Festival de Deauville 2023 : Welcome to America !

(Click on the planet above to switch language.) 

Le festival de Deauville boudé par les stars américaines… c’est devenu une habitude. Mais avec la grève (justifiée) des scénaristes et des acteurs qui plombe Hollywood depuis mai, le peu de vedettes attendu au cours de cette 49ème édition a dû renoncer à venir fouler les planches. Adieu Jude Law, Nathalie Portman et Peter Dinklage ! Malgré tout, la sélection 2023 des films en compétition a suscité l’enthousiasme. Les séances, même matinales, ont fait salle comble. L’Anglaise Emilia Clarke est venue chercher son Prix du Nouvel Hollwood. Et puis, soleil et chaleur se sont invités sur la côte normande, qui a pris pendant toute la semaine des airs de Californie.

 

©Jacques Basile

Kyle Eastwood, fils aîné de Clint, était sur scène pour la soirée d’ouverture. Le contrebassiste de jazz a interprété quelques morceaux issus des films de son père, pièces choisies de son nouvel album.


© Jacques Basile

Mais l’autre événement, avant la projection de l’excellent Le jeu de la reine, de Karim Aïnouz, était la présence du réalisateur mythique et électron libre du Nouvel Hollywood Jerry Schatzberg. Le cinéaste new-yorkais de Portrait d’une enfant déchue (avec Faye Dunaway), Panic à Central Park (qui a révélé Al Pacino) ou de L’épouvantail (Palme d’Or à Cannes en 1973) avait débuté comme brillant photographe de mode dans les années 60. Il a été joliment introduit par Guillaume Canet, qui a joué dans son dernier film en date en 2000, The Days The Ponies Come Back. L’acteur et réalisateur français, très ému, a ensuite accueilli son mentor de 96 ans sur scène. C’était beau.

 

 

LE PALMARÈS

 

Il y avait quatorze films à départager. Les deux jurys, l’un présidé par Guillaume Canet — composé de Rebecca Marder, Marina Hands, Alexandre Aja, Anne Berest, Anne de Clermont-Tonnerre, Léa Mysius, Stéphane Bar et Maxime Nucci dit Yodelice —  l’autre, celui de la Révélation, par Mélanie Thierry — composé de Julia Faure, Pablo Pauly, Ramata-Toulaye Sy, Félix Lefebvre et Cécile Maistre-Chabrol – ont visé juste. Le palmarès reflète peu ou prou les inclinations des festivaliers. Trois prix sont allés au même film. Et quel film !

 

GRAND PRIX – PRIX DU PUBLIC – PRIX DE LA CRITIQUE 


« Where the fuck is LaRoy ? »

LaRoy


Shane Atkinson
2023
Sortie en salles prévue en avril 2024

Une indélicatesse de Skip (Steve Zahn), qui joue les détectives privés au grand mépris de la police de LaRoy, petite bourgade du Texas, a permis à Ray (John Magaro) de découvrir l’infidélité de son épouse. Anéanti, ce modeste employé d’un magasin de bricolage achète un revolver afin de mettre un terme à sa morne existence. Il choisit de passer à l’acte une nuit, sur le parking du motel où les amants se retrouvent. Problème, c’est sur ce même parking qu’un type du coin, désireux de se débarrasser d’un gêneur, a donné rendez-vous à un tueur à gages. Pris au dépourvu par l’irruption de cet inconnu qui lui offre une belle enveloppe, Ray ne le détrompe pas et accepte la mission. Il n’aurait pas dû… 

Les oreilles du jeune réalisateur californien Shane Atkinson ont dû bourdonner toute la semaine. La première projection de LaRoy, mercredi 6 septembre au CID, a donné lieu à un tonnerre d’applaudissements. Un spectateur est venu lui dire qu’il était certain qu’il remporterait le Grand Prix. C’était une évidence. Comédie noire dans la veine du cinéma de Martin McDonagh (Bons baisers de Bruges en tête), des frères Coen, et qui rappelle aussi Cut Bank, la série B jubilatoire de Matt Shakman, ce premier film est une merveille d’écriture (Shane Atkinson a signé le scénario) et de réalisation. Produit par le Français Sébastien Aubert et sa société Adastra Films, ce néowestern est porté par des acteurs truculents dont un Steve Zahn aussi drôlissime que touchant. La sublime photo de Mingjue Hu met en valeur les paysages de ce Texas de fiction (le film a été tourné au Nouveau-Mexique) et la musique ad hoc des trois compositeurs français (Rim Laurens, Delphine Malaussena et Clément Peiffer) sied idéalement à ce polar nourri d’americana, qui alterne adroitement la comédie et le drame. Un régal !
1 h 52. Et avec Dylan Baker, Megan Stevenson, Matthew Del Negro, Galadriel Stineman, Brad Leland, Darcy Shean…

