HOMELAND/LE BUREAU DES LÉGENDES

De la paranoïa, des trahisons, des agents russes, un personnage principal pétri de névroses… beaucoup de points communs entre les deux plus grandes séries d’espionnage de leur époque dont l’une vient de tirer sa révérence (en beauté) et l’autre est à un tournant de son histoire. Ça ne les empêche pas, dans la forme, d’être aux antipodes l’une de l’autre. Et rien n’empêche d’aimer les deux, même si…

 

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« Tout ce qu’elle fait, elle le fait parce qu’elle n’oublie jamais ce qui est essentiel. Et franchement, elle est la seule dont je peux dire ça. Et nous, on est là à tergiverser en vain… » (Saul, à propos de Carrie)

 

HOMELAND – The End

Série créée en 2011 par Howard Gordon et Alex Gansa
Saison 8 diffusée sur Canal + depuis le 10 février 2020
Saisons de 1 à 7 actuellement sur Netflix

Après son séjour douloureux en Russie, Carrie (Claire Danes) est rappelée par Saul (Mandy Patinkin), devenu conseiller à la sécurité nationale du nouveau Président des États-Unis (Beau Bridges). Chargé de négocier la paix avec les talibans d’Afghanistan, il compte sur l’expérience de sa protégée pour servir sa cause dans ce pays miné. Mais les relations troubles de Carrie avec l’espion russe Yevgeny Gromov (Costa Ronin) la rendent suspecte aux yeux des agents de la CIA sur place…

Preuve que « trop de séries tuent les séries », celle qui s’est achevée quasiment dans l’indifférence le 26 avril dernier est pourtant un monument. Inspirée par l’israélienne Hatufim de Gideon Raff — façon de boucler la boucle, le dernier épisode d’Homeland s’intitule Prisonniers de guerre, titre anglais de Hatufim — elle a été créée sur la chaîne américaine Showtime par Howard Gordon et Alex Gansa, deux des producteurs exécutifs de l’addictive 24 h Chrono. Sur fond de Patriot Act, Homeland a débuté un an après la fin des aventures de Jack Bauer, en 2011, année de la mort de Ben Laden et montrait, via le visage de son héroïne Carrie Mathison, celui d’une Amérique paranoïaque, traumatisée par les attentats du 11 septembre et repliée sur elle-même. Durant huit saisons, Carrie portera le poids du monde sur ses épaules, sera confrontée aux doutes, aux séparations, aux trahisons et à la mort. Véritable soldat avec bien autre chose que du plomb dans la tête (comme Jack Bauer), cet officier traitant de la CIA, d’une efficacité redoutable sur le terrain, n’en est pas moins faillible (elle est bipolaire et psychologiquement fragile). A cran, pétrie de tics, sourcils constamment froncés, toujours à deux doigts d’éclater en larmes lorsqu’elle ne parvient pas à convaincre son interlocuteur, Claire Danes retranscrit physiquement et de manière impressionnante les tourments de son personnage ; au point que lors de certaines scènes, on a pu craindre pour la santé mentale de l’actrice. Pour un peu, on en oublierait qu’elle fut l’adorable Juliette du Roméo + Juliette de Baz Luhrmann. Et puis, il y a Saul Berenson, le mentor, la figure paternelle, protectrice et sage, mais capable de dureté (formidable Mandy Patinkin). Homeland eu ses périodes : celle de Brody (Damian Lewis), celle de Quinn (Rupert Friend) et puis celle de Carrie en électron libre, seule contre tous et… elle-même. Au cours des saisons, il y eut des flottements, de la lassitude, mais rien qui puisse véritablement entamer le capital de sympathie de cette série passionnante qui, malgré les apparences, explore davantage les dégâts collatéraux (et donc humains) du terrorisme, que le terrorisme lui-même. Sa faculté à avoir souvent fait écho à l’actualité et à s’être révélée parfois prophétique est bluffante, et, bien que fiction, Homeland a permis d’analyser avec pertinence de nombreux aspects de la géopolitique de son temps. On pourra d’ailleurs s’amuser à trouver des ressemblances entre cette ultime saison et la cinquième du Bureau des légendes. Eric Rochant, le créateur de cette dernière, a confié avoir cessé de suivre Homeland après la deuxième saison (pour son manque de réalisme) tout en louant, magnanime, le talent des Américains « pour raconter des histoires ». Ils ont aussi un vrai talent pour fabriquer des héros. Et nul doute qu’après ce final inespéré, Carrie et Saul existeront encore longtemps dans notre imaginaire.
Saison 8 – 12 épisodes Et avec Maury Sterling, Andrea Deck, Sam Trammell, Linus Roache, Nimrat Kaur, Numan Acar, Hugh Dancy (l’époux de Clare Danes à la ville, campe dans cette saison John Zabel, l’ignoble conseiller va-t-en-guerre du Président)

