IT’S A SIN, la mini-série

La nouvelle mini-série choc du créateur de Years And Years et Queer As Folk se penche sur l’arrivée de l’épidémie du Sida en Angleterre. Cinq épisodes intenses, lumineux et bouleversants pour rendre hommage à toute une génération fauchée en pleine jeunesse et mise au ban de la société avec une cruauté inouïe.

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« When I look back upon my life
It’s always with a sense of shame
I’ve always been the one to blame… »
(Pet Shop Boys « It’s A Sin »)

 

IT’S A SIN

Mini-série britannique créée par Russell T. Davies
Diffusée pour la première fois sur Channel 4 en janvier 2021, disponible en France depuis mars 2021 sur Canal+

En 1981, Ritchie Tozer (Olly Alexander) quitte la maison familiale sur l’île de Wight pour aller étudier le droit à Londres, mais aspire, en secret, à devenir acteur. Roscoe Babatunde (Omari Douglas) s’échappe de justesse de chez lui, avant que son père, pasteur Nigérian rigoriste, effaré par les mœurs de son rejeton, ne le mette dans un avion pour aller se purifier au pays. Pendant ce temps, le doux Colin (Callum Scott Howells) débarque de son Pays de Galles dans la capitale britannique où il a été embauché comme apprenti chez un tailleur de Saville Row. Tous les trois vont se retrouver à cohabiter dans le même appartement, qui abrite également le bel étudiant Ash Mukherjee (Nathaniel Curtis) et Jill Baxter (Lydia West), aspirante comédienne. Déterminés à croquer la vie à pleines dents, après des années passées à refouler leur inclination, les garçons vont découvrir ensemble les joies de la liberté. Mais la rumeur, venue des États-Unis, de l’existence d’une maladie inconnue et mortelle qui ciblerait les gays, va bientôt jeter une ombre sur leur belle insouciance…

Longtemps, le scénariste Russell T. Davies, créateur du premier gay drama anglais (Queer As Folk) s’est défendu d’évoquer l’homosexualité à travers le prisme du sida. Il aura fallu trente ans pour qu’il parvienne à aborder de front la décennie tragique qu’il a traversé avec plus de chance que d’autres de ses amis, partis trop jeunes. Dans une récente interview au Guardian, il a même révélé s’être senti coupable d’avoir parfois détourné le regard et fui des proches, homosexuels comme lui, mais touchés par la maladie. It’s A Sin, qui emprunte son titre au splendide tube de Pet Shop Boys paru en 1987, est un hommage à ceux qui ont été emportés dans la tourmente, mais aussi à ceux qui leur ont tendu la main, comme le personnage de Jill Baxter, totalement autobiographique (l’auteur a offert à son amie, la vraie Jill, le rôle de la mère de cette dernière dans le show). Pilier du Pink Paradise, surnom de l’appartement de la bande, Jill — sa formidable interprète, Lydia West, figurait déjà au générique de Years And Years — est une figure solaire et humaniste, autant la bonne copine que l’infirmière, celle qui console et comprend tout des drames de ces garçons, pour la plupart rejetés par leur famille. Avec délicatesse et habileté, le scénariste a brossé des portraits intimes et attachants de ces jeunes aux aspirations différentes, formant une famille de cœur aux liens indestructibles. Ils sont campés par une brochette de jeunes comédiens fougueux, emmenés par Olly Alexander, chanteur du groupe pop Years & Years. La flamboyance des moments de bonheur contraste avec la noirceur du désastre qui s’annonce. Ni la sensiblerie, ni le pathos ne sont l’apanage de Russell T. Davies qui nuance toujours ses propos. Ainsi, les réactions des protagonistes face à l’épidémie qui se profile ne sont pas toutes héroïques. Les personnages pèchent parfois par ignorance, mais parfois par orgueil et égoïsme. De manière tout aussi implacable, It’s A Sin met en exergue la stigmatisation dont la population homosexuelle a été victime et la cruauté des traitements dont les institutions et la société thatchérienne de l’époque, très largement homophobe, ont fait preuve envers les malades (parfois enfermés de force dans leur chambre d’hôpital par peur de la contagion). La violence de certains propos (dans le cercle familial notamment) amenait certains gays à penser que le Sida était véritablement une punition divine de leur mode de vie hédoniste. Mais la série ne saurait être réduite à la tragédie. Remarquablement mise en scène, boostée par les tubes d’époque, de « Enola Gay » à « Call Me » en passant par « Sweet Dreams (Are Made Of This) » ou « Smalltown Boy » (la chanson de Pet Shop Boys est subtilement effleurée), cette reconstitution magnifique déborde d’humour et d’ironie. À la manière de ses héros qui refusent de baisser les bras et de n’être que des victimes, It’s A Sin est avant tout une ode à la vie, à l’amour et à l’ouverture d’esprit. Dans la série, tout cela est symbolisé par le talisman magique des locataires du Pink Paradise. Il consiste en un tout petit mot : « La ! »
5 épisodes de 45 minutes Et avec Keeley Hawes, Neil Patrick Harris, Stephen Fry, David Carlyle, Susan Brown, Shaun Dooley…

