FIRST MAN : Le premier homme sur la Lune

La conquête des étoiles fait encore et toujours rêver les cinéastes. Et même si Stanley Kubrick a mis la barre très haut en 1968 (2001,l’Odyssée de l’espace demeure la référence ultime), certains réalisateurs relèvent régulièrement le défi, parfois de manière magistrale, tels Andreï Tarkovski avec Solaris, Ron Howard avec Apollo 13, Brian De Palma avec Mission To Mars, Alfonso Cuarón avec Gravity, Christopher Nolan avec Interstellar ou Ridley Scott avec Seul sur Mars. Cette année, c’était au tour du petit prodige Damien Chazelle, révélé par Whiplash et oscarisé l’an passé pour La La Land, de se plier à l’exercice. Parfois, la réalité dépasse la fiction. First Man raconte l’aventure d’Apollo 11 telle que l’a réellement vécue Neil Armstrong. Résultat : un film organique, poétique et intelligent, qui embarque dans une odyssée cosmique sublime et bouleversante.

 

« Mom, what’s wrong ?
– Nothing honey. Your dad is going to the Moon. »
 
 

First Man : le premier homme sur la Lune  (First Man)

Damien Chazelle
2018
Dans les salles françaises depuis le 17 octobre

En 1961, Neil Armstrong (Ryan Gosling) est ingénieur aérospatial et pilote d’essai, jugé « distrait » par ses collègues. Marié à Janet (Claire Foy), il est père de deux jeunes enfants dont la petite dernière, Karen, est atteinte d’une tumeur au cerveau inopérable. Elle meurt l’année suivante. Neil se réfugie dans le travail et tient ses proches à distance. Il postule pour le nouveau programme de la NASA, Gemini, dont l’objectif est de développer la technologie qui permettra d’envoyer des astronautes sur la Lune…

Dans la scène d’ouverture du film, clin d’œil à L’étoffe des héros, Neil Armstrong est aux commandes d’un avion-fusée X-15 qui atteignant les premières couches de l’espace, rebondit sur l’atmosphère et reste quelques secondes en apesanteur. Avec ingéniosité et sang-froid, Armstrong parvient à se sortir de cette situation critique et à atterrir, sans trop de dommage, dans le désert du Mojave. Grâce à la caméra subjective, le spectateur vit la séquence comme s’il était lui-même à bord de l’avion, chahuté dans tous les sens et propulsé à une vitesse fulgurante. Ce parti pris de mise en scène, constant dans le film, met en exergue l’ampleur des risques auxquels les aviateurs et astronautes impliqués dans la conquête spatiale ont accepté de s’exposer. Privilégiant les effets mécaniques aux numériques, les maquettes et constructions aux fonds verts, Damien Chazelle a mis l’accent sur les sensations physiques (inconfort des habitacles, bruits de ferraille, l’impression de chaos). La technologie la plus avancée utilisée par la NASA d’alors n’a rien de comparable avec celle d’aujourd’hui, et le voyage de 1969 n’en est que plus extraordinaire (parmi ses premières impressions lors de son retour, Armstrong dira avoir été extrêmement surpris que la mission ait réussi…). Pour l’aspect visuel, le cinéaste s’est inspiré des photos et documentaires d’époque, et a volontairement donné à son film une patine vintage (certaines séquences ont même été tournées en 16 mm). Basé sur First Man : The Life of Neil A. Armstrong, biographie autorisée écrite en 2005 par l’historien James R. Hansen (coproducteur ici), le film, coproduit par Steven Spielberg et adapté par le brillant scénariste Josh Singer (The West Wing, SpotlightPentagon Papers), retranscrit très fidèlement les coulisses de l’épopée mythique, révélant un parcours laborieux et semé d’embûches, mais aussi les tensions familiales. Claire Foy, en épouse solide et délaissée, fait une performance impressionnante face à un Ryan Gosling introverti à souhait. Pour les besoins de la dramaturgie, l’acteur a d’ailleurs accentué le caractère réservé d’Armstrong, le faisant apparaître bien plus torturé et romantique. Car First Man est aussi le portrait d’un homme blessé, meurtri et hanté par la mort de sa fille (à ce titre, les quelques libertés que se sont autorisées les auteurs sont des faits non avérés, mais plausibles selon l’entourage). Durant cette aventure de plus de deux heures, Chazelle reste constamment à la hauteur de son héros taciturne et mélancolique, filmé au plus près de ses émotions. Un jeu entre l’intime et le spectaculaire qui tend davantage vers la poésie que le sensationnalisme, et trouve son apogée dans cette séquence lunaire, filmée en IMAX, d’une pureté hallucinante et absolument sublime.
2h 21mn Et avec Kyle Chandler, Jason Clarke, Corey Stoll, Patrick Fugit, Ciaran Hinds, Lukas Haas…

