DEAUVILLE 2020 PREMIÈRES The Professor And The Madman/Comment je suis devenu super-héros

« Deauville, c’est d’abord le festival du cinéma avec des films. Ce qui est important, c’est qu’il y ait des films. Parce qu’un festival sans films, ça n’existe pas. Sans réalisateurs, ça existe. » (Bruno Barde, directeur artistique du festival)

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DEAUVILLE AU TEMPS DU CORONAVIRUS

 

Malgré l’absence de stars américaines, bloquées chez elles pour cause de Covid-19, le festival de Deauville a fait front. Comme à l’accoutumée, journalistes et public ont répondu présents. Le protocole sanitaire drastique a été respecté : cinq cents places en moins au CID pour espacer les spectateurs et masque obligatoire durant la projection. Sur la centaine d’œuvres au programme (premières mondiales, hommages, documentaires…), quinze films américains (dont huit signés par des femmes) étaient en compétition. Généreuse, cette 46ème édition a également accueilli neuf films privés de Cannes cette année, choisis par Bruno Barde dans la sélection de Thierry Frémaux, et trois du festival d’animation d’Annecy, annulé lui aussi. Sur le tapis rouge, les Français sont venus nombreux pour faire oublier l’absence des Américains. Entre une flopée de discours d’une banalité crispante (mention spéciale à Pio Marmaï, habitué du festival, qui, à la question de Genie Godula : « Qu’est-ce que vous appréciez le plus à Deauville ? » a loué « l’accueil régional », « les fruits de mer », et enfin « les films »), d’autres ont fait le show, tel l’inénarrable Benoît Poelvoorde. Vanessa Paradis, frêle et tout en Chanel, présidait en beauté le jury de la compétition officielle, la jeune réalisatrice Rebecca Zlotowski celui de la révélation.

 


Les membres du Jury de la compétition autour de leur présidente. De gauche à droite, Vincent Lacoste, Delphine Horvilleur, Mounia Meddour, Vanessa Paradis, Bruno Podalydès et Sylvie Pialat (manquent Yann Gonzales, Zita Hanrot et Oxmo Puccino).

 


Le Jury de la Révélation. De gauche à droite : Antoine Reinartz, Luàna Bajrami, Rebecca Zlotowski, Mya Bollaerts, Arnaud Rebotini.

 

PALMARÈS

GRAND PRIX

The Nest de Sean Durkin a fait l’unanimité. Il a raflé Le Grand Prix, le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation et le Prix du Jury de la Critique. Jude Law et Carrie Coon sont les vedettes de ce film qui narre, façon thriller à suspense, le délitement d’une famille aisée qui quitte le confort de sa banlieue américaine pour s’installer dans un austère manoir en Angleterre. Il s’agit du deuxième long-métrage de Sean Durkin, après l’excellent Martha Marcy Marlene (2011). Il est également le réalisateur de l’impressionnante mini-série anglaise Southcliffe créée par Tony Grisoni en 2013.
À paraitre en novembre 2020.

 

PRIX DU JURY

Ex-aequo

First Cow de Kelly Reichardt – déjà récompensée à Deauville en 2013 avec The Night Moves -, évoque la rencontre inattendue entre un cuisinier taciturne et un immigrant d’origine chinoise dans l’Oregon de 1820.
À paraître prochainement.

 


Lorelei, premier long-métrage de la sympathique Britannique Sabrina Doyle (une des seules cinéastes venues chercher son prix), propose une histoire d’amour compliquée dans l’Amérique paupérisée d’aujourd’hui. On y retrouve Jena Malone et Pablo Schreiber.
À paraître prochainement.

 

PRIX FONDATION LOUIS ROEDERER DE LA MISE EN SCÈNE

 
The Assistant de Kitty Green, dont Rebecca Zlotowski a loué la rigueur « clinique et généreuse », est le premier long-métrage d’une cinéaste jusqu’ici spécialisée dans le documentaire. Le film, interprété par Julia Garner – l’épatante Ruth de la série Ozark –, fait écho à l’affaire Weinstein : une jeune secrétaire d’un producteur de cinéma découvre les abus de ce dernier et déplore l’indifférence de l’entourage professionnel tout à fait informé.
À paraître prochainement.