 ****** 

 

PRIX DU JURY EX-AEQUO et PRIX DE LA RÉVÉLATION 

 « The movie that happens when guys at the bar talk about the movie they want to make. » Sean Price Williams

 

THE SWEET EAST


Sean Price Williams
2023
Sortie en salles prévue début 2024

En voyage scolaire à Washington avec sa classe de terminale d’un lycée de Caroline du Sud, la jolie Lilian (Talia Ryder) décide de prendre le large. Une rencontre avec des activistes néopunks va l’entraîner dans un périple à travers les villes et les campagnes de la côte Est. Elle va traverser tout le prisme des radicalités et des délires contemporains, des suprémacistes aux islamistes en passant par des avant-gardistes woke…

« La dislocation mentale, sociale et politique des États-Unis, filmée comme un jeu de marelle ou une variation d’Alice au pays des merveilles, à la croisée du conte, du récit picaresque et des films-ballades des années 70. » À la Quinzaine des cinéastes, où le film était présenté cette année, le dossier de presse annonçait joliment la couleur. On ne peut mieux décrire cette première réalisation en solo du directeur de la photographie américain Sean Price Williams, qui a collaboré avec les cinéastes Alex Ross Perry (producteur ici) et Josh & Bennie Sadfie (sur Good Time et Mad Love in New York). Le scénario audacieux a été cuisiné par Nick Pinkerton, journaliste free-lance et critique de cinéma new-yorkais. The Sweet East est un cocktail d’ironie, de comédie noire et d’hyperviolence (façon Trauma) illuminé par la présence de la belle et troublante Talia Ryder. Elle incarne à merveille cette jeune fille à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, et qui n’est pourtant pas si innocente. L’Amérique en prend pour son grade et le cinéaste s’en donne à cœur joie, n’épargnant aucun de ses personnages. La subtilité n’est pas toujours le fort de cette farce corrosive, absurde et souvent drôle, mais ce tir au pigeon à quelque chose de jubilatoire ainsi qu’un charme fou. Quant à Talia Ryder, qui rappelle la jeune Kristen Stewart, c’est une révélation. Mon coup de cœur de la sélection !
1 h 44. Et avec Simon Rex, Jacob Elordi, Earl Cave, Jeremy O’Harris, Ayo Edebiri, Jack Irv…

 ****** 

 

PRIX DU JURY EX-AEQUO


« Desperate for a dream… Donya (510) 555 – 7625 »

FREMONT


Babak Jalali
2023
Sortie en salles en décembre 2023

Donya (Anaita Wali Zada), réfugiée afghane de vingt ans, travaille dans une entreprise familiale de fortune cookies à San Francisco. Elle réside dans une ville toute proche, Fremont, comme la plupart de ses compatriotes. Auparavant traductrice pour l’armée américaine en Afghanistan, elle se sent seule dans ce nouveau pays qui n’est pas aussi accueillant qu’elle l’imaginait. Le jour où son patron lui confie la rédaction des messages à insérer dans les biscuits, la jeune femme décide de prendre son destin en main… 

Tourné en noir et blanc (« parce que c’est beau » dixit le réalisateur) et en format resserré pour mettre en exergue l’isolement de l’héroïne, Fremont distille une mélancolie extrêmement poétique. Le rythme très lent, la photographie magnifique et les petites phrases qui font mouche lui confèrent une formidable personnalité. Sous influences Aki Kaurismaki ou Jim Jarmush (revendiquées par le cinéaste), ce portrait d’une immigrée qui s’interdisait de rêver et qui tente de trouver sa place, joue sur la simplicité et l’humour. C’est à Fremont, proche de la Silicon Valley, que réside et travaille la plus grande communauté afghane aux États-Unis depuis l’arrivée des Talibans au pouvoir en 2021. Le quatrième long-métrage de l’Iranien Babak Jalali, dont la culture est très proche de l’afghane, va à l’encontre des clichés. Donya n’est pas une victime. Elle est intelligente, cultivée et son regard sur les Américains ne manque pas de pertinence. La critique a déjà encensé ce film imprévisible et attachant, dont le dernier quart d’heure est tout bonnement magnifique.
1 h 31. Et avec Jeremy Allen White, Gregg Turkington, Hilda Schmelling, Avis See-Tho, Eddy Tang…

À l’issue de la projection, le réalisateur a fait distribuer aux spectateurs les fortune cookies fabriqués spécialement pour le film.