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BREAKING AWAY (La bande des quatre)

Invisible depuis presque quatre décennies, le teen movie mis en scène en 1979 par le réalisateur de Bullitt est à l’honneur dans les salles obscures ce mois-ci, grâce à une splendide version restaurée. L’occasion de (re) découvrir cette comédie sociale atypique, un film initiatique subtil, drôle et émouvant, porté par un quatuor de jeunes acteurs extrêmement attachants.

« He’s never tired, he’s never miserable.
– He’s young !
– When I was young, I was tired and miserable. »

 

Breaking Away (La bande des quatre)


Peter Yates
1979
En version restaurée dans les salles françaises depuis le 31 octobre 2018

A Bloomington, ville étudiante de l’Indiana, Dave (Dennis Christopher), Mike (Dennis Quaid), Cyril (Daniel Stern) et Moocher (Jackie Earle Haley) partagent leur temps entre les parties de baignade dans une carrière abandonnée et les filles, et ne savent toujours pas, un an après avoir quitté le lycée, ce qu’ils vont faire de leur vie. Pour ces quatre amis issus de la classe ouvrière, côtoyer les étudiants de milieux plus favorisés qui les prennent volontiers de haut, ne va pas sans mal. Lorsque Dave, passionné par l’Italie et le vélo, se met en tête de participer à la course cycliste organisée par l’université, les tensions montent…

En 2016, à la sortie de son Everybody Wants Some!!, portrait nostalgique de jeunes étudiants du début des eighties, Richard Linklater ne tarissait pas d’éloges à propos de Breaking Away. Pourtant, en 1980, trois nominations et l’Oscar du Meilleur scénario original n’ont pas suffi pour que le film de Peter Yates, rebaptisé en France La bande des quatre, obtienne en salles le succès auquel il pouvait prétendre. Boudé par le public à cette époque, le film a ensuite disparu durant des décennies. Il se révèle aujourd’hui dans toute sa splendeur et sa fraîcheur, intacte. C’est même avec un certain émerveillement qu’on découvre cette chronique sociale qui regorge d’humanité et d’humour. Bien qu’ancré dans son époque (la fin des seventies), Breaking Away possède une véritable dimension universelle, comme tous les films réussis sur le passage à l’âge adulte, tels La fureur de vivre ou American Graffiti, et son classicisme le rend presque intemporel. Il en émane un vrai parfum d’authenticité, dû au scénario quasiment autobiographique de Steve Tesich, qui fut étudiant à l’Université de Bloomington. Le personnage de Dave est directement inspiré d’un de ses camarades, Dave Blase, cycliste et féru de culture italienne, avec lequel il a même participé à des compétitions (Blase joue le speaker de la course dans le film). Le contexte économique de cette région de l’Indiana (fermetures d’usines, ici de la carrière), l’amertume des ouvriers licenciés et requalifiés, et les tensions entre les étudiants riches venus d’ailleurs et la jeunesse locale déclassée, surnommée dans le film  « Cutters » (les tailleurs de pierres), sont ainsi décrits avec acuité. Mais si Breaking Away apparaît aussi atypique, c’est également grâce à la personnalité de son réalisateur, Peter Yates. Le cinéaste britannique encensé de Bullitt a effectué la majeure partie de sa carrière aux Etats-Unis, mais il a fait ses classes en Angleterre auprès de Tony Richardson, à la grande époque du Free Cinema. On en retrouve dans le film certaines caractéristiques, dont un certain penchant pour le réalisme (on pense inévitablement à  La solitude du coureur de fond, réalisé par Richardson en 1962). Ici, pas de dramatisation forcée, pas de « glamourisation », pas non plus de bande-son truffée de tubes d’époque (Yates a opté pour la musique classique). Cette peinture de la jeunesse ne tombe dans aucun cliché. Tout en rêvant de vengeance sociale, les protagonistes ne sont pas vraiment rebelles, et leurs relations avec les adultes se règlent souvent avec bienveillance, et par des traits d’humour bon enfant. Enfin, si Breaking Away va bien au-delà de la thématique du sport, Yates a filmé toutes les scènes de vélo de main de maître, procurant au spectateur une sensation de vitesse inouïe, et la course finale, pleine de suspense, est, à elle seule, un petit bijou. De ce quatuor d’acteurs prometteurs, seul Dennis Quaid hélas obtiendra la notoriété. Dennis Christopher, qui campera le formidable cinéphile meurtrier de Fondu au noir (Fade To Black) en 1980, sera injustement sous-exploité par la suite. Daniel Stern sera cantonné à des comédies inégales, et Jackie Earle Haley aux personnages horrifiques. Les revoir ici éclatants de jeunesse rend ce film solaire et immensément attachant, encore plus précieux.
1h 41 Et avec Barbara Barrie, Paul Dooley, Robyn Douglass, Hart Bochner, P. J. Soles, Amy Wright…

