BAC NORD

C’est à un enfant des quartiers Nord de Marseille que l’on doit le polar le plus intense de l’année. Après le séduisant La french, Cédric Jimenez monte d’un cran et signe un film percutant, réaliste, nerveux, qui pointe du doigt les dysfonctionnements de l’institution policière. Une claque !

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« Il n’y a plus aucune règle. Il n’y a plus de flics. Il n’y a plus de politiques. Il n’y a plus personne. »

  

BAC NORD

Cédric Jimenez
2020
En salles depuis le 18 août 2021

En 2012 à Marseille, les quartiers Nord détiennent un triste record : le taux de criminalité le plus élevé de France. Les policiers de la BAC sont sommés par leur hiérarchie d’améliorer leurs résultats sur le terrain. Encouragés par leur supérieur (Cyril Lecomte), Grégory (Gilles Lellouche) et ses deux coéquipiers (Karim Leklou et François Civil) entreprennent de monter un énorme coup de filet pour démanteler un réseau de trafiquants. Pour cela, ils vont devoir franchir la ligne…

À n’en pas douter, Cédric Jimenez se serait bien passé de toutes les polémiques qui ont entouré la sortie de son film, et en particulier du tweet de Marine Le Pen, exhortant à « aller le voir ! » Éric Zemmour s’en sert même comme d’un argument de campagne. À croire que tout ce petit monde avait besoin de BAC nord pour prendre conscience que les quartiers sensibles sont des poudrières et que, dans beaucoup de grandes villes françaises, Marseille en tête, il existe des zones de non-droit. Si le cinéaste s’est inspiré de l’affaire de la BAC nord, qui a défrayé la chronique en 2012 – dix-huit policiers de la même unité, soupçonnés de corruption, trafic de drogue et racket s’étaient retrouvés en garde à vue — son film, très réaliste, n’est pas un documentaire, mais bel et bien une fiction. Et à ce titre, il est parfaitement maîtrisé. Ce qu’il perd en subtilité, il le gagne en humanité. On s’attache à ces trois flics de terrain, cow-boys sur les bords, qui se retrouvent constamment dans des situations intenables, écartelés entre des voyous surarmés, habités par un sentiment d’impunité, et une hiérarchie qui leur demande « de faire du chiffre », mais ne leur laisse aucune marge de manœuvre. Animés par un désir de justice autant que par la frustration, ces policiers vont prendre des risques considérables, et passer du jour au lendemain de héros à parias. Ce cas de figure avait déjà été abordé dans la série Engrenages, où les protagonistes ne cessent de jouer au chat et à la souris avec leur hiérarchie, parfois aidés (ou non, selon les saisons) par le juge d’instruction. Bac nord n’est pas plus « pro-flic » qu’Engrenages. Aussi sympathiques qu’ils soient, les personnages du western urbain de Cédric Jimenez ne sont d’ailleurs pas des modèles d’intégrité (mais leurs débordements restent limités). Gilles Lellouche, Karim Leklou et François Civil, formidable en tête brûlée au grand cœur, forment un trio très convaincant. Adèle Exarchopoulos joue juste, à l’instar de Kenza Fortas (l’héroïne de Shéhérazade), Cyril Lecomte ou Michaël Abiteboul. Tandis que les hommes, leurs joies et leurs peines, sont filmés comme dans le cinéma de José Giovanni, les séquences d’action (véritables scènes de bravoure) scotchent au fauteuil et renvoient parfois au New York 1997 de John Carpenter et au cinéma de Hong Kong. Rien que ça ! Au-delà des vaines polémiques, Bac nord, c’est un shoot d’adrénaline et une descente brutale. Une réussite !
1 h 45. Et avec Idir Azougli, Jean-Yves Berteloot, Vincent Darmuzey, Kaïs Amsis…

 

TRUE DETECTIVE Saison 3

En 2014, dans la première saison, l’écrivain-scénariste-producteur Nic Pizzolatto avait mis la barre si haut qu’il aurait été miraculeux qu’il puisse réitérer l’exploit. Son parti pris de changer diamétralement de direction pour la suite était louable, mais en 2015, la deuxième s’est avérée terriblement décevante malgré une distribution de rêve. Le scénariste prodige a retenu la leçon et est revenu à ses fondamentaux en 2019. Qu’en est-il de ce nouveau cru ? (pas de spoiler dans cette chronique)

 


« Eh bien, quand on ne parle pas à quelqu’un pendant vingt-quatre ans, on rate des trucs. »

 

True Detective saison 3

2019
Série HBO créée par Nic Pizzolatto en 2014
Saison 3 diffusée sur OCS depuis 13 janvier 2019

En 1980, une petite ville du nord de l’Arkansas est en émoi à l’annonce de la disparition des jeunes Will et Julie Purcell, qui ne sont pas revenus d’une balade en vélo en fin d’après-midi. Deux policiers locaux, Wayne Hays (Mahershala Ali) et Roland West (Stephen Dorff), sont chargés de l’enquête. Ils ignorent que cette affaire va avoir des répercussions sur leur propre vie…

