DEAUVILLE 2022 : AFTERSUN/BLONDE/MOONAGE DAYDREAM/WAR PONY etc.

(Click on the planet above to switch language.) 

 

PLACE AUX JEUNES

Après deux ans de pandémie, et avant la nouvelle vague de Covid-19 annoncée, la 48ème édition du festival de Deauville s’est déroulée (le plus souvent) sous un beau soleil de fin d’été, sans port du masque ni fièvre quelconque. Les commerçants et restaurateurs locaux en témoignent : l’effervescence d’antan n’est plus. Pas croisé d’acteurs ou réalisateurs mythiques sur les planches le matin, ni au kiosque à journaux de la rue Eugène Colas. À l’heure de l’apéro, le soir de l’ouverture, on n’a guère vu que Vincent Lindon et Laurent Gerra au Bar du Normandy, tandis que tard dans la nuit, seul Fianso a dansé comme si sa vie en dépendait à l’O2. Rami Malek était venu sans tambour ni trompette accompagner sa compagne Lucy Boynton, invitée d’honneur de la soirée, étoile montante du Nouvel Hollywood. Côté glamour, en attendant Thandiwe (avec un w dorénavant) Newton et Ana de Armas, clone de Marilyn dans Blonde), seules autres têtes d’affiche de l’édition (avec Jesse Eisenberg…), on s’est contenté des membres des jurys, présidés par Arnaud Desplechin pour l’un et Élodie Bouchez pour celui de la Révélation. Et puis, juste avant la cérémonie, on a eu droit à un hommage à feue Olivia Newton-John, via la scène culte de Grease, dans laquelle elle chante avec John Travolta l’impérissable « You’re The One That I Want ».

   Photo AFP/Loïc Venance

Le président Arnaud Desplechin, entouré des membres du Jury de la sélection officielle. De gauche à droite : Sophie Letourneur, Alex Lutz, Léa Drucker, Yasmina Khadra, Pierre Deladonchamps, Marine Vacth et Jean-Paul Civeyrac.

 

Photo Jacques Basile

Le jury de la Révélation : Eddy de Pretto, Agathe Rousselle, la présidente Élodie Bouchez, Yolande Zauberman, Andréa Bescond et Nicolas Pariser

Cette désaffection des stars américaines est-elle imputable à la prestigieuse Mostra de Venise qui se déroule la même semaine, et qui, elle, voit défiler tout le gotha du 7ème art en plus d’accueillir un marché du film ? Ou simplement due à la volonté du directeur Bruno Barde de privilégier le cinéma américain indépendant comme un acte de résistance face à la production des blockbusters ? Il n’en reste pas moins que le festival de Deauville est plus que jamais placé sous le signe de la découverte et de la jeunesse. Et le grand public peut ronchonner — « Mais qui est cette Lucy Boynton ? » a-t-on maintes fois entendu le jour de l’ouverture — les cinéphiles, eux, n’y voient rien à redire.

Photo Jacques Basile
Lucy Boynton (Sing Street, Bohemian Rhapsody…), étoile montante du Nouvel Hollywood

  

PALMARÈS

Des treize longs-métrages sélectionnés pour la compétition par Bruno Barde, se dégageait une thématique récurrente : le passage à l’âge adulte et les tourments qui vont avec. Les femmes étaient également à l’honneur, et dans les films, et dans le palmarès.

  

GRAND PRIX et PRIX DE LA CRITIQUE

AFTERSUN

Charlotte Wells
2022
Prochainement en salles

Fin des années 90. Sophie (Frankie Corio) a onze ans. Ses parents sont séparés. Lors des vacances d’été, Calum, son père (Paul Mescal), l’emmène séjourner dans un club sur la côte turque. Sous le soleil, entre balades et baignades, une tendre complicité s’installe entre eux. Mais Calum, trentenaire dépressif, recèle une part de mystère. Vingt ans après, entre souvenirs et visionnage des films pris sur le vif à l’époque, avec une caméra DV, Sophie tente de concilier le père qu’elle a connu et l’homme qu’il était…

Ce premier long-métrage de l’Écossaise Charlotte Wells (établie aux États-Unis) avait déjà été applaudi au dernier festival de Cannes où il était présenté à la Semaine de la Critique et avait remporté le Prix French Touch du jury. Aftersun ne se dévoile pas immédiatement. Les longs plans fixes du début peuvent même désarçonner. Le contraste entre les séquences de vacances au soleil, anodins, illuminés par l’insouciance de Sophie (magnifique Frankie Corio), et les signes du mal-être de Calum (le Connell de Normal People), crée pourtant un malaise. Au demeurant, rien de spectaculaire. Ce sont pourtant ces petites touches insidieuses qui composeront les indices pour la Sophie adulte. Elle traquera les failles dans ces films de vacances, en apparence idylliques, pour tenter de reconstituer la figure de son père. Cette œuvre autobiographique, intime et poétique joue avec la courbe du temps et la mémoire. Soutenue par une bande-son judicieuse, incluant « Tender » de Blur et « Under Pressure » de Queen et David Bowie (qui génère une scène hallucinante), Aftersun a quelque chose de déchirant, et prend toute sa dimension après sa dernière image.

