HOLLYWOOD MASTER CLASS

Quatre chefs-d’œuvre de l’âge d’or d’Hollywood viennent de paraître en Combo Blu-ray+DVD (et DVD Collector) chez Elephant Films, dans la collection Cinema Master Class, en version restaurée et assortis de suppléments exclusifs. Quatre comédies sophistiquées pour rire ou pleurer, signés par les plus grands cinéastes de leur temps.

 

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« Votre mère ne vous a jamais dit qu’il y avait des choses correctes et d’autres pas ?
– Non, elle parle beaucoup pour ne rien dire. »

 

MY MAN GODFREY (Godfrey)

Gregory La Cava
1936

Deux mondaines, Irene (Carole Lombard) et sa sœur Cornelia (Gail Patrick), participent à une course au trésor un peu spéciale organisée par la haute société new-yorkaise. Il s’agit de dénicher un objet dont personne ne veut. Irene jette son dévolu sur un clochard, Godfrey (William Powell), qui vient d’envoyer sa sœur sur les roses. Elle le trouve si sympathique qu’elle convainc même sa mère de l’engager comme majordome dans leur très chic maison de Park Avenue. Contre toute attente, Godfrey va se révéler extrêmement efficace et ses bonnes manières surprendre toute la maisonnée. Et pour cause, car il n’est pas vraiment celui qu’il prétend être…

Ce n’est pas la première screwball comedy de l’histoire. Cet honneur revient au New York-Miami de Capra et Train de luxe de Hawks, parus en 1934, soit deux ans plus tôt. Mais My Man Godfrey peut s’enorgueillir d’avoir popularisé le terme. C’est en effet lors de la sortie du film de Gregory La Cava qu’est apparue pour la première fois dans la presse l’expression « screwball comedy ». Ce sous-genre de la comédie romantique traite moins de romance que d’affrontement entre les sexes et de leur rapprochement. Pour contourner la censure, les scénaristes et dialoguistes rivalisaient d’imagination. Ils avaient le chic de glisser dans le bavardage des sous-entendus parfois aussi osés que des scènes de sexe. Il fallait également faire oublier au public la morosité ambiante en cette période de Grande Dépression. Pour cela, rien de mieux qu’aborder la différence des classes : ridiculiser les riches, tout en montrant le faste de leur train de vie. C’est ce qui fait précisément le sel de My Man Godfrey, salué par six nominations aux Oscars en 1937, histoire d’imposture prétexte à un festival de situations loufoques, de dialogues absurdes et désopilants. La famille Bullock réunit toutes les figures typiques du genre : une enfant gâtée insupportable mais attachante, une sœur aussi belle que perfide, une mère totalement écervelée, un père dépassé par la situation, qui s’étonne à peine de découvrir un cheval dans le salon un lendemain de fête arrosée. La mise en scène est brillamment assurée, et avec un rythme effréné, par Gregory La Cava, cinéaste venu du dessin animé qui s’est imposé dans les années 30 comme l’un des maîtres de la comédie loufoque. On lui doit Fifth Avenue Girl, avec Ginger Rodgers, She Married Her Boss avec Claudette Colbert ou Pension d’artistes (Stage Door) avec Katharine Hepburn. Ici, c’est la ravissante Carole Lombard qui fait montre de ses talents comiques. L’actrice est en totale alchimie avec William Powell, son ex-époux dans la vie. Ce dernier, à l’époque héros de la série des Thin Man (L’introuvable) aux côtés de Myrna Loy, campe à merveille ce Godfrey ambigu et placide qui ne se dépare pas de son calme, même dans les situations les plus délirantes, telle celle qui clôt le film, et qui n’est pas la moins surprenante.
1 h 34 Et avec Gail Patrick, Alice Brady, Eugene Pallette, Alan Mowbray, Mischa Auer, Jean Dixon…

Le film, joliment restauré en Haute Définition, est uniquement présenté en version originale (avec option de sous-titres français ou anglais) en DTS-HD Master audio 2.0. Il est accompagné d’une présentation intéressante du critique et professeur d’histoire de cinéma Nachiketas Wignesan et d’un bêtisier (plutôt rare pour un film de cette époque). La bande-annonce d’origine et d’autres de la collection sont également au menu de ce combo Blu-ray+DVD.

