EN TÊTE À TÊTE AVEC ORSON

Orson Welles, dont on fête le centenaire de la naissance cette année (il était né le 6 mai 1915), est partout ! La chaîne TCM a diffusé en juin l’intégralité de ses films — dont beaucoup (Citizen Kane notamment) sont parus et paraissent en Blu-ray et DVD restaurés, excellents bonus à l’appui — et deux documentaires, This Is Orson Welles et Orson Welles, autopsie d’une légende, ont été projetés au dernier festival de Cannes. La Cinémathèque française lui consacre une rétrospective et, cerise sur le gâteau, un livre d’entretiens savoureux avec le réalisateur et le cinéaste Henry Jaglom, réunis par Peter Biskind, vient de paraître, en français, chez Robert Laffont.

Photo Credit: Courtesy of the Academy of Motion Pictures Arts and Sciences

Photo Credit: Courtesy of the Academy of Motion Pictures Arts and Sciences

 

« Je ne lis pas tout ce qui concerne le cinéma, ou le théâtre. Les films ne m’intéressent pas beaucoup. Je n’arrête pas de dire ça aux gens, mais ils ne veulent pas me croire, alors que, réellement, je ne suis pas très intéressé. Pour moi, c’est seulement passionnant à faire. Vois-tu, je n’ai pas de curiosité pour les autres cinéastes – c’est affreusement arrogant de dire ça, je sais – ou pour l’expression cinématographique. Selon moi, c’est la forme d’art la moins passionnante à regarder. Excepté le ballet, qui est encore plus inintéressant que le cinéma. J’aime simplement faire des films, tu comprends ? Et c’est la vérité ! »
Orson Welles à Henry Jaglom

 

En tête à tête avec Orson 
Conversations entre Orson Welles et Henry Jaglom
Robert Laffont, Avril 2015
Traduit de My Lunches with Orson… Peter Biskind 2013

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Au début des années 70, Henry Jaglom, ancien élève de l’Actor’s Studio, est happé par le mouvement du Nouvel Hollywood. Il décide de passer derrière la caméra, et de réaliser des films d’auteur. Comme tous les jeunes cinéastes de l’époque, il vénère Orson Welles, et rêve de le faire tourner. Son amitié avec le réalisateur Peter Bogdanovich, qui côtoie régulièrement Welles pour un projet de livre, sera son sésame. Il va parvenir avec beaucoup d’astuce à convaincre l’acteur et réalisateur légendaire de jouer dans Un coin tranquille (A Safe Place), son premier long-métrage, aux côtés de Tuesday Weld et Jack Nicholson. Le film poétique et fantasque sera un échec mais, entre les deux hommes, naîtra une véritable amitié, consolidée en 1982 lorsqu’ils entameront un rituel de rencontres au restaurant Ma Maison, à Hollywood. Ils y déjeuneront ensemble, chaque semaine, jusqu’en 1985, année du décès de Welles (mort d’un infarctus dans la nuit du 10 octobre, sa machine à écrire sur les genoux).

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Leurs conversations à bâtons rompus sur Hollywood, le cinéma, la politique, les femmes, devaient à l’origine nourrir l’autobiographie que Welles avait l’intention d’écrire (ce dernier avait imposé à Jaglom de cacher le magnétophone dans son sac, hors de sa vue). Demeurés au fond d’un tiroir durant plus de vingt-cinq ans, ces enregistrements ont été exhumés par la volonté de Peter Biskind, auteur du fameux Le Nouvel Hollywood, qui a convaincu Jaglom de les lui confier pour les publier. Paru en 2013 aux Etats-Unis, ces conversations révèlent un Orson Welles excessif et drôle malgré son amertume envers une industrie du cinéma qui s’est toujours refusée à lui, et qui n’a pas son pareil pour dynamiter les légendes.

