DUNE 2ème partie

C’est le plus gros carton de 2024 jusqu’ici. La deuxième partie de la saga Dune, réalisée comme la première par Denis Villeneuve, fait la quasi-unanimité depuis sa sortie. Les superlatifs fusent et comme pour le premier volet, d’aucuns parlent même de chef-d’œuvre. Qu’en est-il vraiment ?

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« Ce monde est d’une cruauté sans nom. »

 

DUNE 2ème partie

Denis Villeneuve
2024
Dans les salles françaises depuis le 28 février

Alors qu’il s’était vu confier la mission, par l’empereur, de contrôler l’extraction de la précieuse Épice sur la planète Arrakis, le Duc Leto Atréides (Oscar Isaac) a été victime d’une infâme trahison. Les soldats de la baronnie Harkonnen (furieuse d’avoir été évincée) ont pénétré, par surprise et en pleine nuit, dans la capitale Arrakeen pour exterminer la Maison Atréides et sa légion. Le Duc Leto est tué. Seuls son épouse (Rebecca Ferguson) et leur fils Paul (Timothée Chalamet) parviennent à s’échapper. Pourchassés par les Harkonnen, ils sont aidés par les Fremen, le peuple autochtone d’Arrakis qui vit aux confins du désert…

On retrouve les héros là où on les avait laissés à la fin du premier épisode. La clarté de la narration est l’un des talents de Denis Villeneuve, cinéaste efficace, qui sait raconter les histoires. Ce projet Dune est l’accomplissement d’un fantasme de l’adolescent qu’il était, passionné par le roman de Frank Herbert (publié en 1965) au point d’en avoir imaginé les images cent et cent fois dans sa tête. Le film s’en ressent. Si le premier chapitre exposait la mythologie, le deuxième entre dans le vif de l’action. Le sens du spectacle est un autre des talents du cinéaste québécois. Dès le début de ce blockbuster projeté en Imax, on hallucine devant la beauté et la puissance des images.  Ah, ces soldats ennemis qui s’élèvent le long de la montagne ! ces vers de sable gigantesques ! ces pas de danse pour les tromper (chorégraphiés par Benjamin Millepied)  !… Tout y est grandiose, démesuré, dantesque. Le spectateur est happé par ces visions fantastiques soutenues par la musique toute aussi impressionnante de Hans Zimmer (avec, au passage, une référence à la partition d’Il était une fois dans l’Ouest d’Ennio Morricone). Le réalisateur avait prévenu qu’il ferait de Dune un Star Wars pour adultes, il s’en est aussi clairement inspiré pour les décors et les poses du jeune Paul Atréides, cape au vent dans le désert, façon Anakin Skywalker, futur Dark Vador. Après tout, c’est de bonne guerre, Dune étant l’une des principales sources d’inspiration de Star Wars. On aime aussi la peinture des Harkonenn, et notamment le personnage du neveu du Baron, le fameux Feyd-Rautha. Ce cruel psychopathe campé par Sting dans le film de David Lynch trouve en Austin Butler (le Elvis de Baz Luhrmann) un interprète à sa hauteur. Pour ne pas s’éparpiller, Villeneuve et ses scénaristes ont sacrifié des éléments de l’œuvre originale, dense et complexe. Ils ont choisi d’accorder une importance particulière à l’ordre des Bene Gesserit, cette congrégation de sœurs aux facultés mentales extraordinaires qui influence la politique au sein de l’Imperium. Parallèlement, on assiste à l’évolution et à la lutte intérieure de Paul Atréides. Timothée Chalamet, en dépit de sa frêle et juvénile silhouette habituée des podiums des défilés haute couture, convainc. Il incarne avec fougue l’héritier courageux et humaniste qui va tenter de refuser le destin messianique auquel les Fremen, sa propre mère (issue de la congrégation Bene Gesserit) et l’histoire le condamnent irrémédiablement. Véritable Jiminy Cricket de Paul, la Fremen Chani (Zendaya, toute en regards réprobateurs), a beau en pincer pour le jeune homme, elle n’a de cesse de le mettre en garde contre ce rôle de faux prophète qu’on voudrait lui assigner. Bien qu’amoureux, Paul ne peut se résoudre à écouter cette voix de la raison, parce qu’à l’en croire : « Le monde a fait des choix pour nous. » Villeneuve a clairement fait sien le message du roman prémonitoire de Frank Herbert, qui alertait contre le fanatisme religieux, contre les hommes providentiels et charismatiques. Entre le grand spectacle et le drame intime, le film explore des thèmes très contemporains et les résonnances avec l’actualité sont criantes. Cependant, si on ne boude pas son plaisir de spectateur, deux trois trucs chiffonnent : des redondances dans la narration, des séquences survolées voire avortées (une scène d’épreuve initiatique tourne inexplicablement court), et un Javier Bardem ridiculement illuminé qui, en en faisant beaucoup trop, finit par gâcher le tableau. Pas parfait, donc, ni le chef-d’œuvre annoncé. Mais on sera présent à la sortie de Dune 3, l’épilogue déjà en préparation, qui portera sur la question qui taraude les non-initiés : Paul Atréides virera-t-il définitivement du côté obscur ?
2 h 46 Et avec Josh Brolin, Florence Pugh, Christopher Walken, Charlotte Rampling, Stellan Skarsgård, Dave Bautista, Léa Seydoux, Souheila Yacoub…

