LES FILLES DU DOCTEUR MARCH

Intitulée en français Les quatre filles du Docteur March, la précédente adaptation de l’œuvre culte de Louisa May Alcott, réalisée en 1994 par Gillian Armstrong, est restée dans les mémoires. Chaleureux, sensible et attachant, transcendé par une Winona Ryder rayonnante en Jo, ce film familial est aujourd’hui un classique qu’on ne se lasse pas de revoir à Noël. Qu’à cela ne tienne, vingt-cinq ans après, l’égérie du cinéma indépendant américain Greta Gerwig (compagne de Noah Baumbach), interprète inoubliable de Frances Ha et réalisatrice du remarqué Lady Bird, n’a pas eu peur de s’emparer du livre qui a bercé son enfance pour y imposer sa vision, plus féministe et moderne. Verdict.

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« I can’t get over my disappointment at being a girl. »

  

Les filles du Docteur March (Little Women)

Greta Gerwig
2019
Dans les salles françaises depuis le 1er janvier
Six nominations aux Oscars 2020

Alors que la Guerre de Sécession fait rage, la modeste famille March, dont le père pasteur est au front, s’est organisée pour faire tourner la maison. Pendant que la mère (Laura Dern) se dévoue auprès des nécessiteux, les quatre filles ont chacune leur tâche. Leur récréation : se retrouver dans le grenier pour jouer les pièces imaginées par la plus rebelle d’entre elles, Joséphine, dite « Jo » (Saoirse Ronan), un vrai garçon manqué qui ne rêve que d’écriture et d’indépendance…

On compte depuis le début du siècle dernier un nombre considérable d’adaptations du livre en deux volumes de Louisa May Alcott (publiés en 1868 et 1869), que ce soit au cinéma, à la télévision ou en dessin animé. Les plus grandes stars hollywoodiennes se sont frottées aux personnages des sœurs March, y compris Katharine Hebpurn, Joan Bennett, Janet Leigh, Elizabeth Taylor et, plus récemment, Claire Danes et Kirsten Dunst. C’est donc avec curiosité qu’on aborde ce Little Women circa 2019, en se demandant comment Greta Gerwig allait parvenir à apporter un regard neuf sur cette oeuvre initiatique, implantée depuis des lustres dans l’inconscient collectif. Premier parti pris de la scénariste-cinéaste : jouer avec la chronologie à coups d’allers et retours entre les époques. Le film débute ainsi par la dernière partie de l’intrigue, dévoilant une Jo adulte, qui bataille pour publier ses écrits. L’intention de Greta Gerwig est évidente : mettre en exergue la dimension féministe du roman à travers son héroïne frondeuse et dénoncer la condition de la femme du XIXème siècle. Pourtant, la réalisatrice ne parvient pas à échapper totalement à une certaine forme d’académisme. Bien qu’éparpillés, les moments clés du livre sont bien présents (et heureusement…) ; le temps de flash-backs (les cheveux brûlés de Meg, le premier bal, la chute d’Amy dans le lac gelé…). Cette agitation souvent euphorique est joliment filmée, sous les effluves de la musique très conventionnelle d’Alexandre Desplat. Efficace aussi, la mise en scène, qui sert parfaitement les personnages, tous charmants et incarnés par une brochette d’acteurs chevronnés. Saoirse Ronan fait une Jo (blonde…) sensible, butée et très convaincante, le surdoué Timothée Chalamet un Laurie émouvant et plein de fraîcheur, et Meryl Streep une Tante March savoureuse (« Je n’ai peut-être pas toujours raison, mais je n’ai jamais tort. »). Mais c’est surtout dans la deuxième partie du film, plus fidèle à l’auteur qu’à son roman, que Greta Gerwig excelle. Les atermoiements de Jo et ses questionnements sont traités avec une sensibilité remarquable. Voir cette forte tête tenter de retenir l’enfance et le temps qui passe, comme si elle seule avait conscience de la perte d’un paradis, a quelque chose d’incroyablement poignant. Rien que pour ça, Les filles du Docteur March mérite l’admiration.
2 h 15. Et avec Florence Pugh, Emma Watson, Louis Garrel, Elisa Scanlen, James Norton, Chris Cooper, Tracy Letts…

STAR WARS : L’ascension de Skywalker

A propos d’une série qui n’avait pas tenu toutes ses promesses, quelqu’un d’avisé m’a récemment confié : « Il y a longtemps que je ne la regardais plus pour ses qualités propres, mais pour “retrouver mes amis”. » C’est un peu le sentiment que l’on éprouve devant le dernier épisode de la dernière trilogie de la saga Star Wars. Quarante-deux ans après Un nouvel espoir, L’ascension de Skywalker fait plus que jamais vibrer la fibre nostalgique, malgré un évident manque d’audace narrative et d’inventivité de la part d’une jeune génération de créateurs trop respectueux de l’œuvre et de sa horde de passionnés fétichistes. (pas de spoilers dans cette critique)

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« We had each other, that’s how we won. »

 

Star Wars : L’ascension de Skywalker (Episode IX – The Rise Of Skywalker)

J. J. Abrams
2019
Dans les salles françaises depuis le 18 décembre 2019

Après la mort de Luke Skywalker, Rey (Daisy Ridley), dernier espoir des Jedi, s’entraîne auprès de la Générale Leia Organa (Carrie Fisher), toujours à la tête de la Résistance. Mais alors que le maléfique Kylo Ren (Adam Driver) tient désormais les rênes du Premier Ordre, une menace encore plus terrible plane sur la Galaxie…