 

NOTES SUR D’AUTRES FILMS DE LA COMPÉTITION

 

PAST LIVES, NOS VIES D’AVANT


Celine Song
2023
Attendu en salles en décembre 2023

La jeune Na Young et son ami Hae Sung, inséparables lorsqu’ils étaient enfants à Séoul, se disent adieu lorsque la famille de la première émigre au Canada. L’adolescente de douze ans, ambitieuse, vit plutôt bien ce départ, contrairement à Hae Sung, qui en a le cœur brisé. Douze ans plus tard, ils se retrouvent grâce aux réseaux sociaux. Na Young (Greta Lee) se prénomme désormais Nora et aspire à devenir dramaturge à New York. Hae Song (Teo Yoo) vit toujours en Corée du Sud où il étudie l’ingénierie…

Les habitués des K-dramas et autres séries coréennes seront en territoire connu. L’influence du destin y est un élément récurrent. Celine Song s’est inspirée de sa propre expérience pour tisser cette relation complexe entre deux êtres aux aspirations différentes, éloignés géographiquement et qui restent profondément attachés l’un à l’autre. Cette histoire d’amour impossible, filmée avec une délicatesse inouïe, rappelle par bien des aspects In The Mood For Love de Wong Kar-wai. Entre deux balades dans un New York sublime, les deux protagonistes s’interrogent sur leurs décisions. Que se serait-il passé si ? Étaient-ils faits pour être ensemble ? Tout en simplicité et passion retenue, le beau Teo Yoo, vu dans Leto, est poignant. Greta Lee (The Morning Show) est excellente dans la peau de cette intellectuelle émancipée, occidentalisée et désarçonnée par la force et la sincérité qui émanent de son amour d’enfance. Quant à John Magaro (encore lui…), il brille dans le rôle d’Arthur, le mari de Nora, qui assiste, inquiet et impuissant, à ces retrouvailles. Un film extrêmement séduisant, mélancolique et subtil, qui parle de déracinement, d’amour et de regrets. (1 h 46)

 ******  

I.S.S.


Gabriela Cowperthwaite
2023
Date de sortie en salles non déterminée

C’est le premier voyage dans l’espace pour la jeune docteur Kira Foster (Ariana DeBose) qui rejoint l’équipage français à bord de la Station Spatiale Internationale, composé de trois Français et de trois Russes. L’entente est plutôt cordiale jusqu’à ce qu’un conflit éclate au sol. Le commandant de chacune des équipes reçoit alors l’ordre de prendre le contrôle de la station… par tous les moyens…

Sujet on ne peut plus pertinent : en ces temps de tension entre les superpuissances, la Station Spatiale Internationale est l’un des derniers endroits où la Russie et les États-Unis coopèrent. La cinéaste américaine Gabriela Cowperthwaite n’est pas une débutante. Après des études en sciences politiques, elle a signé des longs-métrages et des documentaires remarqués. Ce thriller dans l’espace, anxiogène à souhait, est prétexte à s’interroger sur la nature humaine. Dans une situation extrême, est-ce qu’un individu est enclin à laisser parler son libre arbitre ou à suivre des consignes ? La cinéaste a su tirer parti d’un petit budget. Les couloirs étroits de la station rendent claustrophobes et les scènes d’action se révèlent sauvages, à cause de la proximité des personnages piégés dans cet environnement hostile. I.S.S. bénéficie de la présence de comédiens solides. Autour de la jeune Ariana DeBose, lauréate de l’Oscar du Meilleur second rôle en 2022 pour sa performance dans le remake de West Side Story de Steven Spielberg, on reconnaît Chris Messina (Call Jane, Argo, The Sinner…), Costa Ronin (The Americans, Homeland…) ou le Danois Pilou Asbæk (Game Of Thrones, Ghost In The Shell…). (1 h 33)

 ******  

 

BLOOD FOR DUST


Rod Blackhurst
2023
Date de sortie en salles non déterminée

Cliff (Scoot McNairy) est au bout du rouleau. Représentant en matériel médical, il sillonne les routes du Montana et va d’un motel miteux à l’autre. Même si son épouse ne lui reproche rien, les dettes s’accumulent et la situation financière devient alarmante, d’autant que le couple a un fils malade. Un soir, dans un bar où il a ses habitudes, il est accosté par un ex-collègue (Kit Harington) avec lequel il avait participé à une arnaque qui avait mal tourné. Ce dernier lui propose une affaire juteuse et totalement illégale. Au départ réfractaire, l’honnête Cliff finit par accepter…

