MISS AUSTEN

En cette année 2025, alors que l’Angleterre célèbre les deux cent cinquante ans de sa naissance, Jane Austen continue de briller dans le paysage culturel, et rayonne bien au-delà de l’Occident. Son œuvre à la fois romantique et féministe séduit génération après génération : sa fameuse ironie, son intelligence et sa plume affûtée se révélant incroyablement moderne. Après le film plutôt charmant de Laura Piani, Jane Austen a gâché ma vie, sur les écrans en janvier, Miss Austen, mini-série adaptée du livre de Gill Hornby (sœur de Nick), vient d’arriver sur Arte. Elle se penche sur le mystère autour de la destruction de la correspondance privée de la romancière par sa sœur Cassandra. L’un des plus grands crève-cœurs de l’histoire de la littérature.

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« Did you find any letters from Jane ?
– … Not a single one ! »

 

MISS AUSTEN

2025
Mi-série britannique en 4 épisodes créée par Andrea Gibb diffusée sur PBS en février 2025, disponible sur Arte depuis le 18 septembre

 

En Angleterre en 1830, plus d’une décennie après la mort de Jane Austen, dont la notoriété est grandissante, Cassandra (Keeley Hawes), sa sœur aînée et confidente, se rend dare-dare au presbytère de Kintbury où elle a souvent séjourné dans sa jeunesse. Le vieux révérend Fulwar Fowle est à l’agonie, et elle s’inquiète pour sa fille cadette Isabella (Rose Leslie), sans fortune, qui devra quitter la maison au décès de son père. Mais Cassandra a une autre raison de vouloir être présente. Elle tient à récupérer la correspondance que Jane entretenait avec feu son amie Eliza, la mère d’Isabella, afin d’éviter qu’elle ne tombe entre de mauvaises mains…

Dans la famille Austen, la sœur. Cassandra a été, jusqu’à la mort de sa cadette en 1817, sa grande confidente et son plus valeureux soutien. Comme Jane, elle ne s’est jamais mariée, son fiancé ayant succombé, en 1797, lors d’une expédition militaire dans les Antilles, aux séquelles de la fièvre jaune. Adaptée du best-seller homonyme de Gill Hornby publié en 2020, lui-même basé sur des faits réels, Miss Austen imagine de manière très plausible la raison qui a poussé Cassandra à détruire une grande partie de la correspondance de sa sœur bien-aimée. On estime que sur trois mille lettres de Jane Austen, cent soixante seulement sont passées à la postérité (leur dernière publication remonte à 1995). La disparition de ces épistoles contribue au mystère entourant la personnalité de la romancière.

Dans le roman de Gill Hornby, Cassandra redoute que celles-ci ne tombent entre les mains de sa belle-sœur Mary Austen, vénale et peu appréciée par Jane. Ici, d’entrée de jeu, Mary exprime le souhait de se procurer cette correspondance intime dans le but de faire publier une toute première biographie de l’auteure d’Orgueil et préjugés. Cassandra va s’employer à contrecarrer ses plans, pour une raison très légitime que l’on découvrira à la fin du récit. La série entre dans le vif du sujet dès le premier épisode, qui pourra désorienter les non-affranchis. Heureusement, plus on avance dans l’intrigue, plus elle se clarifie. La scénariste Andrea Gibb a habilement tissé les allers et retours dans le temps, illustrant la lecture des lettres dénichées par l’aînée des Austen. On découvre ainsi la jeunesse des deux sœurs, les émois amoureux de l’une, la verve et l’impertinence de l’autre, et la préoccupation constante de pas posséder d’argent propre, les condamnant à dépendre des hommes de leur famille. Parallèlement, le récit se penche aussi sur le cas d’Isabella, malheureuse d’avoir dû éconduire l’homme qu’elle aime, son père jugeant la situation de celui-ci trop indigne.

Keeley Hawes, pilier de la télévision britannique, fait une Cassandra mature tout aussi savoureuse que Synnove Karlsen dans sa version plus jeune. Patsy Ferran campe une Jane Austen piquante, que son allure de farfadet rend très attachante. On se réjouit également de la présence de Rose Leslie, qui fut l’interprète du grand amour de Jon Snow dans Game Of Thrones (et est l’épouse de Kit Harington dans la vie), et du séduisant Max Irons. Tantôt drôle — la lecture de Persuasion par Cassandra à Isabella, tandis que la domestique écoute à la porte, est un régal — tantôt bouleversante, cette mini-série d’une grande finesse bénéficie de décors et de costumes soignés. Malgré son caractère à demi-fictionnel, cette balade dans l’univers austenien permet d’approcher au plus près de l’icône de la littérature anglaise, et de découvrir sa relation fusionnelle avec Cassandra, sa sœur aînée restée dans l’ombre, mais qui lui fut dévouée jusqu’à la fin.
4 épisodes d’environ 50 minutes. Et avec Alfred Enoch, Jessica Hynes, Phyllis Logan, Mirren Mack, Calam Lynch, Kevin McNally…