 

PRIX DU PUBLIC DE LA VILLE DE DEAUVILLE

Uncle Frank de Alan Ball. Le créateur de la fameuse série Six Feet Under évoque les atermoiements d’un professeur de littérature homosexuel de New York (campé par le toujours formidable Paul Bettany), contraint de se rendre chez sa famille en Caroline du Sud qui ne brille pas par son ouverture d’esprit.
À paraître prochainement.
 

PRIX D’ORNANO-VALENTI

Le prix du Meilleur Premier film français est allé à Slalom de Charlène Favier. Admise dans une prestigieuse section ski-études d’un lycée de Bourg-Saint-Maurice, une jeune fille de quinze ans tombe sous la coupe d’un ex-champion devenu entraîneur.
À paraitre en novembre 2020.

 

PRIX DU 46ÈME FESTIVAL

 
Le festival a ouvert avec un hommage à Kirk Douglas, avec le concours de son fils Michael (via une vidéo enregistrée), et un second a été rendu à Barbet Schroeder, dont Le mystère Von Bülow, restauré, a bénéficié d’une ressortie en salles début 2020. Chaque année, le Prix du Festival de Deauville est remis à un cinéaste qui a franchi l’Atlantique pour travailler aux États-Unis. C’est exactement le cas de ce Franco-Suisse, réalisateur des mémorables Barfly, J.F. partagerait appartement, Kiss Of Death ou La vierge des tueurs, qui a reçu son trophée des mains de Marthe Keller.

 

Les plus craquantes sur le tapis rouge  : Zita Hanrot et Clémence Poésy

 

J’ai eu la chance d’assister à deux premières « mondiales » : celle d’un film américain et l’autre, français. « Aux antipodes » l’un de l’autre…

 

« Un Américain et un Écossais, l’un brillant, l’autre fou. Qui est quoi ? »

 

The Professor And The Madman

Farhard Safinia
2019

Dans les salles françaises en novembre 2020.

En 1857, en Angleterre, le lexicographe et philologue écossais James Murray (Mel Gibson) entame l’élaboration de la première édition de l’Oxford English Dictionary. Cette tâche monumentale l’obligeant à compiler des millions d’entrées, il décide de lancer un appel à soumission, espérant recevoir l’aide de collaborateurs bénévoles. Il va s’avérer que le plus prolifique et brillant d’entre eux, Chester Minor (Sean Penn), chirurgien militaire américain schizophrène, est interné dans un hôpital psychiatrique britannique pour avoir assassiné un innocent…

Un an après une sortie confidentielle aux États-Unis, The Professeur And The Madman est projeté en France. Tourné à Dublin en 2016, le film avait vu son exploitation entravée par le conflit qui opposait la société de production Voltage Pictures et Mel Gibson, l’initiateur du projet. Ce dernier et sa compagnie Icon accusaient Voltage de violation de contrat : elle aurait notamment refusé que certaines scènes soient filmées à Oxford, et ainsi empêché Farhad Safinia de réaliser le film comme il le souhaitait. Faute de preuves substantielles, les plaignants ont été déboutés, et même poursuivis pour rupture de contrat. Ni les acteurs vedettes ni le cinéaste n’ont souhaité assurer la promotion d’un film dont ils n’ont pas approuvé la version finale (Farhad Safinia est même crédité sous le pseudonyme de P. B. Shemran). Bref, un pataquès qui n’a pas joué en faveur de l’œuvre.
Pourtant, tout s’annonçait sous les meilleurs auspices. Mel Gibson avait acquis il y a une vingtaine d’années les droits du best-seller de Simon Winchester dans l’intention de le porter à l’écran sous l’égide de son producteur historique Bruce Davey. Pour pouvoir interpréter le professeur Murray, il en a délégué la direction à Farhad Safinia, le scénariste de son génial Apocalypto. Vu le nombre de critiques acerbes qui ont fleuri depuis la parution du biopic outre-Atlantique, on pouvait s’attendre au pire. Et pourtant, The Professeur And The Madman se regarde sans déplaisir. Oui, Sean Penn cabotine comme un seul homme. Oui, le montage est un peu curieux et oui, certains éléments du scénario auraient mérité d’être davantage développés. Mais à vrai dire, les différents entre parties impliquées ne se ressentent pas sur l’écran et ce biopic certes un brin académique ne manque pas d’atouts. Autour des deux stars précitées, la brochette de seconds rôles est formidable (Steve Coogan, Natalie Dormer, Jennifer Ehle, Stephen Dillane, Eddie Marsan, Ioan Gruffud…). La reconstitution est éblouissante, et on ne peut qu’être saisi par la qualité de la photo signée Kasper Tusken et par la musique de Bear McCreary. Enfin, difficile ne pas être captivé par ce récit édifiant, et cette page d’histoire de la lexicographie quasi-vertigineuse. D’ailleurs, un tonnerre d’applaudissements a suivi la projection.
2h 04 Et avec Jeremy Irvine, Laurence Fox, Sean Duggan…