 

 

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« J’ai oublié de vous dire… Vous partez pour l’Amérique…
– L’Amérique ? Le pays de l’esclavage ?
– Oh, plus maintenant, un certain Pocahontas y a mis fin… »

 

L’EXTRAVAGANT MISTER RUGGLES (Ruggles Of Red Gap)

Leo McCarey
1935

En 1908, Marmaduke Ruggles (Charles Laughton) est le valet exemplaire du comte Earl Of Burnstead (Roland Young), qui séjourne à Paris. Un matin, il apprend de la bouche de son aristocrate de maître qu’il a été l’enjeu d’une partie de cartes disputée la veille avec un millionnaire américain. Le comte ayant perdu, l’infortuné Ruggles doit donc rejoindre Mr et Mrs Floud (Charles Ruggles et Mary Borland) et partir avec eux pour le Far West. Un véritable choc pour ce majordome à la rigueur très britannique, car au grand dam de Madame, qui aimerait avoir ses entrées dans la haute-société, Monsieur a des manières de cow-boy dont il n’a aucune intention de se défaire. Au début épouvanté, Ruggles va découvrir que le Nouveau Monde a des avantages insoupçonnés…

L’extravagant Mr Ruggles, nommé pour l’Oscar du Meilleur film en 1936, est à juste titre considéré comme le premier chef-d’œuvre de Leo McCarey. Cet ancien assistant de Tod Browning devenu spécialiste de films burlesques pour le producteur Hal Roach, a supervisé bon nombre d’épisodes de Laurel et Hardy et mis en scène les Marx Brothers dans La soupe aux canards. Sa carrière de réalisateur débute véritablement dans les années 30 lorsqu’il se met au service des stars de l’époque (Gloria Swanson, Mae West, Jeanette MacDonald…) avant d’imposer sa griffe dans des films plus personnels, comme ce Ruggles Of Red Gap adapté d’un roman de Harry Leon Wilson déjà porté deux fois à l’écran au cours des décennies précédentes. Comédie sur le choc des cultures, cette farce est irrésistible grâce à l’interprétation enlevée des acteurs. Charles Laughton, en valet pince-sans-rire et plus snob que ses patrons, est hilarant, même s’il a parfois tendance à cabotiner. Il émane de cette aventure réellement « extravagante » une joie de vivre, une humanité et une bienveillance manifestes. Au contact des habitants attachants de ce qu’il pensait être un « pays de barbares », le majordome défenseur de la Vieille Angleterre va découvrir les vertus de la démocratie et de l’égalité des classes. Ruggles ira même jusqu’à réciter le discours de Lincoln devant les habitués du saloon de Red Gap, totalement médusés. Capra n’aurait pas fait mieux !
1 h 30 et avec Leila Hyams, Zazu Pitts, Maude Eburne, Leota Lorraine, Lucien Littlefield…

 

 

Le film, joliment restauré en Haute Définition, est uniquement présenté en version originale (avec option de sous-titres français ou anglais) en DTS-HD Master audio 2.0. Il est accompagné d’une présentation très instructive de 28 minutes par le critique Olivier Père, directeur d’Arte France Cinéma. Des bandes-annonces complètent le programme.

