REDÉCOUVRIR TRUFFAUT : Le dernier métro/La peau douce en Blu-ray

François Truffaut photographié par Pierre Zucca 

De tous les cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est François Truffaut que je préfère. De toute cette bande de jeunes loups, il est avec Chabrol celui dont le cinéma s’est révélé le plus romanesque, le plus accessible aussi. Mais il est surtout celui pour lequel j’éprouve, depuis toujours, une vraie tendresse. Probablement parce que cet homme qui ne vivait que pour le cinéma aimait, non seulement les femmes, mais les gens. L’enfant terrible de la critique, autrefois provocateur et arrogant, s’est métamorphosé en réalisateur attentif aux autres, bienveillant et généreux. Alors que douze de ses œuvres majeures sont disponibles sur Netflix, deux films sont récemment parus en Blu-ray chez Carlotta, en versions magnifiquement restaurées et truffées d’excellents suppléments.

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« Alors voilà, il y a deux femmes en vous…
– Oui, mais malheureusement, aucune des deux n’a envie de coucher avec vous. »

 

LE DERNIER MÉTRO

François Truffaut
1980
Disponible en Blu-ray, DVD et Coffret Collector chez Carlotta depuis le 2 juin 2021

1942. Paris est occupé. Lucas Steiner (Heinz Bennent), le directeur juif du Théâtre Montmartre, a officiellement fui la France, confiant à son épouse Marion (Catherine Deneuve) les rênes de l’endroit qu’elle dirige avec ses collaborateurs les plus fidèles. Ainsi, l’acteur et réalisateur Jean-Loup Cottins (Jean Poiret) est charger de mettre en scène la nouvelle pièce, La disparue, en s’appuyant sur les consignes laissées par Lucas Steiner. Marion en partage la vedette avec une nouvelle recrue, le jeune et entreprenant comédien Bernard Granger (Gérard Depardieu)…

Malgré ses dix César obtenus en 1981, le plus grand succès au box-office de François Truffaut (avec les Quatre cents coups) a parfois décontenancé la critique, jugeant (comme le réalisateur lui-même d’ailleurs) que la retenue du cinéaste avait un peu nui à l’émotion. Pourtant, comme Les quatre cents coups – encore –, Le dernier métro est un des films les plus personnels du réalisateur « né de père inconnu », qui avait dix ans en 1942 et a découvert, bien plus tard, que son père biologique était juif. Il lui tenait à cœur d’évoquer cette période particulière à travers le prisme du théâtre et d’en montrer la confusion, les compromis, les petits arrangements plus ou moins douteux, l’héroïsme et la lâcheté ordinaire, et le sentiment d’insécurité permanent. Ainsi, la réussite du Dernier métroprovient moins des aléas de l’histoire d’amour que des détails de cette reconstitution documentée et de l’authenticité des personnages secondaires, les petites mains : l’ingénue pleine d’ambition campée par Sabine Haudepin, la fidèle habilleuse jouée par Paulette Dubost, le régisseur débrouillard (Maurice Risch) ou la décoratrice aux mœurs libres (Andréa Ferréol). Si le cinéaste avait puisé dans ses souvenirs personnels et de son entourage, il s’était aussi beaucoup inspiré des anecdotes racontées par les artistes de l’époque, Jean Marais et Sacha Guitry en tête. Ainsi, le critique collabo et antisémite incarné par Jean-Louis Richard, complice d’écriture de longue date de Truffaut, est une émanation d’un véritable journaliste auquel Jean Marais a un jour cassé la figure, comme le fait le personnage de Gérard Depardieu dans le film. La précision de l’écriture et des dialogues se retrouve dans la mise en scène épurée. La photo du génial Nestor Almendros sublime la mise en abyme et les trompe-l’œil qui entremêlent savamment la vie et le théâtre, le réel et l’illusion. Muse du cinéaste depuis La sirène du Mississippi, Catherine Deneuve excelle dans la peau de ce personnage écrit tout spécialement pour elle, tenu au double-jeu, froid seulement en apparence, car aussi passionné que celui que campe le jeune, fougueux et formidable Depardieu. D’ailleurs, en clin d’œil à La sirène du Mississippiqui avait subi un échec cuisant en 1969, François Truffaut a replacé quelques-uns de ses dialogues dont celui-ci, devenu culte :