ARTICLE CONNEXE : YEARS AND YEARS

THE CROWN, LE VRAI DU FAUX

Tandis que dans la vie réelle, le Megxit fait les choux gras des médias, la quatrième saison The Crown a raflé quatre trophées aux derniers Golden Globes. Autant dire qu’en dépit des aigreurs de ses enfants rebelles, la famille royale n’a jamais été aussi populaire. Retour sur cette série remarquable, qui retrace plus ou moins librement la vie de Elizabeth II, ponctuée par tous les grands événements qui ont secoué le Royaume Uni au siècle dernier.

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« For better or worse, the crown has landed on my head. And I say, we go ! »

 

THE CROWN

Série Netflix créée par Peter Morgan en 2016
Quatre saisons de 10 épisodes d’environ 55 minutes (deux saisons à venir)

En 1947 à Londres, Elizabeth (Claire Foy), fille aînée du roi George VI (Jared Harris), a vingt et un an et s’apprête à épouser Philip (Matt Smith), prince de Grèce et du Danemark, dont elle est très amoureuse. Ce dernier, dont la réputation de fêtard est notoire, est dans l’obligation de se faire naturaliser sujet britannique. Il abandonne aussi ses titres pour devenir Philip Mountbatten (nom de jeune fille de sa mère). Le roi consent bon gré mal gré à cette union, mais il est malade, et commence déjà à préparer Elizabeth, héritière légitime du trône, à prendre sa succession…

Tout incongru qu’il puisse paraître, l’attachement des Britanniques à leur monarchie est inoxydable. Symbole au charme désuet, la reine est dotée de pouvoirs institutionnels, mais aussi de réels pouvoirs politiques, dont elle n’abuse jamais. Garante des institutions, des traditions et de la stabilité du Royaume-Uni et très au fait des affaires du pays, Elizabeth II préfère œuvrer en coulisse, en prodiguant conseils et mises en garde. En public, en revanche, elle a fait sienne la devise de son aïeule Victoria : « Never complain, never explain » (« ne pas se plaindre, ne pas expliquer ») — ce qui n’est visiblement pas le cas de ses descendants… Pour comprendre les motivations de la souveraine et celles de sa famille, le commun des mortels devait jusqu’ici se contenter de décrypter les sourires de façade des photos officielles et les rumeurs propagées par les tabloïds. C’est pourquoi The Crown déchaîne les passions. Grâce à la série, on a l’impression d’être une petite souris qui se serait introduite dans le palais. Alors certes, tout aussi remarquable qu’il puisse être, ce portrait intime de la reine et des membres de sa famille n’est pas infaillible, et le show s’écarte parfois du factuel. The Crown n’est pas un documentaire. La réalité nourrit une fiction qui se veut romanesque et palpitante. Et c’est le cas. Son créateur, Peter Morgan, est un spécialiste du genre. On lui doit les scénarios de The Queen, Le dernier roi d’Écosse, Deux sœurs pour un roi ou Frost/Nixon, l’heure de vérité… Certains dialogues ont été purement imaginés, des raccourcis ont été empruntés, mais tout cela reste plausible. Corentin Lamy, Joffrey Ricome et Pierre Trouvé, dans leur récent ouvrage fort enrichissant The Crown, le vrai du faux (publié chez Gründ) ont décrypté chaque épisode des trois premières saisons. Ils ont confronté la série à des archives historiques écrites, photographiques et filmées. Leur constat :

« Les arrangements avec l’Histoire, les manipulations de la chronologie et même des contre-vérités sont réguliers dans The Crown. »

Mais ils écrivent aussi :

« Nous avons dû convenir qu’à bien des égards, la série, truffée de détails plus vrais que nature et de clins d’œil pour les connaisseurs, arrive à dépeindre, si on accepte de prendre de la hauteur, des tableaux très justes de ses personnages. »

