Viva ELVIS !

Époustouflant ! L’évocation de la vie du King par l’Australien Baz Luhrmann est à tomber à la renverse. Porté par un jeune acteur sensationnel dont la performance laisse sans voix (!), dopé par une mise en scène fabuleuse et un travail phénoménal sur la musique, le film emporte dans un maelstrom d’émotions. Beau à pleurer !

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« I’m gonna be forty soon, and nobody’s gonna remember me. »

  

ELVIS

Baz Luhrmann
2022
Dans les salles françaises depuis le 22 juin 2022

À la fin de sa vie, en 1997, le Colonel Parker (Tom Hanks) se remémore sa rencontre avec Elvis Presley (Austin Butler) dont il sera l’imprésario jusqu’à la mort. C’était en 1955. Le jeune chanteur venait d’enregistrer son premier disque et faisait ses débuts sur scène. Tom Parker, forain et manager d’artistes de musique country, a compris aussitôt qu’il tenait la perle rare, et la poule aux œufs d’or…

Qui aurait pensé que l’un des meilleurs films sur la musique (comprendre biopic déjanté) serait signé Baz Luhrmann, le roi de la démesure, du kitsch, du strass et du clinquant ? À côté, Bohemian Rhapsody (malgré la prestation de Rami Malek) fait figure de téléfilm. Ce qu’il est, d’ailleurs, pour les véritables amateurs de Queen. Car si Elvis se focalise sur la relation toxique entre le manager et son poulain, le biopic exprime formidablement la passion pour la musique de Presley tout en immergeant dans ces tumultueuses années 50, 60 et 70 américaines. Pour mieux cerner le contexte culturel qui a bercé l’enfance de la star, Baz Luhrmann s’est installé dans le sud des États-Unis (en revanche le film a été tourné en grande partie dans le Queensland, en Australie). C’est effectivement dans sa proximité avec la communauté noire qu’il côtoyait depuis l’enfance (Presley est né à Tupelo, dans le Mississippi) qu’il fallait aller chercher la clé de l’artiste. L’adolescent fera siens les répertoires blues et gospel, ainsi que le rhythm’n’blues des chanteurs afro-américains qu’il admirait. Le réalisateur de Moulin Rouge s’attache, et avec une tendresse non feinte, à dépeindre Elvis comme un être empreint d’une profonde spiritualité. Il n’y a pas que du vrai, mais il y en a beaucoup. Inévitablement, cette belle âme allait se faire broyer par son impresario malin et retors, faux colonel et vrai escroc (il deviendra le modèle de beaucoup de managers douteux par la suite, d’Allen Klein à Tony Defries en passant par Andrew Loog Oldham). Campé par un Tom Hanks méconnaissable, Tom Parker est roublard jusqu’au bout du cigare. L’histoire retiendra qu’il a « fait » Elvis et son malheur en même temps. À la manière de Nick Carraway dans Gatsby le magnifique, que Baz Luhrmann a porté à l’écran en 2013, c’est par le regard de Parker qu’on découvre la vie de Presley et son parcours. Austin Butler, jeune comédien formé chez Disney Channel, a travaillé durant deux ans pour entrer dans la peau de l’icône. Mieux qu’une copie, cet interprète doué (il chante la plupart des morceaux), incarne le King au-delà des espérances — Priscilla Presley elle-même n’en est pas revenue —, et ses performances scéniques sont électrisantes (celles du Comeback Special de 1968 sont même bluffantes). Curieusement, Kurt Russell, qui a campé avec brio la rock star en 1979 dans le très bon téléfilm de John Carpenter Le roman d’Elvis (Elvis en VO) était lui aussi un enfant de la télé et de l’écurie Disney. Bien sûr, la bande-son est à la sauce luhrmannienne. Elle mêle reprises par Austin Butler, chansons originales interprétées par Presley, et incursions vocales de rappeurs et musiciens de toutes générations dont Doja Cat, Denzel Curry, Tame Impala ou Eminem (mention spéciale à la reprise de If I Can Dream par Måneskin). Malgré ses atours de manège à sensation, cette œuvre hybride, romantique et follement spectaculaire montre l’humain derrière le mythe et réussit à approcher la vérité d’Elvis Presley. Du grandiose, de la démesure, du tragique, de la folie… il n’en fallait pas moins pour rendre hommage au King. Peut-être le meilleur film de Baz Luhrmann à ce jour.
2 h 39 Et avec Olivia DeJonge, Richard Roxburgh, Helen Thompson, Kodi Smith-McPhee, Luke Bracey, David Wenham, Alton Mason, Dacre Montgomery (le Billy de Stranger Things)…

