UNE BATAILLE APRÈS L’AUTRE

Le film de l’année ! Après Darren Aronofsky et son Pris au piège inattendu, le réalisateur de Magnolia ou There Will Be Blood passe à son tour à l’action. Cette adaptation ambitieuse et très libre du Vineland de Thomas Pynchon, écrivain américain dont le cinéaste avait déjà porté à l’écran Inherent Vice, est un monument. Confirmation, donc et si besoin était, que Paul Thomas Anderson est bien l’un des plus grands réalisateurs actuels.(Pas de spoilers dans cet article.)

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« You know what freedom is ?
– No
– No fear. Just like Tom fucking Cruise. »

  

UNE BATAILLE APRÈS L’AUTRE
(One Battle After Another)

Paul Thomas Anderson
2025
Dans les salles françaises depuis le 24 septembre 2025

Au poste de passage de la frontière mexicaine, le groupe révolutionnaire French 75 mène une action pour libérer les immigrants détenus en captivité par les militaires américains. La mission est réussie mais la sauvage leader du groupe, Perfidia Beverly Hills (Teyana Taylor), s’amuse à humilier sexuellement le Colonel Lockjaw (Sean Penn). Ce dernier va nourrir pour elle une véritable obsession. Seize ans après, la traque du colonel va le mener jusqu’à la progéniture de Perfidia, Willa (Chase Infiniti), qui vit cachée avec son père, Bob Ferguson (Leonardo DiCaprio), l’ancien expert en explosifs des French 75, aujourd’hui désabusé et accro à la fumette…

Pour protéger son enfant, il est prêt à tout. Et pourtant, Bob Ferguson, depuis qu’il est rangé des voitures, est sacrément à la ramasse. Le cœur du film est là, dans la manière foutraque dont ce personnage totalement dépassé par les événements va reprendre du service pour sauver sa progéniture. Toutefois, ce n’est pas l’aspect qui semble intéresser le plus la sphère médiatique, qui depuis la sortie du thriller, met en avant l’intention politique, que par ailleurs le réalisateur réfute. Et la polémique de battre son plein. Une bataille après l’autre est gauchiste pour les uns — la sympathie va inévitablement aux révolutionnaires —, de droite pour les autres — on dénote une certaine ironie dans la peinture des insurgés, aux noms fleuris et dont l’organisation emprunte le sien à un cocktail français —, et raciste pour les noirs américains qui fustigent l’usage abusif de « pussy ». Bien sûr, le parallèle avec la politique anti-immigration de Trump est évident et le portrait des suprémacistes blancs n’a rien de fortuit. Même Sean Penn force à mort le trait. C’est délibéré. Ce combat entre le bien et le mal se veut avant tout un conte. Il est basé sur le roman Vineland, de Thomas Pynchon, déjà un savant mélange des genres (satire politique, uchronie, polar, drame…) auquel Paul Thomas Anderson a mêlé une flopée d’éléments qu’il gardait dans ses tiroirs depuis longtemps. Il y a du romantisme comme du désenchantement dans cette ode à la contestation, à la fraternité, à la solidarité, et les personnages ont souvent plusieurs facettes.

La virtuosité de la mise en scène laisse sans voix. Rares sont les films où le rythme ne faiblit jamais. Dès le premier plan, on est emporté par une tornade, et on ne verra pas passer les deux heures quarante. Impressionnante, absurde et souvent très drôle, cette odyssée survoltée est portée par un sensationnel Leonardo DiCaprio, dont le personnage, entre le Dude de The Big Lebowski et Boba Fett de Star Wars, arbore constamment une robe de chambre miteuse façon cape de super-héros. Le talonnant, Benicio Del Toro, dans le rôle du bon samaritain, est grandiose, et Chase Infiniti, en adolescente futée, une révélation. Le film regorge de séquences extraordinaires (la fuite des skaters sur le toit, la vertigineuse poursuite en voiture dans le désert californien…), jusqu’au plan final, sublimement émouvant. On en sort avec une furieuse envie d’y retourner.
2 h 41 Et avec Regina Hall, Alana Haim, Shayna McHayle, Tony Goldwyn, April Grace, Kevin Tigue, Luis Trejo…