« Tu es belle. Si belle que te regarder est une souffrance.
– Hier, vous disiez que c’était une joie.
– C’est une joie et une souffrance. »

2 h 11. Et avec Aude Loring, Alain Tasma, Jean-Pierre Klein, René Dupré, Martine Simonet, Richard Borhringer…

 

TEST COFFRET ULTRA COLLECTOR N°19

Le coffret, dont le visuel exclusif est signé Jonathan Burton, inclut le Blu-ray, le DVD et un livre de deux cents pages dirigé par Jérôme Wybon, composé de nombreux documents d’archives et de textes contemporains autour du film.

Interactivité ****
Le programme mêle les suppléments provenant d’anciennes éditions à des documents inédits. On retrouve la présentation et le commentaire audio de Serge Toubiana accompagné de l’historien Jean-Pierre Azéma, auxquels se joint parfois Gérard Depardieu. Ce dernier se souvient de la première rencontre avec Truffaut, qu’il considérait jusqu’alors comme un « bourgeois ». Même si la qualité de l’image n’est pas idéale, on savoure la présence du numéro de l’émission de TF1 Les Nouveaux rendez-vous, datant de septembre 1980. Ève Ruggieri recevait sur son plateau François Truffaut, Catherine Deneuve et Gérard Depardieu (11 mn). Le cinéaste répond ensuite au regretté Claude-Jean Philippe, dans un document audio diffusé en 1980 sur France Culture (46 mn). On ne négligera pas non plus le numéro de L’invité du jeudi, émission présentée en décembre 1980 par Anne Sinclair consacrée à François Truffaut, qui livre beaucoup de ses secrets. Plus récent, le documentaire de Robert Fisher réalisé en 2009 réunit des acteurs et membres de l’équipe du film, qui se remémorent le tournage (Paulette Dubost y est truculente). On peut découvrir également une scène coupée, et Petite Graine, court métrage de Tessa Racine, assistante de Nestor Almendros sur Le dernier métro, un hommage très personnel au réalisateur.

Image ****
Format : 1.66
Restaurée en 2014 par MK2 et la Cinémathèque française, le négatif original a été numérisé en 4K et restauré en 2K image par image sous la supervision du directeur photo Guillaume Schiffman, fils de Suzanne Schiffman, la collaboratrice de François Truffaut. Autant dire que le résultat est magnifique et très fidèle à l’image d’origine.

Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en français
Une seule piste, propre et très harmonieuse, tout à fait convenable pour ce film intimiste.

 

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« Tu sais ce que disait Sacha Guitry ?
– Non.
– “Elle bâillait devant moi. Je lui ai dit : ‘Bâille, bâille’…” »

 

LA PEAU DOUCE

François Truffaut
1964
Disponible en édition Prestige et Blu-ray simple chez Carlotta depuis le 2 juin 2021

Pierre Lachenay (Jean Desailly) est écrivain. Ce quadragénaire mène une existence bien réglée dans le XVIe arrondissement de Paris avec son épouse Franca et leur fille Sabine. Un jour, il se rend à Lisbonne pour donner une conférence sur Balzac. Dans l’hôtel où il est descendu se trouve également Nicole, la jeune et jolie hôtesse de l’air (Françoise Dorléac) qu’il avait remarquée durant le vol….