 

PRIX DU JURY EX-AEQUO et PRIX FONDATION LOUIS ROEDERER DE LA RÉVÉLATION 2022

WAR PONY

Gina Gammell et Riley Keough
2022
Prochainement en salles

Dans la réserve amérindienne de Pine Bridge (Dakota du Sud), un jeune homme et un gamin de douze ans, tous deux issus de la tribu Oglala Lakota, tentent de se sortir, chacun à sa façon, de la misère…

Caméra d’or du dernier festival de Cannes (qui récompense les premiers films), cette œuvre de Gina Gammell et l’actrice Riley Keough (petite-fille d’Elvis Presley) séduit par son aspect naturaliste. Les comédiens sont tous des débutants (excepté Ashley Shelton), comme l’a expliqué Gina Gammell présente à Deauville lors du débat qui a suivi la projection. Les multiples répétitions (les dialogues très écrits) ont permis à ceux-ci d’obtenir une aisance manifeste devant la caméra, au point qu’ils semblent ne faire qu’un avec leur personnage. L’idée du film a germé dans le cerveau des réalisatrices amies d’enfance après que Riley Keough a rencontré des figurants amérindiens sur le tournage d’American Honey, d’Andrea Arnold, dont elle était l’une des vedettes. Évoquer le quotidien de jeunes dans une réserve indienne et rendre compte de la réalité de cette Amérique invisible est ensuite devenu un projet collectif. Tournée quasiment exclusivement dans la réserve de Pine Bridge avec les Amérindiens qui y vivent, cette chronique met en exergue la ghettoïsation de ceux-ci, déchirés entre leur envie de partager le rêve américain réservé aux blancs, et celui de préserver coûte que coûte leurs traditions ancestrales. Un peu naïf et pas toujours subtil, ce portrait croisé remporte l’adhésion grâce à la fraîcheur de ses comédiens, justes et touchants.
1 h 54 Et avec Iona Red Bar, Jojo Bapteise Whiting, Robert Stover, Sprague Hollander, Jesse Schmockel, Ladainian Crazy Thunder… 

 

2ème PRIX DU JURY

PALM TREES AND POWER LINES
De Jamie Dack avec Lily McInerny, Gretchen Mol, Emily Jackson, Jonathan Tucker…


Une adolescente un peu paumée s’éprend d’un homme deux fois plus âgé qu’elle qui l’éloigne peu à peu de sa famille. Elle va découvrir que les intentions de ce dernier ne sont pas aussi innocentes qu’elle le pensait. (prochainement)

PRIX DU PUBLIC DE LA VILLE DE DEAUVILLE

EMILY THE CRIMINAL
De John Patton Ford avec Aubrey Plaza, Theo Rosso, Gina Gershon…


Parce qu’elle croule sous les dettes et la malchance, une jeune femme rejoint un réseau d’arnaqueurs à la carte de crédit et plonge dans le milieu criminel de Los Angeles… (prochainement)

PRIX D’ORNANO-VALENTI (qui récompense un premier film français)

FALCON LAKE
 De Charlotte Le Bon avec Joseph Engel, Sara Montpetit, Monia Chokri…


Une histoire d’amour et de fantômes entre Stand By Me et A Ghost Story… Un teen moviedéjà acclamé au festival de Cannes dernier. Sortie le 22 décembre.

 

*********************

 
AUTRES FILMS

 

PREMIÈRE
OUVERTURE DU FESTIVAL DE DEAUVILLE

« Which one of you is Jane ?
– We all Jane ! »

CALL JANE

Phyllis Nagy
2022
Prochainement dans les salles françaises

Dans les années 60, Joy (Elizabeth Banks), femme au foyer, mariée et mère d’une adolescente, tombe enceinte. Son gynécologue lui apprend que cette grossesse peut provoquer chez elle une insuffisance cardiaque potentiellement mortelle. L’avortement étant illégal, et la commission de l’hôpital lui refusant une intervention exceptionnelle, Joy n’a pas d’autre choix que de contacter un groupe pratiquant des avortements clandestins…

On ne peut s’empêcher de penser au récent L’événement, adapté du livre d’Annie Ernaux, qui aborde le même sujet, à la même période, en France. La manière de le traiter est cependant aux antipodes. Autant le film d’Audrey Diwan apparaît dur, viscéral et engagé, autant celui de Phyllis Nagy, scénariste du Carol de Todd Haynes, semble lisse. L’épreuve de l’avortement ressemble ici à une promenade de santé, et le parcours de l’héroïne (fictive, elle), pourtant assez édifiant, est un peu trop « aisé ». Call Jane croule sous ses bonnes intentions. Le réseau Jane a réellement existé (un documentaire HBO lui a récemment été consacré) et avec la remise en question du droit à l’avortement aux États-Unis, cette piqûre de rappel n’a rien de superflu. Si Elizabeth Banks et Sigourney Weaver font le job, on regrette cependant que les personnages incarnés par Kate Mara, Chris Messina et Cory Michael Smith, en médecin douteux, ne soient pas davantage exploités.
2 h 01 Et avec Evangeline Young, Wunmi Mosaku, Rebecca Henderson, Grace Edwards…

 

*********************

PREMIÈRE

« Like sometimes I feel like world would be a better place if people just chilled out and listened to music… you know ? »

WHEN YOU FINISH SAVING THE WORLD
Jesse Eisenberg
2022
Prochainement dans les salles

Evelyn (Julianne Moore) est directrice d’un foyer pour femmes battues. Elle qui passe ses journées à se dévouer pour les autres, a du mal à communiquer avec son lycéen de fils. De fait, Ziggy (Finn Wolfhard), forcément musicien, passe son temps libre devant son ordinateur à jouer ses chansons sur sa chaîne Youtube, en ne pensant qu’à se faire de l’argent et à augmenter son nombre de followers

Au début, on frise l’agacement. Le premier long-métrage du comédien Jesse Eisenberg, nerd par excellence, a tous les tics du film indépendant américain. Et puis, on finit par tomber sous le charme de ce tandem improbable, mère et fils d’une famille de la middle class, en totale discordance. Julianne Moore, démocrate jusqu’au bout des ongles, est touchante dans la peau de cette femme maladroite, qui en fait trop à force de vouloir bien faire, et Finn Wolfhard (le Mike de Stranger Things) est impérial en ado satisfait de lui, en décalage avec les siens et souvent à côté de la plaque dans les relations sociales. À l’image de son titre, il émane de cette comédie douce-amère une ironie exquise. Le conflit des générations s’exprime ici sans bruit, à coups de railleries et de piques, mais il n’en est pas moins douloureux. Ziggy est le symbole d’une jeunesse décomplexée, narcissique, qui fait fi de la culture, de la politique et de l’histoire. C’est la lycéenne dont il est tombé amoureux, engagée elle, qui va se charger de le remettre à sa place. Tout cela génère des scènes hilarantes et bien pensées. Mine de rien, le premier film de Jesse Eisenberg est une réflexion drôle, intelligente et subtile, sur notre époque.
1 h 28 Et avec Billy Bryk, Jay O’Sanders, Alisha Boe, Jack Justice…