« J’ai vu récemment ce qu’on m’a toujours dit être le plus grand film de Jack (John Ford), et c’est horrible ! The Searchers (La prisonnière du désert). Il a fait plein de mauvais films. »

Orson Welles et Henry Jaglom
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Orson Welles : « L’autre soir, j’ai vu l’un des pires films qui soient, tu sais, ce truc d’Hitchcock avec Jimmy Stewart qui passe son temps devant une fenêtre. »
Henry Jaglom : Rear Window (Fenêtre sur cour).
OW : Totalement stupide ! Aucune compréhension de ce qu’une histoire de voyeurisme devrait être…
HJ : Si tu trouves celui-là mauvais, il y en a un autre vraiment terrible avec Jimmy Stewart et Kim Novak.
OW : Vertigo ! C’est encore pire ! »

Tantôt enfantin, tantôt provocateur, le cinéaste apparaît au fil de ces pages sous des facettes parfois contradictoires. La spontanéité des propos permet au lecteur de reconstituer au moins partiellement le puzzle de cette personnalité hors normes, un roi déchu qui n’a plus rien à perdre et n’essaie pas de se rendre sympathique. Désabusé, revenu de tout et diablement intelligent, Orson Welles parle sans langue de bois du passé et du monde d’aujourd’hui. Il évoque avec une tendresse teintée de condescendance sa deuxième épouse, Rita Hayworth, qui ne rêvait que d’être femme au foyer, parle du jour où il a présenté Marlene Dietrich à Greta Garbo, et ses piques envers les personnalités du 7ème art valent invariablement leur pesant de cacahuètes.

Orson Welles en famille, avec Rita Hayworth et la jeune Christopher Welles
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Sur Irène Dunne : « Tellement collet monté et une foutue bonne catholique, au point que j’avais envie de lui foutre mon pied au derrière. Une sainte-nitouche. »

Sur Joan Fontaine : « Ni elle ni sa sœur, Olivia de Havilland, ne savaient jouer. Je n’ai jamais compris la carrière qu’elles ont eue. »

Sur Woody Allen : « Il est arrogant. Comme chez tous les indécis, sa présomption est sans limite. Ceux qui parlent tout bas et se ratatinent en société sont en fait incroyablement arrogants. Il fait le timide mais il ne l’est pas. Il a peur. Il se déteste et il s’adore à la fois. Ce qui créé beaucoup de tension… »

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Et lorsqu’il s’enthousiasme, c’est avec la même ferveur :

A propos de La grande illusion :
« Probablement l’un des trois ou quatre meilleurs films de tous les temps. Je fonds en larmes chaque fois que je le vois… Tous les acteurs sont divins ! »

La règle du jeu : « C’est comme écouter du Mozart. »

Sur Gary Cooper et Humphrey Bogart : « Devant Gary Cooper, je me transforme en pucelle ! Et toi tu aimes Bogey ! Aucun des deux ne valait grand-chose, mais on est simplement amoureux d’eux. »

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Si Orson Welles parle des coulisses d’Hollywood avec une sauvagerie jubilatoire, ne ménageant rien ni personne, il évoque avec le même esprit et la même lucidité ses soucis financiers, ses films avortés, et ses mauvais choix. A l’automne 1985, un mois après son décès, le restaurant Ma Maison fermait ses portes. Depuis, Henry Jaglom a continué à faire des films et à monter des pièces de théâtre, au succès très confidentiel et mitigé. En 1997, un documentaire, Who Is Henry Jaglom? , de Henry Alex Rubin et Jeremy Workman, lui a été consacré, pour tenter de cerner cette personnalité très controversée, un génie méconnu pour les uns, un imposteur égocentrique pour les autres.
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A noter que Carlotta Films publiera le 8 juillet prochain, pour la première fois en Blu-ray et DVD, et en version nouvellement restaurée, Dossier Secret a.k.a Mr Arkadin, d’Orson Welles, ainsi que la mini-série inédite Autour du monde avec Orson Welles

Site Carlotta Films, DVD et VOD

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Orson Welles à la Cinémathèque française jusqu’au 2 août 2015

Orson Welles and Rita Hayworth in Lady from Shanghai

LILITH/MICKEY ONE

SEXY COMME BEATTY

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Le sex-symbol du Nouvel Hollywood est à l’honneur chez Wild Side Video, dans la collection bien nommée Les Introuvables. Situés dans la filmographie de l’acteur entre les mythiques La fièvre dans le sang et Bonnie And Clyde, Lilith de Robert Rossen (1964) et Mickey One, d’Arthur Penn (1965), profitent ici d’une restauration magnifique. Ils sont suivis d’une interview du spécialiste et implacable Peter Biskind, auteur du Nouvel Hollywood et de Star, la biographie de Beatty, sous-titrée How Warren Beatty Seduced America.