 

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« Un petit conseil jeune dame : ne soyez pas trop maligne, ne pensez pas tout savoir. Prenez les choses comme elles viennent ! »

 

LA VIE FACILE (Easy Living)

Mitchell Leisen
1937

B. Ball (Edward Arnold), riche banquier new-yorkais, est las des dépenses inconsidérées de son épouse qui « collectionne » les manteaux de fourrure. Sur un coup de tête, il décide de jeter le dernier en date du balcon de leur appartement sur la 6ème Avenue. La fourrure de zibeline échoue sur la tête (ou plutôt le chapeau) d’une modeste dactylo (Jean Arthur). La vie de la jeune femme va en être changée…

Pur joyau de screwball comedy, Easy Living est l’œuvre d’un tandem de haut vol : Mitchell Leisen (à la réalisation) et Preston Sturges (au scénario). Le premier a fait ses classes comme costumier chez Cecil B. DeMille et collaboré ensuite avec des pointures comme Allan Dwan ou Raoul Walsh (il a signé les costumes de Robin des bois et du Voleur de Bagdad, avec Douglas Fairbanks). Avec le temps, il s’est spécialisé dans la mise en scène de comédies loufoques et sophistiquées, s’alliant avec des scénaristes de talent, comme Billy Wilder ou ici, Preston Sturges. Ce dernier, qui réalisera quatre ans plus tard le fameux Les voyages de Sullivan et deviendra l’un des maîtres de la screwball comedy (Madame et ses flirts, Infidèlement vôtre…) a le génie du burlesque. Il y a chez lui un mélange de cynisme, d’agressivité et de comique qui n’est pas sans similitudes avec l’humour de Tex Avery. Issu de la grande bourgeoisie, Sturges n’a pas son pareil pour la tourner en ridicule. Dans Easy Living, librement inspiré d’un récit de Vera Caspary (Laura, Chaînes conjugales…), c’est un manteau de fourrure tombé du ciel qui sera la source de quiproquos et d’ennuis pour la jeune Mary Smith, entraînée dans des situations plus absurdes les unes que les autres. À l’image de la séquence du self-service en plein chaos, cette peinture d’une Amérique encore sous le coup de la Grande Dépression est un joyeux bazar, irrésistiblement drôle. L’immense star Jean Arthur, belle et futée, illumine cette comédie aux côtés de Edward Arnold (les deux acteurs sont à la même époque des comédiens fétiches de Capra) et du jeune Ray Milland, parfait dans le rôle du fils à papa en pleine rébellion. Comme la distribution, les dialogues sont aux petits oignons :

« Ai-je dit qu’il était mort ?
– Eh bien vous avez dit : “Pauvre vieux papa”…
– Pas besoin d’être mort pour ça. Même pas d’être pauvre.
– Ni d’être vieux non plus… »
1h 28 Et avec Luis Alberni, Mary Nash, Franklin Pangborn…

 

Le film, joliment restauré en Haute Définition, est uniquement présenté en version originale (avec option de sous-titres français ou anglais) en DTS-HD Master audio 2.0. Il profite d’une présentation riche en anecdotes du sémillant Jean-Pierre Dionnet (13 minutes), à côté de laquelle l’introduction par l’historien américain Robert Osborne, animateur de la chaîne Turner Classic Movies fait pâle figure (2 minutes). Des bandes-annonces complètent le programme.

 

 

 

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« Pourquoi ne pas voir les choses en face Grand-mère ?
– À dix-sept ans, le monde est beau. Voir les choses en face est aussi agréable que sortir ou aller danser. Mais à soixante-dix ans, on n’aime plus danser. On ne pense plus à sortir. Le seul plaisir qui te reste, c’est de faire semblant de ne pas avoir de problèmes. Alors si ça ne te fait rien, je vais continuer à faire semblant. »

 

 

PLACE AUX JEUNES (Make Way For Tomorrow)

Leo McCarey
1937

Lors d’un déjeuner en famille, Bark (Victor Moore) et Lucy Cooper (Beulah Bondi), mariés depuis cinquante ans, annoncent à leurs enfants adultes que leur maison va être saisie par la banque. À la retraite depuis quelques années, totalement désargenté, Bark n’a pas pu honorer les traites. Le hic, c’est qu’aucun des cinq enfants n’est dans une situation financière mirobolante, et aucun ne peut accueillir les deux parents ensemble…

