THE BATMAN

Dix ans après Christopher Nolan et son The Dark Knight Rises, Matt Reeves relance la saga du justicier masqué dans un film noir inspiré du comic book Batman : Année un, de Frank Miller et David Mazzucchelli. Sous les traits d’un Robert Pattinson taiseux, dépressif et romantique, Batman joue à Sherlock Holmes dans une Gotham City ravagée par la corruption et le crime. Magnifique.

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« They think I am hiding in the shadows. Watching. Waiting to strike, but I am the shadows. »

  

THE BATMAN

Matt Reeves
2022
Dans les salles françaises depuis le 2 mars 2022

Le soir d’Halloween, le maire de Gotham City est mystérieusement assassiné chez lui. Sur son cadavre, le commissaire Gordon chargé de l’enquête (Jeffrey Wright) découvre une lettre adressée à Batman (Robert Pattinson), le justicier masqué dont nul ne connaît l’identité et qui aide dans l’ombre la police depuis deux ans…

The Batman est le neuvième long-métrage consacré au personnage imaginé par Bob Kane et Bill Finger en 1939. On notera qu’il apparaît également, dans une moindre mesure, dans Batman v Superman : l’aube de la justice et Justice League de Zack Snyder, sous les traits d’un Ben Affleck fatigué qui laisse, heu… sceptique. C’est d’ailleurs ce dernier qui devait initialement prendre les rênes de The Batman (pour la mise en scène, le scénario, la production, l’interprétation…) avant de jeter l’éponge, suite à des problèmes personnels. Warner Bros s’est alors tourné vers Matt Reeves, qui a remis les compteurs à zéro. Son nom est peu connu, mais ce copain d’enfance de J. J. Abrams (le tandem a signé la série Felicity à la fin des années 90), bon scénariste (de The Yards notamment), est le réalisateur de l’étonnant Cloverfield et des deux récents et très bons volets de La Planète des singes : L’affrontement et Suprématie. Moins aventure de super-héros que film noir ou plutôt néo-noir, The Batman est à la fois rétro (les décors, dont le manoir de Bruce Wayne, sont on ne peut plus gothiques) et moderne (accessoires aux lignes épurées, méchants moins extravagants que par le passé…). Si la scène d’ouverture, réaliste et violente, semble tout droit sortie du récent Joker de Todd Philipps, Reeves se distingue de ses prédécesseurs (Leslie H. Martinson, Tim Burton, Joel Schumacher et Christopher Nolan) par une approche plus classique, presque « à l’ancienne », qui rappelle davantage Chinatown de Roman Polanski ou Seven, de David Fincher. Le justicier masqué et son acolyte, le valeureux commissaire Gordon, avancent à l’aveugle dans les tréfonds de Gotham gangrenée par le crime et la corruption, aux allures de Sin City (Frank Miller, encore). Si un des surnoms de Batman est « le plus grand détective du monde », il est ici plus que jamais sans pouvoir et passablement névrosé. Car au grand dam d’Alfred (touchant Andy Serkis), Bruce Wayne n’a cure de sa propre vie. Il est un jeune homme meurtri, en colère, ténébreux et solitaire, et en public, n’a pas l’aisance de l’héritier des Wayne incarné façon playboy par Christian Bale dans la trilogie The Dark Knight. Comme on pouvait s’y attendre, Robert Pattinson excelle dans cette partition romantique et sa prestance dans le costume force le respect. Même Catwoman, alias Selina Kyle, ne peut lui résister. Zoë Kravitz, dans un registre qui rappelle la Sidney Bristow de Alias, a la frimousse idéale pour le rôle. Elle est l’atout charme de cette intrigue savamment troussée, conçue comme une suite d’énigmes à résoudre, introduisant au passage plusieurs personnages de la saga (le Sphinx, le Pingouin, Carmine Falcone…). On ne s’ennuie pas une seconde durant les presque trois heures de ce thriller ponctué de scènes d’action spectaculaires, et sublimement photographié par Greig Fraser, chef-opérateur de Dune, Le Mandalorian ou Zero Dark Thirty. Fait assez rare pour ne pas être remarqué : pas de bande-son truffée de tubes ici. Au milieu de la partition de Michael Giacchino, une seule échappée rock : Something In The Way, de Nirvana, sombre et mélancolique, au diapason avec l’humeur du Chevalier Noir.
2 h 56 Et avec Colin Farrell (méconnaissable…), John Turturro, Paul Dano, Peter Sarsgaard, Jayme Lawson, Peter McDonald, Rupert Penry-Jones…

