LE SERPENT/A TEACHER

Focus sur deux nouvelles mini-séries diffusées en ce moment sur Netflix et Canal +, toutes deux aussi intéressantes que controversées.

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« Sois prudent Charles, tu as presque trente-trois ans. Jésus-Christ est mort à trente-trois ans.
– Je suis plus malin que lui. »

 

LE SERPENT

Mini-série britannique de huit épisodes créée par Richard Warlow et Toby Finlay
Diffusée pour la première fois sur BBC One, le 14 février 2021
Disponible sur Netflix depuis le 2 avril 2021

À Bangkok en 1975, Charles Sobhraj (Tahar Rahim) se fait passer, sous le nom d’Alain Gautier, pour un négociant en pierres précieuses. Escroc séduisant, manipulateur en diable, il charme les jeunes routards et hippies en quête d’aventures en les attirant dans son fief cool de Kanit House avant de les empoisonner, les détrousser et, avec l’aide de deux complices, de les tuer froidement. Mais la disparition suspecte d’un couple de Hollandais va mettre sur sa piste un jeune diplomate néerlandais (Bill Howle) en poste à Bangkok. Au grand dam de son ambassade qui ne veut pas faire de vagues, il est déterminé à découvrir la vérité, quitte à mettre sa carrière et son couple en péril…

Inspirée de l’histoire vraie du tueur en série Charles Sobhraj, également relatée en 1979 dans le best-seller de Thomas Thompson, La trace du serpent, le show de Richard Warlow et Toby Finlay — déjà créateurs de la série Ripper Street, plébiscitée outre-Manche — a suscité maintes critiques. Principaux reproches : l’accent très anglo-saxon de la Britannique Jenna Coleman, interprète de Marie-Andrée Leclerc, la complice québécoise de Sobhraj, le fait d’entretenir un certain flou sur les motivations de ce dernier et les nombreux allers-retours dans le temps, parfois déroutants. Certes, une actrice québécoise aurait peut-être rendu plus réaliste ce personnage ici glamourisé, mais le talent de Jenna Coleman (Victoria, Doctor Who…), toute en regards et sourires ambigus, est pour beaucoup dans la tension constante de la série. Quant au mystère Charles Sobhraj, s’il n’est pas entièrement résolu dans le show, c’est qu’il ne l’est pas non plus dans la réalité. Comme les journalistes et policiers à l’époque, les auteurs ne peuvent qu’explorer des pistes pour tenter de donner un sens à ces atrocités, car l’homme, qui porte bien son surnom, a toujours entretenu le mystère. Enfin, les nombreux flash-backs ne font que remettre les événements en perspective ; permettant parfois un regard différent sur les situations, ils ne nuisent jamais au suspense. Car suspense il y a. La traque de Sobhraj par le jeune Herman Knippenberg tourne à l’obsession, rappelant un peu celle du Tueur du Zodiaque que David Fincher avait porté à l’écran avec brio en 2007. Seul contre tous, l’ambassade et la police corrompue lui mettant constamment des bâtons dans les roues, le diplomate plutôt sage va faire preuve d’une incroyable opiniâtreté. Ce jeu du chat et de la souris, palpitant jusqu’au bout, reste en outre très fidèle à l’histoire. La série a bénéficié du concours de témoins des événements, et de celui de Herman Knippenberg en personne. La reconstitution des 70’s est magnifique et la bande-son, ad hoc. Le couple diabolique a des allures de Bonnie and Clyde, et la beauté des costumes et décors contraste avec l’horreur de ce qui trame en coulisses. Enfin, chapeau à Tahar Rahim, méconnaissable et très convaincant dans la peau de ce monstre glacial, qui a toujours un coup d’avance. La série est dédiée « À tous les jeunes intrépides partis avec des grands rêves et qui ne sont jamais rentrés chez eux. »
2 h 14 Et avec Tim McInnerny, Amesh Edireweera, Ellie Bamber, Mathilde Warnier, Stacy Martin, Grégoire Isvarine, Apasiri Kulthanan, Fabien Frankel, Alice Anglert, Alma Jodorowsky…

 

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« J’ai vu mon frère hier. Il a dix-sept ans maintenant. Comme moi à l’époque… Il a l’air tellement jeune, putain. »

 

A TEACHER

Mini-série américaine de dix épisodes créée par Hannah Fidell
Diffusée pour la première fois sur Hulu en novembre 2020
Disponible sur Canal+ depuis le 22 avril 2021

Claire Wilson (Kate Mara), professeur d’anglais, vient d’intégrer l’équipe enseignante du lycée de Westerbrook, non loin d’Austin au Texas. Cette séduisante trentenaire est mariée à Matt (Ashley Zukerman) avec qui elle essaie, depuis plusieurs mois, d’avoir en enfant, mais n’est pas aussi heureuse qu’elle le voudrait. Aussi, lorsque Eric Walker (Nick Robinson), élève sympathique et plutôt beau gosse de sa classe de terminale, la sollicite pour des cours particuliers afin de pouvoir être admis à l’université d’Austin, elle accepte…