*********************

PREMIÈRE

« Most folks they handle this sort of things amongst themselves.
– I guess I’m not most folks. »

GOD’S COUNTRY

Julian Higgins
2022
Prochainement en salles

Depuis la mort récente de sa mère, Sandra Guidry (Thandiwe Newton), professeur d’université dans une petite ville du Montana, vit seule dans une maison isolée dans la montagne. Un matin d’hiver glacé, elle découvre un pickup garé sur sa propriété. Elle attend le retour des deux hommes, des chasseurs, pour leur demander de choisir un autre endroit pour pratiquer leur activité. La confrontation, houleuse, va déclencher les hostilités…

Il y a beaucoup de similitudes dans ce premier long-métrage de Julian Higgins avec le As Bestas de Rodrigo Sorogoyen. Ici, c’est une femme noire, étrangère à la région, qui doit livrer un bras de fer à des autochtones bas du front, dont l’un est une véritable fripouille. Comme dans le film franco-espagnol, la police est incapable de gérer la situation, faute de moyens et de véritable envie. L’héroïne de la série Westworld, sourcils froncés et visage dur, impressionne dans ce rôle de femme courageuse et déterminée, malgré les obstacles, à faire valoir ses droits. Au fil des événements, on découvre le passé de Sandra, qui éclaire sur son caractère farouchement pugnace. Souvent prévisible, ce western moderne tient en haleine jusqu’à la fin inattendue et moralement discutable.
1 h 42. Jeremy Bobb, Joris Jarsky, Jefferson White, Kai Lennox, Tanaya Beatty…

*********************

PREMIÈRE MONDIALE

BLOOD

Brad Anderson
2022
Prochainement

Jess Stoke (Michelle Monaghan), infirmière récemment séparée, s’installe dans l’ancienne ferme de ses parents, à l’écart de la ville, avec Tyler, sa fille adolescente, et Owen, son fils de huit ans. Un soir, leur chien est attiré par quelque chose dans la forêt alentour et disparaît. Quelques jours après, il ressurgit et se jette sur Owen, en le mordant sauvagement. À l’hôpital, l’enfant est sauvé de justesse. Victime d’une infection inconnue, il voit son état se dégrader. Jess ne va pas tarder à découvrir le remède, qui va l’entraîner dans une spirale infernale…

Que ne ferait pas une mère pour sauver son enfant ? On ignore si le film de Brad Anderson, qu’on a connu plus malin (il est le réalisateur de l’étonnant The Machinist, avec Christian Bale) se veut une métaphore, mais ce film d’horreur sanguinolent joue tellement la surenchère qu’il laisse le spectateur sur le bord de la route. On ne ressent aucune empathie pour cette héroïne en perdition, dont les agissements sont de plus en plus incohérents. Michelle Monaghan, l’actrice douée de Kiss Kiss Bang Bang et reléguée aujourd’hui à la série B, met pourtant du cœur à l’ouvrage. Mais malgré quelques scènes et visuels bien flippants, l’aspect fantastique de Blood n’est pas exploité et les ressorts du mal ne sont jamais véritablement explorés. Quant à la scène finale post-générique, elle suscite davantage d’hilarité que d’effroi.
1 h 48. Et avec Skeet Ulrich, Finlay Wojtak-Hissong, June B. Wilde, Skylar Morgan Jones…

*********************

COMPÉTITION

 OVER/UNDER

Sophia Silver
2022
Prochainement

Été 2022, Violet (Emajean Bullock) et Stella (Anastasia Veronica Lee) ont neuf ans et sont inséparables. Elles jouent dans les vagues, attrapent des papillons, adressent des vœux aux fées et espionnent les nudistes des plages voisines. Mais avec la rentrée, la réalité et ses petits désagréments les éloignent. Et les étés suivants, entre les garçons, les crises familiales et le désir de s’intégrer, les adolescentes vont voir leur belle amitié ébranlée…

Judicieux, le titre se rapporte au jeu des jeunes héroïnes dans les vagues. Ce récit initiatique, véritable ode aux amitiés d’enfance, est celui qu’a vécu la réalisatrice. Elle était d’ailleurs présente lors du débat qui a suivi le film, avec l’amie qui a inspiré le rôle de Stella. Ce film à la fois simple et subtil évoque la période délicate du passage à l’adolescence, où la magie de l’enfance s’efface peu à peu. Rien de spectaculaire, les filles sont issues de familles de la classe moyenne, et sont plutôt choyées. D’une grande délicatesse, Over/Under tire sa grâce de la présence de ses deux jeunes actrices sensationnelles, très justes.
1 h 28. Et avec Adam David Thompson, Madeline Wise, Brandon Keener, Christiane Seidel…

*********************

COMPÉTITION

PEACE IN THE VALLEY

Tyler Riggs
2022
Prochainement dans les salles

Ashley Rhodes (Brit Shaw), son mari John (Michael Abbott Jr) et leur fils de dix ans font leurs courses dans un petit supermarché lorsqu’un homme armé fait irruption et tire à l’aveugle sur les clients. John, vétéran de l’armée devenu pompier, met sa femme et son fils à l’abri avant de revenir stopper le tireur. Il meurt dans l’assaut. Cette action héroïque ne donne que peu de réconfort à Ashley, qui se noie dans le chagrin et délaisse son fils, qui manifeste soudainement un intérêt pour les armes…

Contrairement à ce que son titre, emprunté à une chanson de Johnny Cash, suggère, Peace In The Valley n’aborde jamais frontalement la question de la violence ni du penchant de l’Amérique pour les armes à feu. Le premier film de l’acteur Tyler Riggs explore surtout les tourments d’une jeune veuve d’un héros qui ne parvient pas à faire son deuil. Submergée par la peine et la colère, Ashley va sombrer jusqu’à toucher le fond, négligeant le chagrin de son fils. La présence du frère jumeau de son époux apporte un trouble et une tension qui hélas ne font pas beaucoup évoluer l’intrigue. C’est pourtant dans le refus du spectaculaire que ce drame psychologique, plutôt juste, fait mouche. Il a aussi le mérite de révéler une actrice magnifique, Brit Shaw, bouleversante.
1 h 28 Et avec Michael Abbott Jr, William Samiri, Dendrie Taylor…

*********************

COMPETITION

« I think you might be a bad influence on each other.»

