ÉCOUTEZ LE CINÉMA !

Il suffit de quelques notes pour recréer l’émotion, l’émerveillement parfois, et ramener instantanément à notre mémoire des images, des séquences, des visages… La musique de film a ses génies, qui ont transcendé et magnifié des œuvres pour les rendre inoubliables. Ils se nomment Ennio Morricone, Michel Legrand, François de Roubaix, Georges Delerue, Michel Magne, Howard Shore, Philippe Sarde ou John Barry. Ils sont mis à l’honneur dans ce livre-disque sensationnel et les trois vinyles collector qui marquent les vingt ans de l’épatante collection discographique Écoutez le cinéma !, sorte de mémoire musicale du grand écran créée par Stéphane Lerouge sous l’impulsion de Daniel Richard, de Universal Jazz. Et puis, j’en ai profité pour demander au débotté à Vincent Delerm, grand amoureux de cinéma, dont la chanson Nous imitons François Truffaut figure sur l’un des albums de cette édition anniversaire, quels étaient ses compositeurs, BO et films préférés.

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ÉCOUTEZ LE CINÉMA ! 20 ans

Disponible le 15 janvier 2021
Decca Records/Universal Music

« Enfin, s’il reste un genre que j’aimerais encore explorer, c’est la science-fiction. Je l’ai juste approchée à deux reprises, avec Mission To Mars et L’Humanoïde. Voilà donc ce qui pourrait me motiver demain : avoir à trouver des solutions musicales non conventionnelles pour raconter les étoiles, le cosmos et l’infiniment grand. » Ennio Morricone

Après le chouette vinyle Le cinéma de Jean-Paul Belmondo, paru dans la même collection, ce livre-disque en édition limitée fait figure d’événement. Illustré de photos rares, il propose trente-six interviews, toutes réalisées par Stéphane Lerouge et sélectionnées parmi la centaine que compte la collection. Des compositeurs y parlent de cinéma. Des cinéastes y parlent de musique. À chaque témoignage correspondent un ou deux morceaux répartis sur deux CD.

Henri Verneuil s’exprime sur Michel Magne : « Parfois je me suis demandé si Magne jouait sciemment les disjonctés ou si sa folie était naturelle… » ; Jean-Paul Rappeneau, à propos de Michel Legrand : « Dans Les Mariés, comme plus tard dans Le sauvage, il a apporté au film une sorte d’élévation, il l’a emmené plus loin, plus haut… » ; Howard Shore sur Martin Scorsese : « Quel que soit le sujet que Marty me propose demain, je le suivrai dans n’importe quelle aventure. » ; Antoine Duhamel sur Godard : « Chaque décision sonore de Godard a du sens. » ; José Giovanni, sur François de Roubaix : « Il y a un sens de l’amitié, de la rectitude que, dans le métier, j’ai uniquement trouvé chez deux hommes : François et Lino Ventura. » etc. Ennio Morricone, Maurice Jarre ou Quincy Jones évoquent également leur travail et John Barry parle de Americans, sa bande-originale imaginaire devenue un album magnifique en 1976 (et disponible dans la collection depuis 2009) : « J’ai essayé de retrouver les sensations de mon premier voyage, de la première fois où j’ai traversé l’Atlantique, à la fin des années 50. Vous imaginez le symbole : pour moi né à (Old) York, découvrir New York ! »

 

Deux CD se partagent quarante-neuf morceaux, connus ou un peu moins, tous genres confondus, du mythique Lawrence d’Arabie, de Maurice Jarre, au solennel Cyrano de Bergerac, de Jean-Claude Petit, en passant par le thème d’amour de La folie des grandeurs composé par Michel Polnareff, le jazzy Downtown Walker de John Barry ou l’incontournable Le clan des Siciliens, d’Ennio Morricone.

  

Cette édition anniversaire est complémentée par la publication de trois vinyles exceptionnels (il n’existe pas de versions CD). A chacun sa thématique : Chansons de films ; Raretés et inédits ; Remixes et reprises.