 

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« Les héros, ça n’existe pas, il n’y a que des losers. »

 

Comment je suis devenu super-héros

Douglas Attal
2020

Dans les salles françaises en décembre 2020.

Dans un futur très proche, certains individus ont développé des facultés surnaturelles et sont parfaitement intégrés dans la société. Mais circule à Paris une étrange substance qui donne des superpouvoirs à ceux qui n’en ont pas. Les accidents s’accumulent. Le policier chargé de l’enquête est le flegmatique lieutenant Moreau (Pio Marmaï), risée du commissariat. A son grand dam, il est contraint de faire équipe avec une nouvelle recrue terriblement zélée (Vimala Pons), venue de la brigade financière. Mais ce policier en apparence incompétent a un passé mystérieux qui va bientôt ressurgir…

Précédé d’une réputation d’OVNI cinématographique, le premier long-métrage de Douglas Attal, fils du producteur Alain Attal et neveu d’Yvan, a effectivement de quoi décontenancer. Un film de super-héros à la française, c’était une sorte de défi et on salue le courage du réalisateur (qu’on a connu acteur au sein de la joyeuse équipe de Radiostars de Romain Levy) d’oser s’attaquer à un genre aussi casse-gueule. Mais marier la comédie avec le fantastique n’est pas chose aisée, et là où Kick Ass s’en sortait avec brio, ici, même si le film mise sur le côté absurde et décalé, ça pédale un peu dans la semoule. Il n’y a pas à tortiller, cette adaptation du livre homonyme de Gérald Bronner est sauvée par ses aspects comiques, et le talent de sa brochette d’acteurs rompus à l’exercice. Pio Marmaï joue les ahuris avec maestria (davantage que les héros…), la trop rare Vimala Pons campe une sorte de petite sœur de Laure Berthaud d’Engrenages avec une conviction désopilante, Leïla Bekhti, en cheftaine, est impériale, et Benoît fait du… Poelvoorde. Le bât blesse davantage côtés fantastique et action (effets spéciaux kitsch, mise en scène poussive et avalanche de clichés empruntés à la saga X-Men, à Watchmen et tutti quanti). Même le thème musical est trop zimmerien pour être honnête (merci Gladiator !). On sauvera toutefois quelques scènes d’action, dont celles dans le lycée notamment. En sortant de la salle, quelqu’un recueillait nos impressions avec un micro, j’ai répondu « rigolo ». Je persiste. Et signe.
1 h 30 Et avec Swann Arlaud, Gilles Cohen, Clovis Cornillac…

Crédits photos Site officiel Festival de Deauville 2020

UN JOUR DE PLUIE À NEW YORK

UN JOUR DE PLUIE À DEAUVILLE

 