 

 

SPENCER, princesse sous influence

Emboîtant le pas à la série The Crown qui est parvenue, avec brio, à donner une réalité aux membres de la famille la plus impénétrable d’Angleterre, Pablo Larraín se penche sur le cas de la princesse Diana. Spencer se focalise sur trois jours pendant les festivités de Noël 1991, à l’issue desquels Lady Di décidera de se séparer de Charles. Audacieux, surréaliste, et incarné par une Kristen Stewart habitée, ce portrait poétique a quelque chose de vertigineux.

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« Je suis une cause perdue. Je n’ai aucun avenir ici. »

 

 

SPENCER

Pablo Larraín
2021
Paru en France sur Prime Video le 17 janvier 2022

En 1991, à Sandrigham House, domaine de la reine Elizabeth II dans le Norfolk, on se prépare à fêter Noël en famille. Tout le monde est arrivé, excepté la princesse de Galles (Kristen Stewart). Au volant de sa Porsche, elle a échappé à l’escorte et aux services de sécurité pour rouler seule, mais s’est égarée sur les routes de campagne…

En 2016, dans Jackie, le cinéaste chilien Pablo Larraín auscultait le chagrin et les interrogations de la veuve de John Fitzgerald Kennedy les jours suivant l’assassinat de ce dernier. Cette fois, le réalisateur propulse dans la tête d’une autre icône, elle aussi à un moment clé de sa vie. Larraín et son scénariste Steven Knight (Peaky Blinders) n’ont pas eu la prétention de vouloir percer le mystère de Diana Spencer, dite la « princesse du peuple », ni même de relater fidèlement une page d’histoire. Le film est introduit par cette phrase : « A fable from a true tragedy » (une fable tirée d’une vraie tragédie). À la réalité (la description des rites de la famille royale est d’une grande exactitude) se mêle donc la fiction. L’ambition ici est artistique, cinématographique. Paradoxalement, c’est aussi cette distance qui permet d’approcher la vérité d’un personnage qui, vingt-cinq ans après sa mort tragique, exerce toujours une incroyable fascination. Le film est rythmé par les émotions qui traversent l’infortunée héroïne. Dix ans après son mariage en grande pompe, Diana n’est plus qu’une princesse tourmentée et malheureuse. Épouse trompée et délaissée, incomprise voire méprisée par son illustre belle-famille, elle adopte un comportement d’ado rebelle et refuse de se plier aux règles imposées qui l’infantilisent. « Tu te plains comme une gamine qui n’a pas ce qu’elle veut » lui dit avec agacement Charles, campé par l’excellent Jack Farthing, rigide et glacial à souhait. Elle erre dans les couloirs interminables du manoir, dans le parc, de jour comme de nuit, se dit hantée par le fantôme d’Anne Boleyn, l’épouse d’Henry VIII à la destinée tragique et avec qui elle se sent en connivence. On la soupçonne déjà de perdre la tête. Ce n’est pas faux, ou du moins les pédales. Ses enfants qu’elle adore tentent eux-mêmes de la raisonner. Ils sont sa seule consolation. Et puis il y a les domestiques, qui jouent parfois un double jeu : ceux qui l’aiment, ceux qui la trahissent, ceux qui l’espionnent. Kristen Stewart, toute en regards en dessous, yeux embués, inclinaisons de tête et phrasé haché reproduits à l’identique, a une classe folle dans la détresse. Elle porte de manière divine les robes de luxe, signées Chanel souvent — beaucoup de vêtements de la garde-robe de Diana ont été recréés par la costumière oscarisée Jacqueline Durran. La brume de la campagne anglaise, la musique baroque de Jonny Greenwood (Radiohead), la lumière irréelle de la photographie de la Française Claire Mathon (très inspirée du Shining et du Barry Lyndon de Kubrick) confèrent à cette œuvre hallucinatoire des atours de conte horrifique. Avant un épilogue lumineux et sublime, véritable pied de nez à la sacro-sainte institution royale, jamais désespoir n’aura été filmé de manière aussi grandiose.
1 h 57 Et avec Timothy Spall, Sean Harris, Sally Hawkins, Stella Gonet, Richard Sammel, James Harkness, Amy Manson…