THE SILENT TWINS

Agnieszka Smoceyńska
2022
Prochainement dans les salles

Au début des années 70, au Pays de Galles, les jeunes June et Jennifer Gibbons, deux jumelles monozygotes totalement fusionnelles, ont décidé de se murer dans le silence. Elles ont fait le pacte de rester muettes, qu’elles soient en famille, à l’école ou dans le monde extérieur. Il n’y a que dans leur chambre, à l’abri des regards, qu’elles s’expriment, et laissent libre cours à leur imagination foisonnante. Le temps passe et leur comportement de plus en plus incontrôlable rend la situation intolérable pour leur famille…

L’histoire vraie et étrange des sœurs Gibbons avait fait en 1986 l’objet d’un livre, Les jumelles du silence, écrit par Marjorie Wallace. L’auteur avait rencontré les protagonistes alors qu’elles étaient pensionnaires du tristement célèbre hôpital psychiatrique de Broadmoor, près de Londres, et avait été émue par leur sort. Dans cette adaptation réalisée par la cinéaste polonaise Agnieszka Smoceyńska, Marjorie Wallace est campée par la toujours excellente Jodhi May. Véritablement tragique, le récit de The Silent Twinsn’est pas une partie de plaisir. Et pour le spectateur, le film a parfois des allures de chemin de croix. Les jumelles enfants sont aussi flippantes que les gamines de Shining et, devenues adolescentes, elles dérangent tout autant. La prestation hallucinée de Tamara Lawrence et Leticia Wright impressionne. Les sœurs s’aiment autant qu’elles se haïssent : leur complicité étant pervertie par la jalousie et la colère qui rongent Jennifer (Tamara Lawrence). Spécialiste de drames psychologiques voire horrifiques, Agnieszka Smoceyńska s’est attachée à juxtaposer le sordide de la réalité avec l’univers fantasmagorique de ces jeunes filles aux tendances psychopathes. Il en résulte des scènes visuellement magnifiques. Si elle charge parfois un peu la mule dans le pathos, la cinéaste ne tente jamais de rendre ses héroïnes « aimables ». Il est donc parfois difficile de ressentir de l’empathie pour ces sœurs tourmentées, qui auraient mérité davantage de considération de la part des institutions qui se sont contentées de leur couper les ailes.
1 h 53 Et avec Jack Bandeira, Nadine Marshall, Treva Etienne, Declan Joyce…

 

*********************

 

LES DOCS DE L’ONCLE SAM

« Ever since I was sixteen, I was determined to have the greatest adventure any one person could ever have. » David Bowie

MOONAGE DAYDREAM

Brett Morgen
2022
Depuis le 21 septembre dans les salles françaises

Une odyssée cinématographique à travers l’œuvre créative et musicale de David Bowie, l’un des artistes les plus prolifiques et marquants de notre époque.

Présenté hors compétition au festival de Cannes dernier, le film de Brett Morgen s’est pris une volée de bois vert de la part d’une grande partie de la critique française, pour le moins divisée. Lors de la projection officielle à Deauville le réalisateur est monté sur scène pour préciser ses intentions : « Vous ne trouverez pas de faits, de dates, mais il y aura beaucoup de David Bowie dedans. » Le cinéaste n’est pas un débutant dans le domaine du documentaire. Il est, entre autres, le coréalisateur avec Nanette Burstein des acclamés The Kid Stay In The Picture, sur le producteur Robert Evans, et de Cobain : Montage Of Heck, portrait intime du leader de Nirvana. Moonage Daydream, dont le titre est inspiré de la chanson homonyme du musicien composée en 1971est une œuvre de commande, à l’initiative du David Bowie Estate (qui gère le patrimoine artistique du musicien). Morgen a eu (quasiment) carte blanche et accès à une montagne d’archives (sélectionnées au préalable quand même). Cinq années de travail auront été nécessaires pour mener à bien ce projet. Il en résulte un film à l’opposé d’un biopic, qui immerge dans l’univers et personnifie l’artiste plus qu’il ne l’analyse. Ceci explique les absences remarquées, à l’écran, de proches cruciaux du musicien (Iggy Pop, Tony Visconti, Ken Scott, Hermione, Angie) qui ont pourtant contribué grandement à son œuvre. Cinéaste intuitif, Brett Morgen propose « sa vision » de David Bowie. Il s’est attaché au génie créatif de l’artiste et à ses obsessions pour le vieillissement et la mortalité, dont découle probablement son besoin de changement continuel. La voix off du musicien est la seule de cette œuvre kaléidoscopique et envoûtante, où s’enchaînent interviews à travers les âges, extraits de films remis en musique (L’homme qui venait d’ailleurs, Furyo…) et de documentaires (et en particulier des fameux Ziggy Stardust And The Spiders From Mars The Motion Picture, de D. A. Pennebaker, ou Ricochet de Gerry Troyna). Finalement peu d’images inédites malgré la durée du film (on aurait souhaité voir davantage de ce que David Hemmings avait tourné en 1978), mais on ne boudera pas son plaisir tant le montage visuel et sonore (supervisé par Visconti) est magnifique.
2 h 14

*********************

PREMIÈRE

« Marilyn n’existe pas. »