 

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Pas besoin d’être une Janeite accomplie pour se réjouir de l’arrivée d’une toute prochaine adaptation en mini-série d’Orgueil et préjugés, dont le tournage a débuté au printemps dernier en Angleterre. On en connaît déjà la distribution, plutôt prestigieuse : Emma Corrin (Elizabeth Bennet), Jack Lowden (Mr Darcy), Louis Partridge (Mr Wickham), Olivia Colman (Mrs Bennet), Rufus Sewell (Mr Bennet)… Créée par Dolly Alderton, cette mini-série en six épisodes devrait arriver fin 2025 ou début 2026 sur Netflix, qui a dévoilé en juillet une première photo. Affaire à suivre…

 

THE OFFER, mini-série jubilatoire

Ce n’est pas Damien Chazelle qui dira le contraire, Hollywood et ses mythes sont une formidable source d’inspiration pour les cinéastes et scénaristes. Après Feud : Bette and Joan et Hollywood, il faut se ruer sur ce bijou de mini-série, disponible sur Paramount+ depuis la fin décembre. Adaptée des mémoires du producteur Albert S. Ruddy, elle narre la genèse et l’histoire rocambolesque du tournage du Parrain, de Francis Ford Coppola. On y découvre qu’entre les intrigues des mafieux et des hommes d’affaires, les états d’âme des artistes en questionnement et les humeurs de Frank Sinatra, l’existence même de ce classique tient du miracle. Un régal.

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« Hey, who is that guy ?
– Bob Evans, head of Paramount. That guy’s more connected than God, and yeah, he’s always that tan. »

  

THE OFFER

Leslie Greif et Michael Tolkin
2022
Première diffusion sur Paramount+ en avril 2022 aux USA et le 1er décembre 2022 en France

Dans les années 60, Albert S. Ruddy (Miles Teller) est programmateur au sein d’un laboratoire d’idées, la Rand Corporation, mais rêve de cinéma. Par l’entremise d’un ami scénariste, il rencontre l’exubérant Robert Evans (Matthew Goode), vice-président du département production de Paramount. Parallèlement, l’écrivain américain d’origine napolitaine Mario Puzo (Patrick Gallo), endetté et échaudé par l’échec de son dernier roman, se lance sur les conseils de son épouse dans l’écriture d’un ouvrage susceptible de toucher le public : un livre sur la mafia…

Il n’y avait pas de plus belle façon d’inaugurer la plateforme Paramount+ proposée pour la première fois en France par Canal+, ni de rendre hommage au Parrain, dont on a fêté le cinquantenaire en 2022. Le film de Francis Ford Coppola a non seulement remporté trois Oscars en 1973 — Meilleur film, Meilleur acteur (Marlon Brando) et Meilleur scénario adapté — sur onze nominations, mais il est unanimement considéré comme l’un des cinq plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma. The Offer permet de découvrir à quel point sa création ne fut pas un chemin de roses. Écrite par Michael Tolkin, auquel on doit le scénario de The Player, formidable satire sur les coulisses d’Hollywood réalisée par Robert Altman, elle reconstitue cette aventure extraordinaire avec brio et un sens de l’ironie qui fait mouche. Si tout le monde associe le nom de Coppola au Parrain, peu connaissent celui de son producteur, Albert S. Ruddy, sans qui ce film-là n’aurait pu voir le jour. Sans expérience, mais avec la passion et l’ambition chevillées au corps, ce jeune homme audacieux s’est démené pour que les coscénaristes (Francis F. Coppola et Mario Puzo) puissent porter leur vision à l’écran. Ruddy, incarné ici par le solide Miles Teller, confiera que chaque jour du tournage était le pire de sa vie. Alors que tout semblait voué à l’échec, cette tête brûlée va pourtant surmonter les obstacles (et pas des moindres, la mafia ayant dès le départ le film dans le collimateur) avec l’aide d’une jeune secrétaire-assistante aussi fougueuse que lui, et campée dans la mini-série par la formidable Juno Temple (dans un rôle similaire à celui qu’elle incarnait dans l’épatante série Vinyl). Grâce aux dialogues piquants et aux comédiens renversants, les dix épisodes fourmillent de scènes jubilatoires. En Francis F. Coppola et Mario Puzo, Dan Fogler et Patrick Gallo sont délicieusement drôles, à l’instar de Burn Gorman en Charlie Bluhdorn (l’impitoyable propriétaire de Paramount), et Colin Hanks, en cadre dirigeant tête à claques du studio (personnage résultant d’un mélange de plusieurs personnalités de l’époque). Jake Cannavale (frère de Bobby) et Giovanni Ribisi (en Joe Columbo) font des mafieux touchants tandis que Justin Chambers impressionne en Marlon Brando. Mais la palme revient à Matthew Goode. Il incarne un Robert Evans flamboyant, playboy tantôt génial tantôt pathétique, producteur des futurs Chinatown et Marathon Man. L’acteur britannique (excellent dans Match Point, A Single Man, Downton Abbey ou The Crown), est tout à fait semblable à la description d’Evans faite par Peter Biskin dans son livre sur le Nouvel Hollywood (c’est aussi son titre), et qui ne manque pas de sel :