« La Peau douce, c’est la vieille France contre la Nouvelle Vague » a dit fort justement le critique Nicolas Saada : un bourgeois conformiste typique de la France gaullienne campé par Jean Desailly (parfait dans ce rôle ingrat) contre la jeunesse, la spontanéité et la beauté insolente de Françoise Dorléac. D’après un scénario original écrit par Truffaut et son ami Jean-Louis Richard, le film a été réalisé dans l’urgence, après le merveilleux Jules et Jim et alors que le projet de Fahrenheit 451 peinait à prendre forme. S’il n’a pas rencontré son public à l’époque, c’est que les spectateurs ont eu quelques difficultés à adhérer au personnage de Pierre Lachenay (le nom est emprunté à l’ami d’enfance de Truffaut, Robert Lachenay), maladroit, pathétique souvent, et in fine peu sympathique. François Truffaut en avait pleinement conscience, mais c’était le prix à payer pour ne pas tomber dans une certaine complaisance qui lui faisait horreur. Il y a en effet de la cruauté dans cette peinture de l’adultère, qui apparaît à la fois comme un film noir et un film à suspense. Ce n’est pas un hasard. La peau douce se ressent de l’influence d’Alfred Hitchcock, l’un des maîtres de Truffaut. La mise en scène est précise (découpage au cordeau, éclairages malins, échanges de regards, plans resserrés…), le rythme soutenu et la tension dramatique constante. Le tout est admirablement servi par la musique de Georges Delerue et la photo en noir et blanc de Raoul Coutard. Enfin, on souligne la présence de Françoise Dorléac dans un de ses plus beaux rôles, filmée avec un fétichisme évident par François Truffaut, qui l’adorait. La divine comédienne disparaîtra tragiquement trois ans plus tard, à l’âge de vingt-cinq ans. Les cinéphiles ne s’en sont jamais vraiment remis.
1 h 53. Et avec Nelly Benedetti, Sabine Haudepin, Daniel Ceccaldi, Laurence Badie, Maurice Garrel, Jean-Louis Richard…

 

TEST EDITION BLU-RAY

 

Interactivité ***
L’édition reprend peu ou prou le programme du DVD paru en 2000 chez MK2, c’est-à-dire le commentaire audio du coscénariste Jean-Louis Richard, animé par Serge Toubiana, et la présentation du film par ce dernier. Figurent également au menu : un petit reportage sur Françoise Dorléac et Nelly Benedetti à Cannes en 1964, une analyse de quelques scènes par François Truffaut dans le cadre de l’émission Cinéastes de notre temps (10 mn), une interview croisée du réalisateur et son actrice pour la télévision flamande (4 mn). On aime beaucoup l’analyse pertinente du film par Nicolas Saada, document inédit intitulé fort justement L’ancien et la moderne (10 mn).
 

Image ****
Format : 1.66
Un transfert d’excellente facture. L’image, lumineuse et propre, conserve un grain très cinématographique. Très bonne qualité du piqué et des contrastes.

Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en français
Un rendu très propre et équilibré.


 Le film est également disponible en DVD simple et Édition Prestige Limitée, combo Blu-ray/DVD incluant de la memorabilia (fac-similé du premier traitement du scénario, du dossier de presse original du film, du dossier sur le film extrait de la revue La cinématographie française, un jeu de cinq photos du film et l’affiche).

 

 

 

 

À signaler également aux amoureux de François Truffaut, cette très jolie bande dessinée parue chez Glénat en 2020, signée Marek et du spécialiste de cinéma Noël Simsolo, qui retrace la vie tumultueuse du réalisateur sentimental et passionné.

 

 

LIENS CONNEXE : CRITIQUE LA SIRÈNE DU MISSISSIPPI

Back to the 80’s : Contre toute attente/The Boys Next Door

Les années 80 reviennent en force avec deux films oubliés, à (re)découvrir en Blu-ray ou DVD, master restaurés et suppléments à l’appui.

 

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« Tu sais quand tu es arrivée sur moi avec ton couteau ? La seule trouille que j’ai eue sur le moment, c’est que tu te blesses. »

 

CONTRE TOUTE ATTENTE (Against All Odds)

Taylor Hackford
1984
En DVD et Combo DVD/Blu-ray chez Sidonis Calista depuis le 20 mai 2021

À cause de son épaule abîmée et de son âge, Terry Brogan (Jeff Bridges), l’ex-vedette de l’équipe de football américain The Outlaws, est licencié. Fauché, il accepte à contrecœur l’offre juteuse de son copain Jake Wise (James Woods), propriétaire d’un club prisé à Los Angeles et truand sur les bords. La mission : retrouver la petite amie de ce dernier, qui s’est enfuie après l’avoir agressé. Il se trouve que la jeune femme en question (Rachel Ward) est aussi la fille de la riche propriétaire des Outlaws (Jane Greer)…