BANDE-ANNONCE

 

 

 

A noter qu’en 1980, le film sera décliné en une série télévisée homonyme, dans lequel Barbara Barrie et Jackie Earle Haley reprendront leur rôle (celui de Dave étant interprété par Shaun Cassidy). Breaking Away version TV ne durera qu’une saison (huit épisodes).

 

 

Everybody Wants Some!! critique AFAP

 

LES AVENTURES DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN

S’il n’a plus réalisé un film pour le grand écran depuis 2010 (The Ward), John Carpenter n’a jamais été aussi « branché » qu’en ce moment. Il s’est produit en concert le 11 octobre à la Salle Pleyel, suite à la parution de son dernier album en date, Anthology, recueil de ses plus grands thèmes composés pour le cinéma, et il est le producteur exécutif du remake d’Halloween, signé du talentueux David Gordon Green (Délire ExpressJoe…), qui fait un tabac ce mois-ci dans les salles. Cerise sur le gâteau, son film culte, Big Trouble In Little China, vient de ressurgir dans une édition Blu-ray truffée de suppléments, et avec une restauration en 2K qui remet tout simplement les pendules à l’heure !

 

 « Bon ! Vous allez tous attendre ici ! Gardez la boutique, remettez des bûches dans la cheminée et si on n’est pas revenu au petit matin, appelez le Président ! » Jack Burton « savant mélange de Jack Nicholson et John Wayne », dixit Kurt Russell.

 

Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin (Big Trouble In Little China)

John Carpenter
1986
En Edition Collector Blu-ray chez l’Atelier d’images depuis le 16 octobre 2018

A San Francisco, Jack Burton (Kurt Russell), camionneur musclé et grande gueule, accompagne son ami Wang Chi (Dennis Dun) à l’aéroport afin d’y accueillir la fiancée de ce dernier qui arrive de Chine. Hélas, à peine apparue, la jeune fille (Suzee Pai) est enlevée sous leurs yeux par les Seigneurs de la Mort, un gang redoutable de Chinatown. Jack et Wang se lancent aussitôt à leur poursuite, suivis par une jolie avocate (Kim Cattrall), mais ce qui les attend va défier leur imagination…