 

 

SEXE, MENSONGES ET VIDÉO en Blu-ray

Culte pour toute une génération, la Palme d’Or de Cannes 1989, qui a relancé le cinéma indépendant américain, est pour la première fois disponible en Blu-ray en France. Le film a bénéficié d’un nouveau master Haute Définition et de suppléments de haute volée… Indispensable !

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« You’re right, I’ve got a lot of problems… But they belong to me. »

  

SEXE, MENSONGES & VIDÉO (Sex, Lies And Videotape)

Steven Soderbergh
1989
Edition Collector 4K Ultra HD + Blu-ray, Blu-ray et DVD parus chez L’Atelier d’images en février 2022

John (Peter Gallagher) est un jeune avocat opportuniste qui a réussi et trompe, dans le plus grand secret, son épouse devenue frigide (Andie MacDowell) avec la sœur de cette dernière, plutôt délurée (Laura San Giacomo). Le cours de leurs vies va être radicalement altéré par l’arrivée d’un ancien ami d’université de John, Graham (James Spader), individu aussi étrange que fascinant. Ce dernier a la manie de collectionner les cassettes vidéo sur lesquelles il enregistre les témoignages de femmes sur leurs expériences amoureuses et sexuelles…

Coup d’éclat du 42ème festival de Cannes, où il a raflé la Palme d’or de manière totalement inattendue, Sexe Mensonges & vidéo a révélé en 1989 le génie de son auteur, Steven Soderbergh, alors et seulement âgé de vingt-six ans. Wim Wenders, président du festival cette année-là, avait eu un coup de foudre pour ce premier film audacieux et parfaitement maîtrisé, interprété par un quatuor de jeunes comédiens talentueux et quasi-inconnus. Le prodige n’avait nullement anticipé le succès de son film à petit budget (d’un million et demi de dollars, il allait en rapporter soixante…) qu’il destinait plutôt au marché de la vidéo. Il avait compté sans l’enthousiasme des cinéphiles et trentenaires de l’époque, séduits par le sentiment de modernité et de liberté émanant de cette œuvre puissante, subversive et plus politique qu’elle en avait l’air. Steven Soderbergh, qui s’était inspiré d’éléments de sa propre vie, avait confié à la revue Positif que ce drôle de titre rassemblait les thèmes du film, mais également ceux de l’Amérique de l’époque : « La vente du sexe, la pratique du mensonge et l’invasion de la vidéo. » Sexe Mensonges & vidéo reflète aussi le sentiment de malaise que peut inspirer la pseudo-liberté sexuelle, et évoque avec pertinence les problèmes de relation et de communication entre les êtres. À l’écran, le sexe y est plus commenté que pratiqué, et c’est bien ce qui fait l’attrait de ce film cérébral où l’ambiguïté est reine et l’érotisme latent. Couronné du Prix d’interprétation masculine à Cannes, James Spader (le futur Reddington de la série Blacklist) n’a jamais été plus sexy que dans ce rôle d’impuissant qui manipule les femmes, tandis qu’Andie MacDowell, la Jane de Greystoke, en révoltée entreprenante, donnait toute la mesure de son talent. À noter qu’il s’agissait de la première bande originale composée par Cliff Martinez (Solaris, Drive, The Neon Demon…), illustre batteur des Red Hot Chili Peppers et de Captain Beefheart.
1 h 40 Et avec Steven Brill, Ron Vauwter, Alexandra Root…

 

TEST EDITION COLLECTOR 

 