J’ai vu Contre attente au cinéma, à sa sortie, en 1984. Je me souviens m’être dit que, par endroits, le film ressemblait à une publicité pour gel douche, en particulier dans sa partie mexicaine. Les personnages incarnés par Jeff Bridges et Rachel Ward (au top de leur « sexitude ») font de la plongée, s’embrassent sur le sable, font l’amour dans des temples mayas, courent sur la plage dans le soleil couchant et jouent les touristes dans des paysages de rêve. Impression accentuée par la chanson sirupeuse de Phil Collins (« Take A Look At Me Now ») qui clôt joliment le film. Elle fera un tube interplanétaire et restera dans les mémoires, a contrario du film. Pourtant, même si Contre toute attente souffre d’un manque de rythme et d’une mise en scène souvent paresseuse, le revoir aujourd’hui est un régal. Film noir « tourné en plein soleil » dixit son réalisateur, ce troisième long-métrage de Taylor Hackford (après The Idol Maker et Officier et gentleman) est très librement inspiré de La griffe du passé (Out Of The Past), chef-d’œuvre de Jacques Tourneur, avec Robert Mitchum, Jane Greer (elle campe ici la mère du personnage qu’elle incarnait dans l’original), Kirk Douglas et Rhonda Fleming. L’ex-détective reconverti pompiste interprété par Mitchum est devenu joueur de football et, à l’intrigue initiale, se mêlent corruption dans le monde du sport, projets immobiliers, politique et écologie. Le remake bénéficie lui aussi d’une formidable distribution. James Woods excelle dans ce rôle de bad boy intense et transi d’amour, finalement plus attachant que celui, plus convenu, campé par Jeff Bridges. On ne boude pas non plus le plaisir de voir Richard Widmark dans un rôle de crapule dont il avait le secret, ou King Creole and The Coconuts interpréter « My Male Curiosity » dans le club de Jake Wise (chanson écrite tout spécialement pour le film). Le Los Angeles clinquant de l’époque est magnifiquement rendu par la photo de Donald E. Thorin (qui signait la même année celle de cultissime Purple Rain). La course sur Sunset Boulevard entre la Ferrari noire de Jake Wise et la Porsche rouge de Terry Brogan en met toujours plein les mirettes, tout comme les scènes sur la plage de Manhattan Beach. Le plan final, sur le visage de Rachel Ward (qui fut l’héroïne de la célèbre série Les oiseaux se cachent pour mourir), tandis que résonne « Take A Look At Me Now », rend sacrément nostalgique.
2 h 08. Et avec Alex Karras, Dorian Harewood, Saul Rubinek, Swoosie Kurtz…

 

TEST ÉDITION BLU-RAY

Interactivité ****
Un programme de suppléments inespéré qui propose deux commentaires audio. Dans le premier, le réalisateur est en compagnie de Jeff Bridges et James Woods ; dans le second, la parole est donnée au scénariste Eric Hugues. On y découvre bon nombre d’anecdotes. Taylor Hackford révèle que de nombreux spectateurs sont retournés voir le film à plusieurs reprises pour la seule scène de la course de voitures. On y découvre aussi que Rachel Ward s’était mariée (avec le comédien Bryan Brown) la veille d’entamer ce tournage aux scènes d’amour torrides. Au programme également, un entretien d’époque avec James Woods. Il confie que son acteur préféré est Gary Cooper (selon lui « l’essence même de l’Amérique »), encense Bette Davis et a la dent dure lorsqu’il évoque Faye Dunaway (8 minutes). Le critique Gérard Delorme, dans sa présentation, met en exergue les similitudes du film avec Chinatown, et revient sur La griffe du passé. Le programme comprend également deux scènes coupées dont l’une, excellente, aurait pu survivre au montage final. Les clips des chansons de Phil Collins et Kid Creole and The Coconuts figurent aussi au menu.

Image ***
Format : 1.85
La restauration est magnifique (beau piqué, belle définition, grain argentique respecté…). Les couleurs sont vibrantes et les contrastes saisissants.

Son ***
DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 en VOST
DTS-HD Master Audio 2.0 en français
Très convenable. On notera quelques beaux effets de spatialisation dans la version originale, où les passages musicaux sont particulièrement mis en valeur.