C’est l’amour du cinéma de genre qui a poussé Rod Blackurst à mettre en scène ce film noir aux ambiances de western, sorte de versant sombre du LaRoy de Shane Atkinson. L’action se déroule au Montana dans les années 90. Nul besoin de créer des décors : le réalisateur affirme que rien n’a changé au Montana depuis l’époque du Far West, et que la région attire toujours ceux qui veulent « se faire de l’argent facile ». Rod Blackhurst vient de la télévision et du documentaire. En 2016, il a signé Amanda Knox, évocation de l’affaire du meurtre de l’étudiante Meredith Kercher. Le jeune cinéaste connaît parfaitement les codes du genre, et avec peu de budget, il a fait beaucoup. Ce néofilm noir est sublimé par la photo de Justin Derry, qui met en valeur les paysages de neige et les ambiances nocturnes. Tendu, inquiétant et imprévisible, Blood For Dust est porté par un tandem d’acteurs impeccables. Le Texan Scoot McNairy est épatant dans ce rôle de brave type aux allures de loser, poussé malgré lui sur une voie criminelle. Fébrile et lucide, il va pourtant faire preuve d’une détermination étonnante. Kit Harington (le gentil Jon Snow de Game Of Thrones) impressionne dans la peau d’un salopard manipulateur et sans scrupule. Autour d’eux, on reconnaît avec plaisir Josh Lucas, Ethan Suplee ou Stephen Dorff. De quoi ravir les amateurs du genre. (1 h 44)

 ******  

 

ARISTOTE ET DANTE DÉCOUVRENT LES SECRETS DE L’UNIVERS (Aristotle And Dante Discover The Secrets Of The Universe)


Aitch Alberto
2022
Date de sortie en salles non déterminée

En 1987 à El Paso au Texas, à la frontière mexicaine, le bel Aristote (Max Pelayo) est un lycéen solitaire, issu d’un milieu modeste et dont le frère est en prison. Un après-midi, à la piscine municipale, il fait la connaissance de Dante (Reese Gonzales), un adolescent du même âge, très différent de lui. Chaleureux, solaire, Dante a grandi au sein d’une famille bourgeoise et cultivée. Ils deviennent pourtant instantanément amis. Mais bientôt Dante part intégrer une université éloignée. À son retour, son attitude envers Aristote a changé…

« No more pollution », expression que l’on entend à plusieurs reprises au cours du film, aurait fait un titre idéal (et plus court) si Aristote et Dante découvrent les secrets de l’univers n’était celui du livre dont cette œuvre est tirée. Il s’agit d’un ouvrage culte pour jeunes adultes (paru en France chez Pocket Jeunesse) écrit en 2012 par le romancier et poète américain Benjamin Alire Sáenz. Cinéaste d’origine cubaine qui a grandi en Floride, Aitch Alberto s’est appliquée, pour son deuxième long-métrage, à retranscrire la douceur émanant de ce récit initiatique délicat, qui parle de découverte de soi, de quête d’identité et d’homosexualité refoulée. Sous influence Virgin Suicides et Stand By Me, le film montre également un visage méconnu de la communauté mexicaine. Les parents sont ici bienveillants et très à l’écoute de leurs progénitures respectives. L’implication des stars latines Eva Longoria (la mère de Dante) et Veronica Falcon (vue dans Ozark, et qui campe ici la mère d’Aristote) ont grandement aidé à financer cette œuvre poétique et attachante. (1 h 36)

 ******  

 

LA VIE SELON ANN (The Feeling That The Time For Doing Something Has Passed)


Joanna Arnow
2023
Date de sortie en salles non déterminée

Ann (Joanna Arnow) est une trentenaire désabusée, coincée entre un job peu passionnant, une famille juive morose et un amant indifférent (Scott Cohen) avec lequel elle entretient une relation BDSM (Bondage, Domination, Soumission, Sadomasochisme), reflet du manque de considération qu’elle ressent dans sa vie de tous les jours…

Il s’agit du premier long-métrage de l’actrice et auteur Joanna Arnow, déjà réalisatrice de courts et moyens-métrages expérimentaux aux titres évocateurs : I Hate Myself, Bad At Dancing… Cette autofiction s’articule autour d’une série de vignettes, filmées comme des tableaux statiques, plutôt caustiques, mettant en exergue les absurdités du monde contemporain. C’est audacieux, parfois drôle, mais le plus souvent ennuyeux. Malgré son titre original très pertinent, cette comédie sociale revêt tous les défauts du film d’auteur bavard et prétentieux. Ce qui explique la fuite de beaucoup de spectateurs, qui ont jeté l’éponge après un quart d’heure. Joanna Arnow, qui passe la moitié du film nue et dans des positions peu gratifiantes, montera ensuite sur scène pour assumer son œuvre, se revendiquant féministe et désireuse d’explorer tous les types de pratiques sexuelles… et de les montrer au cinéma. Ce mélange de sexualité décomplexée et de causticité devrait plaire à un certain Ruben Ostlund. (1 h 27)

 ******  

 