Voici probablement la série la plus déconcertante de l’année. Hannah Fidell a librement adapté le film homonyme qu’elle avait réalisé sept ans auparavant (inédit en France). Au demeurant, les deux œuvres n’auraient en commun que leur titre. Les premiers épisodes augurent une banale histoire d’amour entre une prof et son élève, inéluctablement attirés l’un par l’autre malgré les interdits. D’abord timide, leur liaison va devenir torride avant qu’un élément perturbateur ne s’en mêle. Le spectateur peut se demander alors en quoi cette relation sexuelle consentie entre un ado de dix-sept ans et une jeune trentenaire constitue, aujourd’hui, une intrigue digne d’intérêt. C’est justement le problème que veut soulever Hannah Fidell (qui a elle-même été abusée durant son adolescence) : la banalisation de ce genre d’affaire ne doit pas faire oublier qu’il s’agit toujours d’un interdit absolu dont le franchissement à des conséquences sous-estimées. L’adulte qui, inconsciemment peut-être, fait usage de son pouvoir, doit être considéré comme un prédateur et seul responsable (a fortiori, s’il est enseignant) de la transgression. C’est ce que tend à démontrer l’étrange et imprévisible A Teacher. Ainsi, la première partie a des atours de série ado (avec ses inévitables séquences de fêtes de dernière année, beuveries entre potes…). En revanche, la deuxième, plus sombre, met en exergue le trauma qui résulte de ce moment d’égarement et la difficile reconstruction des protagonistes. Kate Mara, qui ne cherche pas à rendre son personnage sympathique, et le jeune Nick Robinson (Love Victor, Love Simon…) sont excellents. Même lorsque la situation semble inoffensive, leur jeu subtil parvient à en souligner la toxicité. La scène finale, totalement inattendue, fait l’effet d’une claque.
Dix épisodes de 26 minutes Et avec Rya Kihlstedt, Shane Harper, Dylan Schmid, Marielle Scott, Alan David Thompson, Camila Perez, Cameron Moulène…

 

ALIAS GRACE (Captive)

Coup de cœur pour cette mini-série de 2017 actuellement diffusée sur Netflix et passée inaperçue en France, remarquable en tous points.

 

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« J’espère que tôt ou tard nous raviverons votre mémoire…
– Je ne suis pas certaine de vouloir la retrouver. »

 

ALIAS GRACE (Captive)


Mini-série canadienne réalisée par Mary Harron et écrite par Sarah Polley d’après l’œuvre de Margaret Atwood
Créée en 2017 sur CBC Television, disponible sur Netflix

Au Canada, en 1843, Grace Marks (Sarah Gadon), jeune servante d’origine irlandaise, est accusée d’avoir participé aux meurtres de son employeur et de sa gouvernante, aux côtés d’un autre domestique, James McDermott (Kerr Logan). Ce dernier est pendu, mais grâce à son jeune âge, la jeune fille, qui prétend n’avoir aucun souvenir de la tragédie, échappe à la peine de mort et écope d’une peine de réclusion à perpétuité. Cependant, son cas et sa personnalité suscitent de nombreuses interrogations, les observateurs ne parvenant pas à établir sa responsabilité réelle dans ce double meurtre. Quinze ans après, un médecin spécialiste des maladies mentales (Edward Holcroft) est mandaté par un pasteur (David Cronenberg) à la tête d’un groupe de soutien de Marks pour l’évaluer psychologiquement, l’aider à retrouver la mémoire et peut-être enfin, découvrir la vérité…

Fascinant. Cette mini-série de six épisodes se dévore quasiment d’un trait. A l’instar du médecin bienveillant (mais sur ses gardes) campé par le séduisant Edward Holcroft, on ne peut qu’être envoûté par l’histoire et la personnalité de Grace Marks incarnée de manière remarquable par Sarah Gadon. Le show est l’adaptation d’un best-seller de Margaret Atwood publié en 1996, librement inspiré d’un fait divers. La romancière canadienne avait consacré plusieurs années à étudier l’affaire (telle que relatée en 1853 par Susanna Moodie dans son ouvrage La vie dans les clairières) et l’avait d’abord adapté en 1974 pour la télévision sous le titre The Servant Girl (c’était une des pièces de la série télévisée canadienne The Play’s The Thing). S’il est ici question de mysticisme et de psychanalyse — Grace Marks est-elle folle, manipulatrice, victime ? — on retrouve dans le show les thèmes de prédilection de Margaret Atwood et nombre de similitudes avec La servante écarlate : l’enfermement, la condition de la femme, les rapports maître-domestique, la lutte des classes… On se laisse embarquer dans le récit de cette immigrante irlandaise, narré par elle-même, illustré par des flash-backs qui mettent en exergue le climat de violence qui l’a toujours entourée. Tour à tour ingénue, extrêmement lucide ou philosophe, Grace déstabilise son interlocuteur, fasciné par son intelligence et qui ne mesure pas le danger auquel il s’expose à vouloir ainsi entrer dans sa tête (on n’est pas très loin de la série Mindhunter). Se pourrait-il que le mal ait un visage aussi angélique ? Cette peinture de la société du 19ème siècle, où l’intérêt du public pour le spiritisme, l’hypnose et les rêves était déjà manifeste (le terme « psychanalyse » de Freud n’apparaît qu’en 1896), force l’admiration. Troublante et parfois terrifiante, Alias Grace brille par son écriture intelligente (Sarah Polley est une figure du cinéma indépendant), la beauté de sa mise en scène (Mary Harron est la réalisatrice de American Psycho) et sa distribution irréprochable.
Six épisodes de 45 minutes. Et avec Anna Paquin, Paul Gross, Rebecca Liddiard, Stephen Joffe, Zachary Levi… et la participation de Margaret Atwood