 

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« Well, if you know your place in the cosmos, the world is beautiful. Just think to yourself : the world is beautiful.
– Fuck the world !  »

 

THE BOYS NEXT DOOR

Penelope Spheeris
1985
En DVD et Blu-ray chez Carlotta depuis le 19 mai 2021

C’est l’heure de la remise des diplômes pour Roy Alston (Maxwell Caulfield) et Bo Richards (Charlie Sheen). Ces deux adolescents marginaux issus de la classe ouvrière d’une petite ville californienne n’ont cependant pas beaucoup de perspective d’avenir, hormis l’usine locale et l’armée. Considérés comme des losers par leurs camarades, ils en veulent au monde entier et notamment aux filles, qui ne les regardent pas, et à ceux qu’elles regardent. Après avoir parasité la fête de fin d’année, où ils n’étaient pas invités, les deux garçons décident de partir en virée à Los Angeles, pour s’éclater et évacuer leurs frustrations…

« Des méfaits du reaganisme adaptés à la bonne vieille série B » avait écrit Jean-Philippe Guerand dans sa courte critique parue dans le numéro d’octobre 1987 de Première. Le film avait fait une brève apparition le mois précédent sur les écrans d’ici sous le titre De sang froid — à ne pas confondre avec celui de la version française de In cold Blood, de Truman Capote. Pour sa publication en vidéo, Carlotta a eu la bonne idée de lui redonner son titre original, bien plus adapté. Introduit par un petit topo sur les tueurs en série, The Boys Next Door décrit de manière implacable la balade funeste de deux jeunes hommes à l’allure innocente, pris de folie meurtrière. Se sentant mis au ban de la société, ils vont tuer à multiples reprises avec une violence inouïe. Le plus forcené des deux, campé par Maxwell Caulfield, est particulièrement terrifiant. Pétri de haine, probablement en proie à une homosexualité refoulée, il entraîne son copain dans une spirale infernale sans l’ombre d’un remords : le meurtre de l’infortunée Angie — incarnée par Patti D’Arbanville, la Lady D’Arbanville de la célèbre chanson de Cat Stevens — est d’une rare brutalité (Le film a échappé de justesse à un classement X). Penelope Spheeris, future réalisatrice de Wayne’s World, qui sera cantonnée ensuite aux comédies, était alors une documentariste spécialisée dans le rock underground (elle a été surnommée « l’anthropologue du rock »). Cette observatrice de la nature humaine s’était fait remarquer en 1981 en signant le documentaire The Decline Of Western Civilization, une immersion dans la scène punk de Los Angeles. C’était aussi le sujet de son premier long-métrage de fiction, Suburbia, produit par Roger Corman, paru deux ans plus tard. Interdit aux moins de seize ans à sa sortie, The Boys Next Door profite indéniablement de sa connaissance de la vie nocturne et des mœurs de la Cité des Anges. Les plans dans les quartiers chauds sont d’une authenticité remarquable. Ils donnent à cette série B âpre et violente un réalisme saisissant et en font une œuvre à fois emblématique d’une époque, et universelle.
1 h 31 Et avec Christopher McDonald, Lesa Lee, Grant Heslov, Don Draper, Hank Garrett, Paul C. Dancer, Moon Unit Zappa, Blackie Dammett…

 

TEST ÉDITION BLU-RAY

 

Interactivité ***
L’édition de la Midnight Collection de Carlotta reprend des suppléments du Blu-ray américain de 2019. Penelope Spheeris et Maxwell Caulfield se remémorent le tournage le temps d’un entretien très sympathique (21 minutes) réalisé en 2015. La réalisatrice confie avoir concédé au producteur Sandy Howard l’introduction sur les tueurs en série, qui tenait à cœur à ce dernier (le générique alternatif figure également au menu). Elle se souvient aussi en riant de la réaction de Martin Sheen à la première du film, qui a quitté la salle dès le début, effaré par tant de violence. Maxwell Caulfield évoque sans langue de bois sa participation à Grease 2 (paru trois ans avant The Boys Next Door), le film qui devait lancer sa carrière et qui, dans le même temps, l’a anéantie.  Un reportage amusant permet de visiter les lieux du tournage à Los Angeles (14 minutes). Des scènes alternatives et la bande-annonce complètent le programme.