THE GRADUATES


Hannah Peterson
2023
Date de sortie en salles non déterminée

Un an après le massacre survenu au sein de son lycée, au cours duquel Tyler (Daniel Kim), son petit ami et plusieurs autres élèves ont perdu la vie, Genevieve (Mina Sundwall) en retrouve les bancs. Dans cet établissement traumatisé, professeurs et élèves tentent d’aller de l’avant. Pour Genevieve, il s’agit de l’année de terminale, celle qui déterminera son avenir. Mais elle ne sait si elle pourra surmonter son chagrin…

La jeune Hannah Peterson, dont il s’agit du premier long-métrage, souhaitait évoquer le passage à l’âge adulte dans le contexte du système éducatif américain. En discutant avec des élèves, elle a constaté à quel point l’insécurité et la peur des attaques avec armes à feu dans l’école, récurrentes aux États-Unis, étaient omniprésentes. Loin de tout sensationnalisme, The Graduates s’attarde sur les conséquences du drame. Que reste-t-il lorsque le choc est passé, que les médias sont partis ? Comment les survivants font-ils face à l’absence et à l’angoisse ? Comment étudier dans de telles conditions ? Le film, produit par Chloé Zhao, brosse avec subtilité le portrait de trois personnages traumatisés, gravitant autour de la figure du même lycéen assassiné : la petite amie, le meilleur ami et le père, professeur de sport dans l’école. C’est d’ailleurs ce dernier, incarné par un fantastique John Cho (Searching, Cowboy Bebop…), tout en retenue, qui émeut le plus. On saluera également la justesse de l’ensemble des jeunes comédiens, et la beauté de ce film poignant remarqué à Tribeca, qui illustre parfaitement la situation très préoccupante des écoles américaines. (1 h 27)

 ******  

 

COLD COPY


Roxine Helberg
2023
Date de sortie en salles non déterminée

Étudiante ambitieuse, Mia Scott (Bel Powley) désire plus que tout suivre les cours de Diane Heger (Tracee Ellis Ross), journaliste impitoyable d’une prestigieuse émission d’investigation. Mais Diane est également féroce dans sa manière d’enseigner, humiliant volontiers ses élèves et les encourageant à se montrer sans foi ni loi. Mia va prendre ses paroles au mot…

Découvert lors de la dernière édition du festival de Tribeca, Cold Copy avait pas mal d’atouts. Ce premier long-métrage de la jeune Roxine Helberg, qui a beaucoup collaboré avec le regretté Jean-Marc Vallée (sur Big Little Lies et Sharp Objects), bénéficie notamment de la présence de deux comédiennes de talent : Bel Powley (The Morning Show) et l’impressionnante Tracee Ellis Ross (Black-ish). La question de l’importance de l’éthique dans le journalisme méritait hélas mieux que ce traitement caricatural. Bien amorcée, l’intrigue, finalement cousue de fil blanc et d’incohérences, fait chou blanc. Las ! Le bras de fer entre le maître et l’élève se conclut de manière ridicule. Frustrant. (1 h 31)

 ******  

WAYWARD


Jacquelyn Frohlish
2023
Date de sortie en salles non déterminée

Cleo (Chloe Guidry), onze ans, ne décolère pas. Arlene (Jess Weixler), sa mère, a décidé de quitter l’Idaho pour rejoindre l’homme qu’elle doit épouser à Los Angeles. L’ambiance dans la voiture étant mortelle, Arlène entreprend de prendre en stop une jeune musicienne (Jessica Sula) remarquée à la station-service. Sa présence, pense-t-elle, pourra détendre l’atmosphère durant le voyage et peut-être parvenir à faire sortir l’adolescente de son silence. Cette louable intention va se retourner contre elle… 

« Wayward » signifie prendre la mauvaise route, se perdre en chemin, mais peut-être aussi pour mieux le retrouver. C’est ce qu’a expliqué la jeune réalisatrice à l’issue de la projection. Originaire de Bogota, en Colombie, où les kidnappings sont monnaie courante, elle a imaginé cette histoire délicate qui parle d’amour, du manque d’amour et du mal-être adolescent. Très influencée par Les 400 coups de François Truffaut, Jacquelyn Frohlish brosse à son tour le portrait d’une enfant en souffrance. Cleo se sent déconsidérée, soumise aux décisions d’une mère qu’elle juge sévèrement, et se montre manipulatrice et souvent cruelle. Filmé façon cinéma-vérité, ce road-movie séduit immédiatement, grâce à la justesse des comédiens (formidable Jess Weixler !) et à l’approche très originale du sujet. Mais il peine à conserver son rythme, et les atermoiements des personnages ne se révèlent pas aussi passionnants qu’espérés. Si ce premier long-métrage n’est pas tout à fait accompli, sa réalisatrice, elle, est indéniablement prometteuse. (1 h 39)