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REPTILE, grand Benicio Del Toro

Sur Netflix depuis quelques jours, ce film noir à la croisée de True Detective et du cinéma de David Fincher est une excellente surprise. Il réunit, entre autres, Justin Timberlake, Alicia Silverstone, Michael Pitt, Frances Fisher, et surtout, il offre à Benicio Del Toro (coscénariste et producteur exécutif ici) l’un de ses meilleurs rôles à ce jour. (pas de spoiler dans cette chronique)

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« On mise sur qui pour l’ADN ?
– Je suis sur le petit ami.
– Moi je dirais sa copine.
– Je mise sur le taré.
– Moi je vais parier sur l’ex-mari… »

 

REPTILE

Grant Singer
2023
Disponible depuis le 29 septembre sur Netflix

À Scarborough, dans le Maine, le corps d’une jeune et jolie agent immobilier (Mathilda Lutz) est découvert par son petit ami et employeur (Justin Timberlake) dans une maison vide dont elle s’occupait de la vente. Elle a été atrocement massacrée. L’inspecteur chargé de l’affaire, Tom Nichols (Benicio Del Toro), un flic chevronné et retors, soupçonne tout l’entourage de la jeune femme. Cette affaire, complexe et dangereuse, va avoir des répercussions sur sa propre vie…

Le film noir inspire les jeunes cinéastes. Tout comme Shane Atkinson (LaRoy) et Rod Blackurst (Blood For Dust) applaudis au festival de Deauville dernier, Grant Singer (sans lien de parenté avec Bryan Singer) a une fascination pour le genre. Découvert à Toronto en septembre, le premier long-métrage de ce jeune réalisateur qui a fait ses classes dans le clip vidéo (pour Shawn Mendes, Sam Smith, The Weeknd…) vaut indéniablement le détour. D’abord pour sa distribution, étonnante : elle est constituée d’une brochette de seconds couteaux talentueux (Eric Bogosian, Frances Fisher, Domenick Lombardozzi, Ato Essandoh…) et de quasi-revenants (Michael Pitt et Alicia Silverstone, excellents tous les deux). Tous gravitent autour d’un Benicio Del Toro impressionnant. L’acteur portoricain fascine dans la peau de ce flic usé, malin, mais hanté par un passé compromettant. Tom Nichols a quelque chose d’un animal blessé. Homme de peu de mots, il a le sarcasme facile et le comportement parfois fantasque. Il est donc imprévisible. Car Reptile est bien plus qu’un thriller. Grant Singer voue un culte à In The Bedroom (2001), un polar chargé d’atmosphère, dont les personnages forts crèvent l’écran. Le réalisateur a cherché à imprégner son film de ce même sentiment qu’il a éprouvé jeune devant celui de Todd Field. Et comme il aime également les thrillers manipulateurs (ceux d’Hitchcock, de David Fincher…) qui jouent avec les nerfs des spectateurs, la musique on ne peut plus suggestive (elle est signée Yair Elazar Glotman) fait monter la tension et suscite une sensation de danger permanent. Si on peut reprocher quelques flottements dans l’intrigue parfois un peu trop prévisible et les références trop appuyées, l’originalité de la mise en scène, ses petites trouvailles efficaces et la qualité de l’interprétation font de ce Reptile une série B hautement recommandable.
2 h 14 Et avec Karl Glusman, Sky Ferreira, Amy Parrish, Mike Pniewski, Thad Luckinbill…

SICARIO

Jusqu’où peut aller un gouvernement pour combattre le mal ? C’est la question que pose le thriller d’action de Denis Villeneuve, événement cinéma de l’automne, même s’il a fait chou blanc à Cannes, en mai dernier. Le cinéaste canadien, dont la cote a monté en flèche après le très atmosphérique Prisoners entraîne dans l’enfer de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, zone de non-droit régie par les cartels de la drogue. Mise en scène efficace, scènes de bravoure à couper le souffle… Côté formel, Denis Villeneuve chasse sur les terres de Kathryn Bigelow, mais cette démonstration de force lui permet surtout de parler de morale, d’éthique et de la frontière entre le bien et le mal, ici personnifiés par une agent du FBI idéaliste et un consultant au service du gouvernement, au passé et intentions troubles. Un rôle ambigu, incarné par un Benicio Del Toro impérial.