Paru pour la première fois en France sous le titre Le crépuscule de la vie, et rebaptisé Place aux jeunes par le critique Pierre Rissient dans les années 60, Make Way For Tomorrow a une place à part dans la filmographie de Leo McCarey. Plus connu pour ses comédies, le génial réalisateur de Cette sacrée vérité, La route semée d’étoiles ou Elle et lui, détenteur de trois Oscars, a eu l’audace de s’attaquer de front à un sujet pour le moins tabou au cinéma : la vieillesse — thème qui inspirera à Yasujirō Ozu en 1953 un chef-d’œuvre : Voyage à Tokyo. Cette lente agonie d’un vieux couple dans l’obligation de se séparer pour des raisons financières, est filmée d’une manière aussi juste que cruelle. Dans cette Amérique de 1937, touchée par la crise économique, le cas des époux Cooper n’est pas isolé et le film est d’ailleurs librement adapté de Years Are So Long, roman écrit quatre ans plus tôt par la journaliste Josephine Lawrence qui a relaté dans plusieurs de ses ouvrages les effets de la Grande Dépression sur la population. Ici, McCarey et sa scénariste Viña Delmar ont l’intelligence de ne pas grossir le trait. S’ils sont égoïstes, les enfants ne sont pas des monstres. Et à cause de leur caractère, Lucy et Bark qui se retrouvent l’un chez un fils, l’autre une fille, ne sont pas non plus « faciles » à héberger. La présence de Lucy chez George et son épouse conciliante (formidables Thomas Mitchell et Fay Bainter) amène des complications inévitables dans la vie familiale. Par petites touches, parfois non dénuées d’humour, le réalisateur restitue le malaise créé par certaines situations, embarrassantes pour tout le monde, spectateur y compris. Même la parenthèse enchantée offerte aux protagonistes a quelque chose de déchirant, d’autant qu’elle annonce un épilogue implacable. On s’en doute, paru en plein essor de la comédie burlesque, ce « vilain petit canard » fut un échec à sa sortie, obtenant même un statut de film maudit avant d’être réhabilité par les cinéphiles. C’était pourtant le préféré de Leo McCarey, et l’un des favoris de beaucoup de ses pairs, Frank Capra en tête. Quatre-vingt-cinq ans après sa création, ce film sur la condition humaine n’a rien perdu de sa pertinence et donne toujours à réfléchir.
1h 31 Et avec Barbara Read, Elisabeth Risdon, Ray Mayer, Louise Beavers…

 

 

Le film, joliment restauré en Haute Définition, est uniquement présenté en version originale (avec option de sous-titres français ou anglais) en DTS-HD Master audio 2.0. Il est accompagné d’un entretien instructif de 27 minutes avec Olivier Père, grand admirateur de l’œuvre de Leo McCarey. On y apprend que Beulah Bondi, l’interprète de Lucy Cooper, avait en fait quarante-huit ans, quasiment le même âge que Thomas Mitchell, qui incarne son fils. Des bandes-annonces complètent le programme.

 

 

 

Les amoureux de Screwball Comedy peuvent aussi se tourner vers cet excellent coffret DVD paru aux éditions Montparnasse en 2019, incluant La dame du vendredi, My Man Godfrey, La joyeuse suicidée, et deux documentaires, l’un sur la Screwball, l’autre sur Billy Wilder.

 

 

 

THE BATMAN

Dix ans après Christopher Nolan et son The Dark Knight Rises, Matt Reeves relance la saga du justicier masqué dans un film noir inspiré du comic book Batman : Année un, de Frank Miller et David Mazzucchelli. Sous les traits d’un Robert Pattinson taiseux, dépressif et romantique, Batman joue à Sherlock Holmes dans une Gotham City ravagée par la corruption et le crime. Magnifique.