******  

 

RUNNER

Marian Mathias
2022
Date de sortie en salles non déterminée

Haas (Hannah Schiller) a dix-huit ans. Elle vit dans la pauvreté avec son père à l’écart d’un village isolé du Midwest. Lorsque ce dernier meurt accidentellement, elle décide d’exaucer sa dernière volonté et part l’enterrer dans la ville où il est né, au bord du Mississippi, dans l’Illinois. C’est aussi là qu’il lui avait promis une maison… Elle découvre qu’il n’était qu’un escroc pétri de dettes. Partagée entre chagrin et colère, errant dans cette campagne maussade, elle va rencontrer Will (Darren Houle), un garçon aussi solitaire qu’elle…

Découvert au festival de Toronto en 2022, Runner, en format d’écran carré, étonne par son parti pris esthétisant, qui rappelle celui des premiers films de Terrence Malik et, notamment, Les moissons du ciel. Chaque plan a été pensé comme un tableau (inspirés de l’univers d’Andrew Wyeth et Edward Hopper) et un mariage de la peinture et de la poésie (celle de Robert Frost en tête). Cette fable sur la solitude et la recherche de la lumière dépeint un Midwest où le temps s’est arrêté. On n’y babille pas. À cause de l’éloignement des habitations, les gens de cette communauté rurale ne communiquent pas facilement. La pluie, le vent envahissent l’image comme ils envahissent la vie des habitants, soumis aux caprices du ciel. La jeune cinéaste parvient à imposer son rythme, très lent, et ce film contemplatif a quelque chose de fascinant. On pense à Bresson, Bergman ou Kelly Reichardt (Marian Mathias citera Béla Tarr)… Runner est le surnom de l’héroïne, campée par une envoûtante jeune actrice allemande, Hannah Schiller. S’il narre la perte d’une vie et le début d’une autre, le film illustre surtout la phrase fétiche de la grand-mère de la réalisatrice, qui se prénommait Haas : « Quand tu te sens mal, ouvre une porte et aime. » 1 h 16

******  

FESTIVAL DU FILM AMÉRICAIN DE DEAUVILLE

Un grand merci au groupe Barrière, à Sylvie De Gaetano et à Jérôme Soligny. ♥️

 

DEAUVILLE 2020 PREMIÈRES The Professor And The Madman/Comment je suis devenu super-héros

« Deauville, c’est d’abord le festival du cinéma avec des films. Ce qui est important, c’est qu’il y ait des films. Parce qu’un festival sans films, ça n’existe pas. Sans réalisateurs, ça existe. » (Bruno Barde, directeur artistique du festival)

(Click on the planet above to switch language.)

DEAUVILLE AU TEMPS DU CORONAVIRUS

 

Malgré l’absence de stars américaines, bloquées chez elles pour cause de Covid-19, le festival de Deauville a fait front. Comme à l’accoutumée, journalistes et public ont répondu présents. Le protocole sanitaire drastique a été respecté : cinq cents places en moins au CID pour espacer les spectateurs et masque obligatoire durant la projection. Sur la centaine d’œuvres au programme (premières mondiales, hommages, documentaires…), quinze films américains (dont huit signés par des femmes) étaient en compétition. Généreuse, cette 46ème édition a également accueilli neuf films privés de Cannes cette année, choisis par Bruno Barde dans la sélection de Thierry Frémaux, et trois du festival d’animation d’Annecy, annulé lui aussi. Sur le tapis rouge, les Français sont venus nombreux pour faire oublier l’absence des Américains. Entre une flopée de discours d’une banalité crispante (mention spéciale à Pio Marmaï, habitué du festival, qui, à la question de Genie Godula : « Qu’est-ce que vous appréciez le plus à Deauville ? » a loué « l’accueil régional », « les fruits de mer », et enfin « les films »), d’autres ont fait le show, tel l’inénarrable Benoît Poelvoorde. Vanessa Paradis, frêle et tout en Chanel, présidait en beauté le jury de la compétition officielle, la jeune réalisatrice Rebecca Zlotowski celui de la révélation.

 


Les membres du Jury de la compétition autour de leur présidente. De gauche à droite, Vincent Lacoste, Delphine Horvilleur, Mounia Meddour, Vanessa Paradis, Bruno Podalydès et Sylvie Pialat (manquent Yann Gonzales, Zita Hanrot et Oxmo Puccino).

 


Le Jury de la Révélation. De gauche à droite : Antoine Reinartz, Luàna Bajrami, Rebecca Zlotowski, Mya Bollaerts, Arnaud Rebotini.