Le réveil de la force (lire critique), réalisé en 2015 par J. J. Abrams sous l’égide de Disney, avait redonné du peps à une saga qui s’était quelque peu fourvoyée au début du nouveau millénaire. En renouant avec la recette éprouvée avec succès dans les épisodes originaux, la nouvelle trilogie semblait partir du bon pied. Las, Les derniers Jedi, le deuxième épisode mis en scène en 2017 par Rian Johnson, s’est avéré franchement décevant, la présence envahissante des « anciens » pesant lourdement sur un film qui semblait vouloir absolument tourner le mythe en ridicule (les personnages de Luke Skywalker et Leia en tête). Conscient du problème et soucieux de clore l’histoire avec panache, J. J. Abrams est retourné au charbon. Si L’ascension de Skywalker n’est pas le chef-d’œuvre espéré (trop de recyclage de plans, de personnages et de punchlines issus de la première trilogie, sans compter un emprunt éhonté au discours d’Aragorn dans Le Retour du Roi), il tient ses promesses sur les plans de l’action, de l’aventure et de l’émotion, et offre un final sinon grandiose, du moins très satisfaisant. Emaillé de séquences spectaculaires et souvent magnifiques, le film insiste sur la rivalité et relation ambiguë entre Rey et Kylo Ren, permettant à Adam Driver de faire montre de son infini talent. Indiscutablement, la présence de l’acteur nommé aux Oscars pour Marriage Story cette année est un atout de taille. Constamment habité par son personnage déchiré entre le bien et le mal, il insuffle de la tragédie grecque et du lyrisme dans cette épopée galactique en mal de scénario où l’humour bon enfant tient trop souvent lieu de dialogues. Mais qu’importe. Puisque pour des millions de spectateurs, Star Wars, c’est bien plus que du cinéma, J. J. Abrams n’a pas lésiné sur les références flatteuses de nostalgie. Et ça marche. Il y a quelque chose d’étrange dans le fait d’avoir assisté à la naissance d’une saga et d’avoir vieilli avec elle. Nul doute que d’autres intrigues verront le jour, mais cet épisode IX imparfait boucle miraculeusement la boucle et force à faire le deuil, de la saga et pas seulement. Après ça, rien ne sera plus jamais pareil.
2 h 22 Et avec John Boyega, Oscar Isaac, Domnhall Gleeson, Richard E. Grant, Keri Russell, Mark Hamill, Joonas Suotamo, Naomi Hackie, Anthony Daniels, Harrison Ford…

 

MESSIAH Saison 1

Et si Jésus revenait aujourd’hui, à l’heure d’Instagram, Twitter, Daech et des fake news ? Parviendrait-il à unir les peuples ou, au contraire, engendrerait-il un chaos de masse ? C’est la question que pose cette passionnante série écrite par Michael Petroni pour Netflix, sans nul doute le choc télévisuel de ce début d’année. (pas de spoiler dans cette chronique)

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« This is bigger than what you can imagine. »

 

Messiah Saison 1

Michael Petroni
2020
10 épisodes diffusés sur Netflix depuis le 1er janvier 2020

En Syrie, un jeune prêcheur (Mehdi Dehbi) parvient à empêcher une attaque djihadiste en invoquant une tempête de sable. Les témoins de l’événement, convaincus qu’il est un nouveau messie, entreprennent de le suivre dans le désert jusqu’à la frontière israélienne. Les médias du monde entier se focalisent sur cet homme extrêmement charismatique qui semble venu de nulle part. Tandis que beaucoup s’emballent, d’autres sont méfiants, tels Eva Geller (Michelle Monaghan), agent de la CIA, et Aviram Dahan (Tomer Sisley) du Mossad. Convaincus qu’il est un imposteur, voire un terroriste, ils vont remuer ciel et terre pour le démasquer…

A peine Messiah avait-elle commencé sur Netflix qu’elle suscitait les polémiques. Un boycott de la série est réclamé par ceux qui la jugent anti-islamique, propagandiste ou carrément blasphématoire, tandis que la Jordanie, qui avait pourtant autorisé le tournage sur ses terres, en a purement et simplement interdit la diffusion. Cependant, le discours du mystérieux Al Massih, formidablement campé par le bel acteur belge d’origine tunisienne Medhi Dehbi (remarqué dans Le fils de l’autre et  Un homme très recherché) n’a rien d’offensant. Dans un contexte constamment tendu, et notamment celui du conflit israélo-palestinien, sa sagesse, sa sérénité à toute épreuve et sa manière d’éluder les questions ont quelque chose de fascinant. Le scénariste australien Michael Petroni, déjà à l’œuvre sur La voleuse de livres, Le monde de Narnia ou la série Miracles, a échafaudé une intrigue astucieuse (« fourre-tout » selon ses détracteurs…), et sa neutralité religieuse ne saurait être mise en doute. C’est ce qui fait tout le sel de ce show multilingue qui parle surtout de spiritualité. Entre le thriller géopolitique façon Homeland et le drame mystique, le spectaculaire et l’intime sont savamment enchevêtrés pour faire vaciller les convictions du téléspectateur, confronté à ses propres croyances. La saison 1 s’achève en beauté, de manière on ne peut plus intrigante. On espère une saison 2.
10 épisodes de 40 minutes Et avec John Ortiz, Beau Bridges, Michael O’Neill, Dermot Mulroney, Emily Kinney, Assaad Bouab, Sayyid El Alami…