BLONDE

Andrew Dominik
2022
Depuis le 28 septembre sur Netflix

De l’enfance difficile de la petite Norma Jean à l’ascension vers la gloire, la vie mouvementée de Marilyn Monroe. Inspiré du best-seller de Joyce Carol Oates, le film brouille la frontière entre réalité et fiction pour explorer le décalage entre l’image publique et la véritable nature de l’icône…

 Je n’ai pas eu la chance de découvrir Blonde à Deauville, où il était présenté quelques semaines avant sa diffusion sur Netflix. C’était peut-être le film dont j’attendais le plus. Sur le papier, l’association du cinéaste néo-zélandais, — réalisateur en 2007 du magnifique L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford — avec l’exquise comédienne cubano-espagnole Ana de Armas et la figure légendaire de Marilyn Monroe, avait de quoi susciter l’enthousiasme. Tout l’été, on avait été bluffé par les photos de l’actrice métamorphosée en Marilyn parues dans la presse. La déception est d’autant plus grande. Le postulat d’Andrew Dominik — explorer la face sombre d’une icône pétrie de traumatismes – était louable. « Comment une enfant non désirée a-t-elle géré le fait de devenir la femme la plus désirée du monde ? » Mais il a beau avoir répété à l’envi qu’il s’agissait d’un anti-biopic, avec une part de fiction, il est impossible pour le spectateur de se détacher de la figure de Marilyn Monroe, actrice au talent sous-estimé, attachante et bouleversante, admirablement incarnée ici par Ana de Armas. Sa performance est tout simplement vertigineuse. La beauté de la photographie (signée Chayse Irvin), des images qui passent de la couleur au noir et blanc ou changent de format, et cette manière de redonner vie aux photos et séquences iconiques, enveloppées par la partition de Nick Cave et Warren Ellis, forcent l’admiration. Tout ça pour quoi ? Non pas pour illustrer la phrase de Madame de Staël : « La gloire est le deuil éclatant du bonheur », mais pour « un film d’horreur onirique » (dixit le réalisateur) dont l’aspect racoleur dérange au plus haut point. Marilyn Monroe est réduite à l’état de victime, de martyr, quand ce n’est pas de traînée, et le film enchaîne les séquences sordides plus ou moins imaginées et assurément fantasmées (on a droit à la caméra placée dans le vagin pendant une IVG, à un dialogue de l’actrice avec son fœtus, à une fellation de JFK d’un glauque absolu…). Triste et morbide d’un bout à l’autre, Blonde s’apparente à un long calvaire (2 h 46 tout de même…), redondant, cauchemardesque et extrêmement pénible, tant on ressent une volonté d’avilir l’icône, comme si elle n’avait pas déjà assez morflé de son vivant. Dans une interview (à Télérama), Andrew Dominik a déclaré qu’avant avoir lu l’ouvrage de Joyce Carol Oates, Marilyn ne l’intéressait pas du tout. Ceci explique peut-être cela.
2 h 46 Et avec Bobby Cannavale, Adrien Brody, Julianne Nicholson, Evan Williams, Xavier Samuel, Tygh Runyan, Lily Fisher…

 

FESTIVAL DU FILM AMÉRICAIN DE DEAUVILLE

Lucy Boynton et Élodie Bouchez, Thandiwe Newton, Brett Morgen, Lucy Boynton (photos Olivier Vigerie)

Merci au groupe Barrière et à la team de Havre de Cinéma (Hélène, Vicky et Ludovic) ❤️

 

DEAUVILLE 2021 Stillwater/City Of Lies/The Card Counter etc.

Côté stars, ce n’était pas l’affluence des grandes années, mais les cinéphiles sont malgré tout venus en nombre découvrir nouveautés et premières de la sélection de Bruno Barde. En cette deuxième année de pandémie, soumise au passe sanitaire et au port du masque, cinquante-trois films étaient proposés, dont treize en compétition. La sélection L’heure de la Croisette, sous l’égide de Thierry Frémaux, a repris quelques œuvres déjà présentées à Cannes, et Fenêtre sur le Cinéma Français a dévoilé, en avant-premières, les productions attendues dans les mois à venir, tel L’amour, c’est mieux que la vie, de Claude Lelouch, annoncé en salle pour le début de l’année prochaine. Le jury de cette 47ème édition était présidé par Charlotte Gainsbourg. Johnny Depp était l’invité d’honneur. Michael Shannon, Oliver Stone et Dylan Penn (fille de Sean et Robin Wright) ont été distingués, et le ciel s’est assombri une seule fois, à l’annonce, le lundi 6 septembre, de la disparition de Jean-Paul Belmondo.

(Click on the planet above to switch language.) 

 

FILM D’OUVERTURE 
PREMIÈRE

 

« You sound very American right now !
– Good ! I am ! »

 

STILLWATER ****


Tom McCarthy
2021
En salles le 22 septembre 2021

Bill Baker (Matt Damon) est foreur de pétrole à Stillwater, Oklahoma. Entre deux contrats, il décide d’aller rendre visite à sa fille, Allison (Abigail Breslin, l’inoubliable héroïne de Little Miss Sunshine), incarcérée au Baumettes à Marseille pour le meurtre de sa colocataire étudiante, avec qui elle entretenait une liaison. Au parloir, la jeune fille, qui clame son innocence, lui donne une lettre en le suppliant de la remettre à son avocate. Bill, qui ne comprend ni ne parle le français, trouve de l’aide auprès de sa voisine de chambre (Camille Cottin) à l’hôtel où il est descendu, une comédienne qui élève seule sa petite fille (Lilou Siauvaud)…