Interactivité ****
Les suppléments, dont beaucoup sont inédits, sont une véritable mine d’or et proviennent des trois rééditions successives (2009, 2018 et aujourd’hui). Philippe Rouyer, journaliste à Positif, revient avec fougue et moult anecdotes sur la genèse du film, son incroyable sacre à Cannes et insiste sur le fait qu’il a contribué à encourager une nouvelle vague de réalisateurs, relançant le cinéma indépendant américain quasiment disparu depuis la fin du Nouvel Hollywood (24 minutes). Il analyse ensuite une scène du film avec beaucoup de pertinence. On apprécie également le commentaire audio du réalisateur conversant avec Neil La Bute, cinéaste révélé par le sulfureux En Compagnie des hommes et fervent disciple de Soderbergh. Les coulisses du tournage, document de 28 minutes tourné en 2018 pour l’édition Criterion, permet de retrouver trois des acteurs du film se remémorant leur expérience (manque James Spader, grand absent ici…). Cliff Martinez et l’ingénieur du son Larry Blake évoquent ensuite leur travail sur la bande-son (19 minutes). Soderbergh commente une scène inédite, avant de rappeler ses influences dans une séquence d’archives enregistrée en 1990. On se régale aussi des interventions des acteurs et du cinéaste captées dans un court document réalisé à Sundance à l’occasion du 20ème anniversaire du film, qui y avait à l’époque remporté le Prix du Public avant de faire la carrière internationale qu’on lui connaît.

Image ****
Format : 1.85
Réputé pour le soin apporté aux restaurations, L’Atelier d’images propose la version du film la plus éblouissante à ce jour sur le Blu-ray UHD de cette édition collector (qui inclut le Blu-ray HD). La restauration provient du travail déjà effectué par Criterion en 2018 à partir du négatif original. La qualité des contrastes, la précision de l’image et la gestion des couleurs sont plus que probantes.

Son ***
DTS-HD Master Audio 5.1 en anglais et français
Le son n’est pas le point fort de l’édition. Il a néanmoins été remixé lui aussi sous la supervision de Steven Soderbergh. En bref : ne pas s’attendre à de grands effets multicanaux, mais à un équilibre sonore de qualité, idéal pour une œuvre aussi intimiste.

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À noter que L’Atelier d’images publie le 19 avril 2022 une belle édition Blu-ray de l’étonnant The Jacket, film indépendant coproduit en 2005 par Steven Soderbergh et Georges Clooney, réalisé par John Maybury et interprété, entre autres, par Adrien Brody et Keira Knightley. L’édition est enrichie d’un making of de 28 minutes.

OSCARS – CÉSAR 2022


Jessica Chastain, Oscar de la Meilleure actrice (Photo Abaca)

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OSCARS 2022

La 94ème édition, qui s’est tenue le 27 mars au Dolby Theater de Los Angeles, marque un tournant dans l’histoire des Oscars et pas seulement pour l’accès de violence de Will Smith : 2022 sonne l’avènement des plateformes de streaming. Trois films en compétition cette année y étaient destinés : Netflix pour Power Of The Dog et Don’t Look Up et Apple TV pour CODA, qui a reçu la récompense suprême. D’autres, comme Spencer, Being The Ricardos et Dans les yeux de Tammy Faye, qui ont valu à Kristen Stewart, Nicole Kidman et Jessica Chastain d’être nommées à l’Oscar de la Meilleur actrice, l’étaient aussi. Après des années d’atermoiements, l’Académie a plié et s’est adaptée à son époque.


Photo People.com

Il n’y a pas qu’envers les plateformes qu’on a pu constater une volonté d’ouverture. En 2022, exit les hashtags #oscarssowhite. Place désormais à la diversité. Le coup d’envoi de la soirée a été donné par les sœurs Williams, en décolletés Elie Saab pour l’une, Gucci pour l’autre, Les championnes de tennis ont introduit Beyoncé, interprète de « Be Alive », chanson en compétition pour le film La méthode Williams (King Richard), qui retrace leurs débuts et brosse le portrait de leur père autoritaire. Cette séquence musicale spectaculaire couleur balle de tennis a été filmée sur un cours de Compton, dans la banlieue de Los Angeles, là où Venus et Serena s’entraînaient dans leur jeunesse. C’est ensuite à l’actrice Regina Hall et les humoristes Wanda Sykes et Amy Schumer qu’est revenu l’honneur d’ouvrir la cérémonie.