Lilith

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Robert Rossen
1964 (DVD paru le 5 février 2014 chez Wild Side Video, disponible dans les magasins Fnac et sur Fnac.com)

De retour dans sa ville natale en Nouvelle-Angleterre, le jeune vétéran Vincent Bruce (Warren Beatty) est embauché comme aide-rééducateur dans une clinique psychiatrique privée. Sans formation, mais plein de bonne volonté, le jeune homme parvient très vite à tisser des liens de confiance avec les patients, et notamment avec Lilith (Jean Seberg), la jeune et séduisante névrosée dont il a la charge. Vincent va peu à peu tomber sous le charme de cette jeune manipulatrice, au point de perdre pied…

Révélé en 1961 aux côtés de Nathalie Wood dans le chef-d’œuvre d’Elia Kazan, La fièvre dans le sang, Warren Beatty a, dès ses débuts, fait montre d’ambition, et s’est adjoint les plus brillants scénaristes et réalisateurs, tel Robert Rossen. En 1963, lorsqu’il entreprend de porter à l’écran le roman de J. R. Salamanca (l’écrivain s’est inspiré de son expérience d’aide-soignant dans une clinique psychiatrique), le cinéaste est auréolé du succès de L’arnaqueur, son film précédent paru deux ans auparavant. La psychanalyse freudienne et la névrose sont des thèmes en vogue dans l’Amérique des années 60. A la même époque, en 1963, John Cassavetes réalise Un enfant attend, son premier film de studio, consacré au traitement réservé aux attardés mentaux et à l’autisme. Comme celui de Cassavetes, le film de Rossen dépeint une équipe de soignants compatissants, en empathie avec les pensionnaires, et qui n’hésitent pas à leur accorder une relative liberté. Si les fenêtres de leurs chambres sont grillagées, les malades se promènent dans le parc, participent à des pique-niques et balades en bicyclette, et peuvent sortir de l’établissement sous surveillance. Les éléments de la nature, l’eau, le vent, les blés, magnifiquement photographiés, font écho aux tourments des protagonistes. Face à Jean Seberg, excellente en séductrice schizophrène, Warren Beatty, tête baissée et mutique, joue parfaitement l’ambiguïté. Mais si les images (en noir et blanc) sont souvent stupéfiantes de beauté, le film, mélange de sensualité, d’onirisme et de poésie, a tendance à abuser de la navigation en eaux troubles et souffre de quelques incohérences, dont une, particulièrement gênante : pourquoi la directrice (Kim Hunter) a-t-elle confié la surveillance d’une jeune et jolie nymphomane à un jeune homme sans expérience, visiblement mal dans sa peau, et particulièrement séduisant ? Ces flottements expliquent l’échec du film à sa sortie, en dépit de ses qualités manifestes. Réhabilité depuis par les critiques, Lilith est le dernier film de Robert Rossen, disparu en 1966.
Avec Peter Fonda, Kim Hunter et Gene Hackman

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Test DVD :

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Interactivité**
Belle initiative des éditeurs d’avoir enrichi le film d’une courte interview de Peter Biskind, expert du cinéma américain de cette période et de Warren Beatty en particulier (11 minutes). Le critique ne mâche pas ses mots en évoquant les faiblesses du film qu’il replace dans le contexte de l’époque. Il s’attarde aussi sur les conditions de tournage particulièrement pénibles, dues au comportement mégalomane et arrogant de Beatty, adepte de la Méthode, qui n’hésitait pas à harceler constamment son réalisateur sur ses intentions, allant jusqu’à saboter les scènes qui ne lui convenaient pas. Robert Rossen ne s’en serait jamais remis. Le fougueux Warren Beatty s’est également mis à dos ses partenaires (dont Peter Fonda qui a failli en venir plusieurs fois aux mains). Le programme comprend également une galerie de photos et la bande-annonce originale non restaurée, qui met en exergue la qualité de la récente restauration.

Image ***
Format : 1.85
La restauration, superbe, met en valeur le noir et blanc travaillé par le prestigieux chef-opérateur Eugen Schüfftan (Quai des brumes, Les yeux sans visage…). La luminosité, la définition et les contrastes sont plutôt réjouissants.