« Quand je rencontre quelqu’un, dit John Carpenter, je sais s’il a le sens de l’humour selon qu’il aime le film ou pas ! » Et Dieu sait s’il en faut pour apprécier Les aventures de Jack Burton. Car l’humour qu’il véhicule, à la fois bon enfant et foutraque, a laissé en 1986 beaucoup de spectateurs sur le bord du chemin. A cette époque, l’Amérique raffole de RamboMad Max et Top Gun. L’heure est aux héros. Et Jack Burton est tout le contraire. Plus balourd que costaud, fort en gueule, le personnage ne doute jamais de sa supériorité alors qu’il est constamment dépassé par les événements (un comportement typiquement américain selon le réalisateur). John Carpenter a exhorté Kurt Russell à s’auto-parodier, ce que l’interprète du fameux Snake Plissken, dont la carrière était alors au creux de la vague, a fait avec jubilation. En effet, Burton, un type « sensé »comme il aime à le rappeler, est soudainement confronté à la mythologie chinoise qui surgit des souterrains de Chinatown : sorciers, fantômes bondissants, créatures monstrueuses (et kitschissimes… ). Le film reflète la passion de John Carpenter pour le cinéma de Hong Kong qui allait bientôt envahir l’Occident. Notamment très admiratif du travail de Tsui Hark dans Les guerriers de la montagne magique (1982), le cinéaste, qui s’était vu refuser son ambitieux projet de mettre en scène The Ninja (un roman de Eric van Lustbader) tenait à porter à l’écran un film qui lui allait lui permettre de conjuguer ses deux genres de prédilection, le western et le fantastique, en y mêlant les légendes populaires chinoises. Le scénario de Gary Goldman et David Z. Weinstein, revisité par D.W. Richter, réalisateur en 1984 du délirant Les aventures de Buckaroo Banzaï à travers la 8ème dimension, va lui fournir la matière première. Richter lui conseillera de laisser de côté l’aspect western et de situer l’histoire dans un contexte contemporain. Pour les arts martiaux, John Carpenter va solliciter les meilleurs en leur domaine qui contribueront à faire de la comédie un monument d’heroic fantasy, dans la tradition des grands films de wu xia pian. Hélas, trop en avance sur son temps, ce cocktail détonant n’a pas trouvé son public et la Fox qui a espéré, jusqu’au dernier moment, tenir un émule d’Indiana Jones, n’a su que faire de cet OVNI et en a littéralement « saboté » (selon les dires de Kurt Russell) la promotion. Redécouverte, comme c’est souvent le cas, avec l’arrivée de la vidéo, l’œuvre a été réhabilitée et fait aujourd’hui l’objet d’un véritable culte. Et ce n’est que justice car Les aventures de Jack Burton est un film d’action spectaculaire, hilarant et gorgé des influences d’un des réalisateurs les plus inventifs et perfectionnistes de son siècle qui, en plus, a eu ici le bon goût de ne pas se prendre au sérieux.
1 h 39 Et avec Kate Burton, James Hong, Victor Wong, Donald Lee, Jeff Imada…

A noter qu’une suite de Big Trouble In Little China est en cours de développement aux Etats-Unis, mais qu’on se rassure, Dwayne Johnson, qui devrait en être la star, ne se risquera pas à incarner Jack Burton, indissociable de son interprète original.

BANDE-ANNONCE



Test Blu-ray Edition Collector
Boîtier Steelbook avec, au recto, un nouveau visuel exclusif signé Paul Shipper

Interactivité ****
L’édition regroupe quasiment tous les suppléments existants dont certains sont inédits en France. Parmi ces cinq heures de bonus, on retrouve le commentaire audio hilarant de John Carpenter et Kurt Russell qui abordent l’exercice façon partie de rigolade, tout en glissant des anecdotes intéressantes. Les deux compères adorent le film et continuent à se tenir les côtes à chaque gaffe de ce bon vieux Jack. Au cours des interviews proposées en sus réalisées en 2013 pour l’édition anglaise Arrow, ils évoquent également leur collaboration artistique et Kurt Russell ne tarit pas d’éloges à propos de ce réalisateur hors normes qui lui a offert ses plus beaux rôles. On peut également entendre le point de vue pertinent d’autres collaborateurs récurrents du cinéaste (Jeff Imada, responsable des scènes d’action, le producteur Larry J. Franco, le directeur photo Dean Cundey…). Le programme comprend aussi les featurettes d’époque, des scènes coupées ou alternatives, des bandes-annonces etc.

Image ****
Format : 2.35
Cette restauration en 2K est une vraie claque ! Les couleurs sont naturelles. La définition est splendide, les contrastes et le piqué convaincants. Un bonheur !

Son ***
DTS-HD Master Audio 5.1 en anglais et français
Une piste 5.1 dynamique, qui, certes, ne décollera pas le papier peint, mais produit de jolis effets et se révèle très équilibrée. A noter que les sous-titres français sont optionnels.

 

 

L’édition DVD est également disponible et comprend une jaquette réversible 

Halloween, la nuit des masques critique AFAP