« Exubérant et ambitieux, il était effectivement furieusement beau. Bronzé toute l’année, des dents blanches éblouissantes, les cheveux en arrière, il ressemblait un peu à Robert Wagner… Evans était l’homme de ces dames. S’il n’avait pas eu la chance de rencontrer Charlie Bluhdorn, il aurait probablement passé sa vie à faire le gigolo en escortant des douairières à travers tous les spas d’Europe. »

The Offer prend certes des raccourcis, fait la part belle aux clichés et aux fantasmes d’Hollywood circa 70, mais ces dix épisodes palpitants rendent un hommage somptueux à la création artistique et au cinéma.
Et avec Nora Arnezeder, Lou Ferrigno, Josh Zuckerman, Eric Balfour, Frank John Hugues, T.J. Thyne, Anthony Skordi, Anthony Ippolito…

 

ANNA, la mini-série

Visionner une série tient parfois de l’épreuve. Après la sadique Squid Game, venue de Corée du Sud, l’italienne Anna, vision post-apocalyptique et hypnotique d’un monde décimé par un virus meurtrier, ne fait pas non plus dans la dentelle. On aurait cependant tort de la bouder, car ce conte initiatique est aussi magnifique que cruel.

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« Quand je serai morte, je serai trop lourde pour être transportée dehors. Anna, ouvre les fenêtres, prends tout ce dont tu auras besoin et ferme à clé. Si ça sent trop mauvais, va dormir dans la voiture. Tu devras attendre cent jours… Ça te semblera long, mais tu verras, le temps passera vite… »

 

ANNA

Niccolò Ammaniti
2021
Disponible sur Arte.fr, disponible en DVD chez Arte depuis le 2 novembre

Il aura fallu quelques semaines pour que le monde bascule dans l’horreur. Un virus contagieux, très vite surnommé « la Rouge » à cause de la couleur des plaques qu’il provoque sur la peau, s’est abattu sur la population adulte. Seuls les enfants n’ayant pas passé l’âge de la puberté sont épargnés, mais ils ne sont qu’en sursis. La jeune Anna et son petit frère se sont réfugiés avec leur mère (Elena Lietti) dans la maison familiale, dans la campagne sicilienne. Mais cette dernière ne tarde pas elle aussi à manifester des symptômes. Avant de mourir, elle s’emploie à écrire un manuel de survie à l’intention de sa progéniture…

En ouverture du générique, un message avertit les spectateurs : « L’épidémie de Covid-19 a éclaté six mois après le début du tournage. ». Les similitudes avec la récente actualité sont en effet troublantes, notamment dans la manière dont est traitée l’arrivée de la pandémie : « C’est une grippette, qui frappe les vieux, pas les gamins… » Mais pour le créateur, cette entrée en matière n’est qu’un prétexte. « Je voulais imaginer comment fonctionnerait un monde sans adultes » a déclaré Niccolò Ammaniti qui adapte ici son roman homonyme paru en 2015. Devant ce conte horrifique en six épisodes, impossible de ne pas penser au célèbre Sa majesté des mouches, de William Golding. Les adultes ayant disparu, les enfants sont livrés à eux-mêmes dans un monde qui n’est plus qu’un chaos, sans repères, soumis à la loi du plus fort. La culture et la mémoire n’étant plus, les instincts primaires et l’absence d’empathie poussent les gamins à agir de manière cruelle. Pas Anna cependant qui, grâce à l’enseignement de sa mère, continue, inlassablement, à garder espoir et à chercher une issue, tout en protégeant son petit frère. Sauvage, morbide parfois et jamais mièvre, la mini-série est littéralement illuminée par son héroïne, préadolescente tenace, courageuse, intelligente et sensible (formidable Giulia Dragotto). Tel Ulysse, elle devra affronter moult périls, survivre à des épreuves et triompher d’adversaires animés par des pulsions sadiques. Entre noirceur, baroque et merveilleux, admirablement interprétée, Anna impressionne à tous les niveaux et notamment par ses images, incroyablement fascinantes. Déjà responsable, en 2018, de l’excellente série Il Miracolo, Niccolò Ammaniti accomplit ici un nouveau tour de force. À voir absolument !
Six épisodes de 50 minutes environ. Et avec Alessandro Pecorella, Clara Tramontano, Giovanni Mavilla, Roberta Mattei, Miriam Dalmazio…