Photo Robyn Beck/AFP/Getty Images

Regina Hall : « Je suis ravie d’être maîtresse de cérémonie, représentante des femmes noires qui sont fières de l’être.
Wanda Sykes : Oui, et on le dit haut et fort.
Amy Schumer : Et moi, je représente ces femmes blanches insupportables qui appellent les flics si elles s’expriment un peu trop fort. »

 

L’UKRAINE

Une minute de silence a été observée durant la cérémonie et certains invités, comme Jason Momoa, Jamie Lee Curtis ou Benedict Cumberbatch, arboraient un rappel des couleurs de l’Ukraine sur leurs tenues.

 

LA GIFLE


Photo Robyn Beck/AFP

La soirée se serait déroulée sans accroc si le comédien Chris Rock, dont la subtilité n’est pas légendaire, ne s’était mis en tête de tacler des invités, dont la belle Jada Pinkett Smith, en comparant son crâne rasé à celui de Demi Moore dans À armes égales (G.I. Jane) de Ridley Scott. A priori, pas de quoi fouetter un chat. Sauf que l’épouse de Will Smith souffre d’alopécie, une maladie auto-immune qu’elle a publiquement évoquée sur sa chaîne YouTube au début de l’année. Alors que Will Smith semblait s’amuser de la plaisanterie, son épouse a clairement montré sa désapprobation. Will Smith a alors choisi de défendre l’honneur de celle-ci en fondant sur Chris Rock et en lui administrant une gifle, laissant l’assemblée abasourdie, ne sachant s’il s’agissait d’un sketch ou d’un véritable coup de sang. En se rasseyant, tandis que Chris Rock tentait de reprendre ses esprits, il lui a intimé de plus prononcer le nom de sa femme : « Keep my wife’s name out your fuckin’ mouth ».

Ce n’est pas la première fois que Chris Rock s’en prend à Jada Pinkett Smith. Il ne s’était pas privé de la tourner en ridicule en 2016 alors qu’il était maître de cérémonie :

« Jada Pinkett Smith était folle. Elle a dit qu’elle ne viendrait pas en signe de protestation. Jada qui boycotte les Oscars, c’est comme moi qui boycotterais la culotte de Rihanna… Je n’y étais pas invité ! »

« Jada n’était pas contente. Son homme n’était pas nommé pour Seul contre tous (Concussion). Ce n’est pas juste que Will ait été si bon et qu’il ne soit pas nommé. C’est vrai. Mais c’est également injuste que Will ait été payé vingt millions d’euros pour Wild Wild West. OK ? »

Faut-il voir dans le geste de Will Smith l’expression d’une vieille rancœur ? Cette séquence, qui a jeté un voile glacial sur la soirée, est embarrassante pour l’image des Oscars. Elle continue de faire le bonheur des internautes qui rivalisent d’imagination pour la relayer sur les réseaux sociaux. Depuis, l’Académie des arts et sciences du cinéma a condamné le geste de l’acteur quinquagénaire, mais ce dernier a devancé les éventuelles sanctions en démissionnant de la vénérable institution, dans un communiqué dans lequel il se confond en excuses. De son côté, Chris Rock, dont on peut louer le sang-froid sur le moment, n’a pas souhaité porter plainte, d’autant que, depuis, l’affaire a donné un sacré coup de boost aux ventes de places de son spectacle !


