamilton), Damien Chazelle n’omet pas de pointer la présence des femmes derrière la caméra, nombreuses à cette période (Lois Weber, Dorothy Arzner, la pionnière Alice Guy…). Le cinéaste filme en virtuose les fêtes orgiaques et les tournages de péplums pharaoniques en plein désert de Californie (incroyable mise en abyme lors d’une séquence d’action à couper le souffle). Boostée par le jazz endiablé du fidèle Justin Hurwitz, la première partie de Babylon en met plein les mirettes : du Baz Luhrmann sous acide ! Margot Robbie est éblouissante, les numéros de Brad Pitt sont tordants (c’est aussi lui le plus émouvant). La distribution en jette, et même les vétérans Joe Dalessandro et Eric Roberts sont de la partie. Mais il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Damien Chazelle, qui semble avoir une drôle de fascination pour les turpitudes, les freaks, les excréments et le vomi. Sous Hollywood, la fange ! Tout cela finit par avoir quelque chose de mortifère. Plus qu’une mélancolie, il émane de ce film fleuve (où on ne s’ennuie pas une seconde) une tristesse infinie. C’est le paradoxe de cette œuvre folle et de son cinéaste profondément amoureux du cinéma, mais qui ne peut choisir entre l’admiration et le dégoût qu’Hollywood lui inspire. Quentin Tarantino avait sublimé et idéalisé la Mecque du cinéma dans Il était une fois à Hollywood (avec Brad Pitt et Margot Robbie déjà), Damien Chazelle, lui, exprime une sorte d’amour-haine qui donne à son film un goût incroyablement amer.
3 h 09 Et avec Jovan Adepo, Flea, Olivia Wilde, Lukas Haas, Kaia Gerber, Max Minghella, Samara Weaving, Tobey Maguire…

 

THE OFFER, mini-série jubilatoire

Ce n’est pas Damien Chazelle qui dira le contraire, Hollywood et ses mythes sont une formidable source d’inspiration pour les cinéastes et scénaristes. Après Feud : Bette and Joan et Hollywood, il faut se ruer sur ce bijou de mini-série, disponible sur Paramount+ depuis la fin décembre. Adaptée des mémoires du producteur Albert S. Ruddy, elle narre la genèse et l’histoire rocambolesque du tournage du Parrain, de Francis Ford Coppola. On y découvre qu’entre les intrigues des mafieux et des hommes d’affaires, les états d’âme des artistes en questionnement et les humeurs de Frank Sinatra, l’existence même de ce classique tient du miracle. Un régal.

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« Hey, who is that guy ?
– Bob Evans, head of Paramount. That guy’s more connected than God, and yeah, he’s always that tan. »

  

THE OFFER

Leslie Greif et Michael Tolkin
2022
Première diffusion sur Paramount+ en avril 2022 aux USA et le 1er décembre 2022 en France

Dans les années 60, Albert S. Ruddy (Miles Teller) est programmateur au sein d’un laboratoire d’idées, la Rand Corporation, mais rêve de cinéma. Par l’entremise d’un ami scénariste, il rencontre l’exubérant Robert Evans (Matthew Goode), vice-président du département production de Paramount. Parallèlement, l’écrivain américain d’origine napolitaine Mario Puzo (Patrick Gallo), endetté et échaudé par l’échec de son dernier roman, se lance sur les conseils de son épouse dans l’écriture d’un ouvrage susceptible de toucher le public : un livre sur la mafia…

Il n’y avait pas de plus belle façon d’inaugurer la plateforme Paramount+ proposée pour la première fois en France par Canal+, ni de rendre hommage au Parrain, dont on a fêté le cinquantenaire en 2022. Le film de Francis Ford Coppola a non seulement remporté trois Oscars en 1973 — Meilleur film, Meilleur acteur (Marlon Brando) et Meilleur scénario adapté — sur onze nominations, mais il est unanimement considéré comme l’un des cinq plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma. The Offer permet de découvrir à quel point sa création ne fut pas un chemin de roses. Écrite par Michael Tolkin, auquel on doit le scénario de The Player, formidable satire sur les coulisses d’Hollywood réalisée par Robert Altman, elle reconstitue cette aventure extraordinaire avec brio et un sens de l’ironie qui fait mouche. Si tout le monde associe le nom de Coppola au Parrain, peu connaissent celui de son producteur, Albert S. Ruddy, sans qui ce film-là n’aurait pu voir le jour. Sans expérience, mais avec la passion et l’ambition chevillées au corps, ce jeune homme audacieux s’est démené pour que les coscénaristes (Francis F. Coppola et Mario Puzo) puissent porter leur vision à l’écran. Ruddy, incarné ici par le solide Miles Teller, confiera que chaque jour du tournage était le pire de sa vie. Alors que tout semblait voué à l’échec, cette tête brûlée va pourtant surmonter les obstacles (et pas des moindres, la mafia ayant dès le départ le film dans le collimateur) avec l’aide d’une jeune secrétaire-assistante aussi fougueuse que lui, et campée dans la mini-série par la formidable Juno Temple (dans un rôle similaire à celui qu’elle incarnait dans l’épatante série Vinyl). Grâce aux dialogues piquants et aux comédiens renversants, les dix épisodes fourmillent de scènes jubilatoires. En Francis F. Coppola et Mario Puzo, Dan Fogler et Patrick Gallo sont délicieusement drôles, à l’instar de Burn Gorman en Charlie Bluhdorn (l’impitoyable propriétaire de Paramount), et Colin Hanks, en cadre dirigeant tête à claques du studio (personnage résultant d’un mélange de plusieurs personnalités de l’époque). Jake Cannavale (frère de Bobby) et Giovanni Ribisi (en Joe Columbo) font des mafieux touchants tandis que Justin Chambers impressionne en Marlon Brando. Mais la palme revient à Matthew Goode. Il incarne un Robert Evans flamboyant, playboy tantôt génial tantôt pathétique, producteur des futurs Chinatown et Marathon Man. L’acteur britannique (excellent dans Match Point, A Single Man, Downton Abbey ou The Crown), est tout à fait semblable à la description d’Evans faite par Peter Biskin dans son livre sur le Nouvel Hollywood (c’est aussi son titre), et qui ne manque pas de sel :

« Exubérant et ambitieux, il était effectivement furieusement beau. Bronzé toute l’année, des dents blanches éblouissantes, les cheveux en arrière, il ressemblait un peu à Robert Wagner… Evans était l’homme de ces dames. S’il n’avait pas eu la chance de rencontrer Charlie Bluhdorn, il aurait probablement passé sa vie à faire le gigolo en escortant des douairières à travers tous les spas d’Europe. »

The Offer prend certes des raccourcis, fait la part belle aux clichés et aux fantasmes d’Hollywood circa 70, mais ces dix épisodes palpitants rendent un hommage somptueux à la création artistique et au cinéma.
Et avec Nora Arnezeder, Lou Ferrigno, Josh Zuckerman, Eric Balfour, Frank John Hugues, T.J. Thyne, Anthony Skordi, Anthony Ippolito…