On doit à Tom McCarthy le formidable Spotlight, Oscar du Meilleur film et Meilleur scénario en 2016. L’idée de Stillwater lui traînait alors déjà dans la tête. L’arrivée au pouvoir de Trump et la rencontre de deux scénaristes français lui ont donné l’impulsion qui lui manquait. Si, au départ, Stillwater s’inspire très librement de l’affaire Amanda Knox, survenue à Pérouse en 2007 (l’étudiante américaine avait été accusée du meurtre sauvage de sa colocataire, l’Anglaise Meredith Kercher), qui avait tourné en une incroyable saga judiciaire, le film va bien au-delà du film d’enquête. Mélodrame, thriller, choc des cultures, romance… le mélange des genres fonctionne plutôt bien grâce au scénario très abouti coécrit par TomMcCarthy, Marcus Hinchey et les Français Thomas Bidegain et Noé Debré (collaborateurs de Jacques Audiard). Deux pays, deux visions. Ainsi, si on peut trouver que le personnage du roughneck (à ne pas confondre avec redneck) incarné par Matt Damon, casquette vissée sur les yeux, qui écoute de la musique country et qui donne du « Yes Ma’am » en veux-tu en voilà, sonne un peu cliché, il correspond à une réalité et résulte d’une enquête de terrain réalisée par le cinéaste. Plonger cet homme taciturne dans l’effervescence de la cité phocéenne a forcément quelque chose de savoureux. Camille Cottin, en improbable comédienne de théâtre, bohème et généreuse, est excellente, et la petite Lilou Siauvaud est craquante à souhait. Superbement photographié par Masanobu Takayanagi (Hostiles, Les brasiers de la colère…), Stillwater s’inscrit dans la tradition du grand film populaire. On rit, on s’émeut… Quant à la séquence tournée au stade Vélodrome de Marseille, durant un affrontement OM-Saint-Étienne, rarement ambiance de match de foot n’aura été si aussi spectaculaire au cinéma.
2 h 19 Et avec Moussa Maaskri, Idir Azougli, Anne Le Ny, Deanna Dunagan, Bastien d’Asnières…

*********************

PREMIÈRE 

CITY OF LIES **

Brad Furman
2018
En salles aux États-Unis en mars 2021, paru en DVD en juin 2021 en France

En 2018, le journaliste du Los Angeles Times Jack Jackson (Forest Whitaker) est mandaté pour écrire un article sur le l’assassinat de la star du rap Christopher Wallace, alias The Notorious B.I.G., perpétré en 1997, quelques mois après celui du rappeur concurrent Tupak Shakur. Pour y voir plus clair, il entreprend de rencontrer Russell Poole (Johnny Depp), le policier désormais à la retraite qui a suivi l’affaire à l’époque, et qui, bien décidé à faire éclater la vérité, continue à enquêter officieusement…

Un vrai sac de nœuds ! Adapté de l’enquête du journaliste Randall Sullivan, The LAbyrinth, nominé en 2002 pour le Prix Pulitzer, City Of Lies a vu sa date de sortie repoussée à plusieurs reprises, vraisemblablement à cause des ennuis judiciaires de Johnny Depp. Le film met surtout en évidence les liens pernicieux entre le monde du rap (via le fameux label Death Row Records et son cofondateur Suge Knight) et la police de Los Angeles, alors corrompue jusqu’à l’os. Influencé par le Zodiac de David Fincher, le thriller est ponctué de séquences fortes, comme la reconstitution du meurtre de Biggie, mais les nombreux allers et retours dans le passé, l’incursion de séquences d’archives et la multiplicité des personnages impliqués (on ne sait plus à la fin qui est corrompu ou pas…) finissent par nous laisser au bord du chemin. Le réalisateur Brad Furman a su être bien plus efficace dans La défense Lincoln ou Infiltrator. C’est d’autant plus dommage que Johnny Depp, sobre et excellent, trouve là son meilleur rôle depuis longtemps.
1 h 52 Et avec Toby Huss, Dayton Callie, Shea Whigham, Michael Paré, Xander Berkeley, Peter Greene, Neil Brown Jr, Voletta Wallace…

 

*********************

PREMIÈRE 


« You have to be the stranger poker player I never met.
– Oh you have no idea… »

 

THE CARD COUNTER ****

Paul Schrader
2021
Attendu dans les salles françaises en décembre 2021

Ex-interrogateur militaire à Abou Ghraib, William (Oscar Isaac) a purgé dix ans de prison pour actes de torture. Il y a trouvé une sorte d’apaisement et a appris à compter les cartes. Depuis sa sortie, il va de casino en casino et fait usage de son nouveau savoir-faire au poker, remportant des sommes modestes pour ne pas attirer l’attention. Un jour, un jeune homme (Tye Sheridan) l’aborde et lui demande de l’aide pour se venger du militaire qui a provoqué le suicide de son père. L’instructeur en question (Willem Dafoe) est aussi celui qui a valu à William ses années de prison…

Du Paul Schrader pur jus. Spécialiste des êtres fracassés, hantés par un passé douloureux, en quête de rédemption, le cinéaste habité par la religion, réalisateur, entre autres, d’American Gigolo, Light Sleeper et scénariste de Taxi Driver, brosse à nouveau le portrait d’un homme abîmé. William s’impose au quotidien une routine et une discipline de fer pour ne pas sombrer. Coproduit par Martin Scorsese, le film, presque clinique, épouse totalement l’attitude de son héros, jouant sur la monotonie des décors de casinos interchangeables, des chambres de motels, des routes de nuit. La figure du jeune Cirk comme celle de La Linda (excellente Tiffany Haddish), directrice d’une agence de joueurs de poker avec laquelle William tisse un vrai lien d’amitié, sortent par endroits le film de sa léthargie. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette lancinance, est, dans la forme, magnifique. La musique hypnotique de Robert Levon Been et la photo d’Alexander Dynan y contribuent grandement. Quant à Oscar Isaac, il campe à merveille cet homme solitaire et impénétrable, qui ne dévoile son jeu qu’à la toute fin, inattendue et implacable.
1 h 51 Et avec Bobby C. King, Alexander Babara, Ekaterina Baker…

 

*********************

COMPÉTITION

THE LAST SON **

Tim Sutton
2021
Prochainement

À la fin du XIXe siècle, dans le Montana, Isaac Lemay (Sam Worthington), hors-la-loi vieillissant, réputé pour être l’un des plus grands tueurs d’Indiens et convaincu que le mal coule dans ses veines, est l’objet d’une terrible prophétie de la part d’un chef Cheyenne : il mourra de la main d’un de ses enfants. Pour déjouer le sort, il part à la recherche de ses descendants, avec l’intention de les éliminer, un par un…