Photo Dan MacMedan/USA Today

 

PALMARÈS

 

Malgré ses douze nominations The Power Of The Dog, de Jane Campion s’est fait coiffer au poteau par un petit film indépendant, CODA (acronyme de Child Of Deaf Adultenfant entendant de parents sourds), de Sian Heder, remake du succès français La famille Bélier, d’Éric Lartigau, et qui avait déjà raflé le Grand Prix du Jury et le Prix du public à Sundance. Cette production Apple est majoritairement interprétée par des acteurs sourds. On y retrouve notamment Marlee Matlin, oscarisée en 1987 pour sa performance dans Les enfants du Silence. L’Oscar du Meilleur film est sorti directement sur la plateforme Apple TV en août 2021. CODA a également remporté les deux autres Oscars pour lesquels il avait été distingué : Meilleur scénario adapté et Meilleur second rôle, pour Troy Kotsur, qui devient le premier acteur malentendant récompensé.

 

Avec ses six Oscars (sur dix nominations), Dune (voir critique) est l’autre gagnant de la soirée. Le film monumental de Denis Villeneuve a été récompensé pour la musique (Hans Zimmer), la photo (Creig Fraser) les décors, le montage, les effets visuels et le mixage son.

 

The Power Of The Dog, western psychologique pataud dont je n’ai été sensible qu’à la beauté des images (due au talent de la jeune chef-opératrice Ari Wegner), n’est pas pour autant revenu bredouille. La néo-zélandaise Jane Campion a remporté l’Oscar de la Meilleure réalisatrice, devenant la troisième femme à recevoir ce trophée après Kathryn Bigelow (Démineurs, 2010) et Chloé Zao l’année dernière pour Nomadland.


Photo Robyn Beck/AFP

 

Will Smith, encore lui, a raflé l’Oscar du Meilleur acteur pour son rôle de Richard Williams dans La méthode Williams (King Richard, surnom de Richard Williams), de Reinaldo Marcus Green. Visiblement retourné après son coup d’éclat, l’acteur s’est excusé auprès de l’Académie, et, en larmes, a tenté de justifier son geste de manière brouillonne en faisant un parallèle avec son personnage de père protecteur dans le film. Quand il a évoqué son envie d’être un ambassadeur de l’amour, certains y ont vu du sublime, d’autres… de l’égarement.

À noter que la veille, à la cérémonie des Razzie Awards, qui récompensent le pire du cinéma américain, Will Smith avait remporté le Prix de la rédemption pour son rôle de Richard Williams, face à Nicolas Cage (Pig) et Jamie Dorman (Belfast). Ironie, je ne sais pas…


Photo Robyn Beck/AFP

« L’amour vous fait faire des choses dingues… »

 

Quelques minutes avant, c’était Jessica Chastain, en robe de princesse (Gucci), qui célébrait l’amour et la tolérance en recevant l’Oscar de la Meilleure actrice pour sa performance dans Dans les yeux de Tammy Faye (The Eyes Of Tammy Fayede Michael Showalter (Disponible sur Disney +). Elle y campe la chanteuse et télé-évangéliste Tammy Faye Bakker, icône très populaire aux États-Unis dans les années 70 et 80. Avec son mari Jim Bakker, elle avait créé la plus grande chaîne de télévision évangélique. Mais les malversations financières de son époux, à l’ambition démesurée (campé par Andrew Garfield), ont entraîné la chute de cet empire médiatique très lucratif. L’actrice de quarante-cinq ans, à l’origine du projet, y apparaît grimée et très maquillée, mais parvient à donner à ce personnage souvent pathétique une humanité extraordinaire. Contrairement aux évangélistes de cette période marquée par l’explosion du Sida, Tammy Faye a combattu l’homophobie, et s’est opposée à toute tentative de manipulation de la droite conservatrice, devenant même une fervente militante des droits LGBT. Jessica Chastain, sacrée pour la première fois après deux nominations infructueuses, a livré un discours particulièrement poignant, et a invité à s’inspirer du message d’amour inconditionnel porté par Tammy Faye.