Son : **
DD 2.0 Mono d’origine, en anglais sous-titré français
Sous-titres français imposés
Equilibrée, l’unique piste en version originale sous-titrée se révèle satisfaisante. Les dialogues sont clairs et certains passages musicaux bénéficient d’un dynamisme inattendu.

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Mickey One

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Arthur Penn
1965 (DVD paru le 5 février 2014 chez Wild Side Video, disponible dans les magasins Fnac et sur Fnac.com).

Une vedette de stand-up de Detroit (Warren Beatty) est obligée de fuir la mafia qui veut sa peau pour des raisons obscures. Arrivé à Chicago sans un sou en poche, le jeune homme tente de se faire oublier en acceptant, sous le nom de Mickey One, des jobs ingrats. Très vite, il revient à ce pour quoi il est doué, sur la scène d’un music-hall local. Mais son talent l’expose un peu trop et, à son grand dam, il ne tarde pas à être repéré par le propriétaire du club le plus prestigieux de la ville…

L’échec commercial de Lilith n’a nullement émoussé chez le jeune Warren Beatty le désir de sortir des sentiers battus. Ainsi, même si Mickey One, adaptation de la pièce homonyme d’Alan Surgal, que lui propose Arthur Penn, ne l’emballe pas outre mesure (il juge le scénario trop abscons), le petit frère de Shirley MacLaine s’enthousiasme à l’idée de collaborer avec le réalisateur du Gaucher et de Miracle en Alabama (couronné par deux Oscars), qui jouit d’une belle réputation auprès des critiques et de l’intelligentsia hollywoodienne. Arthur Penn, échaudé après son renvoi du tournage du Train (que John Frankenheimer a finalement mis en scène), est en quête de liberté et rejette plus que jamais le système des studios. Le petit budget alloué à Mickey One va lui permettre de concrétiser un projet ambitieux, à la manière des réalisateurs de la Nouvelle Vague française et du néoréalisme italien qu’il admire. Marchant sur les traces de John Cassavetes avec son révolutionnaire Shadows en 1959, Penn délaisse la structure narrative au profit d’une liberté visuelle teintée d’absurde et de surréalisme, et réalise un film jazz (les improvisations sont signées Stan Getz). La paranoïa et le sentiment anxiogène qui émanent de cette métaphore du Maccarthysme sont palpables. Le spectateur est propulsé en plein cauchemar, celui que vit le personnage incarné par Warren Beatty, obsédé par l’idée d’un complot qui se referme sur lui. Filmée en noir et blanc, cette fuite en avant du héros, qui traduit les névroses et angoisses de l’Amérique de l’époque, est une explosion de plans audacieux et d’images somptueuses (la photo est signée Ghislain Cloquet, auquel on doit, entre autres, celles des Demoiselles de Rochefort et de Peau d’Ane). Même si sa prestation, aussi confuse que le film, ne restera pas dans les annales, Beatty (beau à se damner) n’est pas la cause de l’échec du film à sa sortie. Trop expérimental et outré, Mickey One n’est pas parvenu à séduire le public de 1965. Arthur Penn et Warren Beatty se rattraperont deux ans plus tard avec une autre cavale infernale, le fameux Bonnie And Clyde, qui donnera le coup d’envoi du Nouvel Hollywood.
Avec Alexandra Stewart, Hurd Hatfield, Franchot Tone…

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Test DVD :

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Interactivité***
On retrouve le journaliste Peter Biskind qui éclaire sur les motivations de Penn et Beatty, et livre un état des lieux de l’industrie cinématographique hollywoodienne de l’époque (14 minutes). La galerie de photos comprend des photos de tournage intéressantes et des affiches du film. Enfin, surprise ! La bande-annonce d’époque recèle des images inédites.

Image ***
Format : 1.85
La restauration est, là encore, splendide. L’image est propre, lumineuse et contrastée. Les noirs sont profonds à souhait.

Son : **
DD 2.0 Mono d’origine en anglais sous-titré français
Sous-titres français imposés
Une piste dynamique et équilibrée. Les effluves de jazz sont parfaitement mis en valeur.

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