Image **
Format : 1.85
Restauré en 4K à partir du négatif original, le film propose une image propre et soignée, mais un peu douce. La précision n’est pas toujours de mise, mais on peut estimer qu’il s’agit de la meilleure version de l’œuvre à ce jour.

Son **
DTS-HD Master Audio 1.0 en VO et français
Sous-titres français optionnels
On aurait apprécié une piste plus dynamique, mais l’ensemble reste clair et équilibré.

HOLLYWOOD, dans l’ombre des studios

 

 

Publié le mois dernier par Lobster Films, ce splendide coffret 3-DVD permet de découvrir trois petits bijoux des années 30, réalisés en marge de l’industrie et de la censure, alors que, justement, le Code Hays entrait en vigueur à Hollywood. Restaurés pour la première fois d’après les négatifs originaux 35 mm, ces films qui font la part belle aux personnages féminins enchantent par leur audace et leur modernité.

 

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WOMAN IN THE DARK

Phil Rosen
1934

À cause de son tempérament fougueux, le séduisant John Bradley (Ralph Bellamy) a tué un homme lors d’une bagarre et écopé de trois ans de prison. À sa sortie, il s’installe dans la maison isolée de son défunt père avec l’intention de mener une existence paisible. Mais un soir de tempête, alors qu’il tente de convaincre la fille du shérif (Nell O’Day) — celle qui lui a valu ses ennuis — de rentrer chez elle, débarque une très belle femme en robe de soirée (Fay Wray). Elle s’est foulé la cheville en s’enfuyant à pied de la demeure de son riche protecteur (Melvyn Douglas)…

Distribué par la RKO, Woman In The Dark, parfois repris en français sous le titre Traqués, est l’adaptation d’une nouvelle publiée un an plus tôt par Dashiell Hammett, le maître du roman noir, auteur, entre autres, du Faucon maltais. La belle Fay Wray, l’inoubliable interprète de la fiancée de King Kong, apparaît d’abord comme la femme fatale (celle par qui les ennuis arrivent) avant de dévoiler sa vraie nature. Mis en scène par Phil Rosen, réalisateur d’origine allemande qui avait débuté comme caméraman et s’était fait connaître au temps du muet, le film possède tous les ingrédients du genre auxquels vient se greffer une bonne dose d’humour. On retrouve le célèbre Melvyn Douglas, deux fois Oscarisé, et Ralph Bellamy ; il fera plus tard une carrière prolifique en tant qu’« éternel second rôle » et campe ici le héros au grand cœur (et macho quand même…). Mais ce sont les personnages féminins qui tirent leur épingle du jeu. La fille du shérif, futée, écoute aux portes et agit dans le dos de son père. Quant à la belle demoiselle en détresse, si elle montre volontiers ses jambes, elle ne manque pas non plus de tempérament. Une scène est en cela remarquable : dans une discussion avec son avocat, ce dernier ne cesse tout en parlant de lui mettre la main sur la cuisse. Elle y pose alors discrètement la sienne tenant sa cigarette afin que le balourd se brûle :

« Hey, mais qu’est-ce qui vous prend ? Si quelque chose vous dérange, faites-le savoir !
– C’est ce que j’ai fait. »

1 h 08 Et avec Roscoe Ates, Ruth Gillette, Reed Brown Jr.

 

Le film est accompagné de deux courts-métrages d’époque : Bedlam Of Beards, de Ben Holmes et Masks and Memories de Roy Mack.

 

BACK PAGE

Anton Lorenze
1934

Jeune reporter pour un journal d’une grande ville, Jerry Hampton (Peggy Shannon), trop audacieuse au goût de patron, est renvoyée. Grâce à l’aide de son prétendant (Russell Hopton), elle trouve une place de rédactrice en chef dans un quotidien de province sur le déclin. Il va lui falloir d’abord convaincre le directeur (Claude Gillingwater) car ce dernier, qui s’attendait à l’arrivée d’un homme, a plutôt des réserves quant à confier les rênes à une femme, aussi intrépide soit-elle…

Cette comédie pétillante est l’œuvre d’un dénommé Anton Lorenze, qui serait le pseudonyme d’un metteur en scène célèbre, dont l’identité reste encore un mystère aujourd’hui. On suit avec plaisir les aventures de la fougueuse Jerry Hampton au prénom équivoque, féminine et féministe jusqu’au bout des ongles, bien décidée à prouver qu’elle est aussi compétente, sinon plus, que ses homologues masculins.