« Elle a pris dans ses bras ceux qui étaient systématiquement rejetés et s’est investie durant des décennies dans l’amour des personnes LGBT »

 

L’Oscar du Meilleur second rôle féminin est allé à Ariana DeBose pour sa performance dans le remake de West Side Story, réalisé par Steven Spielberg et nommé dans six catégories. La comédienne et chanteuse américaine ouvertement queer y campe Anita, rôle qui avait également valu à Rita Moreno, il y a soixante ans, l’Oscar du Meilleur second rôle féminin. Elle s’imposait alors comme la première actrice latino-américaine à recevoir ce trophée (Rita Moreno figure également au générique du remake).

« Maintenant, vous comprenez pourquoi Anita dit : “Je veux être en Amérique”. Parce que même dans ce monde fatigué dans lequel nous vivons, les rêves deviennent réalité. »

 

Salué par sept nominations dont celle du Meilleur film, Belfast de Kenneth Brannagh, ou la guerre civile en Irlande vue à travers le regard d’un enfant, obtient l’Oscar du Meilleur scénario original. C’est le premier obtenu par le cinéaste, déjà cinq fois nominé par le passé.


Photo Jordan Strauss/Invision/AP
« Cette histoire c’est avant tout la recherche de la voie de l’espoir en dépit de la violence. »

 

Logiquement, c’est l’éblouissant Drive My Car, du Japonais Ryûsuke Hamaguchi, déjà multi-récompensé, qui obtient l’’Oscar du Meilleur film étranger.

 

Encanto, la fantastique famille Madrigal, comédie musicale des studios Disney, autour d’une légende sud-américaine, rafle l’Oscar du Meilleur film d’animation.

 

L’Oscar de la Meilleure chanson revient à No Time To Die du film homonyme (en français Mourir pour attendre), signée Billie Eilish et son frère Finneas O’Connell.

 

C’est Summer Of Soul, de Questlove, évocation du Harlem Cultural Festival de 1969, qui remporte l’Oscar du Meilleur documentaire (il est visionnable sur Disney+)

 

DÉCEPTIONS

Dommage que l’Académie n’ait pas daigné prendre en considération Annette de Leos Carax, l’événement cinématographique de 2021 en termes d’innovation, d’originalité, et de puissance. Que l’audacieux Licorice Pizza, de Paul Thomas Anderson n’ai rien glané est une autre aberration, tout comme le magnifique Spencer. Dommage aussi pour l’irrésistible Don’t Look Up : déni cosmique, nommé dans quatre catégories, et qui a fait chou blanc.

 

AUTRES TEMPS FORTS DE LA SOIRÉE


Photo Robyn Beck/AFP

La salle s’est levée lors de l’arrivée sur scène de Francis Ford Coppola, Al Pacino et Robert De Niro, réunis pour célébrer le cinquantième anniversaire du Parrain, au son de la musique de Nino Rota. Avant de quitter la scène, le réalisateur a lancé un vibrant « Viva Ukraine ! »

 

Uma Thurman, John Travolta et Samuel L. Jackson sont venus remettre à leur manière l’Oscar du Meilleur scénario (Pulp Fiction remportait le même trophée il y a vingt-huit ans). Pour l’occasion, Uma Thurman et John Travolta ont esquissé quelques pas de leur danse devenue mythique.

 


Photo B.Snyder/Reuters

Un trio inattendu, composé de légendes des sports de glisse, a introduit le clip en hommage à la saga James Bond, dont le premier épisode 007 contre Docteur No est sorti en 1962, il y a juste soixante ans. Il s’agit de Tony Hawk (skate), Kelly Slater (surf) et Shaun White (snowboard), excusez du peu…

 

Le très rare Kevin Costner, venu remettre l’Oscar du Meilleur réalisateur, a livré un discours extrêmement émouvant sur la puissance du cinéma.

 

FAUTES DE GOÛT

En 2022, pour faire remonter les audiences de la cérémonie, en chute libre d’année en année, l’Académie a eu l’idée d’instaurer un Prix du public, organisé sur Twitter. Et le gagnant est… Army Of The Dead, de Zack Snyder (autant dire un navet), disponible sur Netflix, et qui dame le pion à l’attendu Spider-Man : No Way Home, gros carton de 2021 auprès de la jeune génération.