 

PALMARÈS

GRAND PRIX

The Nest de Sean Durkin a fait l’unanimité. Il a raflé Le Grand Prix, le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation et le Prix du Jury de la Critique. Jude Law et Carrie Coon sont les vedettes de ce film qui narre, façon thriller à suspense, le délitement d’une famille aisée qui quitte le confort de sa banlieue américaine pour s’installer dans un austère manoir en Angleterre. Il s’agit du deuxième long-métrage de Sean Durkin, après l’excellent Martha Marcy Marlene (2011). Il est également le réalisateur de l’impressionnante mini-série anglaise Southcliffe créée par Tony Grisoni en 2013.
À paraitre en novembre 2020.

 

PRIX DU JURY

Ex-aequo

First Cow de Kelly Reichardt – déjà récompensée à Deauville en 2013 avec The Night Moves -, évoque la rencontre inattendue entre un cuisinier taciturne et un immigrant d’origine chinoise dans l’Oregon de 1820.
À paraître prochainement.

 


Lorelei, premier long-métrage de la sympathique Britannique Sabrina Doyle (une des seules cinéastes venues chercher son prix), propose une histoire d’amour compliquée dans l’Amérique paupérisée d’aujourd’hui. On y retrouve Jena Malone et Pablo Schreiber.
À paraître prochainement.

 

PRIX FONDATION LOUIS ROEDERER DE LA MISE EN SCÈNE

 
The Assistant de Kitty Green, dont Rebecca Zlotowski a loué la rigueur « clinique et généreuse », est le premier long-métrage d’une cinéaste jusqu’ici spécialisée dans le documentaire. Le film, interprété par Julia Garner – l’épatante Ruth de la série Ozark –, fait écho à l’affaire Weinstein : une jeune secrétaire d’un producteur de cinéma découvre les abus de ce dernier et déplore l’indifférence de l’entourage professionnel tout à fait informé.
À paraître prochainement.

 

PRIX DU PUBLIC DE LA VILLE DE DEAUVILLE

Uncle Frank de Alan Ball. Le créateur de la fameuse série Six Feet Under évoque les atermoiements d’un professeur de littérature homosexuel de New York (campé par le toujours formidable Paul Bettany), contraint de se rendre chez sa famille en Caroline du Sud qui ne brille pas par son ouverture d’esprit.
À paraître prochainement.
 

PRIX D’ORNANO-VALENTI

Le prix du Meilleur Premier film français est allé à Slalom de Charlène Favier. Admise dans une prestigieuse section ski-études d’un lycée de Bourg-Saint-Maurice, une jeune fille de quinze ans tombe sous la coupe d’un ex-champion devenu entraîneur.
À paraitre en novembre 2020.

 

PRIX DU 46ÈME FESTIVAL

 
Le festival a ouvert avec un hommage à Kirk Douglas, avec le concours de son fils Michael (via une vidéo enregistrée), et un second a été rendu à Barbet Schroeder, dont Le mystère Von Bülow, restauré, a bénéficié d’une ressortie en salles début 2020. Chaque année, le Prix du Festival de Deauville est remis à un cinéaste qui a franchi l’Atlantique pour travailler aux États-Unis. C’est exactement le cas de ce Franco-Suisse, réalisateur des mémorables Barfly, J.F. partagerait appartement, Kiss Of Death ou La vierge des tueurs, qui a reçu son trophée des mains de Marthe Keller.

 

Les plus craquantes sur le tapis rouge  : Zita Hanrot et Clémence Poésy

 

J’ai eu la chance d’assister à deux premières « mondiales » : celle d’un film américain et l’autre, français. « Aux antipodes » l’un de l’autre…

 

« Un Américain et un Écossais, l’un brillant, l’autre fou. Qui est quoi ? »

 

The Professor And The Madman

Farhard Safinia
2019

Dans les salles françaises en novembre 2020.

En 1857, en Angleterre, le lexicographe et philologue écossais James Murray (Mel Gibson) entame l’élaboration de la première édition de l’Oxford English Dictionary. Cette tâche monumentale l’obligeant à compiler des millions d’entrées, il décide de lancer un appel à soumission, espérant recevoir l’aide de collaborateurs bénévoles. Il va s’avérer que le plus prolifique et brillant d’entre eux, Chester Minor (Sean Penn), chirurgien militaire américain schizophrène, est interné dans un hôpital psychiatrique britannique pour avoir assassiné un innocent…