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« They think I am hiding in the shadows. Watching. Waiting to strike, but I am the shadows. »

  

THE BATMAN

Matt Reeves
2022
Dans les salles françaises depuis le 2 mars 2022

Le soir d’Halloween, le maire de Gotham City est mystérieusement assassiné chez lui. Sur son cadavre, le commissaire Gordon chargé de l’enquête (Jeffrey Wright) découvre une lettre adressée à Batman (Robert Pattinson), le justicier masqué dont nul ne connaît l’identité et qui aide dans l’ombre la police depuis deux ans…

The Batman est le neuvième long-métrage consacré au personnage imaginé par Bob Kane et Bill Finger en 1939. On notera qu’il apparaît également, dans une moindre mesure, dans Batman v Superman : l’aube de la justice et Justice League de Zack Snyder, sous les traits d’un Ben Affleck fatigué qui laisse, heu… sceptique. C’est d’ailleurs ce dernier qui devait initialement prendre les rênes de The Batman (pour la mise en scène, le scénario, la production, l’interprétation…) avant de jeter l’éponge, suite à des problèmes personnels. Warner Bros s’est alors tourné vers Matt Reeves, qui a remis les compteurs à zéro. Son nom est peu connu, mais ce copain d’enfance de J. J. Abrams (le tandem a signé la série Felicity à la fin des années 90), bon scénariste (de The Yards notamment), est le réalisateur de l’étonnant Cloverfield et des deux récents et très bons volets de La Planète des singes : L’affrontement et Suprématie. Moins aventure de super-héros que film noir ou plutôt néo-noir, The Batman est à la fois rétro (les décors, dont le manoir de Bruce Wayne, sont on ne peut plus gothiques) et moderne (accessoires aux lignes épurées, méchants moins extravagants que par le passé…). Si la scène d’ouverture, réaliste et violente, semble tout droit sortie du récent Joker de Todd Philipps, Reeves se distingue de ses prédécesseurs (Leslie H. Martinson, Tim Burton, Joel Schumacher et Christopher Nolan) par une approche plus classique, presque « à l’ancienne », qui rappelle davantage Chinatown de Roman Polanski ou Seven, de David Fincher. Le justicier masqué et son acolyte, le valeureux commissaire Gordon, avancent à l’aveugle dans les tréfonds de Gotham gangrenée par le crime et la corruption, aux allures de Sin City (Frank Miller, encore). Si un des surnoms de Batman est « le plus grand détective du monde », il est ici plus que jamais sans pouvoir et passablement névrosé. Car au grand dam d’Alfred (touchant Andy Serkis), Bruce Wayne n’a cure de sa propre vie. Il est un jeune homme meurtri, en colère, ténébreux et solitaire, et en public, n’a pas l’aisance de l’héritier des Wayne incarné façon playboy par Christian Bale dans la trilogie The Dark Knight. Comme on pouvait s’y attendre, Robert Pattinson excelle dans cette partition romantique et sa prestance dans le costume force le respect. Même Catwoman, alias Selina Kyle, ne peut lui résister. Zoë Kravitz, dans un registre qui rappelle la Sidney Bristow de Alias, a la frimousse idéale pour le rôle. Elle est l’atout charme de cette intrigue savamment troussée, conçue comme une suite d’énigmes à résoudre, introduisant au passage plusieurs personnages de la saga (le Sphinx, le Pingouin, Carmine Falcone…). On ne s’ennuie pas une seconde durant les presque trois heures de ce thriller ponctué de scènes d’action spectaculaires, et sublimement photographié par Greig Fraser, chef-opérateur de Dune, Le Mandalorian ou Zero Dark Thirty. Fait assez rare pour ne pas être remarqué : pas de bande-son truffée de tubes ici. Au milieu de la partition de Michael Giacchino, une seule échappée rock : Something In The Way, de Nirvana, sombre et mélancolique, au diapason avec l’humeur du Chevalier Noir.
2 h 56 Et avec Colin Farrell (méconnaissable…), John Turturro, Paul Dano, Peter Sarsgaard, Jayme Lawson, Peter McDonald, Rupert Penry-Jones…

 

 

SPENCER, princesse sous influence

Emboîtant le pas à la série The Crown qui est parvenue, avec brio, à donner une réalité aux membres de la famille la plus impénétrable d’Angleterre, Pablo Larraín se penche sur le cas de la princesse Diana. Spencer se focalise sur trois jours pendant les festivités de Noël 1991, à l’issue desquels Lady Di décidera de se séparer de Charles. Audacieux, surréaliste, et incarné par une Kristen Stewart habitée, ce portrait poétique a quelque chose de vertigineux.

