L’INNOCENT de Louis Garrel

C’est l’événement de la saison ! Le quatrième long-métrage de Louis Garrel fait l’unanimité depuis sa sortie. L’innocent conjugue le film de casse et la comédie romantique dans un irrésistible élan loufoque. Lubitsch aurait adoré !

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« Je VEUX draguer le chauffeur ! »

 

L’INNOCENT

Louis Garrel
2022
En salles depuis le 12 octobre

Abel (Louis Garrel) est un trentenaire désenchanté, qui ne s’est pas remis de la mort prématurée de son épouse. Lorsque sa mère (Anouk Grinberg), actrice un peu fofolle qui anime un atelier de théâtre dans une prison, lui annonce son prochain mariage avec un détenu, il panique. Et quand son nouveau beau-père (Roschdy Zem) recouvre la liberté, Abel, convaincu qu’il va replonger, entreprend de le surveiller comme le lait sur le feu, avec l’aide de sa meilleure amie Clémence (Noémie Merlant)…

Louis Garrel est un enfant de cinéma. Il a grandi entouré d’un grand-père, Maurice — acteur incontournable des années 60-70 — d’un père, Philippe, réalisateur de cinéma underground, et d’une mère actrice, Brigitte Sy (elle figure au générique de la récente série L’opéra). C’est à elle, qui a animé lorsqu’il était gamin des ateliers de théâtre en milieu carcéral, qu’il a souhaité rendre hommage via le personnage de Sylvie campé par Anouk Grinberg, cette mère généreuse qui n’en fait qu’à sa tête. Les fantasmes de son enfance ont nourri cette comédie policière très écrite, mais qui fait la part belle à l’improvisation. Car de toute évidence, Louis Garrel aime les comédiens. Le métier d’acteur (jeu entre le vrai et le faux) est au cœur de ce film au titre un peu passe-partout, mais truffé de numéros sensationnels. À ce titre, Noémie Merlant révèle un tempérament comique insoupçonné. La comédienne, nommée aux César pour Portrait de la jeune fille en feu, est réellement à se tordre. Louis Garrel lui-même, en fils anxieux, surprotecteur et atterré par la folie douce de sa mère, fait montre d’une ironie jubilatoire. Il reprend ici le prénom Abel, qu’il s’attribue dans chacun de ses films, sorte de clin d’œil à l’Antoine Doinel de Truffaut. Lorsque Michel (formidable Roschdy Zem), l’avertit fermement avec un impérieux « C’est pas ton monde ! », Abel de répondre tranquillement : « À ma connaissance, il n’y en a qu’un seul, de monde. »

Grand huit burlesque, le film brasse les genres et les références cinéphiliques (Hitchcock, Tavernier — le récit se déroule à Lyon — De Palma, les frères Safdie… ) et déploie un torrent d’émotions. Cette sincérité et ce charme constants, qui sont à l’image de Louis Garrel, rendent la comédie particulièrement attachante. Dans la veine des meilleurs Salvadori ou de Broca, L’innocent est un petit bijou d’inventivité et de fantaisie qui, à l’instar du choix de sa bande-son kitschissime (« Pour le plaisir » d’Herbert Leonard, « Nuit magique » de Catherine Lara, « Une autre histoire » de Gérard Blanc, « I Maschi » de Gianna Nannini…), réconcilie cinéma d’auteur et cinéma populaire. Irrésistible !
1 h 39 Et avec Yanisse Kebbab, Léa Wiazemsky, Jean-Paul Pautot…

 

LES CHOSES QU’ON DIT, LES CHOSES QU’ON FAIT

Il y a des films qui donnent envie de courir les voir dès l’annonce de leur parution. Celui d’Emmanuel Mouret est de ceux-là. D’abord, il y a le titre, espiègle. Et puis parce que depuis la disparition d’Eric Rohmer, le réalisateur de Changement d’adresse, Un baiser s’il vous plaît, Caprice ou le récent Mademoiselle de Joncquières, qui n’en finit pas d’explorer l’art d’aimer, est un des rares à pratiquer un cinéma hors du temps et courtois, aux dialogues spirituels et à la mise en scène aussi précise qu’une horloge suisse. Attention, sous des dehors frivoles, ce ballet sentimental se révèle parfois grave et souvent cruel. On en sort ébloui.

 

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« Je ne veux pas être la maîtresse d’un homme marié.
– Je n’aurais pas dû te dire que j’étais marié.
– Si, sinon je n’aurais pas couché avec toi.
– Mais pourquoi tu as voulu coucher avec moi alors ?
– Parce que tu étais marié, en pensant que, justement, tu n’allais pas vouloir recommencer. »

 

LES CHOSES QU’ON DIT, LES CHOSES QU’ON FAIT

Emmanuel Mouret
2020
En salles depuis le 16 septembre

Maxime (Niels Schneider) est invité en Provence dans la maison de vacances de son cousin François (Vincent Macaigne) qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Il est accueilli par Daphné (Camélia Jordana), la compagne de ce dernier, qui lui explique que François a été retenu quelques jours à Paris. Entre deux balades touristiques, Maxime et Daphné font peu à peu connaissance en faisant le récit de leurs histoires d’amour respectives et plutôt compliquées…

Après la rigueur de Mademoiselle de Joncquières (lire ma critique), inspiré de Diderot, Emmanuel Mouret se tourne vers l’univers de Marivaux. D’ailleurs, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait aurait pu s’intituler Le jeu de l’amour et du hasard. Ce qui intéresse le cinéaste ici, c’est l’inconstance, celle qui pousse les hommes et les femmes à mentir, à se mentir, à trahir, à douter, à se mettre dans des situations rocambolesques et à faire parfois exactement l’inverse de ce que la raison leur dicte. Maxime (Niels Schneider, un regard de chien battu) est ainsi ballotté d’une intrigue à une autre sans jamais avoir de prise sur les événements. Brillamment écrit et orchestré (façon réaction en chaîne), avec une fluidité et une précision dignes du cinéma de Woody Allen, ce ballet sentimental est un régal. Les tourments amoureux des personnages (séduction, tentation, passion, déception… mais au fond, qu’est ce que l’amour ?) engendrent des scènes parfois cocasses, parfois cruelles (des chefs-d’œuvre de la musique classique font un pertinent contrepoint). S’il n’exclut pas d’y mettre de la gravité, le regard que porte le cinéaste sur ses personnages est constamment bienveillant, jamais moralisateur, et aucun d’entre eux n’apparaît méprisable. Comme souvent, Mouret a sollicité des comédiens inattendus dans un tel registre, et tous sont à la hauteur (Camélia Jordana, à contre-emploi, est très appliquée, et Émilie Dequenne, dans une partition touchante, est particulièrement excellente). On ne s’ennuie pas une seconde durant ce chassé-croisé amoureux de deux heures, ponctué de flash-backs, de rebondissements et de suspense, illustration joyeuse du proverbe : « l’être humain est un éternel insatisfait ».
2 h 02 Et avec Guillaume Gouix, Jenna Thiam, Julia Piaton, Louis-Do de Lencquesaing…