Un an après une sortie confidentielle aux États-Unis, The Professeur And The Madman est projeté en France. Tourné à Dublin en 2016, le film avait vu son exploitation entravée par le conflit qui opposait la société de production Voltage Pictures et Mel Gibson, l’initiateur du projet. Ce dernier et sa compagnie Icon accusaient Voltage de violation de contrat : elle aurait notamment refusé que certaines scènes soient filmées à Oxford, et ainsi empêché Farhad Safinia de réaliser le film comme il le souhaitait. Faute de preuves substantielles, les plaignants ont été déboutés, et même poursuivis pour rupture de contrat. Ni les acteurs vedettes ni le cinéaste n’ont souhaité assurer la promotion d’un film dont ils n’ont pas approuvé la version finale (Farhad Safinia est même crédité sous le pseudonyme de P. B. Shemran). Bref, un pataquès qui n’a pas joué en faveur de l’œuvre.
Pourtant, tout s’annonçait sous les meilleurs auspices. Mel Gibson avait acquis il y a une vingtaine d’années les droits du best-seller de Simon Winchester dans l’intention de le porter à l’écran sous l’égide de son producteur historique Bruce Davey. Pour pouvoir interpréter le professeur Murray, il en a délégué la direction à Farhad Safinia, le scénariste de son génial Apocalypto. Vu le nombre de critiques acerbes qui ont fleuri depuis la parution du biopic outre-Atlantique, on pouvait s’attendre au pire. Et pourtant, The Professeur And The Madman se regarde sans déplaisir. Oui, Sean Penn cabotine comme un seul homme. Oui, le montage est un peu curieux et oui, certains éléments du scénario auraient mérité d’être davantage développés. Mais à vrai dire, les différents entre parties impliquées ne se ressentent pas sur l’écran et ce biopic certes un brin académique ne manque pas d’atouts. Autour des deux stars précitées, la brochette de seconds rôles est formidable (Steve Coogan, Natalie Dormer, Jennifer Ehle, Stephen Dillane, Eddie Marsan, Ioan Gruffud…). La reconstitution est éblouissante, et on ne peut qu’être saisi par la qualité de la photo signée Kasper Tusken et par la musique de Bear McCreary. Enfin, difficile ne pas être captivé par ce récit édifiant, et cette page d’histoire de la lexicographie quasi-vertigineuse. D’ailleurs, un tonnerre d’applaudissements a suivi la projection.
2h 04 Et avec Jeremy Irvine, Laurence Fox, Sean Duggan…

 

***********************

 

« Les héros, ça n’existe pas, il n’y a que des losers. »

 

Comment je suis devenu super-héros

Douglas Attal
2020

Dans les salles françaises en décembre 2020.

Dans un futur très proche, certains individus ont développé des facultés surnaturelles et sont parfaitement intégrés dans la société. Mais circule à Paris une étrange substance qui donne des superpouvoirs à ceux qui n’en ont pas. Les accidents s’accumulent. Le policier chargé de l’enquête est le flegmatique lieutenant Moreau (Pio Marmaï), risée du commissariat. A son grand dam, il est contraint de faire équipe avec une nouvelle recrue terriblement zélée (Vimala Pons), venue de la brigade financière. Mais ce policier en apparence incompétent a un passé mystérieux qui va bientôt ressurgir…

Précédé d’une réputation d’OVNI cinématographique, le premier long-métrage de Douglas Attal, fils du producteur Alain Attal et neveu d’Yvan, a effectivement de quoi décontenancer. Un film de super-héros à la française, c’était une sorte de défi et on salue le courage du réalisateur (qu’on a connu acteur au sein de la joyeuse équipe de Radiostars de Romain Levy) d’oser s’attaquer à un genre aussi casse-gueule. Mais marier la comédie avec le fantastique n’est pas chose aisée, et là où Kick Ass s’en sortait avec brio, ici, même si le film mise sur le côté absurde et décalé, ça pédale un peu dans la semoule. Il n’y a pas à tortiller, cette adaptation du livre homonyme de Gérald Bronner est sauvée par ses aspects comiques, et le talent de sa brochette d’acteurs rompus à l’exercice. Pio Marmaï joue les ahuris avec maestria (davantage que les héros…), la trop rare Vimala Pons campe une sorte de petite sœur de Laure Berthaud d’Engrenages avec une conviction désopilante, Leïla Bekhti, en cheftaine, est impériale, et Benoît fait du… Poelvoorde. Le bât blesse davantage côtés fantastique et action (effets spéciaux kitsch, mise en scène poussive et avalanche de clichés empruntés à la saga X-Men, à Watchmen et tutti quanti). Même le thème musical est trop zimmerien pour être honnête (merci Gladiator !). On sauvera toutefois quelques scènes d’action, dont celles dans le lycée notamment. En sortant de la salle, quelqu’un recueillait nos impressions avec un micro, j’ai répondu « rigolo ». Je persiste. Et signe.
1 h 30 Et avec Swann Arlaud, Gilles Cohen, Clovis Cornillac…

Crédits photos Site officiel Festival de Deauville 2020