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : s’éloigner un peu pour approcher au plus près de ces figures énigmatiques et donner un sens à ce qui pourrait apparaître comme absurde. Quoi qu’elle en pense, la reine sort grandie de cette série (sauf en ce qui concerne ses rapports avec Diana, où sa froideur légendaire tend à la cruauté). Le show la montre assumant avec une dignité à toute épreuve le poids de la couronne, tenant à bout de bras une famille pétrie de névroses et de griefs. Sont mis en exergue son intelligence, son humour pince-sans-rire, son humanité et sa combativité. À ce titre les échanges avec Winston Churchill et Maggie Thatcher sont un régal, et ce n’est pas un hasard si ces scènes figurent parmi les plus réussies. La première inspiration de Peter Morgan est en effet la pièce à succès qu’il avait écrite en 2013, The Audience, dans laquelle il mettait en scène les entretiens hebdomadaires entre la reine (incarnée dans la production originale par Helen Mirren) et ses Premiers ministres successifs. On sait gré à Morgan et son équipe de ne jamais sombrer dans le manichéisme. Ainsi, Margaret, personnage préféré de beaucoup de fans de The Crown et brillamment campée par Vanessa Kirby puis Helena Bonham Carter, suscite une empathie immédiate. Mais elle est autant dépeinte comme une victime (d’un amour et d’un destin contrariés) que comme une enfant gâtée constamment insatisfaite.

 

Reconstitution flamboyante

 
On apprend une foule de choses sur l’histoire du Royaume-Uni et les secrets de la Couronne, et visuellement, la série impressionne. La reconstitution est flamboyante. On est constamment ébloui par les décors, les costumes (la robe du mariage de Elizabeth II a été reproduite avec un soin méticuleux), les chansons d’époque qui soulignent les changements de décennies (les standards du jazz cèdent la place à David Bowie, The Cure, Elton John…), mais aussi par les décors naturels (les séquences en Écosse donnent envie d’acheter un billet d’avion illico). La distribution est un sans-faute qui rappelle que l’Angleterre et l’Irlande sont un vivier d’acteurs extraordinaire (on reconnaît au fil des quatre dernières saisons Jeremy Northam, Matthew Goode, Matt Smith, Tobias Menzies, Ben Miles, Greg Wise, Charles Dance, Colin Morgan, Tom Burke, Derek Jacobi, Stephen Dillane, Harry Treadaway — frère jumeau de Luke — Pip Torrens…). OK ! John Lithgow, l’interprète de Winston Churchill, est américain, mais on lui pardonne tant il est bon. Quant à la reine, elle brille grâce à ses deux interprètes surdouées : Claire Foy puis l’oscarisée Olivia Colman qui excellent toutes deux à restituer la fameuse « retenue » de la souveraine. Dans son livre
L’Angleterre en séries (First Editions), Ioanis Deroide rapporte qu’Olivia Colman a changé d’opinion sur la reine depuis qu’elle l’a incarnée, et la considère même désormais comme « la féministe ultime ».

 

La BBC en question

Les aficionados de séries anglaises ont pu légitimement se demander pourquoi un tel programme avait atterri sur Netflix et non pas sur la vénérable BBC, un temps intéressée ? Le producteur exécutif Andy Harries s’en est expliqué dans une interview parue dans le magazine britannique Radio Times. Il s’avère que non seulement le budget (faramineux) aurait posé problème, mais la proximité entre la chaîne historique anglaise et le palais de Buckingham aurait peut-être fait obstacle à certains passages « sensibles » (les épisodes concernant la Princesse Diana notamment). Avec Netflix, pas de censure et donc davantage de liberté de création.

 

Le prestige de la Couronne

Nul doute que la série fera date. Depuis sa création en 2016, elle croule sous les récompenses (dix Emmy Awards, sept Golden Globes…). Le 28 février dernier, les impressionnants Josh O’Connor (le jeune prince Charles), Emma Corrin (Diana) et Gillian Anderson (Margaret Thatcher) et ont été couronnés pour leurs performances respectives dans la saison 4 et la série raflait pour la deuxième fois le Golden Globe de la Meilleure série dramatique.

 

La suite

The Crown devrait revenir pour deux saisons (couvrant les décennies 1990-2000 et 2000-2010) et ne devrait donc pas arrêter de surprendre. La cinquième, annoncée pour 2022, verra l’arrivée d’Imelda Staunton dans le rôle de la reine, et de Lesley Manville dans celui de Margaret. Le duc d’Édimbourg sera campé par Jonathan Pryce et la princesse Diana par Elizabeth Debicki. En attendant, les fans peuvent se plonger dans les deux ouvrages précités riches d’enseignements, des outils idéaux pour distinguer le vrai du faux.

