THE APPRENTICE

À quelques semaines des présidentielles américaines, ce brûlot sur l’ascension de Donald Trump tombe à pic pour remettre, si besoin était, les pendules à l’heure. Même s’il ne va pas changer pas la vision des fervents partisans du personnage, le film pourra peut-être faire réfléchir les indécis qui hésitent à confier à nouveau les rênes de la plus grande puissance mondiale à un mégalo impulsif doublé d’un menteur pathologique.

 

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« Rule n° 2 : Admit nothing. Deny everything. »
(« Règle n°2 : N’avoue rien. Nie tout. »)

 

THE APPRENTICE

Ali Abbasi
2024
Dans les salles françaises depuis le 9 octobre 2024

En 1973 à New York, Donald Trump (Sebastian Stan) rêve d’entrer dans la cour des grands. Fils cadet d’un promoteur du Queens dont les affaires déclinent, ce jeune homme naïf et mal dégrossi a pour lui-même des ambitions démesurées qu’il peine à concrétiser. Sa rencontre avec le fameux avocat conservateur Roy Cohn (Jeremy Strong), impitoyable, retors et passablement corrompu, va lui faciliter les choses. Trump ne tarde pas à faire de ce dernier son mentor, et en matière de cynisme et de fripouillerie, l’élève va finir par dépasser le maître…

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas la détestation de Donald Trump qui a poussé Ali Abbasi à réaliser ce biopic. Le projet avait été lancé en 2018 par la productrice Amy Baer et le journaliste américain Gabriel Sherman. Ce dernier, qui a interviewé Trump à de nombreuses reprises, est aussi l’auteur de The Loudest Voice, la biographie du fondateur de Fox News Roger Ailes — adaptée récemment en mini-série par Tom McCarthy et Alex Metcalf. Autant dire qu’il s’est fait une spécialité des personnages toxiques. Productrice et scénariste ont vite compris, après avoir essuyé de multiples refus, qu’aucun cinéaste outre-Atlantique ne se risquerait à porter The Apprentice (titre en clin d’œil à l’émission de téléréalité animée par Trump en 2004) à l’écran. Ils se sont alors tournés vers des metteurs en scène étrangers, susceptibles de porter un autre regard sur le sujet. Ali Abbasi, réalisateur danois d’origine iranienne repéré avec Border et Les nuits de Mashhad, a été séduit par l’idée de chercher l’humain dans la personnalité borderline et incontrôlable de l’ex-président, concédant même une certaine fascination pour le bonhomme. Rejetant le concept du biopic classique, Sherman et Abbasi se sont focalisés sur la relation de Trump avec l’avocat Roy Cohn, qui lui a mis le pied à l’étrier. Une amitié qui se soldera par une trahison. Un bel exemple d’arroseur arrosé. Tristement célèbre pour avoir été l’âme damnée de Joseph McCarthy, et notamment concernant l’affaire des époux Rosenberg, Cohn, homosexuel et homophobe, inspirera en 1990 à Tony Kushner l’un des personnages de sa fameuse pièce Angels In America. Il est l’une des figures les plus influentes du New York des années 70, alors en pleine déconfiture (à la limite de l’insalubrité), aux mains de politiciens corrompus. Et pourtant, c’est aussi la période disco, des paillettes et du glam à tous les étages. À l’écran, ça en jette. Ali Abbasi dirige avec maestria cette plongée dans les turpitudes de « la ville qui ne dort jamais ». L’esthétique est magnifiquement vintage, avec un grain ad hoc, les images d’archives se mêlant parfaitement à l’ensemble. Soutenue par une bande-son discoïde à souhait, du tube oublié Yes Sir, I Can Boggie, de Baccara (merci Donna Summer !), à Always On My Mind version Pet Shop Boys, le film brosse un portrait acerbe (et souvent drôle) du jeune Trump, inculte (il ne sait pas qui est Andy Warhol, qu’il croise dans une soirée), d’une cupidité ahurissante, et maladroit (voir son opération séduction auprès d’Ivana, sa future épouse). Preuve que le ridicule ne tue pas, on assiste progressivement à la montée en puissance de cet homme d’affaires insensé et incontrôlable, qui perd peu à peu son humanité. Dans ce rôle délicat, le solide Sebastian Stan, plus beau que son modèle, est malgré tout bluffant de ressemblance et convainc jusqu’au bout. Jeremy Strong (le Kendall de la série Succession), effectue une fois de plus un numéro de haut vol (son Roy Cohn, tragique, nous arracherait presque des larmes…), et la Bulgare Maria Bakalova fait une impeccable Ivana Trump. Les spécialistes objecteront que cette tragicomédie ne révèle rien de nouveau sur le personnage (quoique…). The Apprentice n’est pas non plus conçu comme une charge anti-Trump. Il est plus subtil que ça, et le résultat est le même, car tout ce qu’on y voit est édifiant. Avec les élections qui se profilent et face aux enjeux du monde d’aujourd’hui, ce portrait corrosif d’un sociopathe qui aspire de nouveau à la fonction suprême fait tout simplement froid dans le dos.
2 h 02 Et avec Martin Donovan, Catherine McNally, Charlie Carrick, Ben Sullivan, Mark Rendall…