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« You’re asking me how the watch is made. For now, just keep your eye on the time. » 

 

Sicario

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Denis Villeneuve
2015 (projeté en compétition au festival de Cannes 2015 et dans les salles françaises depuis le 7 octobre)

En Arizona, en recherchant des otages, une unité d’élite du FBI découvre de nombreux corps mutilés dans une maison appartenant à narcotrafiquant. Kate Macer (Emily Blunt), l’agent de terrain chargée de l’affaire, se voit aussitôt proposer d’intégrer une cellule d’intervention clandestine dirigée par la CIA et le ministère de la défense, afin d’arrêter le chef du cartel mexicain responsable des meurtres. Mais la jeune femme est vite désemparée par les méthodes de barbouzes du chef de l’opération, l’agent de la CIA Matt Graver (Josh Brolin) et par la personnalité trouble du consultant colombien qui l’accompagne (Benicio Del Toro), d’autant que les deux hommes prennent un malin plaisir à la laisser dans le brouillard…

« Sicario », comme expliqué en préambule de ce film, est l’équivalent de « sicaire » en français, un terme qui remonte à l’antiquité hébraïque et tombé en désuétude, qui signifie « tueur à gages ». Pour des raisons évidentes, il est revanche toujours en vigueur en Italie, au Mexique et en Colombie. Il est aussi au cœur du dilemme posé par le film de Denis Villeneuve. Peut-on, quand on est un représentant de la loi, s’allier avec des tueurs ? Doit-on combattre le mal par le mal, ou comme le souhaite Kate Macer, respecter la morale, coûte que coûte ? A l’idéalisme de la jeune femme, Matt Graver, incarné par un savoureux Josh Brolin, oppose un pragmatisme absolu : la fin justifie les moyens. Cet antagonisme crée une tension palpable entre ces personnages contraints pourtant de s’entendre pour survivre. C’est à travers les yeux de Kate, tenue constamment dans le flou, qu’on découvre l’enfer de Juarez, où la mort peut surgir à chaque coin de rue, ce qui vaut la plus belle des scènes de bravoure du film. La violence est sèche, radicale, mais la mise en scène impressionne autant que le thème anxiogène de la musique de l’Islandais Jóhann Jóhannsson qui accompagne chaque montée de tension (quelque peu inspiré du « Sense Of Doubt » de David Bowie…).

Le chaos ambiant et le caractère hostile de cette région aride sont magnifiquement mis en valeur par la photographie solaire aux couleurs saturées de Roger Deakins, chef opérateur fétiche des frères Coen et déjà à l’œuvre sur Prisoners, qui confère au film, dont on doit le scénario à l’acteur Taylor Sheridan (vu dans Sons of Anarchy), des allures de western moderne. Visuellement, cette immersion dans les opérations de terrain rappelle beaucoup le travail de Kathryn Bigelow (dans Démineurs ou Zero Dark Thirty), laquelle s’embarrasse beaucoup moins de questions morales. C’est d’ailleurs peut-être le point faible du film, qui s’attarde un peu trop sur les questionnements de la naïve Kate, au risque de friser la caricature (la scène finale, elle-même, laisse un peu perplexe… ). Denis Villeneuve a du talent, des obsessions louables, mais parfois aussi des gros sabots. En matière de direction d’acteur en revanche, il excelle. Et plus que la prestation d’Emily Blunt, c’est celle de Benicio Del Toro qui fascine. Aux antipodes de son interprétation haute en couleurs de Pablo Escobar dans le récent Paradise Lost, l’acteur portoricain est ici extrêmement troublant en bête de guerre qui ne dévoile jamais son jeu. Rien que pour lui, le film vaut le détour.
Et avec Daniel Kaluuya, Victor Garber, Jon Berthal, Jeffrey Donovan..

BANDE-ANNONCE

PRISONERS : critique AFAP

 

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