11.22.63

L’Amérique n’en a pas fini avec l’assassinat de JFK, un de ses plus grands traumatismes. Alors que fraîchement débarqué dans les salles françaises, Jackie de Pablo Larraín, revient sur les trois jours qui ébranlèrent le monde, Canal+ diffuse l’épatante mini-série 22.11.63, adaptée du roman homonyme de Stephen King. James Franco y campe un modeste professeur de littérature propulsé en 1960 pour tenter d’empêcher la tragédie.

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« We never know which lives we influence, or when, or why. »

 

22.11.63 (11.22.63)

Mini-série créée par Bridget Carpenter d’après l’œuvre de Stephen King
2016

A Lisbon dans Le Maine, l’existence de Jake Epping (James Franco), professeur de littérature en instance de divorce, n’est guère palpitante. Elle va basculer le jour où son ami Al Templeton (Chris Cooper) lui dévoile l’existence d’un portail temporel situé dans l’arrière-cuisine de son restaurant. Ce passage propulse en 1960, et depuis des années, Al l’emprunte pour tenter d’empêcher le meurtre de John F. Kennedy, convaincu que cet acte rendra le monde meilleur. Sa santé déclinant, il charge Jake de cette mission, mais le met en garde : le passé n’aime pas être modifié…

22.11.63 ou 11.22.63 en VO, résulte d’une belle association : Stephen King (auteur du livre et producteur exécutif), J. J. Abrams (producteur exécutif), James Franco (interprète principal et producteur) et Bridget Carpenter (scénariste et productrice exécutive), qui a brillamment développé le show. La mini-série a été diffusée pour la première fois en février 2016 sur la plate-forme de streaming vidéo Hulu, qui diffuse désormais films et séries, et est devenue une concurrente de Netflix et Amazon Prime. Dès le pilote, on est surpris par le classicisme du show, son rythme particulier (pas de montage cut hystérique), et son aspect romanesque qui tranche avec les séries ambiantes. Pourtant, pour qui sait être patient, 22.11.63 devient addictive. On est d’abord intrigué, puis happé par le suspense généré par ce Retour vers le futur aux multiples rebondissements. L’empreinte de l’écrivain est manifeste dans chaque montée de tension et dans cette manière d’insuffler de l’horreur dans le réel. Grâce à la justesse du jeu de James Franco, on s’identifie parfaitement à Jake, qui doit affronter au jour le jour des difficultés inattendues. Constamment sur un fil, son personnage se débat dans un univers à la fois familier et totalement fantastique. La vision utopique de ce début des années 60, dans une Amérique encore flamboyante, est gangrenée par des complots ourdis dans l’ombre et une violence refoulée sur le point d’exploser. Car comme on va le découvrir, ce n’est pas tant la politique qui intéresse King que l’humain, cœur de cette réflexion philosophique sur l’histoire, le passé et le libre arbitre. C’est ce qui rend 22.11.63 incroyablement romantique. Les personnages (la brochette d’acteurs est excellente) sont attachants, et l’histoire d’amour de Jake et Sadie (exquise Sarah Gadon) est probablement une des plus touchantes qu’on ait vue à la télévision depuis longtemps. La fin, magnifique et très fidèle à celle du livre, n’appelle pas de suite. Pour le moment heureusement, King n’a rien prévu de tel.
Mini-série en 9 épisodes d’environ 1 heure, excepté le dernier de 90 minutes.  Avec George MacKay, Cherry Jones, Daniel Webber, Lucy Fry, Nick Searcy, Josh Duhamel, Gil Bellows…

Les connaisseurs de l’univers de Stephen King s’amuseront à noter les nombreux clins d’œil (ou easter eggs) à son univers, telle la rutilante Plymouth Fury rouge conduite par Johnny Clayton, qui fut l’héroïne du génial Christine.

BANDE-ANNONCE