 

Top 5

Chaque épisode de The Crown étant presque un film à part entière, voici mes cinq préférés jusqu’ici :

1 – Aberfan, réalisé par Benjamin Caron (Saison 3, épisode 3), qui retrace de manière bouleversante la catastrophe survenue au Pays de Galles en 1966. L’échange entre le Premier Ministre de l’époque, Harold Wilson (Jason Watkins), et la reine, accusée par l’opinion de manquer de compassion, est remarquable.

 

2 – Tywysog Cymru, réalisé par Christian Schwochow (saison 3, épisode 6), se penche sur le séjour forcé du Prince Charles à Aberystwyth, au Pays de Galles, où il est très fraîchement accueilli avant de se lier d’amitié avec son tuteur, campé par l’excellent Mark Lewis Jones, natif du cru.

 

3 – Assassins, réalisé par Benjamin Caron (saison 1, épisode 9), pour la performance de John Lithgow, impérial en Winston Churchill qui se fait peindre le portrait et n’apprécie guère ce qu’il voit.

 

4 – Act of God, réalisé par Julian Jarrold (saison 1, épisode 4), pour la reconstitution très impressionnante de ce qu’on a appelé « Le grand smog de Londres » en décembre 1952.

 

5 – War, réalisé par Jessica Hobs (saison 4, épisode 10), la dernière confrontation entre Maggie Thatcher et la reine est truculente. De leur côté, Diana et Charles tombent les masques, ce qui vaut de belles performances de la part d’Emma Corrin et Josh O’Connor.

REGARDER LES CÉSAR QUOI QU’IL EN COÛTE

« Au début on l’a appelé “le Covid”, mais quand on a compris que ce serait très très long et très très chiant, on l’a mis au féminin. »

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CÉSAR 2021

« Pourquoi moi pour présenter les César ? Cinq nominations, zéro César. C’est quand même un peu sadique de me le proposer, et c’est carrément maso d’accepter. Mais bon, je suis actrice, donc en même temps j’ai un respect de moi-même assez limité. Mais c’est maso. C’est comme avoir une pharmacienne à la culture en temps de pandémie. »

Si quelques vannes méritent d’être relevées, tout ça n’était pas classe et avait un goût amer. Marina Foïs, aidée (ou pas) par les textes trash et cash de Laurent Lafitte et Blanche Gardin, a tenté de donner du peps à une cérémonie forcément singulière (cent cinquante nommés répartis dans la salle de l’Olympia, qui en contient deux mille…). Mais, en dépit de sa jolie robe à paillettes signée Nicolas Ghesquière pour Vuitton, on a compris dès son entrée en scène (elle a ramassé une crotte qui aurait été oubliée par le chien de Florence Foresti) que d’élégance, il n’y aurait point.

En fait, on n’était pas là pour parler de cinéma…

« Comme Dieu merci, à Noël, les salles de spectacles étaient fermées, il y avait moins de flux de gens. On a donc pu organiser des gros flux dans les grands magasins et les centres commerciaux… Tout ça pour soutenir le personnel soignant et pour qu’il y ait du monde en réa. Parce que quoi de plus triste qu’un lit vide ? C’est comme une salle vide pour un artiste. »

Sur la scène de l’Olympia, en cette 46e cérémonie des César présidée par Roschdy Zem (meilleur acteur qu’orateur) et organisée par une nouvelle Académie a priori plus démocratique, l’heure n’était plus à la charge contre Roman Polanski, ni à la défense de la parité ou de la diversité (sauf pour Jean-Pascal Zadi, dans un discours très politique, avec une volonté assumée de vouloir « foutre la merde »), mais à la dénonciation de l’impact des mesures sanitaires sur le monde de la culture. La réouverture des salles se faisant attendre, Marina Foïs et bien d’autres intervenants y sont allés de leurs revendications, avec plus ou moins d’esprit. C’est un fait, le secteur de la culture est en détresse, et beaucoup de situations, dont celle des intermittents, sont alarmantes. Mais on préfèrera retenir le discours d’Anny Duperey (formidable dans la récente série La faute à Rousseau) au numéro « malaisant » de l’insoumise Corinne Masiero. L’interprète du Capitaine Marleau s’est entièrement dénudée, dévoilant sur son corps, côté face, l’inscription « No culture, No futur » (avec une faute donc…) et, côté pile, « Rend nous l’art, Jean ! » (avec une autre faute…). Juste avant, elle était apparue dans le costume de Peau d’âne, portant en dessous une robe ensanglantée, et arborant deux Tampax usagés en guise de boucles d’oreilles, recyclant, quarante-cinq ans plus tard et probablement sans le savoir, le moins relevé des gimmicks punk. À Marina Foïs qui s’étonnait (faussement ou pas) de l’accoutrement, elle a répondu avec mépris : « Pourquoi tu dis que c’est dégueu, t’es vegan ? » Ces derniers ont dû apprécier…