Disons le franchement : le début de cette troisième saison pouvait laisser craindre le pire. Tout semblait indiquer un copier-coller de la première, dite « la géniale » : plans identiques, intrigue aux similitudes évidentes, même rythme lancinant, même articulation chronologique sur plusieurs périodes… Et puis, petit à petit, le tandem Mahershala Ali et Stephen Dorff impose sa petite musique, leurs personnages se révélant très différents de ceux qu’incarnaient Matthew McConaughey et Woody Harrelson. La saison 1, sous influence Southern Gothic, emmenait dans les marais malsains et angoissants de la Louisiane. Ici, ce sont les paysages crépusculaires et atmosphères un brin fantastique du nord de l’Arkansas, région bien connue de Nic Pizzolatto, qui imprègnent l’intrigue, moins mystique que celle de la première et qui se révèle, au fil des épisodes, bien plus sentimentale. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre donc. Si Mahershala Ali, acteur surdoué deux fois oscarisé (pour Moonlight et Green Book), tire la couverture à lui dans la peau de ce flic aujourd’hui atteint d’Alzheimer, hanté par la guerre et obsédé par la résolution d’une énigme qui lui a échappé toute sa vie, Stephen Dorff surprend et émeut dans ce personnage de taiseux, blessé, pétri d’amertume et désespérément seul. A eux, vient se joindre la sublime Carmen Ejogo, une révélation ! Ces trois-là font littéralement vibrer les dialogues de Pizzolatto (magnifiquement écrits). Nimbé de la tristesse qui habite chaque personnage de ce drame rural (mention spéciale à Mamie Gummer, la fille de Meryl Streep, qui campe une mère droguée et dévastée), True Detective Acte 3 parle de secrets de famille, de bonheurs enfuis, d’amours perdues, d’amitié brisée, et s’achève sur un huitième épisode lumineux et incroyablement romantique. Une saison 4 est en préparation : on s’en réjouit.
Huit épisodes d’environ 1 h (1 h 15 pour le dernier) réalisés par Jeremy Saulnier (2), Nic Pizzolatto (2) Daniel Sackeim (4)
Et avec : Scoot McNairy, Michael Graziadei, Ray Fisher, Sarah Gadon, Josh Hopkins, Michael Greyeyes…

 

 

UNE PLUIE SANS FIN

Le Grand Prix 2018 du Festival International du Film Policier de Beaune paraît sur les écrans français en pleine canicule estivale. Un timing qui ne manque pas d’ironie et pourrait bien profiter à ce petit bijou de film noir, romantique et désespéré à souhait.

 

« Vous êtes trop fort Maestro !
– Je n’y peux rien. C’est un don »

 

Une pluie sans fin (The Looming Storm – Bao Xue Jiang Zhi)

Dong Yue (Meilleur Nouveau Réalisateur aux Asian Film Awards 2018)
2017
Dans les salles françaises depuis le 25 juillet 2018

En cet hiver 1997, quelques mois avant la rétrocession de Hong Kong, la province du Yunan, dans le sud de la Chine, est confrontée à des intempéries inhabituelles. Yu Guowei (Duan Yihong), surveillant de la fonderie d’une petite ville industrielle, est sollicité par le chef de la police qui enquête sur une série de meurtres de jeunes femmes. Le corps de la dernière victime ayant été découvert, comme les précédents, aux abords de l’usine, les soupçons se portent en effet sur les employés de celle-ci. Flanqué de son jeune assistant Liu (Zheng Wei), Yu, que ses camarades surnomment « Détective Yu » à cause de son zèle et son intégrité, décide de mener les investigations en marge de la police. Sa détermination à découvrir le coupable va tourner à l’obsession…

Le titre français sied comme un gant à ce premier long-métrage du Chinois Dong Yue, qui, ce n’est pas une surprise, a commencé sa carrière comme chef-opérateur. En effet, le film frappe par sa beauté stupéfiante, ses plans magnifiques et ses atmosphères rendues presque irréelles par les ciels plombés, les pluies torrentielles et une palette de couleurs volontairement ternes et désaturées. Même si le cinéaste quadragénaire a confié avoir été influencé par Sueurs Froides d’Alfred Hitchcock et Conversation secrète de Francis Ford Coppola, c’est d’abord au chef-d’œuvre coréen Memories Of Murder que l’on pense. Très vite pourtant, il apparaît évident que les motivations de Dong Yue sont autres. L’intrigue policière, inspirée d’un fait divers chinois, est surtout prétexte à dépeindre un pays en pleine mutation. En cette fin de décennie 90, l’ouverture au capitalisme d’état entraîne la fermeture des vieilles usines, réduisant les ouvriers au chômage et à la misère. La riche Hong Kong rétrocédée à la Chine fait alors rêver bon nombre de ces laissés pour compte qui aspirent à une seconde chance. Le réalisateur montre avec brio la décrépitude ambiante de ce monde qui se meurt. Très peu de touches d’humour, mais Dong Yue joue volontiers avec l’absurde. Ainsi, Yu, décoré en tant qu’employé modèle de son usine par les instances du parti – sans être valorisé pour autant – est traité avec condescendance et mépris par celles-ci, tout comme par les autorités locales. Pour son malheur, Yu ne s’en rend pas compte. Ses camarades et son disciple Liu le confortent dans l’idée qu’il est « important » et qu’il a un talent spécial pour repérer les coupables. La poursuite du tueur en série, qui tient la police en échec, devient donc « son affaire » et prend le pas sur le reste, notamment sur sa relation avec la jolie prostituée Yanzi, qu’il protège d’une bien drôle de façon. Très expressif, l’acteur Duan Yihong, star en Chine, suscite une empathie totale. Yu le solitaire, tout comme les héros de films noirs, est écrasé par la fatalité de sa destinée. Il nous entraîne dans la spirale de son obsession. Point d’orgue du film : une course-poursuite sous une pluie battante, dans la carcasse de l’usine gigantesque et le long des voies ferrées, entre deux hommes vêtus d’un même ciré dont la capuche ruisselante dissimule le visage. Une scène à couper le souffle, filmée de main de maître, climax d’un polar désespéré et impressionnant qui hante longtemps après la projection.
Chine. 2 heures. Distribué en France par Wild Bunch. Et avec : Jiang Yiyan, Du Yuan…

BANDE-ANNONCE