 

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« Et toi t’as choisi ?
– Comme tu le vois.
– Ça ne te pose pas de problème ?
– Si ça me pose problème, mais pas suffisamment pour que je pose problème à mon tour. » (Mille Sabords et Rocambole, ex Phénomène)

 

LE BUREAU DES LÉGENDES Saison 5

Série créée en 2015 par Eric Rochant
Saison 5 Diffusée sur Canal + depuis le 10 avril 2020

Malotru (Mathieu Kassovitz) sauvé in extremis par les Russes en Ukraine, est recueilli par Mikhaïl Karlov (Aleksey Gorbunov), officier du FSB qui le convainc de travailler pour eux. Marie-Jeanne (Florence Loiret-Caille), qui n’approuve pas les décisions de JJA (Mathieu Amalric), a quitté le Bureau pour retourner sur le terrain au Caire, agissant sous la couverture de chef de la sécurité d’un grand hôtel. Mais la publication d’un mystérieux article dans Le Figaro, affirmant que la CIA aurait assassiné Malotru avec l’assentiment de la DGSE, se met à semer le trouble chez tous les agents français…

Jusqu’ici, Le bureau des légendes avait fait un sans-faute et la saison 4 s’était même révélée brillante (lire ma chronique). Hélas, la cinquième est loin d’être du même tonneau. Souvent confuse voire incohérente et souffrant d’un manque de rythme, elle n’a ébloui que par fulgurances et il était difficile d’y retrouver la patte d’Éric Rochant, même si Jacques Audiard n’a mis en scène que les deux derniers épisodes (il aurait eu une influence sur toute la saison). Louée pour son réalisme, LBDL a mis le paquet cette année pour démontrer que les espions étaient des hommes et des femmes comme les autres. Pour autant, le souci de réalisme nécessitait-il autant de scènes de sexe, ou même de voir la responsable de la cyber-sécurité d’un hôpital piraté (Joséphine de Meaux) tirer son lait au bureau ? Depuis le début, le sel du Bureau des légendes se niche dans les détails, les regards soupçonneux, et dans cette façon de tourner autour du pot dans les conversations (cette manie de répondre aux questions par une autre…). Cette fois, et avec des gros sabots, l’accent a été mis sur la psychologie et l’aspect humain : Malotru et son psy, JJA et ses hallucinations… Et puis, il y a le traitement réservé aux autres. Que diable fichait Marie-Jeanne dans cet hôtel toute la saison ? Le petit prodige Sylvain Ellenstein alias Pacemaker (Jules Sagot), entre piratage et déboires sentimentaux, se voit purement abandonné en cours de route… Louis Garrel semble être venu pour faire joli, même si ses séquences sont plutôt réussies, idem pour Sara Giraudeau, Artus et même Zineb Triki dont la réapparition sur l’échiquier est quelque peu « tirée par les cheveux ». Mais pire que tout, c’est d’avoir essayé de nous faire croire que Malotru — Guillaume Debailly, Paul Lefèbvre, Pain In The Ass — le roi des obsessionnels, des coups tordus, parano et malin comme un singe, aurait pu ne pas prévoir ce qui allait lui arriver, alors que nous, spectateurs hurlant devant nos écrans, on l’avait envisagé depuis belle lurette. Comment imaginer que reclus, au vert, n’ayant rien d’autre à faire que du jogging et cogiter, la terreur du contre-espionnage français n’ait pas pensé une seconde à mettre les siens à l’abri. I dont buy it, comme disent les Anglo-Saxons. Et la grandiloquente séquence buñuellienne censée nous en mettre plein la vue pour nous faire avaler la pilule n’y change rien. Fiasco it is.
Saison 5- 10 épisodes Et avec Jonathan Zaccaï, Irina Muluile, Stefan Crepon, Anne Azoulay, Laurent Grévill, Judith Henry…

Eric Rochant ayant envie de tourner la page et Audiard ne souhaitant pas s’engager sur une série quelle qu’elle soit, on ignore, à l’heure du déconfinement balbutiant, ce qu’il adviendra de la suite du Bureau des légendes et qui en reprendra les rênes. Faire mieux que Rochant va être difficile.