« J’ai une idée étrange qui m’est passée par l’esprit en coulisses. Je me suis dit que c’était extraordinaire quand même que ces derniers mois il y ait tellement de nos grands, de nos aînés, qui soient partis quasiment en même temps. Tous les copains d’ Un éléphant ça trompe (énormément NdlR), Jean-loup, Jean-claude, Bacri, tout ça… Quelle que soit la cause de leur mort, m’est venue l’idée saugrenue qu’ils avaient quelque part choisi de ne pas voir ce qu’on vit. Alors Roselyne, je pense qu’il va falloir se battre plus fort pour nous, avant qu’ils se tirent tous ! »

A noter que la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a été interpellée maintes fois au cours de la soirée et rhabillée pour l’hiver, mais elle n’était pas présente dans la salle (seulement en coulisses).

Séquence émotion

 

Heureusement, les César, c’est aussi la nostalgie. Le choix de l’affiche en disait déjà long. Les séquences consacrées aux disparus de 2020 ont non seulement insufflé de l’émotion à une soirée militante, mais rappelé que le cinéma français pouvait avoir de la gueule. On a frémi à l’apparition de Jean-Pierre Bacri en personnage animé, lauréat d’un César d’honneur posthume, assis dans le public, mais aussi durant les hommages à Claude Brasseur, Caroline Cellier, Michel Piccoli, Jean-Claude Carrière (par un Louis Garrel très ému), à Ennio Morricone par l’orchestre dirigé pour l’occasion par Benjamin Biolay, plus dandy que jamais, qui a plus tard interprété avec sa classe coutumière « Que reste-t-il de nos amours ? » de Trenet (même si on aurait préféré une chanson de Christophe — un extrait de La route de Salina au hasard —, cinéphile devant l’Éternel, expédié dans le diaporama des disparus).

 

Une pointe de déception

Le moment attendu, la remise du César Anniversaire, nouveauté de 2021, a un peu fait pschitt. Récompensée pour le quarantième anniversaire de la création du fameux café-théâtre de la Porte Saint-Martin, la troupe du Splendid était sur scène et pour l’occasion, Thierry Lhermitte avait revêtu son costume de Le père Noël est une ordure. Mais tout ce petit monde semblait guindé, et bien moins drôle qu’avant. Christian Clavier a glissé :
« Je remercie l’Académie pour cet honneur. Ils se sont quand même débrouillés pour nous le donner l’année où il n’y a personne. Mais enfin bon… »

Gérard Jugnot, sortant un fatras de papiers au moment de prendre le micro a marmonné « Ah non, c’est pas mon discours, ça, c’est mes tests PCR… » et a terminé par un chaleureux :
« Je remercie la chance, le destin, Dieu peut-être, de nous avoir réunis et d’avoir rencontré ces crétins. Et je m’aperçois quand même que nous sommes depuis plus de cinquante ans… cas contact. »

 

PALMARÈS

Avec ses treize nominations, l’épatant Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, d’Emmanuel Mouret partait favori. A mon grand dam, il n’aura pourtant récolté qu’un seul César, celui du Meilleur second rôle féminin, pour la formidable Émilie Dequenne. Comme Été 85 de François Ozon (douze nominations) et Antoinette dans les Cévennes (huit nominations), le film d’Emmanuel Mouret s’est fait coiffer au poteau par Adieu les cons. La fable burlesque et lyrique d’Albert Dupontel a remporté à elle seule sept statuettes dont celles des Meilleur Film, Meilleure réalisation, Meilleur scénario et Meilleur second rôle (pour Nicolas Marié). Le film — que je n’ai l’ai pas encore vu pour cause de pandémie — a également été récompensé par le César des Lycéens, autre nouveauté de cette édition. Dupontel, qui boude les César depuis ses débuts, a brillé par son absence.