À noter que Donald Trump, qui n’est pas parvenu à bloquer le film avant sa sortie, a bien évidemment déclaré que celui-ci était « un travail bâclé, diffamatoire et politiquement dégoûtant. » Une réaction qui vaut toutes les louanges.

 

Les César en DVD/BR : J’ACCUSE/ALICE ET LE MAIRE

Après le grand déballage des César, retour à la case cinéma et à deux films honorés, à juste titre, pour leurs innombrables qualités, tous deux disponibles en DVD/Blu-ray.

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« Je pense m’être exprimé clairement, je ne veux pas d’une autre affaire Dreyfus !
– Ce n’est pas une autre affaire Dreyfus mon général, c’est la même. »

 

J’ACCUSE

Roman Polanski
2019
Paru en France le 13 novembre 2019
Disponible en DVD et Blu-ray le 18 mars 2020 chez Gaumont
Lion d’argent (Prix du Jury) du Festival de Venise 2019
César 2020 du Meilleur réalisateur, de la Meilleure adaptation et des Meilleurs costumes (12 nominations)

En janvier 1895, le capitaine Alfred Dreyfus (Louis Garrel), accusé de haute trahison pour avoir livré des secrets d’État à l’Allemagne, est condamné à la dégradation militaire publique et à la déportation sur l’île du Diable. Peu de temps après, le très estimé commandant Marie-Georges Picquart (Jean Dujardin), qui avait eu Dreyfus comme élève à l’école militaire, est promu lieutenant-colonel et chef de la Section de Statistique, autant dire des services du renseignement. En enquêtant sur les activités troubles d’un certain commandant Esterhazy, Picquart va découvrir que ce dernier est le véritable auteur des lettres compromettantes attribuées à Dreyfus…

Impressionnant. C’est l’adjectif qui vient à l’esprit dès la première séquence. Et le reste l’est tout autant. Du bouton d’uniforme jusqu’à la reconstitution de ce Paris fin de siècle, le film de Roman Polanski est un éblouissement. Pourtant, il s’en dégage une solennité et une incroyable austérité ; celle de son personnage principal, campé par un excellent Jean Dujardin, raide comme la justice. Les partis pris du cinéaste sont payants, et notamment d’avoir sollicité la fine fleur du cinéma français. Bon nombre des acteurs, choisis pour leur ressemblance avec les vrais protagonistes, sont issus de la Comédie Française. Filmé comme un thriller d’investigation, avec un réel sens du suspense, J’accuse dépeint admirablement l’atmosphère viciée de cette France antisémite et de son armée bête et méchante, soudée jusqu’à l’absurde, qui n’a jamais mieux porté son nom de Grande Muette. Les historiens mettent cependant en garde : même si le Picquart du film est dépeint à juste titre comme ambigu et antisémite, ses intentions sont plus nobles que celles du véritable personnage, davantage soucieux de protéger l’honneur de l’armée que de défendre un malheureux accusé à tort. Il faut donc prendre cette œuvre pour ce qu’elle est véritablement : l’adaptation de D. roman historique de Robert Harris publié en 2013 (le titre original, An Officer And A Spy est également celui du film à l’international). L’écrivain britannique, coauteur du scénario avec Roman Polanski, avait d’ailleurs prévenu avoir pris quelques libertés avec certains détails de l’histoire, romanesque oblige. J’accuse n’en reste pas moins un film puissant, passionnant, instructif et magnifique.
2 h 12 Et avec Grégory Gadebois, Emmanuelle Seigner, Wladimir Yordanoff, Didier Sandre, Melvil Poupaud, Mathieu Amalric, Eric Ruf, Laurent Stocker, Vincent Pérez, Michel Vuillermoz, Denis Podalydès, Hervé Pierre, André Marcon…

 

Test Blu-ray :

 

 

Interactivité ***
Le making of de 32 minutes, co-réalisé par Morgane Polanski, fille du cinéaste, est truffé d’interviews et emmène sur le vif du tournage. Six ans de préparation et quatre mois de tournage ont été nécessaires pour ce film très documenté, caractérisé par un souci d’authenticité. On découvre également le cinéaste au travail, au plus près de ses acteurs.

