WE BLEW IT

Comment l’Amérique a-t-elle pu passer de Easy Rider à Donald Trump ? Prisé et bien connu des cinéphiles, le critique et historien Jean-Baptiste Thoret tente de répondre à cette question pertinente dans un documentaire fleuve, une lettre d’amour au cinéma américain des seventies et à cette Amérique fantasmatique sublimée par Michael Cimino, Sam Peckinpah ou Richard C. Sarafian.

 

« Vous connaissez l’expression “Sex, drugs & rock’n’roll” ? Pour la comprendre, il fallait vraiment y être. Ça n’était pas “Sex, drugs & rock’n’roll”. C’était du rock’n’roll, des drogues, plus de rock’n’roll, plus de drogues, et enfin, du sexe. Voilà comment c’était… » Brad Moresi, Américain désenchanté

We Blew It

Jean-Baptiste Thoret
2017
En salles depuis le 8 novembre

Quand on aime le cinéma américain, on aime forcément l’Amérique. Un pays pétri de défauts, mais capable de se remettre en question par son art. Les films de Griffith, Ford, Minnelli, Hawks, Capra, Sirk, Peckinpah, Cassavetes, Lumet, Pollack, Pakula, Cimino ou Scorsese ont nourri notre vision de l’Amérique et, au passage, l’ont rendue mythique. Pour beaucoup, et en particulier Jean-Baptiste Thoret, le cinéma américain s’est arrêté au terme du Nouvel Hollywood, cette période bénie marquée par Bonnie And Clyde, Le Lauréat ou Easy Rider, et dont la fin a été précipitée par le fiasco de La porte du Paradis de Cimino. « We blew it. » (« On a tout foutu en l’air. ») la réplique prophétique (et improvisée) que Peter Fonda répète à deux reprises à la fin de Easy Rider, sert de point de départ au cinéaste. Durant deux heures dix-sept, Thoret va explorer ce qu’il reste de cette Amérique éprise de liberté, et tenter de comprendre pourquoi une grande partie de la génération Woodstock ne s’est pas opposée à Donald Trump, bien au contraire. Et pourtant, le film a été tourné au moment des élections américaines, alors que la victoire d’Hillary Clinton semblait acquise. Dans les petites villes traversées par la mythique Route 66 et les contrées sauvages aux paysages grandioses de l’Arizona, du Montana ou du Colorado, le journaliste a rencontré des Américains libres qui se reconnaissent davantage dans Trump que Clinton. Thoret a aussi interviewé, entre autres, Michael Lang, le cocréateur de Woodstock, des universitaires et des cinéastes de la contre-culture ou pas, qui ont cru un moment qu’ils allaient changer le monde (Peter Bogdanovich, Tobe Hooper, Jerry Schatzberg, Paul Schrader, Charles Burnett, James Toback, Michael Mann, Bob Rafelson, Peter Hyams… ). Certains sont désabusés, d’autres sévères (« Chaque époque a le cinéma qu’elle mérite. »), peu sont enthousiastes au sujet du cinéma d’aujourd’hui. Mais Jean-Baptiste Thoret n’est pas Michael Moore. A l’efficacité d’une démonstration, il préfère la contemplation, quitte à ce que son documentaire en Cinémascope et accompagné par une bande-son ad hoc (Creedence Clearwater Revival, The Band…), fichu comme les road-movies qu’il aime tant (il voue un culte à Vanishing Point), paraisse un brin foutraque et décousu. L’amour pour ce cinéma est palpable dans chaque image, chaque plan, truffé de références. Beau, élégiaque et mélancolique, We Blew It s’achève sur la chanson « Tell Me » de Terry Kath, dans un plan crépusculaire qui illustre admirablement cette phrase d’une anonyme : « On était le centre de l’univers, et puis, notre heure est passée… »
2h 17 La photo, magnifique, est signée Denis Gaubert.

BANDE-ANNONCE

THE REVENANT

Evénement cinématographique de ce début 2016, The Revenant a suscité autant d’enthousiasme que de critiques. Tantôt loué pour sa virtuosité, tantôt fustigé pour sa grandiloquence et sa vanité, le film épique d’ Alejandro González Iñárritu n’a peut-être pas la folie ni la dimension mystique que son sujet pouvait laisser espérer, mais il peut se flatter d’être une expérience sensorielle hors du commun. Ce survival aux allures de western glacé, doublé d’un film de vengeance sauvage et viscéral, tient en haleine et éblouit durant ses deux heures et trente-six minutes. Et pas plus que le réalisateur mexicain et son compatriote Emmanuel Lubezki, responsable de la lumière extraordinaire du film, Leonardo DiCaprio, qui y a mis son cœur et ses tripes, n’a volé son Oscar.