Dans le même genre, on a eu droit aux cinq moments les plus intenses du cinéma d’après les votes du public, et c’est une séquence de Justice League, du même Zack Snyder, qui l’emporte. Heu…

 

LOOKS

Timothée Chalamet en Vuitton ( Getty Images) Penelope Cruz en Chanel (Mirador Sthanlee/SPUS/ABACA)

 

Lupita NYong’o en Prada (Gilbert Flores), Saniyya Sidney en Armani Privé (Runway Magazine)

 

 

CÉSAR 2022

 


Canal+

Quasiment un mois avant, le 25 février, se tenait à l’Olympia la 47ème cérémonie des César. Ce lendemain de l’invasion de l’Ukraine, à l’heure du spectre de la Troisième guerre mondiale, l’ambiance n’était pas celle des grands jours. Les paillettes étaient de mise, mais le cœur n’y était pas. Le vétéran Antoine de Caunes, pour la dixième fois maître de cérémonie, pro à défaut d’être brillant, a annoncé dès l’entame de la soirée :

« Comment ne pas évoquer ce qui se passe en ce moment même à trois heures d’ici ? Eh bien déjà en disant que ce que nous célébrons aux César, est précieux : l’art, la parole libre, le travail d’équipe. Alors évidemment, ce soir, on ne va pas changer le monde. On s’est fait beau, on va rire, on va être ému. Parce que l’essence de notre métier est de continuer quoi qu’il arrive, même si le monde semble s’effondrer autour de nous. Ce soir, nous pensons aux Ukrainiens, et soyons à la hauteur de la chance qu’ils n’ont pas. »

 


Photo Best Image/Borde-Jacovides

Présidente pour un jour, Danièle Thompson a salué la bonne cuvée 2021 et le travail effectué par le monde du cinéma, en dépit de la peur du Covid, du casse-tête des masques et du pass vaccinal, et s’est félicité du nombre de spectateurs qui se sont déplacés pour voir les films en salles françaises (quatre-vingt-seize millions) .

Dans l’assemblée d’ailleurs, on distinguait des gens masqués, de noir, d’autres non, d’autres avec le masque flottant sous le nez, à l’image du flou qui caractérise toujours à l’heure actuelle les mesures sanitaires.

Les petits jeux de mots du maître de cérémonie n’ont pas toujours été heureux. Dans une soirée qui manquait sérieusement de rythme, les tentatives des intervenants venus amuser la galerie ont souvent fait flop, notamment le happening de Marie s’infiltre, venue montrer ses fesses. Même le tandem du Palmashow s’y est cassé le nez. Gilles Lellouche a tenté de dérider un Pierre Niney qui n’a pas eu l’air de s’amuser un seul instant.


Canal+

PALMARÈS

L’ absence de Leos Carax et de Xavier Giannoli, les deux cinéastes des films lauréats de la soirée, a également plombé la fête, mais on ne peut que se réjouir que ces œuvres aient eu la préférence des votants.

Grand gagnant, le magnifique Illusions perdues (voir critique) de Xavier Giannoli, rafle sept César sur quinze nominations : Meilleur filmMeilleur espoir masculin (Benjamin Voisin), Meilleur second rôle (Vincent Lacoste), Meilleure adaptation, Meilleure photo (Christophe Beaucarne), Meilleurs costumes et Meilleurs décors.


Benjamin Voisin, ému (Photo Sipa)


Vincent Lacoste, hilare (Photo Laurent VU/Sipa)

 

Annette, de Leos Carax (voir critique), obtient cinq César sur onze nominations : Meilleur réalisateur, Meilleure musique (Sparks), Meilleur montage, Meilleurs effets spéciaux, Meilleur son.

DÉCEPTIONS

Illusions perdues et Annette n’ont laissé que des miettes aux autres films, et beaucoup sont revenus bredouille, tel Bac Nord de Cédric Jimenez, pourtant nommé dans sept catégories. Idem pour Benedetta, de Paul Verhoeven ou Eiffel de Martin Bourboulon. Snobées également, les deux excellents comédies que sont Les deux Alfred, de Bruno Podalydès, et Le discours de Laurent Tirard. Quant à Titane, le phénomène clivant de Cannes, n’a pas transformé une seule de ses cinq nominations.