Image ****
Format : 1.85
Le Blu-ray restitue toute la beauté de la photographie un peu métallique (elle est signée Pawel Edelman, chef-opérateur fétiche de Polanski depuis Le Pianiste), des couleurs (qui immergent dans l’époque) et de la lumière, même dans les intérieurs plus sombres. Le piqué est excellent.

Son ***
DTS-HD Master Audio 2.0 et 5.1 en français
Audiodescription
Sous-titres français pour sourds et malentendants
La version DTS-HD 5.1 est d’une rare puissance même si la plupart des bruits d’ambiance proviennent des enceintes frontales. Les basses impressionnent dès le menu animé.

 

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« Avant, les électeurs exigeaient toujours plus de droits, toujours plus de démocratie, et dans les dernières années de mon mandat, j’ai eu l’impression qu’ils se méfiaient de la démocratie elle-même. »

 

ALICE ET LE MAIRE

Nicolas Pariser
2019
Paru en France le 2 octobre 2019
Disponible en DVD et Blu-ray depuis le 5 février 2020 chez M6 Vidéo
César 2020 de la Meilleure actrice

Normalienne, agrégée de lettres et diplômée en philosophie, Alice Heimann (Anaïs Demoustier), qui n’a qu’une petite expérience d’enseignante à l’étranger, vient d’être embauchée à la mairie de Lyon. Le matin même où elle se présente, on lui annonce que son poste vient d’être supprimé, mais qu’un autre a été créé dans la foulée spécialement pour elle. Il se trouve que le maire, Paul Théraneau (Fabrice Luchini), épuisé par des années de vie politique, n’a plus d’idées et « n’arrive plus à penser ». Il compte sur cette jeune philosophe pour l’aider à se remettre en selle…

Inévitablement, on pense à Eric Rohmer et à L’arbre, le maire et la médiathèque dans lequel excellait déjà Fabrice Luchini. Avec sa fraîcheur, ses grands yeux innocents et son sourire amusé devant les situations cocasses et parfois ubuesques qui se présentent à elle, Alice (excellente Anaïs Demoustier), fait elle-même une héroïne très rohmérienne. Mais chez Nicolas Pariser, qui a suivi les cours du cinéaste précité à la Sorbonne, le badinage n’est pas de mise. Le réalisateur s’intéresse surtout à cette relation inattendue entre la jeune intellectuelle – qui n’a aucune expérience, ni de la politique ni de la vie – et ce maire au bout du rouleau, qui cherche désespérément un sens à son action. Au fil des dialogues destinés à rattacher la politique et le réel à l’aide de la littérature et de la philosophie, va se tisser, entre ces deux êtres en déséquilibre, une jolie complicité. D’abord considérée comme le messie qui pourrait sauver la mairie de la débâcle, Alice va bientôt se mettre tous les membres du cabinet à dos et, notamment, les communicants qui se voient peu à peu déposséder de leur influence. La machinerie se grippe alors et l’efficace chef de cabinet (épatante Léonie Simaga) apparaît de plus en plus déboussolée. Le cinéaste, qui signe ici son deuxième long-métrage après Le grand jeu (2015), manie, avec subtilité, l’ironie (certaines scènes sont franchement comiques) et la mélancolie. Car si ses personnages manquent un peu de chair, la comédie, un brin désenchantée, a le mérite de viser juste. Elle cible la crise de la démocratie, mais aussi celle des vocations chez les jeunes gens surdiplômés, déconnectés, eux aussi, du réel. Le film pourrait se résumer dans la question qui taraude le réalisateur : « Pourquoi est-ce que ceux qui agissent ne pensent pas, et pourquoi ceux qui pensent n’agissent pas ? ».
1 h 43 Et avec Nora Hamzawi, Alexandre Steiger, Maud Wyler, Pascal Reneric, Antoine Reinartz…

 

Test DVD :

Interactivité ***
Le temps d’une interview d’une trentaine de minutes, le réalisateur revient sur son parcours (études de droit, critique de cinéma) et son travail auprès du grand cinéphile Pierre Rissient dont il a été l’assistant. Il évoque aussi ses premiers courts-métrages (ses gammes) et la raison pour laquelle la politique est un thème peu abordé par le cinéma français. Enfin, il ne tarit pas d’éloges au sujet de Fabrice Luchini, qui lui a en quelque sorte inspiré le film.

Image ***
Format : 1.85
Le DVD propose une image naturelle, contrastée, dominée par les bleus intenses. Bien qu’elle n’atteigne pas la pureté de l’image du Blu-ray, la définition est ici tout à fait convaincante.

Son ***
Audiodescription
Sous-titres français pour sourds et malentendants
Une piste 5.1 harmonieuse et très agréable.