Dans le premier, on retrouve les classiques comme La chanson d’Hélène, par Romy Schneider et Michel Piccoli, Ça n’arrive qu’aux autres de Michel Polnareff ; mais aussi la charmante Nous imitons François Truffaut, de Vincent Delerm ; Une affaire privée chantée par Marion Cotillard dans le film homonyme de Guillaume Nicloux ou le chouette Si on invitait James Dean, par Fred Pallem et Juliette Paquereau sur une musique de François de Roubaix, thème de La grande lessive de Jean-Pierre Mocky.

 

Dans le second, on découvre ou redécouvre des airs méconnus ou oubliés, en majeure partie issus des années 60-70 françaises tels le générique de la série Tang par Wladimir Cosma, La louve solitaire, thème du film homonyme d’Edouard Logereau, par Francis Lai, ou Les Enquêteurs associés, de la série de Serge Korber, par François de Roubaix.

Enfin, même les puristes pourront apprécier la sélection de dix remixes et reprises, de La Horse, version disco par Marathon Men’s, à Compartiment tueurs par DJ Patife en passant par Mélodie en sous-sol par Fred Pallem ou Le Samouraï se remixe par Nicolas Errèra

Cinq disques collector, à écouter en boucle.

 

VINCENT DELERM EN CINQ QUESTIONS  « ESSENTIELLES »


Photo Julien Mignot

Fanny Ardant et moi, Deauville sans Trintignant, Et si on imitait Truffaut, François de Roubaix dans le dos, La chamade, Vie Varda… L’amour du cinéma ne cesse de vibrer dans les chansons de Vincent Delerm, grand cinéphile et fan de Truffaut devant l’Éternel. Le chanteur a franchi le pas en 2015 en composant  la musique de La vie très privée de Monsieur Sim, mis en scène par Michel Leclerc. Quatre ans plus tard, dans la foulée de son magnifique album Panorama, il a réalisé un premier film, le documentaire sensible et inclassable Je ne sais pas si c’est tout le monde, Chez lui, qui fait également montre d’un vrai talent pour la photographie, chansons et images sont indissociables.

 

AFAP : Vincent, vos trois BO préférées ?

Vincent Delerm : Two For The Road de Henry Mancini (Voyage à deux, Stanley Donen, 1967), Les vestiges du jour (The Remains Of The Day) de Richard Robbins (James Ivory, 1993) et Peau d’âne de Michel Legrand (Jacques Demy, 1970).

 

AFAP : La chanson qui, selon vous, évoque à elle seule le cinéma ?

VD : « La Tour de Pise », de Jean-François Coen, dont le clip a été réalisé par Michel Gondry en 1993 (chanson de l’album Jean-François Coen – Columbia 1993).

 

AFAP : Pour quels compositeurs de musique de films d’hier et aujourd’hui avez-vous le plus d’admiration ?

VD : Principalement, Georges Delerue. J’ai le pressentiment d’un homme qui a réussi à la fois une grande carrière et une vie personnelle, un critère qui compte beaucoup pour moi.

AFAP : Avec quels réalisateurs contemporains aimeriez-vous collaborer ? 

VD : J’aimerais idéalement travailler avec des femmes, je m’entends mieux avec elles. Mais je ne me dis jamais en voyant un film « J’aimerais travailler avec elle ou lui. » Je ne suis pas fabriqué comme ça.

AFAP : Quels sont vos trois films préférés, indépendamment de leur BO ?

VD : Ma nuit chez Maud, d’Éric Rohmer (1969), Le dernier métro de François Truffaut (1980) et L’homme de Rio de Philippe de Broca (1964).