Une grosse déception. Tim Sutton (Donnybrook) avait déclaré dans son petit discours de présentation ne pas être particulièrement fan de western. Son envie de filmer des grands espaces lui est venue durant le confinement et à la lecture du scénario de Greg Johnson, sorte de condensé de tous les ingrédients du genre autour du mythe de Cronos. De fait, tous les clichés sont réunis dans The Last Son, sombre, ultra-violent, mais un tantinet inepte. Le suspense autour de la prophétie funeste est désamorcé très vite. Les personnages sont mal exploités (peu de dialogues), et la manière dont le réalisateur filme les scènes clés donne l’impression qu’il n’a jamais vu un western de sa vie (Rio Bravo, au hasard…). Formellement, en revanche, cette chasse à l’homme impressionne. On frissonne devant le spectacle des montagnes enneigées et des paysages glacés. Heather Graham en prostituée au grand cœur, le rappeur Machine Gun Kelly en tueur détraqué et Thomas Jane, en shérif intègre, occupent indéniablement l’écran. Le montage très cut, le rythme dynamique et l’utilisation de la musique, anachronique, accentuent la modernité de ce néowestern cruel, intense, mais qui reste trop maladroit.
1 h 36 Et avec Alex Meraz, Bates Wilder, David Silverman, Kim DeLonghi, Emily Marie Palmer, James Landry Hébert…

 

*********************

COMPÉTITION


« I think there is something in my house. »

 

LA PROIE D’UNE OMBRE (The Night House) ***

David Bruckner
2020
Dans les salles françaises le 15 septembre 2021

Beth (Rebecca Hall) vient de perdre brutalement son mari, dont elle était très amoureuse. Elle se retrouve seule dans la maison isolée qu’il avait construite pour elle, au bord d’un lac entouré de forêts. Une nuit, elle est réveillée par un bruit épouvantable, et sent une présence diffuse dans la maison. Alors que ses amis l’exhortent à ne pas rester seule, Beth commence à fouiller dans les affaires de son défunt époux, résolue à percer le secret de toutes ces manifestations et visions étranges qui l’assaillent…

J’adore mon mari. Malgré tout, s’il prenait l’envie à son fantôme, pour m’interpeller, de mettre sur la platine un morceau de Deep Purple à plein volume à quatre heures du matin, j’apprécierais moyennement la plaisanterie. Pas l’héroïne de ce film, qui persiste à subir la nuit des assauts venus de l’au-delà, pour se rapprocher de l’homme dont elle ne parvient pas à faire le deuil, quitte à prendre des risques inconsidérés. Curiosity kills the cat. La proie d’une ombre, bien mieux servi par son titre original, est le troisième long-métrage de David Bruckner après les horrifiques The Signal et Le Rituel. Son talent pour faire grimper la tension et susciter l’effroi est manifeste. Bien qu’un peu trop tiré par les cheveux (au propre comme au figuré) et particulièrement alambiqué, ce thriller psychologique, truffé de surprises et de chausse-trappes, joue adroitement avec les névroses de l’héroïne, le surnaturel et les codes du film d’épouvante. Rebecca Hall, quasiment de tous les plans, fait une sacrée performance. Il est malgré tout déconseillé de le visionner avant de dormir.
1 h 47 Et avec Sarah Goldberg, Stacy Martin, Evan Jonigkeit, Vondie Curtis-Hall

 

PALMARÈS

Jury présidé par Charlotte Gainsbourg, de gauche à droite : SebastiAn, Marcia Romano,, Delphine de Vigan, Garance Marillier, Charlotte Gainsbourg, Bertrand Bonello, Denis Poldalydès, Fatou N’Diaye , Mikhaël Hers (Photo J.Basile)

GRAND PRIX

Down With The King de Diego Ongaro, avec Freddie Gibbs
Un célèbre rappeur qui a loué une maison isolée pour composer un nouvel album se découvre un goût inattendu pour la vie de fermier. (prochainement)

PRIX DU JURY EX-AEQUO

Pleasure de Ninja Thyberg, avec Sofia Kappel L’histoire d’une jeune Suédoise de vingt ans qui débarque à Los Angeles dans le but de devenir une star du porno. (en salles en octobre 2021)

Red Rocket de Sean Baker, avec Simon Rex Les déboires d’une ex-pornstar désormais désargentée qui revient vivre dans sa ville natale, au Texas (en salles en février 2022) Le film a également reçu le Prix de la Critique

 

Jury de la Révélation présidé par Clémence Poésy. De gauche à droite : Céleste Brunnquell Lomepal, Clémence Poésy, Kacey Mottet-Klein, India Hair (Photo J.Basile)

 

PRIX DU JURY DE LA RÉVÉLATION

John And The Hole de Pascal Sisto avec Charlie Shotwell, Michael C. Hall et Jennifer Ehle

Un gamin de treize ans qui a découvert les restes d’un bunker y tient en captivité ses parents et sa sœur. (prochainement)

 

PRIX DU PUBLIC DE LA VILLE DE DEAUVILLE

Blue Bayou de Justin Chon avec Justin Chon et Alicia Vikander
Un homme d’origine américano-coréenne, élevé dans une famille d’adoption en Louisiane et désormais marié, apprend qu’il risque d’être expulsé. (en salles le 15 septembre 2021)

 

PRIX D’ORNANO-VALENTI

Les magnétiques de Vincent Maël Cardona, avec Thimotée Robart, Marie colomb…
Chronique rock’n’roll de la vie d’une bande de jeunes dans les années 80 (en salles le 17 novembre)

*********************

 

Photo Julien Reynaud/ABACA


Photo AFP

Dylan Penn, Prix du Nouvel Hollywood (Photo Julien Reynaud)