« Non… vous êtes trop jolie pour être intelligente…
– Ça me plairait bien si je ne cherchais pas de travail… »

« Tu es tombée sur un scoop ?
– Tombée dessus ? Non, je l’ai déterré avec ma propre hachette, et c’est génial ! »

Elle est incarnée par Peggy Shannon, qui, hélas, n’était pas dans la vie du même acabit que son personnage. Considérée comme « la nouvelle Clara Bow », cette très jolie rousse, mannequin à ses heures, avait la réputation d’être capricieuse sur les plateaux, et son penchant pour l’alcool n’était pas un secret. Cette dépendance sera la cause de sa mort prématurée en 1941, à l’âge de trente-quatre ans. En attendant, dans Back Page, elle joue avec brio les redresseuses de torts, et met à jour une vaste escroquerie envers la population fomentée par un homme d’affaires sans scrupule. On notera tout de même les entorses à l’intégrité journalistique, les propos offensants (et proférés d’un ton badin) au sujet des Indiens et la présence amusante du jeune Sterling Holloway, célèbre, entre autres pour avoir été la voix de Winnie l’ourson.
1 h 05 Et avec Rockliffe Fellowes, Edwin Maxwell, Richard Tucker, David Callis…

Le film est livré avec quatre courts-métrages d’animation de 1934, dont deux truculents épisodes de la saga Betty Boop (Betty Boop Rise To Fame et Poor Cinderella).

 

MIDNIGHT (Call It Murder)

Chester Erskine
1934

À l’issue de son procès, Ethel Saxton (Helen Flint) est condamnée à mort pour le meurtre de l’homme qu’elle aimait. Ce verdict sévère est dû à l’intervention du président du jury, le rigide Edward Weldon (O. P. Heggie). Quelques mois plus tard, le jour de l’exécution prévue à minuit, Weldon est fébrile, d’autant qu’il est décrié par la presse et l’opinion publique. Commence pour lui une soirée interminable alors que ses proches, et notamment sa fille Stella (Sidney Fox), espèrent un pardon de dernière minute…

Lors de sa ressortie en 1947, ce premier film du réalisateur, scénariste et producteur Chester Erskine est rebaptisé Call It Murder et Humphrey Bogart, devenu star entre-temps, a les honneurs de l’affiche. Même si l’acteur possède déjà ce flegme et ce ton sarcastique dont il fera sa marque, il n’a pourtant qu’un rôle mineur dans cette histoire : il campe le jeune gangster cynique dont Stella, au grand dam de son père, est follement amoureuse. Adapté d’une pièce de théâtre écrite par Claire et Paul Sifton, Midnight est une réflexion sur la peine de mort, mais force est de constater que la démonstration prend des tours assez curieux, pour ne pas écrire « tirés par les cheveux ». Même si on ne peut remettre en doute les bonnes intentions des auteurs, le rebondissement final fait fi de toute morale. Le film profite malgré tout d’une distribution solide, dont un Henry Hull parfait en journaliste aux dents longues. On retrouve également l’ingénue Sidney Fox, qui fut l’une des treize WAMPAS (Western Associated Motion Pictures Advertisers) Baby Stars de 1931, aux côtés de Joan Blondell et Frances Dee. La jeune comédienne décédera en 1942, à l’âge de trente-quatre ans, après avoir absorbé une dose excessive de barbituriques. Preuve qu’avant ou après la censure, Hollywood n’a jamais été tendre avec les actrices.
1 h 16 Et avec Lynne Overman, Granville Bates, Moffat Johnston, Richard Whorf, Margaret Wycherly…

Le film est suivi de trois courts-métrages de 1934, la comédie Everything’s Ducky, de Ben Holmes, et deux cartoons : Sinister Stuff de Steve Muffati et Grandfather’s Clock de Burt Gillett et James Tyer.