En accord avec le film d’ouverture, c’est sous les nuages que Deauville a ouvert vendredi soir la 45èmeédition du Festival du Film Américain. Une coupe au Normandy, vers 18 heures, histoire de vérifier que l’ami Rodolphe Baudry avait pris position dans le carré interview de France Bleu, avant de retrouver la bande à l’O2, le bar lounge du Casino Barrière, où l’on a attendu la fin de la pluie en sirotant du champagne au son de remixes de chansons vintage. « Quizás, Quizás, Quizás » Plus tard dans la soirée, on croisera Roman Polanski dans le hall du Normandy, qui ignorait à ce moment qu’il allait décrocher le Prix du Jury le lendemain à Venise (pour J’accuse) où il était, un comble, persona non grata. Il pleuviotait encore un peu lorsqu’on est entrés au Palais des Congrès, alors que sur le tapis rouge, Pierce Brosnan, invité du jour, répondait aux questions de l’indispensable Genie Godula. Les membres du jury présidé par Catherine Deneuve avaient déjà pris place dans la salle (Gaspard Ulliel, Orelsan, Gaël Morel, Nicolas Saada, Claire Burger…) ainsi que ceux de celui de la Révélation chapeauté cette année par Anna Mouglalis. Tout ce petit monde aura une semaine pour départager les quatorze longs-métrages en compétition, dont neuf premiers films. Le maire de Deauville a officiellement ouvert l’édition avant de céder la place au réalisateur Régis Wargnier qui a rendu un hommage vibrant et joliment tourné à celui qui fut 007 de 1995 à 2002. Emu, Pierce Brosnan, aussi barbu qu’élégant, est revenu sur sa carrière avec modestie et humour, reconnaissant que sans James Bond, il n’aurait pu avoir cette vie-là. Acteur de talent (The Tailor Of Panama, The Ghost Writer,Mamma Mia !, la série The Son…) et désormais producteur heureux très concerné par l’écologie (il a réalisé avec son épouse le documentaire Poisoning Paradise, présenté hors compétition à Cannes en 2018) et l’interdiction des armes à feu, l’Irlandais à la voix un peu voilée par un léger rhume, a toujours sacrément la classe, à tous points de vue.

Photo Olivier Vigerie

 

 WOODY ALLEN ET LA FRANCE : UNE HISTOIRE D’AMOUR

Photo Sundholm, Magnus/Action Press/Rex.Sutterstock

« J’ai le cœur brisé d’être retenu aux Etats-Unis, j’aurais aimé être présent. »

Puisqu’il ne pouvait être à Deauville, Woody Allen a quand même tenu à enregistrer un petit communiqué à l’intention du public, qui a été diffusé juste avant la projection de Un jour de pluie à New York tourné en 2017. Le cinéaste new-yorkais, accusé en plein mouvement #MeToo d’agression sexuelle par sa fille adoptive Dylan Farrow alors qu’elle n’avait de sept ans, a été lâché par son distributeur Amazon et vu son film privé de sortie aux Etats-Unis. Même si les poursuites à l’encontre du réalisateur (qui a toujours nié les faits) ont été abandonnées après deux enquêtes, la programmation en première au festival de Deauville a irrité les féministes. Dans sa petite allocution, Woody Allen dont la parole est plutôt rare, a tenu à remercier le public français qui a toujours défendu ses films. Vu la qualité de celui-là, il eut été dommage qu’il reste à jamais dans les tiroirs.

 

« Real life is fine for people who can’t do any better. »

 

UN JOUR DE PLUIE À NEW YORK (A RAINY DAY IN NEW YORK)


Woody Allen
2019
Dans les salles françaises à partir du 18 septembre 2019

Bien qu’élève à Yardley, université provinciale choisie par sa mère autoritaire, Gatsby Welles (Timothée Chalamet), intello et joueur de poker invétéré, est new-yorkais de cœur. Ainsi lorsqu’Ashleigh (Elle Fanning), sa petite amie étudiante originaire de l’Arizona, lui apprend qu’elle doit se rendre à New York afin d’interviewer un cinéaste célèbre pour la gazette de l’université, Gatsby se réjouit à l’idée de lui faire découvrir les lieux qu’il aime. Mais il semble que le destin a décidé de jouer des tours aux deux jeunes gens, à l’image du ciel new-yorkais, de plus en plus maussade…