Froid
« He’s afraid. He knows how far I came to find him. »

 

The Revenant

Cri

Alejandro González Iñárritu
2015 Dans les salles françaises depuis le 24 février 2016
Oscars 2016 du Meilleur acteur, du Meilleur réalisateur et de la Meilleure photo (12 nominations)

Au début du XIXe siècle, dans l’Amérique du Nord encore sauvage, Hugh Glass (Leonardo DiCaprio) et Hawk (Forrest Goodluck), son fils amérindien, sont éclaireurs pour une expédition de trappeurs américains dirigée par le capitaine Henry (Domhnall Gleeson). Dans les Rocheuses, Glass se laisse surprendre par une femelle grizzly qui l’attaque violemment. Ses compagnons le retrouvent déchiqueté, dans un état critique. Le capitaine Henry, estimant qu’il est intransportable et jugeant sa mort imminente, propose alors une belle somme d’argent aux deux hommes qui resteront avec lui jusqu’à la fin et l’enterreront dignement. Par appât du gain, John Fitzgerald (Tom Hardy), qui hait Glass et son sang-mêlé de fils, accepte la mission…

Même si The Revenant est librement adapté du roman homonyme écrit en 2002 par l’Américain Michael Punke, on ne peut négliger de le rattacher au Convoi sauvage (Man In The Wilderness), réalisé en 1971 par Richard C. Sarafian. Quarante-quatre ans avant Alejandro González Iñárritu, le réalisateur du film culte Point limite zéro (Vanishing Point) s’était en effet déjà emparé de l’histoire vraie du trappeur Hugh Glass, survenue en 1823 sur les rives de la rivière Missouri, et devenue légendaire. Interprété par Richard Harris, vedette d’Un homme nommé Cheval l’année précédente, Le convoi sauvage s’inscrivait dans la veine des westerns socio-écolo des années 70, tels Jeremiah Johnson, de Sydney Pollack ou Little Big Man, d’Arthur Penn, qui remettaient en cause les valeurs américaines et œuvraient pour la réhabilitation du peuple indien. Il existe de nombreuses similitudes entre les films de Sarafian et d’Iñárritu (certaines scènes sont même quasiment identiques), mais les deux films véhiculent un message différent. Contemplatif et épuré, Le convoi sauvage (dont la scène d’ouverture préfigure le futur Fitzcarraldo d’Herzog) s’attachait à la rédemption de son héros (nommé Zack Bass), qui, en revenant à la vie, portait un regard différent sur le monde, la nature et les Indiens. Cette leçon de vie lui faisait oublier son ressentiment envers ses compagnons. The Revenant parle, quant à lui, de vengeance. C’est cette soif qui fait se raccrocher Hugh Glass à la vie. Dès le départ, il est acquis que cet homme pacifique est en adéquation avec la nature et le peuple indien. Alejandro Gonzáles Iñárritu et son coscénariste Mark L. Smith ont donc imaginé un élément imparable, appelant à une vengeance inexorable. Dès lors, les scènes oniriques illustrant les états d’âme du héros (qui semblent parfois littéralement volées à Andrei Tarkovski, dont le cinéaste est un grand admirateur) sont moins probantes que les séquences d’action, grande réussite du film. En ouverture, le plan-séquence d’une attaque d’Indiens, d’une sauvagerie inouïe, apparaît comme un véritable morceau de bravoure, comme le sera celle du grizzly, d’un réalisme saississant. Avec un perfectionnisme hallucinant, et aidé par un chef-opérateur génie de la lumière, ici naturelle (Emmanuel Lubezki est aussi le directeur photo d’un certain Terrence Malick), Iñárritu a totalement maîtrisé ce film épique, tourné dans des conditions extrêmes. D’un côté, l’immensité des paysages et leur beauté vertigineuse, de l’autre, la cruauté et la vénalité des hommes. Le bruit de l’eau, du vent, les craquements des arbres, et le souffle du héros, blessé et transi de froid, se confondent avec la musique organique signée Ryuichi Sakamoto et Alva Noto (alias Carsten Nicolai, son collaborateur récurrent depuis 2002). Les souffrances de Hugh Glass, campé par un Leonardo DiCaprio plus christique que jamais, sont palpables. Contrairement à Birdman, exercice de style prétentieux un tantinet pénible, qui a pourtant valu à Iñárritu l’Oscar du Meilleur film l’année dernière, la mise en scène et la narration ici sont dénués d’afféterie et jouent l’efficacité pour mieux servir l’histoire. S’il y est question de foi et de morale (et de la manière dont la confrontation avec la nature sauvage affecte la nature humaine), The Revenant n’a pas la profondeur de certaines œuvres de Tarkovski ou de Terrence Malik. Mais son caractère brutal, radical, et ses images d’une beauté à couper le souffle, en font un film puissant et une expérience cinématographique rare.
2 h 36 Et avec Will Poulter, Paul Anderson, Duane Howard, Joshua Burge, Kristoffer Joner, Lukas Haas…

BANDE-ANNONCE

Tom
Neige
Poult
Glee
Cours
dents
dors
Chef

 

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On conseillera à ceux qui souhaiterait en savoir plus sur Le convoi sauvage de se tourner vers ce coffret sensationnel consacré à Richard C. Sarafian paru en 2011 dans la collection Classics Confidential éditée par Wild Side Video. Intitulé L’âme de l’Ouest, il réunit Le convoi sauvage, Le fantôme de Cat Dancing, et un livre de Philippe Garnier.
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