 

TEMPS FORTS DE LA SOIRÉE


Photo Laurent VU/Sipa

Le discours plein de fougue et d’émotion d’Anamaria Vartolomei, la jeune interprète de L’événement d’Audrey Diwan, sacrée Meilleur espoir féminin,


Photo Bertrand Guay/AFP

Arthur Harari, lauréat du César du Meilleur scénario original pour Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, a fait sensation avec son discours vibrant sur l’essence du cinéma, dénonçant l’invasion des plateformes de streaming.

« On ne va pas au supermarché pour avoir une émotion ! »


Photo Bertrand Guay/AFP

Valérie Lemercier, drôle et touchante en recevant son César de la Meilleure actrice pour Aline.

 

La jolie tirade de Sofiane Zermani dit Fianso, venu remettre le César de la Meilleure musique originale.


Photo Bertrand Guay/AFP

Le groupe Sparks, forcément César de la Meilleure musique pour Annette (il était un peu hors catégorie) a prouvé qu’on pouvait être américain et extrêmement cultivé. La déclaration d’amour de Russell Mael au cinéma français (citant Godard, Truffaut, Jean-Paul Belmondo…) était aussi celui de la star australienne Cate Blanchett, invitée d’honneur de l’édition, qui a livré un discours fougueux et flamboyant.


Photo Bertrand Guay/AFP


Photo AFP

La cérémonie qui s’est ouverte sur le sourire de Gaspard Ulliel, décédé en janvier dernier, lui était dédiée, et c’est son ami Xavier Dolan, le cinéaste qui lui a offert son plus beau rôle, qui lui a rendu hommage. Certains cyniques ont fustigé l’incohérence du discours ponctué de larmes du prodige québécois, ratrappé par l’émotion et incapable de dissimuler son chagrin, mais Dolan sera toujours Dolan. Et en substance, il a dit ce qu’il fallait.


Photo Laurent VU/Sipa
« Son talent, nous le possédons encore. Et ça personne ne pourra nous l’enlever »

 

HOMMAGE À JEAN-PAUL BELMONDO


« Au Conservatoire, on me disait que j’avais une tête qui pourrait me gêner pour prendre des dames dans mes bras… »

 

ET AUSSI


Photo Laurent VU/Sipa

Damant le pion à l’Américain Adam Driver, star de Annette et qui s’était pourtant déplacé, Benoît Magimel remporte le César du Meilleur acteur pour son rôle de directeur de théâtre condamné par un cancer dans De son Vivant d’Emmanuelle Bercot, un rôle que par superstition, il avait hésité à accepter.

Le César du Meilleur second rôle féminin revient à une actrice non-professionnelle, Aïssatou Diallo Sagna, aide-soignante dans la vie et dans La Fracture de Catherine Corsini.


Photo Bertrand Guay/AFP
« Je pensais être là pour de la figuration… »

 

Le César du Meilleur film d’animation est allé au Sommet des Dieux, de Patrick Imbert, adapté du manga de Jirô Taniguchi.

 

Celui du Meilleur documentaire à La panthère des neiges de Marie Amiguet et Vincent Munier.

 

Les Magnétiques, de Vincent Maël Cardona, a remporté le César du Premier film.

 

The Father, de Florian Zeller, celui du Meilleur film étranger, damant le pion à Drive My Car, sérieux concurrent. Le film avait valu à Anthony Hopkins l’Oscar du Meilleur acteur l’année précédente, tandis que Florian Zeller et Christopher Hampton recevaient celui de la meilleure adaptation (de la propre pièce de Florian Zeller).

PLUS BEAUX LOOKS  

Cette année, le noir était quasiment de rigueur mais ça n’a pas empêché Valérie Lemercier en Stéphane Rolland (Dominique Charriau/Getty Images) et Léa Sédoux en Louis Vuitton (Pascal Le Segretain/Getty Images) de briller.


Les lauréats de la 47ème (Laurent VU/Sipa)