GASPARD À JAMAIS


Gaspard Ulliel dans le spot de Bleu de Chanel, réalisé en 2018 par Steve McQueen

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Gaspard Ulliel, qui vient de disparaître brutalement ce 19 janvier, à trente-sept ans, des suites d’un accident de ski en Savoie, était le beau gosse du cinéma français. Il avait eu beau tenter de faire oublier son physique de mannequin, qui avait fait de lui l’égérie du parfum Bleu de Chanel depuis 2010, il restera à jamais cet ange un peu triste, ce prince charmant au sourire ambigu qui faisait fantasmer les réalisateurs et pas que.

Né en 1984 à Boulogne-Billancourt d’une mère styliste et d’un père designer, Gaspard Ulliel décroche son premier rôle au cinéma en 2001, à dix-sept ans, dans Le pacte des loups, de Christophe Gans. Il obtient une nomination pour le César du Meilleur espoir masculin dès l’année suivante, pour sa prestation dans Embrassez qui vous voudrez, le film choral de Michel Blanc. Mais c’est en 2003 qu’il va crever l’écran, dans Les égarés, d’André Téchiné, qui lui vaut sa deuxième nomination aux César. Dès lors, le jeune premier dont la cicatrice sur la joue (une griffure de chien lorsqu’il était enfant) ne fait qu’accentuer le charme, sera courtisé par les réalisateurs de tous horizons. Toujours pourtant, il privilégiera le cinéma d’auteur (Jean-Pierre Jeunet, Bertrand Bonello, Emmanuel Mouret, Rithy Panh, Brigitte Roüan, Guillaume Nicloux, Benoît Jacquot, Xavier Dolan…). Jeune homme discret, humble, instinctif et toujours élégant, Gaspard Ulliel avait une voix douce, posée, et il émanait de sa personne une bienveillance certaine qui le rendait attachant. Il avait une prédilection pour les personnages intenses, sensibles, pétris de fêlures.

« Je suis un faux tranquille. J’ai cette sorte de sérénité et de calme apparents mais, au fond, il y a beaucoup d’angoisse, de doutes, d’insécurité et de peurs. En même temps, c’est très fertile. Dès qu’on touche à quelque chose d’artistique, on se doit de cultiver ça. » Gaspard Ulliel en 2018, sur RFM, pour la sortie des Confins du monde.

Cette quête d’expériences artistiques et émotionnelles lui vaudra ses plus beaux rôles — Saint Laurent, Les confins du monde, Juste la fin du monde… En 2021, il tournait aux côtés d’Oscar Isaac et Ethan Hawke dans la production Marvel, Moon Knight, une mini-série à paraître en mars 2022 sur Disney +. Ce jeune papa se préparait également à tourner avec Bertrand Bonello, et avec Xavier Giannoli, dans une série produite par Canal+. Sa mort absurde prive le cinéma français d’une de ses plus belles étoiles.

 

GASPARD ULLIEL EN DIX FILMS

 

SIBYL de Justine Triet (2019)

 

LES CONFINS DU MONDE de Guillaume Nicloux (2018)

 

JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan (2016)
*César du Meilleur acteur *

Critique

 

LA DANSEUSE de Stéphanie Di Giusto (2016)

 

SAINT LAURENT de Bertrand Bonello (2014)

 

LA PRINCESSE DE MONTPENSIER de Bertrand Tavernier (2010)
Critique

 

HANNIBAL LECTER – LES ORIGINES DU MAL (Hannibal Rising) (2007)
Critique

 

JACQUOU LE CROQUANT de Laurent Boutonnat (2007)
Critique

 

UN LONG DIMANCHE DE FIANÇAILLES de Jean-Pierre Jeunet (2004)
* César du Meilleur espoir masculin *

Critique

 

LES ÉGARÉS de André Téchiné (2003)
Critique

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