A quatre-vingt-trois ans, Woody Allen continue à faire des films d’une fraîcheur et d’une fantaisie sidérantes. Un jour de pluie à New York, privé de sortie aux Etats-Unis, mais heureusement pas dans de nombreux pays d’Europe, est une comédie romantique absolument exquise, dont les protagonistes ont à peine vingt-cinq ans. En étudiant intello et sarcastique, réfractaire à sa famille WASP et fortunée, passionné de jazz, de littérature et joueur de poker doué, Timothée Chalamet est renversant. Le jeune phénomène franco-américain révélé par Call Me By Your Name est en quelque sorte la version idéalisée du cinéaste jeune, qui a confié avoir mis beaucoup de lui dans ce personnage en décalage avec son époque. Sa petite amie est campée par une Elle Fanning irrésistible dans son numéro d’ingénue ambitieuse. Cette adorable provinciale a le chic pour se mettre dans des situations rocambolesques, en conservant quoi qu’il arrive son allure de jeune fille de bonne famille. Au hasard de leurs rencontres respectives, les deux tourtereaux vont aller de découvertes en déconvenues et vice versa, et en apprendre davantage sur eux-mêmes. On baigne ici dans du pur Woody Allen, avec des personnages à la croisée des chemins et un héros (au nom prédestiné) qui ne cesse d’argumenter et de chercher un sens à sa vie. On y parle beaucoup et on rit énormément. Le cinéaste parvient à faire de petits riens des grands moments de cinéma. Il est aidé par le talent du chef opérateur Vittorio Storaro (Le dernier tango à Paris, Apocalypse Now…) qui confère à ce New York sous la pluie un aspect magnifiquement iconique. Sous des airs choisis, les jeunes protagonistes emportent les spectateurs des grands hôtels aux clubs de jazz, en passant par le MoMA et sans oublier Central Park et sa balade en calèche. Quiproquos, occasions manquées, révélations… Tout cela est charmant, spirituel, mélancolique, terriblement intelligent et infiniment romantique.
1h 32. Et avec Selena Gomez, Jude Law, Rebecca Hall, Liev Schreiber, Kelly Rohrbach, Diego Luna, Cherry Jones…

Site officiel Festival du Film Américain de Deauville 2019

LE SECRET DES KENNEDY (Chappaquiddick)

 

@Olivier Vigerie

Loin du faste d’antan et plus que jamais temple d’une cinéphilie de circonstance, le festival du Cinéma Américain de Deauville a choisi d’ouvrir les festivités vendredi 31 août avec Le secret des Kennedy, une reconstitution de l’affaire Chappaquiddick qui avait coûté la vie à la jeune Mary Jo Kopechne et, à Ted Kennedy, sa candidature à la présidentielle. Jason Clarke en étant l’interprète principal, c’est à lui que le festival a rendu hommage vendredi soir, en lui décernant un Deauville Talent Award. Si son nom est encore inconnu du grand public – et apparemment de Sandrine Kiberlain, Présidente du jury, visiblement très sommairement briefée, qui a éprouvé quelques difficultés en lisant (découvrant ?) le texte d’hommage et notamment les titres de films – le comédien australien remarqué dans Des hommes sans loi, Zero Dark Thirty, Mudbound, HHhH, Everest ou Terminator Genesys possède déjà une solide filmographie. Dans ce film présenté en première française, il endosse avec brio le costume du dernier de la fratrie Kennedy : un biopic pertinent et moins académique qu’il n’y paraît.