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« Je suis une cause perdue. Je n’ai aucun avenir ici. »

 

 

SPENCER

Pablo Larraín
2021
Paru en France sur Prime Video le 17 janvier 2022

En 1991, à Sandrigham House, domaine de la reine Elizabeth II dans le Norfolk, on se prépare à fêter Noël en famille. Tout le monde est arrivé, excepté la princesse de Galles (Kristen Stewart). Au volant de sa Porsche, elle a échappé à l’escorte et aux services de sécurité pour rouler seule, mais s’est égarée sur les routes de campagne…

En 2016, dans Jackie, le cinéaste chilien Pablo Larraín auscultait le chagrin et les interrogations de la veuve de John Fitzgerald Kennedy les jours suivant l’assassinat de ce dernier. Cette fois, le réalisateur propulse dans la tête d’une autre icône, elle aussi à un moment clé de sa vie. Larraín et son scénariste Steven Knight (Peaky Blinders) n’ont pas eu la prétention de vouloir percer le mystère de Diana Spencer, dite la « princesse du peuple », ni même de relater fidèlement une page d’histoire. Le film est introduit par cette phrase : « A fable from a true tragedy » (une fable tirée d’une vraie tragédie). À la réalité (la description des rites de la famille royale est d’une grande exactitude) se mêle donc la fiction. L’ambition ici est artistique, cinématographique. Paradoxalement, c’est aussi cette distance qui permet d’approcher la vérité d’un personnage qui, vingt-cinq ans après sa mort tragique, exerce toujours une incroyable fascination. Le film est rythmé par les émotions qui traversent l’infortunée héroïne. Dix ans après son mariage en grande pompe, Diana n’est plus qu’une princesse tourmentée et malheureuse. Épouse trompée et délaissée, incomprise voire méprisée par son illustre belle-famille, elle adopte un comportement d’ado rebelle et refuse de se plier aux règles imposées qui l’infantilisent. « Tu te plains comme une gamine qui n’a pas ce qu’elle veut » lui dit avec agacement Charles, campé par l’excellent Jack Farthing, rigide et glacial à souhait. Elle erre dans les couloirs interminables du manoir, dans le parc, de jour comme de nuit, se dit hantée par le fantôme d’Anne Boleyn, l’épouse d’Henry VIII à la destinée tragique et avec qui elle se sent en connivence. On la soupçonne déjà de perdre la tête. Ce n’est pas faux, ou du moins les pédales. Ses enfants qu’elle adore tentent eux-mêmes de la raisonner. Ils sont sa seule consolation. Et puis il y a les domestiques, qui jouent parfois un double jeu : ceux qui l’aiment, ceux qui la trahissent, ceux qui l’espionnent. Kristen Stewart, toute en regards en dessous, yeux embués, inclinaisons de tête et phrasé haché reproduits à l’identique, a une classe folle dans la détresse. Elle porte de manière divine les robes de luxe, signées Chanel souvent — beaucoup de vêtements de la garde-robe de Diana ont été recréés par la costumière oscarisée Jacqueline Durran. La brume de la campagne anglaise, la musique baroque de Jonny Greenwood (Radiohead), la lumière irréelle de la photographie de la Française Claire Mathon (très inspirée du Shining et du Barry Lyndon de Kubrick) confèrent à cette œuvre hallucinatoire des atours de conte horrifique. Avant un épilogue lumineux et sublime, véritable pied de nez à la sacro-sainte institution royale, jamais désespoir n’aura été filmé de manière aussi grandiose.
1 h 57 Et avec Timothy Spall, Sean Harris, Sally Hawkins, Stella Gonet, Richard Sammel, James Harkness, Amy Manson…