 

DUNE 2021

Après s’être emparé avec brio du Blade Runner de Ridley Scott, le temps d’un remake époustouflant, le Québécois Denis Villeneuve a relevé le défi d’adapter le roman de science-fiction culte de Frank Herbert, sur lequel Alejandro Jodorowsky et David Lynch se sont respectivement cassé les dents en 1975 et 1984. Résultat : la critique crie au chef-d’œuvre et les fans du livre sont aux anges. Verdict :
(sans spoilers)

 

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« Dreams make good stories, but everything important happens when we’re awake. »

 

DUNE

Denis Villeneuve
2021
Dans les salles depuis le 15 septembre 2021

En 10191, sur la planète Caladan, le puissant duc Leto Atréides (Oscar Isaac) se voit confier par l’Empereur la mission de prendre la gestion de la planète Arrakis, jusqu’alors aux mains de la Maison Arkonnen, ennemis héréditaires des Atréides. Arrakis, planète de sable, surnommée Dune par ses habitants autochtones, est la seule sur laquelle on peut extraire l’Épice, une substance aux propriétés miraculeuses et, surtout, indispensable à la navigation interstellaire. Leto se méfie de ce contrat de dupes, mais il ne peut refuser. Il emmène ses meilleurs guerriers, sa compagne (Rebecca Ferguson), qui possède de mystérieuses aptitudes mentales, et leur fils Paul (Timothée Chalamet). Formé à l’art du combat, ce dernier commence également à développer les mêmes capacités psychiques que sa mère…

Le problème du Dune de Villeneuve, c’est qu’il arrive après Star Wars. George Lucas a tellement emprunté à l’œuvre de Frank Herbert, écrite au milieu des années 60, que les similitudes de ce Dune avec les films de l’épique franchise (sans compter la série Le Mandalorian), dans la forme et même le fond, sont légion (un jeune élu, des pouvoirs psychiques, une planète désertique, un empereur…). Le choix du directeur photo, Greig Fraser, au lieu de l’habituel Roger Deakins, était également risqué : l’homme a travaillé sur Rogue One et Le Mandalorian. Les fans de la saga intergalactique auront inévitablement une impression de « déjà-vu ». On serait à peine surpris de voir apparaître Bébé Yoda dans un coin de l’écran. Denis Villeneuve, fan du livre depuis l’adolescence, a déclaré lui-même qu’il considérait son film comme un « Star Wars pour adultes ». L’univers complexe et riche du conte philosophique d’Herbert, qui mêle conflits de pouvoirs, tragédie familiale, mysticisme, ésotérisme, géopolitique et écologie, est ici abordé avec limpidité, sobriété voire simplicité. Contrairement à l’adaptation de David Lynch, foutraque et « barrée » (reniée par son réalisateur et aujourd’hui réhabilitée), ce nouveau Dune est un film volontairement humble, d’une grande lisibilité et efficace. Il s’adresse à toutes les générations, aux initiés comme aux néophytes. Blockbuster certes, mais blockbuster d’auteur, ce space opera est consacré à la première partie du roman de Frank Herbert (la mise en chantier du deuxième épisode dépendra du succès de celui-ci). Il se focalise sur le personnage romantique et torturé de Paul Atréides, campé par un Timothée Chalamet égal à lui-même : totalement habité, à la fois juvénile et impérieux. L’acteur « au charisme de rock star », dixit Villeneuve, est l’atout majeur de ce récit initiatique aux accents de drame antique. Oscar Isaac, Jason Momoa et Josh Brolin sont également épatants en figures héroïques, et Rebecca Ferguson est ambiguë à souhait. Porté par la musique de Hans Zimmer, lui aussi admirateur de la première heure de l’œuvre originale (on notera, dans la bande-son, les clins d’œil à son maître Ennio Morricone), Dune est un spectacle magnifique, mais un peu lisse. Les combats sont épiques, les vaisseaux vrombissent, le sable tourbillonne… C’est de la belle ouvrage, où chaque paysage, chaque plan impressionne. Il y manque juste un brin de folie, celui-là même qui aurait fait de cette monumentale adaptation le chef-d’œuvre espéré.
2 h 35. Et avec Zendaya, Stellan Skarsgård, Javier Bardem, Chen Chang, Dave Bautista, Charlotte Rampling, Stephen McKinley Henderson…

PROXIMA/AD ASTRA

VERS LES ÉTOILES 

L’espace et la famille sont au cœur de deux films remarquables, tous deux disponibles ce mois-ci sur Canal+. Dans Proxima, la préparation d’une astronaute à un vol spatial est mise à mal par sa relation fusionnelle avec sa fille de huit ans. Dans Ad Astra, un homme part aux confins du cosmos à la recherche de son père, astronaute légendaire, qu’il croyait mort depuis des années…