 

LE BUREAU DES LÉGENDES Saison 4

Certains doutaient de sa résistance et de sa force de survie, mais trois ans après sa création, la série d’Eric Rochant n’a rien perdu de sa capacité à captiver et innover. Contre toute attente, la disparition de protagonistes majeurs a même permis l’éclosion de figures tout aussi intéressantes. Car les geeks ont beau repousser les limites de la technologie, le nouveau monde se moquer de l’ancien, l’humain est plus que jamais au cœur de cette quatrième saison sous haute tension : profonde, subtile et bouleversante.

 

« Je viens d’avoir Malotru. Ils sont sur place.
– Je sais.
– Il est inquiet…
– De quoi ?
– Je ne sais pas. Il est inquiet…
– Ok…
– Il a des raisons d’être inquiet ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Je ne sais pas…
– Ok… »

 

Le bureau des légendes – Saison 4

Série française créée par Eric Rochant
2018
Sur Canal + depuis le 22 octobre

Malotru (Mathieu Kassovitz), qui a faussé compagnie à l’équipe de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) et aux Américains venus l’appréhender pour l’interroger, se cache à Moscou. Marie-Jeanne (Florence Loiret-Caille), désormais à la tête du Bureau des légendes, est dans le collimateur de JJA (Mathieu Amalric), terreur du contre-espionnage, déterminé à trouver la faille dans cette équipe qu’il soupçonne d’être sous l’influence néfaste de Malotru et d’avoir facilité son évasion…

On a adoré 24 h chrono pour son côté épique et son héros sacrificiel. On adore Homeland pour son univers anxiogène et son héroïne paranoïaque. Mais Le bureau des légendes, dans sa façon bien à elle de traiter de l’espionnage, n’a rien à leur envier. D’ailleurs les Américains sont si séduits par la série française qu’un remake est en cours (sous le titre The Department). Montrer les espions sous leurs aspects les plus ordinaires, fonctionnaires et ronds de cuir œuvrant pour la sécurité du monde dans les couloirs étroits et la grisaille de bureaux à la déco anonyme, était un vrai pari lancé en 2015 par Eric Rochant (Un monde sans pitiéLes patriotes), fan de John Le Carré devant l’Eternel. Mais ce parti pris anti-spectaculaire et réaliste n’empêche ni le suspense, ni les scènes de bravoure. Au contraire, dans Le Bureau des légendes, une séquence de traque d’un virus informatique sur des écrans donne autant de frissons qu’une attaque des Marcheurs Blancs dans Game Of Thrones. Signe des temps, cette saison 4 met les jeunes, spécialistes du codage et de la cybersécurité, en première ligne (Ah ! les yeux ronds de Marie-Jeanne quand elle est en leur présence…). Tandis que Malotru tente de jouer au plus fin avec le FSB en Russie où il est entré clandestinement, d’autres agents s’activent sur le terrain. Rocambole, ex-Phénomène, alias Marina Loiseau (Sara Giraudeau) est en mission à Moscou, et Janus (formidable Artus), fait ses premiers pas en Syrie pour récupérer des informations sur les djihadistes français qui fomentent des attentats sur le territoire. Car comme le fait remarquer Sylvain Ellenstein (Jules Sagot) à César, le roi des geeks (Stefan Crepon) : « L’humain, c’est bien aussi. » L’humain, justement, est un facteur nuisible pour le glaçant JJA incarné avec brio par Mathieu Amalric et obsédé par la traque d’agents doubles. Pourvoyeur de phrases vachardes et de coups tordus, il réussit à instiller le doute dans les cerveaux les plus aguerris et à y implanter l’idée qu’un espion romantique est aussi dangereux qu’une arme de destruction massive. On n’aura jamais tant détesté l’acteur sur un écran.
Dix épisodes de 52 minutes. Et avec Jonathan Zaccaï, Irina Muluile, Grégory Fitoussi, Aleksey Gorbunov, Maryana Spivak, Surho Sugaipov, Stéfan Godin, Gilles Cohen, Anne Azoulay…

On notera que non seulement la DGSE a donné son assentiment à la production du Bureau des légendes, mais elle y collabore en procurant volontiers des conseils aux scénaristes (ce qui ne veut pas dire que tout ce qu’on voit dans la série est vrai). Du coup, les agents eux-mêmes sont archi-fan du show, plus que ravis de l’image qu’il renvoie de leur profession.

BANDE-ANNONCE