 

Le César du Meilleur premier film a récompensé l’audace de Deux, de Filippo Meneghetti, histoire d’amour entre deux femmes d’âge mûr, campées par deux comédiennes exceptionnelles, Martine Chevallier et Barbara Sukowa.

La fille au bracelet de Stéphane Demoustier, frère d’Anaïs (il était en 2014 le réalisateur de l’intéressant Terre battue) a remporté le César de la Meilleure adaptation (d’un thriller argentin, Accusada, de Gonzalo Tobal).

Sans surprise, le César de la Meilleure actrice est allée à la pétillante et sympathique Laure Calamy, héroïne d’ Antoinette dans les Cévennesla comédie rafraîchissante de Caroline Vignal, qui a fait l’unanimité lors de sa sortie, en septembre dernier. Entre rires et larmes, son bonheur faisait plaisir à voir :

« Je repense à la jeune provinciale que j’étais. Je repense au Centre National Dramatique d’Orléans et au cinéma Les Carmes où j’ai eu mes premières émotions, notamment au festival Frank Capra où j’ai découvert La vie est belle. Je pense du coup à ceux qu’on appelait des fous, qui au sortir de la Seconde guerre mondiale, ont décidé de créer la décentralisation et des théâtres dans les provinces pour que l’accès à l’art ne soit pas uniquement parisien. Sans tous ces James Stewart-là, la provinciale que j’étais aurait eu une vie beaucoup plus sinistre. »

 

Le toujours excellent Sami Bouajila, a été récompensé par le César du Meilleur acteur pour son rôle dans Un fils, drame sur fond de terrorisme de Mehdi M. Barsaoui. Il a ému l’assemblée en évoquant l’histoire de son père récemment décédé, originaire de la région de Tunisie où le film a été tourné.

 

La remise du César du Meilleur espoir féminin a été introduite par une vidéo touchante mais non dénuée de cruauté dans laquelle Jean-Louis Trintignant a cité la chanson de Georges Brassens :

« Marquise, si mon visage a quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu’à mon âge, vous ne vaudrez guère mieux…
Le temps aux plus belles choses se plaît à faire un affront
Et saura faner vos roses comme il a ridé mon front. »

La statuette est revenue à la jeune Fathia Youssouf, quatorze ans, pour son rôle dans le sulfureux Mignonnes de Maimouna Doucouré. L’adolescente a invité les jeunes de son âge à « suivre leurs rêves ».

 

Le César du Meilleur espoir est allé à Jean-Pascal Zadi, acteur et réalisateur avec John Wax de Tout simplement noir, phénomène de l’été 2020. Ce faux-documentaire inégal, fichu comme une succession de sketches, était bien plus amusant que le discours du lauréat :

« Quand on parle d’humanité on est en droit de se poser la question si l’humanité de certaines personnes n’est pas souvent remise en cause… Dans cette optique, j’ai envie de parler d’Adama Traoré, de Michel Zecler… »

Et aussi

Le César du Meilleur documentaire a couronné Adolescentes, de Sébastien Lifshitz, déjà distingué en 2013 pour Les invisibles. Le réalisateur a suivi durant cinq ans deux jeunes filles, amies d’enfance. Ce portrait sensible de la jeunesse est aussi la chronique pertinente d’une époque. Dans la foulée, le film a également remporté les César du Meilleur montage et du Meilleur son.

 

Évocation de la fuite des Républicains persécutés par la dictature franquiste, et qui vont se retrouver parqués dans des camps dans le sud de la France, Josep, d’Aurel, a remporté le César du Meilleur film d’animation.

 

Drunk, ou la dérive de quatre potes qui décident de vivre dans l’ivresse, du Danois Thomas Vinterberg (Festen, La chasse…) a raflé le César du Meilleur film étranger.

 

Le César de la Meilleure musique est allé à Rone pour la bande originale planante de La nuit venue, premier long-métrage de Frédéric Farrucci, avec Camélia Jordana et la révélation Guang Huo.

 

Glamour

L’ambiance n’était pas à la fête, et pas sûr que le spectacle ait donné envie d’aller au cinéma. Merci tout de même à Fanny Ardant pour sa fougue, à la charmante Catherine Bozorgan, productrice et compagne d’Albert Dupontel, qui ne s’attendait pas à être la star de la soirée, et à la toujours sublime Virginie Efira, pour avoir mis une touche de glamour dans une soirée qui en était fort dépourvue.

 

En attendant, là-haut, ils doivent bien rigoler…

Crédits photos : Villiard-Pool/Sipa, Canal+, Getty Images