JEAN DOUCHET : merci pour le cinéma


Photo extraite du documentaire Jean Douchet, l’enfant agité, de Vincent Haasser,  Fabien Hagege et Guillaume Namur (2017)

Jean Douchet, disparu aujourd’hui à l’âge de quatre-vingt-dix ans, était un critique, penseur, auteur et historien du 7ème art vénéré par plusieurs générations de cinéphiles, de cinéastes et de critiques. Des Cahiers du Cinéma à La Septième Obsession, de l’IDHEC à la Cinémathèque, il s’est révélé un infatigable « passeur » et a suscité des vocations. Ami des cinéastes de la Nouvelle Vague, admirateur d’Hitchcock devant l’Eternel, il n’a eu de cesse de défendre et présenter des films dans les ciné-clubs (dont celui du Cinéma du Panthéon, qu’il animait depuis dix-huit ans) avec une passion intacte. L’un de ses livres publié en 1987, L’art d’aimer, est une bible. Il commence ainsi :

« La critique est l’art d’aimer. Elle est le fruit d’une passion qui ne se laisse pas dévorer par elle-même, mais aspire au contrôle d’une vigilante lucidité. Elle consiste en une recherche inlassable de l’harmonie à l’intérieur du couple passion-lucidité. Que l’un des deux termes l’emporte sur l’autre et la critique perd une grande part de sa valeur. »

En 2006, j’avais eu envie de l’interviewer pour le magazine EPOK, l’hebdo de la Fnac, aujourd’hui disparu. Il avait été sollicité par les éditeurs du DVD du Petit lieutenant de Xavier Beauvois, un cinéaste qu’il défendait depuis ses débuts (son analyse pertinente figure parmi les bonus). Et bien sûr, je n’avais pas omis de demander à cette figure de la critique alors âgée de soixante-dix-sept ans ce qu’elle pensait du cinéma français d’alors, et des nouveaux supports de diffusion. Son avis diffère quelque peu de celui d’Eric Neuhoff… En voici un extrait :

Sophie Soligny : Vous intervenez régulièrement dans les bonus de DVD consacrés aux classiques, mais, depuis quelque temps, vous vous impliquez également dans les DVD de films de jeunes réalisateurs français. Que pensez-vous du cinéma français d’aujourd’hui ? Vous permet-il d’assouvir votre passion ?

Jean Douchet : Oui. J’ai consacré toute l’année à une série de conférences à la Cinémathèque sur le cinéma français des années 1995 à 2005 et il apparaît évident que le cinéma français d’aujourd’hui peut être tout à fait intéressant, notamment grâce aux jeunes cinéastes, qui ne font pas, hélas, assez souvent de succès commerciaux, mais se révèlent passionnants.

Pas de nostalgie donc ?

Une époque est une époque. A chacune son cinéma. Le cinéma d’aujourd’hui n’a pas à souffrir de la comparaison avec celui d’avant-hier, soumis à un contexte particulier et des conditions différentes. Chaque époque donne son ton et ses œuvres, avec plus ou moins de qualités. Certes, nous n’avons pas de Renoir, mais nous avons encore Godard, Straub et de jeunes auteurs comme Desplechin, Beauvois. Même si je suis moins enthousiaste au sujet d’un Cédric Klapisch ou d’un Jacques Audiard, ils participent également à un vrai mouvement du cinéma français. Je ne comprends pas cette espèce de morosité qui hurle que le cinéma est mort ou va mourir et que nous n’avons plus le cinéma d’antan. C’est un discours ridicule.

Le DVD est-il un atout pour le cinéma ?

C’est une possibilité de prolonger la séance, sans la remplacer pour autant. Il permet de regarder le film de manière très précise et de raviver les sensations. Les bonus, qui peuvent aller du nullissime au plus passionnant, sont un supplément, à la manière des notes dans les livres de la Pléiade. On n’est pas obligé de les lire, mais il peut être extrêmement intéressant de le faire.

Et Internet, où chacun s’improvise critique ?

L’esprit universitaire l’emporte aujourd’hui sur la passion du cinéma. En bon universitaire, on peut parler de tout, même du pire. Tout est défendable. Pourtant, ça ne présente, la plupart du temps, aucun intérêt. L’important, c’est qu’on ne peut pas se tromper définitivement sur les films. Les grandes œuvres d’art passent les générations, c’est cette résistance qui fait leur force.

Interview parue dans Epok n° 39, du 9 au 15 juin 2006