Cannes 2021 : ANNETTE/TITANE

@Christophe Simon/AFP

Déplacé en juillet, certes, mais le Festival de Cannes a eu lieu. Les stars étrangères n’ont pas été légion. Malgré tout, Jodie Foster, Matt Damon, Sharon Stone, Sean Penn, Tilda Swinton, Lee Byung-Hun ou Jessica Chastain ont foulé le tapis rouge. En maîtresse de soirée, Doria Tillier a été parfaite et a insufflé un vent de spontanéité bienvenu aux deux cérémonies habituellement guindées. Spike Lee, président du jury, a lui même détendu l’atmosphère de manière involontaire durant l’énoncé du palmarès : il a dévoilé le lauréat de la Palme d’or dès l’entame de la soirée, occasionnant un beau tohu-bohu sur scène qui restera dans les annales. Deux films ont particulièrement fait parler d’eux durant cette édition : Annette, comédie musicale initiée par le groupe Sparks et réalisée par Leos Carax (Boy Meets Girl, Mauvais sang, Les amants du Pont-Neuf, Holy Motors…), qui a suscité une véritable ferveur auprès des spectateurs, et Titane, deuxième long-métrage de la jeune Julia Ducournau, Palme d’or aussi sulfureuse qu’inattendue. Verdict : (pas de spoilers dans ces critiques)

(Click on the planet above to switch language.) 

 

« So may we start ? »

  

ANNETTE

Leos Carax
2021
En salles depuis le 7 juillet

Il est aussi caustique et torturé qu’elle est solaire. Henry (Adam Driver), star de stand up, et Ann (Marion Cotillard), cantatrice célèbre et adulée, sont fous amoureux. Constamment sous le feu des projecteurs, les deux jeunes gens décident malgré tout d’avoir un enfant. Mais la naissance d’Annette va ternir leur belle harmonie. Peu à peu, Henry, rattrapé par ses démons, va céder à ses pulsions destructrices…

La scène d’ouverture est un ravissement. On se réjouit d’avance de découvrir cet univers baroque si bien mis en musique par le divin groupe Sparks (Russell et Ron Mael, également acteurs ici). Et puis, pouf ! Le soufflé retombe. La caméra suit alors Adam Driver, alias Henry, qui fait comprendre de manière un peu laborieuse, ironique (et en chantant) qu’il est un comique fabuleux et adulé, sans qu’on ait ri une seule fois à ses blagues. Ensuite, au gré des aléas de l’intrigue, le film va prendre la forme d’une succession de tableaux, magnifiques pour la plupart (ridicules pour certains), transcendés par la musique grandiose et sublime (c’est l’atout majeur). Côté forme, Annette en met plein la vue. Cet opéra-rock vénéneux et tordu, sombre comme une tragédie shakespearienne (ou grecque, c’est selon), est photographié par la talentueuse Caroline Champetier. Les décors rappellent Méliès et Fellini. Mais tout ça se passe de manière clinique, sans susciter vraiment d’émotion, et la mayonnaise a du mal à prendre. Sparks a non seulement signé la musique, mais aussi l’histoire de ce conte cruel aux relents de Pinocchio. On ignore ce qu’il est véritablement resté du livret original. Selon le cinéaste, son film traite de la célébrité et du rapport capricieux entre l’artiste et son public. Mais cet homme rattrapé par son côté obscur (Adam Driver s’en est fait une spécialité) apparaît surtout comme le double de Leos Carax lui-même, cinéaste maudit autoproclamé et un brin mégalomane. On aurait aimé ressentir davantage d’émotion, moins d’agacement, mais force est de constater que même imparfait, Annette propose une vraie expérience de cinéma (« une expérience de cinéma absolue » dit la bande-annonce). Par les temps qui courent, c’est rare.
2 h 19 Et avec Simon Hellberg, Devyn McDowell, Angèle, Rila Fukushima, Natalie Mendoza, Ron Mael, Russell Mael, Rebecca Dyson-Smith…

 

*********

« Well no one told me about her, the way she lied »
(Zombies « She’s Not There »)

 

TITANE

Julia Ducournau
2021
En salles depuis le 14 juillet

Depuis l’accident de voiture survenu lorsqu’elle était enfant, Alexia (Agathe Rousselle) a une plaque de titane dans la tête. En grandissant, elle développe une personnalité étrange, froide, quasi-inhumaine. Sa seule passion : les voitures, avec lesquelles elle fait l’amour, littéralement…

Il se dit que pendant la projection à Cannes, des spectateurs se sont évanouis, d’autres ont vomi, ont été pris de crise de nerfs ou ont quitté la salle de dégoût. Le film est désagréable, malsain, éprouvant, mais il y a tellement d’esbroufe et de tape-à-l’œil dans ces plans qu’on peine à les prendre au sérieux (une scène de tuerie finit même par être drôle, mais sur ce coup-là, c’est assumé par l’auteur). Bon, on détourne le regard parfois devant le sadomasochisme de certaines séquences (celle du nez cassé paraît un peu longuette…). Titane, comme Grave, son film précédent, atteste du talent de réalisatrice de Julia Ducournau, qui sait créer des ambiances, de la tension et surtout filmer la violence et les corps dans ce qu’ils ont de moins aimables (griffures, grattage, piqûres, cicatrices…). Dans le clip et la pub, elle ferait un malheur. Cinéphile et fan, elle-même, de cinéma de genre, elle multiplie les clins d’œil et références (Christine de Carpenter et Crash de Cronenberg en tête). Pourquoi pas ? Mais c’est le pourquoi qui gêne : pour une histoire fourre-tout, plus grotesque que fantastique, truffée d’incohérences et un peu mélo finalement. Sont évoqués pêle-mêle les thèmes de la famille, du genre, de la métamorphose des corps, du harcèlement et de la violence envers les femmes. N’en jetez plus ! Il y avait certainement mieux à faire avec ce personnage taiseux, misanthrope et inquiétant que la révélation Agathe Rousselle incarne parfaitement. Même la scène finale (qui n’est pas sans rappeler celle de la première saison de l’excellente série Raised By Wolves d’Aaron Guzikowski) laisse perplexe.
1 h 48 Et avec Vincent Lindon, Garance Marillier, Laïs Salameh, Bertrand Bonello, Myriem Akheddiou, Céline Carrère…

ARTICLE CONNEXE : GRAVE, la critique

 

LE PALMARÈS DE CANNES 2021