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« There’s no such thing as the perfect astronaut, there’s no such thing as the perfect mother. »

 

PROXIMA

Alice Winocour
2019
Paru en France le 27 novembre 2019
Disponible sur Canal +

Brillante astronaute française, Sarah Loreau (Eva Green) a été choisie pour intégrer Proxima, une mission internationale. À quelques mois de quitter la Terre, elle s’entraîne avec ses deux coéquipiers américain et russe (Matt Dillon et Aleksey Fateev) et doit supporter une pression physique et psychologique intense, sous le regard de collègues volontiers machistes. Mais le plus difficile est de gérer la séparation avec Stella (Zélie Boulant), sa fille de huit ans, qui vit mal la situation…

Troisième long-métrage de la Française Alice Winocour, après Augustine et l’intrigant Maryland, Proxima est un film sur l’espace… sans espace. Il a également ceci de singulier qu’il parvient, sous des atours simples et épurés (à la limite du documentaire), à toucher à des émotions profondes. Depuis ses débuts, la cinéaste excelle à filmer les femmes, à en faire des héroïnes. Avec son visage grave et ses yeux tristes, Eva Green retranscrit admirablement les tourments de cette mère déchirée entre son métier qu’elle accomplit avec passion et rigueur et le chagrin de devoir infliger de la peine à sa fille encore jeune, qu’elle élève seule. En effet, Stella, bien que soigneusement préparée par sa mère aimante et attentionnée, n’est pas prête à une séparation. Privilégiant les non-dits, les échanges de regards, l’économie des gestes, la cinéaste ne tombe jamais dans le sentimentalisme ni le spectaculaire. Sarah, divorcée, a confié Stella à son père physicien, un type plutôt bien (Lars Eidinger, parfait). Comme lui, les personnages sont solides, les dialogues justes, et il émane du jeu des acteurs un naturel confondant. On doit le réalisme impressionnant des séquences de préparation des astronautes à l’Agence Spatiale Européenne, qui a autorisé le tournage dans les véritables lieux d’entraînement, à Cologne et Baïkonour (Thomas Pesquet joue son propre rôle). Mais même si l’espace hante le film, c’est bien l’intime et l’humain qui intéresse la réalisatrice. Ici, la séparation entre l’astronaute et la Terre se confond avec celle entre la mère et sa fille (les scientifiques emploient d’ailleurs l’expression « séparation ombilicale » lors de la phase du décollage). La musique hypnotique de Ryuichi Sakamoto ajoute une poésie supplémentaire à cette œuvre touchante, belle et pudique.
1 h 47 Et avec Sandra Hüller, Nancy Tate, Grégoire Colin, Igor Filippov…

 

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« Exploration isn’t always a noble venture. »

 

AD ASTRA

James Gray
2019
Paru en France le 18 septembre 2019
Disponible sur Canal Plus

Suite à une mystérieuse surtension électrique alors qu’il effectuait une mission de routine sur une station orbitale, l’astronaute Roy McBride (Brad Pitt) échappe de justesse à la mort. L’agence SpaceCom pense que ce phénomène qui met en péril la survie de la Terre est dû à une déficience provenant d’un navire d’exploration porté disparu aux alentours de Neptune depuis des décennies. Il était piloté par le propre père de Roy (Tommy Lee Jones), une légende de la conquête spatiale. Roy est secrètement envoyé aux confins de l’espace pour tenter de le retrouver…

Magnifique. Deux ans après le déchirant The Lost City Of Z, dans lequel un père embarquait son fils dans sa quête obsessionnelle, James Gray envoie un fils à des milliards de kilomètres de la Terre, à la recherche d’un père absent et fantasmé. Avec, en tête, le livre de Joseph Conrad, Voyage au cœur des ténèbres (à l’origine du film Apocalypse Now), le réalisateur de Little Odessa et The Yards met constamment en balance ici le voyage astral et le cheminement intérieur de son personnage principal. Brad Pitt, plus taiseux que jamais, campe un héros grayien par excellence : solitaire et triste. Astronaute expérimenté et consciencieux, Roy McBride est incapable de tisser des liens sociaux. Il est écrasé par l’aura d’un père unanimement reconnu comme une légende et qui l’a abandonné, et n’existe que lorsqu’il accomplit son travail. S’il aborde la mission qui lui est confiée en bon soldat, il va peu à peu la remettre en question, en découvrant des zones d’ombre. Qu’on ne s’y trompe pas. Tout intelligent qu’il soit, Ad Astra (« vers les étoiles ») n’est pas seulement, à l’instar de Proxima, une quête intime. Il est aussi, littéralement parlant, sensationnel, renversant et vertigineux. Ponctué de séquences de bravoure et truffés de plans d’une beauté à couper le souffle, le film éblouit constamment. Jamais, depuis Kubrick peut-être (la comparaison s’arrête là…), l’espace n’a paru plus infini, jamais l’isolement n’a semblé si effroyable. Mulder se trompait : la vérité n’est pas ailleurs.
2 h 03 Et avec Ruth Negga, Donald Sutherland, Loren Dean, Donnie Keshawarz, John Ortiz…