Interview réalisée le 12 janvier 2021
Merci à Vincent Delerm, Valérie Lefebvre, Anne-Marie Dordor et Éric Cavillon

 

ÉLOGE DE VANESSA PARADIS

Je n’ai pas toujours été fan de Vanessa Paradis. Je n’ai pas été chavirée à l’époque ni par « Joe Le Taxi » ni par ses collaborations avec Serge Gainsbourg, pas plus que par ses prestations dans Noce Blanche ou Elisa. J’ai regretté que son travail très réussi avec Lenny Kravitz dans les années 90 (« Sunday Mondays » et « Be My Baby » étaient des petites merveilles) n’ait été qu’une parenthèse et qu’elle soit revenue très vite à une variété d’ici (même si j’ai toujours eu un faible pour « Dès que j’te vois », signée –M-). Sa carrière était alors quelque peu heurtée, ponctué de hauts, de bas et de longs moments de silence (cela, on peut le comprendre : lorsqu’on a Johnny Depp à la maison, on n’a pas une envie folle de sortir de chez soi). Il m’a fallu attendre un jour de mai 2013 pour tomber véritablement sous le charme. Elle était alors « L’invitée du 13 heures » du journal télévisé d’Elise Lucet, sur France 2. Accompagnée du guitariste Philippe Almosnino, elle a chanté en direct « Station Quatre Septembre », extrait de son Love Songs (un des meilleurs albums français de la décennie), écrite par Benjamin Biolay. Un petit filet de voix sur des accords de guitare sèche (mélodie et texte fabuleux). Le talent de Biolay y était certes pour beaucoup, mais Vanessa Paradis donnait à cette chanson une émotion incroyable. Cinq ans plus tard, l’album suivant, Les sources, dont la plupart des titres étaient signés de son mari Samuel Benchetrit, recelait des perles tout aussi magnifiques (« Kiev », « Ces mots simples »… ). Détachée enfin de son image de Lolita qui lui a longtemps collé à la peau, elle s’est libérée, comme soulagée qu’on ne l’attende plus au tournant. On devine derrière sa douceur et fragilité apparentes une vraie force de caractère, qui l’amène à accepter des projets aventureux. Mais même lorsqu’elle arpente des terrains minés, comme le dernier film de Yann Gonzalez (Un couteau dans le cœur), elle en ressort intacte. Plus qu’en productrice de pornos gays, on l’imagine davantage comme le personnage un brin fantasque, rêveur, fracassé et tendre qu’elle incarnait dans le sous-estimé Photo de famille, de Cécilia Rouaud. Parce qu’on l’a vue grandir, derrière un micro ou devant la caméra, parce que ses histoires de cœur ont tellement fait la une, Vanessa Paradis fait partie de notre histoire commune et elle nous touche, indiscutablement. Icône populaire, muse de Chanel comme de H&M, elle est à la fois proche et inaccessible (car, en plus d’être belle, elle a, comme sa consœur Charlotte Gainsbourg, une classe folle). Bref, en 2019 il serait insensé de ne pas être fan de Vanessa Paradis.

Pour se replonger dans le parcours musical de Vanessa Paradis, on se procurera d’urgence ce livre-disque collector qui vient de paraître chez Barclay/Universal. Ce bel objet, cadeau idéal pour les fêtes, est constitué d’un livre de 48 pages de photos, de deux CD (un best of et un disque de duos, reprises, et titres rares ou inédits) et d’un DVD du concert intégral qu’elle a donné à l’Olympia en 2019.

 

LONDON DAYS (Taxi Driver-Lazarus)

 

Le 6 janvier, sur la rive sud de la Tamise, la prestigieuse salle du Royal Festival Hall de Londres accueillait Taxi Driver, de Martin Scorsese. La projection était accompagnée d’un concert du BBC Orchestra, dirigé par Robert Ziegler, interprétant la BO de Bernard Herrmann, décédé d’une crise cardiaque la veille de Noël 1975, quelques heures après en avoir achevé la dernière séance d’enregistrement. Il avait soixante-quatre ans.