Michael Shannon Photo Le Pays d’Auge/M.-M.Remoleur

Merci au groupe Barrière et à Havre de Cinéma

https://www.havredecinema.fr
https://www.festival-deauville.com

LE SECRET DES KENNEDY (Chappaquiddick)

 

@Olivier Vigerie

Loin du faste d’antan et plus que jamais temple d’une cinéphilie de circonstance, le festival du Cinéma Américain de Deauville a choisi d’ouvrir les festivités vendredi 31 août avec Le secret des Kennedy, une reconstitution de l’affaire Chappaquiddick qui avait coûté la vie à la jeune Mary Jo Kopechne et, à Ted Kennedy, sa candidature à la présidentielle. Jason Clarke en étant l’interprète principal, c’est à lui que le festival a rendu hommage vendredi soir, en lui décernant un Deauville Talent Award. Si son nom est encore inconnu du grand public – et apparemment de Sandrine Kiberlain, Présidente du jury, visiblement très sommairement briefée, qui a éprouvé quelques difficultés en lisant (découvrant ?) le texte d’hommage et notamment les titres de films – le comédien australien remarqué dans Des hommes sans loi, Zero Dark Thirty, Mudbound, HHhH, Everest ou Terminator Genesys possède déjà une solide filmographie. Dans ce film présenté en première française, il endosse avec brio le costume du dernier de la fratrie Kennedy : un biopic pertinent et moins académique qu’il n’y paraît.

 

« My conduct and conversations during the next several hours, to the extent that I can remember them, make no sense to me at all. »
(Ted Kennedy, discours télévisé, 25 juillet 1969)

 

Le secret des Kennedy (Chappaquiddick)

John Curran
2017
Présenté hors compétition, date de sortie française encore inconnue

Le soir du 18 juillet 1969, alors que les Américains et le monde entier ont les yeux tournés vers la Lune, le jeune sénateur Ted Kennedy (Jason Clarke) et sa garde rapprochée participent à une soirée sur la petite île de Chappaquidick au large de l’île de Martha’s Vineyard. La question de la candidature de Ted à la prochaine élection présidentielle est sur toutes les lèvres Après avoir discuté avec la jeune Mary Jo Kopechne (Kate Mara), qui s’était très impliquée dans la campagne de feu Robert Kennedy, le sénateur lui propose une virée en voiture. Mais au moment de passer un pont sans garde-fou, leur véhicule fait une embardée et tombe dans l’étang. Ted parvient à s’extirper de la voiture qui coule inexorablement, mais pas la jeune fille, qui reste prisonnière. Au lieu de prévenir les secours et les autorités, le sénateur se met à agir de manière on ne peut plus inappropriée et erratique…

Dans True Compass, ses mémoires posthumes parues en 2009, un mois après sa mort, Edward « Ted » Kennedy confiait que l’affaire Chappaquiddick l’avait hanté toute sa vie et pas seulement parce qu’elle lui a fermé les portes de la Maison Blanche. Presque cinquante ans après cet événement tragique, le film réalisé par l’habile John Curran (Stone, Le voile des illusions, We Don’t Live Here Anymore) le reconstitue avec minutie, s’attachant aux faits, mais en ne s’interdisant pas de les dramatiser ni de les interpréter. Ted Kennedy, dont l’attitude avait été qualifiée par le rapport de police de l’époque de « lâche et indigne », mettra dix heures à donner l’alerte. Pourtant, d’après le plongeur qui a ramené le corps, Mary Jo Kopechne aurait vraisemblablement pu être sauvée dans les premières heures. A la question : « Que s’est-il passé dans la tête du jeune sénateur ? », nul et encore moins le principal intéressé, n’a jamais apporté de réponse. Mais le biopic parvient néanmoins à donner des pistes. Sous l’apparence d’un gosse de riche, gâté et choyé, Ted Kennedy est surtout un homme perturbé, encore sous le choc des assassinats de ses deux frères prodiges, et en proie au doute sur son avenir. Son manque d’assurance contraste avec la ferveur de la jeune équipe féminine de campagne de Bobby (les fameuses boiler room girls dont faisait partie Mary Jo), qui lui fait comprendre lors de cette fameuse soirée du 18 juillet qu’elle est prête à relever avec lui le défi de la prochaine élection présidentielle. Le comportement de Ted relèvera tant de l’absurde après l’accident que le film prend une tournure presque comique. Ni les recommandations avisées de son cousin et proche conseiller Joe Gargan (formidable Ed Helms) abasourdi par la stupeur et l’incompréhension, ni la grosse artillerie déployée par l’équipe de choc de Joe Kennedy n’y feront. La presse va faire ses choux gras des égarements du sénateur et de ses revirements. « On a dit la vérité, du moins notre version de la vérité. » clame Ted avec une certaine inconscience. Le film n’y va pas non plus avec le dos de la cuiller lorsqu’il s’agit de montrer l’intensité du mépris du patriarche de la famille envers son fils. Quant à la jeune Mary Jo Kopechne, elle trouve ici enfin une véritable identité. Cette jeune fille brillante et promise à un bel avenir avait été qualifiée par les médias de l’époque, incapables d’écrire et de prononcer correctement son nom, de « blonde » et de « poule ». Enfin, plus encore que la clémence obscène de la justice et de la presse (sous prétexte que la famille Kennedy avait déjà tant souffert… ), c’est celle du peuple qui interroge. Car ni le scandale et ni l’humiliation n’empêcheront le benjamin du clan d’être réélu sénateur du Massachusetts l’année suivante (il le sera constamment jusqu’en 2006, ce qui lui vaudra le surnom de « Lion du Sénat »). Comme si, en touchant le fond lors de l’accident de Chappaquiddick, il s’était enfin trouvé, pour n’avoir ensuite de cesse de travailler à sa rédemption.
1h 46 Et avec Bruce Dern, Jim Gaffigan, Olivia Thirlby, Clancy Brown…

BANDE-ANNONCE (sur « Atlantis », de Donovan)

Site officiel Festival de Deauville 2018