 

« My conduct and conversations during the next several hours, to the extent that I can remember them, make no sense to me at all. »
(Ted Kennedy, discours télévisé, 25 juillet 1969)

 

Le secret des Kennedy (Chappaquiddick)

John Curran
2017
Présenté hors compétition, date de sortie française encore inconnue

Le soir du 18 juillet 1969, alors que les Américains et le monde entier ont les yeux tournés vers la Lune, le jeune sénateur Ted Kennedy (Jason Clarke) et sa garde rapprochée participent à une soirée sur la petite île de Chappaquidick au large de l’île de Martha’s Vineyard. La question de la candidature de Ted à la prochaine élection présidentielle est sur toutes les lèvres Après avoir discuté avec la jeune Mary Jo Kopechne (Kate Mara), qui s’était très impliquée dans la campagne de feu Robert Kennedy, le sénateur lui propose une virée en voiture. Mais au moment de passer un pont sans garde-fou, leur véhicule fait une embardée et tombe dans l’étang. Ted parvient à s’extirper de la voiture qui coule inexorablement, mais pas la jeune fille, qui reste prisonnière. Au lieu de prévenir les secours et les autorités, le sénateur se met à agir de manière on ne peut plus inappropriée et erratique…

Dans True Compass, ses mémoires posthumes parues en 2009, un mois après sa mort, Edward « Ted » Kennedy confiait que l’affaire Chappaquiddick l’avait hanté toute sa vie et pas seulement parce qu’elle lui a fermé les portes de la Maison Blanche. Presque cinquante ans après cet événement tragique, le film réalisé par l’habile John Curran (Stone, Le voile des illusions, We Don’t Live Here Anymore) le reconstitue avec minutie, s’attachant aux faits, mais en ne s’interdisant pas de les dramatiser ni de les interpréter. Ted Kennedy, dont l’attitude avait été qualifiée par le rapport de police de l’époque de « lâche et indigne », mettra dix heures à donner l’alerte. Pourtant, d’après le plongeur qui a ramené le corps, Mary Jo Kopechne aurait vraisemblablement pu être sauvée dans les premières heures. A la question : « Que s’est-il passé dans la tête du jeune sénateur ? », nul et encore moins le principal intéressé, n’a jamais apporté de réponse. Mais le biopic parvient néanmoins à donner des pistes. Sous l’apparence d’un gosse de riche, gâté et choyé, Ted Kennedy est surtout un homme perturbé, encore sous le choc des assassinats de ses deux frères prodiges, et en proie au doute sur son avenir. Son manque d’assurance contraste avec la ferveur de la jeune équipe féminine de campagne de Bobby (les fameuses boiler room girls dont faisait partie Mary Jo), qui lui fait comprendre lors de cette fameuse soirée du 18 juillet qu’elle est prête à relever avec lui le défi de la prochaine élection présidentielle. Le comportement de Ted relèvera tant de l’absurde après l’accident que le film prend une tournure presque comique. Ni les recommandations avisées de son cousin et proche conseiller Joe Gargan (formidable Ed Helms) abasourdi par la stupeur et l’incompréhension, ni la grosse artillerie déployée par l’équipe de choc de Joe Kennedy n’y feront. La presse va faire ses choux gras des égarements du sénateur et de ses revirements. « On a dit la vérité, du moins notre version de la vérité. » clame Ted avec une certaine inconscience. Le film n’y va pas non plus avec le dos de la cuiller lorsqu’il s’agit de montrer l’intensité du mépris du patriarche de la famille envers son fils. Quant à la jeune Mary Jo Kopechne, elle trouve ici enfin une véritable identité. Cette jeune fille brillante et promise à un bel avenir avait été qualifiée par les médias de l’époque, incapables d’écrire et de prononcer correctement son nom, de « blonde » et de « poule ». Enfin, plus encore que la clémence obscène de la justice et de la presse (sous prétexte que la famille Kennedy avait déjà tant souffert… ), c’est celle du peuple qui interroge. Car ni le scandale et ni l’humiliation n’empêcheront le benjamin du clan d’être réélu sénateur du Massachusetts l’année suivante (il le sera constamment jusqu’en 2006, ce qui lui vaudra le surnom de « Lion du Sénat »). Comme si, en touchant le fond lors de l’accident de Chappaquiddick, il s’était enfin trouvé, pour n’avoir ensuite de cesse de travailler à sa rédemption.
1h 46 Et avec Bruce Dern, Jim Gaffigan, Olivia Thirlby, Clancy Brown…

BANDE-ANNONCE (sur « Atlantis », de Donovan)

Site officiel Festival de Deauville 2018