 

Sur scène, quelques minutes avant la projection, la veuve de Bernard Herrmann est revenue avec humour sur le tournage du film écrit par Paul Schrader, rappelant que son époux avait commencé par refuser catégoriquement de travailler sur “cette histoire de chauffeur de taxi”. Scorsese lui-même est ensuite apparu sur un écran géant pour présenter le film et évoquer, les larmes aux yeux, le génial compositeur — peut-être le plus célèbre de l’histoire du cinéma — qui a donné ses lettres de noblesse à la musique de film. Bernard Herrmann a signé entre autres celles de Citizen Kane, La splendeur des Amberson, Le fantôme de Madame Muir, Le jour où la Terre s’arrêta, et, était, en outre, le compositeur fétiche d’Alfred Hitchcock. La musique de Psychose, La mort aux trousses, et Sueurs froides, c’est lui. Indissociable de Taxi Driver, la BO d’Herrmann traduisant la confusion mentale de Travis Bickle, lui confère définitivement son statut de film noir, et sa mélodie, jouée au saxophone, est inoubliable. La musique ainsi mise en avant par l’un des meilleurs orchestres du monde, apparaît dans toute sa magnificence, et s’intègre idéalement dans la bande-son. On se plaît à rêver d’une telle projection pour Furyo, Out Of Africa, ou Il était une fois en Amérique.

Taxi Driver Main Theme


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Il pleuvait sur Londres le 8 janvier, jour de l’anniversaire de David Bowie, celui de ces soixante-dix ans qu’il n’aura jamais eus. Venus de toute l’Europe, ses fans ont judicieusement choisi ce jour-là pour se rendre au King’s Cross Theatre, et assister à une représentation de Lazarus, sa comédie musicale, sublime sequel de L’homme qui venait d’ailleurs (le roman de Walter Tevis dont Nicolas Roeg tira un de ses meilleurs films), une fantaisie grave et émouvante en fait, autour de son univers et sur le thème de la vie à l’approche de la mort (le grand départ), mise en scène par le Belge Ivo van Hove.

Photo Jan Versweyveld

Interprétée par une jeune troupe remarquable entourant la star Michael C. Hall, cette suite de L’homme qui venait d’ailleurs, roman dont Bowie avait acheté les droits en 2005, immerge dans les tourments d’un extraterrestre à visage humain exilé sur Terre. Incapable de mourir, désireux de retrouver sa famille restée sur sa planète, il pleure un amour passé, et est sujet à des hallucinations, tandis que son entourage se déchire.

Photo Johan Persson

La prestation de chanteur de Michael C. Hall en Thomas Jerome Newton décoiffe, mais celle qui laisse sans voix, c’est celle de la très jeune Sophia Anne Caruso, qui interprète    « Life On Mars? » et « This Is Not America »  in a broadway style, et avec une ferveur bouleversante. La scénographie est moderne, à la fois simple et sophistiquée. Dix-sept chansons de David Bowie sont intégrées dans ce show hanté par la star défunte. A la fin du spectacle, la troupe venue saluer le public se tourne vers le portrait de Bowie qui apparaît sur l’écran géant. Et, en ce 8 janvier, les spectateurs se sont levés pour entonner un « Happy Birthday David » à fendre le cœur.

BANDE-ANNONCE

Extrait Sophia Anne Caruso Life On Mars?

 

 Les plus valeureux ont ensuite bravé le crachin pour rejoindre Brixton, le quartier d’enfance de David Bowie, où ses musiciens s’étaient réunis sur la scène de l’O2 Academy. Dans l’interminable queue de fans, des clones de Bowie et de Ziggy Stardust illuminaient la nuit. Ce sont eux, l’envie de fêter leur idole disparue au cœur, qui ont vraiment fait le show, car sur scène, même si les pointures qui ont accompagné Bowie tout au long de sa carrière (Mike Garson, Gail Anne Dorsey, Earl Slick, Adrian Belew, Gerry Leonard…) n’ont pas démérité, il manquait à tous ceux qui ont chanté (Simon Le Bon, Gary Oldman, Tom Chaplin et d’autres…) la voix, la classe et les postures inimitables du Thin White Duke. On imagine que ce dernier aurait eu un sourire narquois à la vision de cette kermesse un peu foutraque. Il y avait davantage de magie à découvrir, à quelques mètres de là, la fresque à son effigie réalisée par l’artiste australien Jimmy C sur un mur de supermarché, devant laquelle les fleurs ont continué à s’entasser dans la nuit, sous la pluie de Brixton.