La nouvelle mini-série choc du créateur de Years And Years et Queer As Folk se penche sur l’arrivée de l’épidémie du Sida en Angleterre. Cinq épisodes intenses, lumineux et bouleversants pour rendre hommage à toute une génération fauchée en pleine jeunesse et mise au ban de la société avec une cruauté inouïe.
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« When I look back upon my life It’s always with a sense of shame I’ve always been the one to blame… »
(Pet Shop Boys « It’s A Sin »)
IT’S A SIN
Mini-série britannique créée par Russell T. Davies Diffusée pour la première fois sur Channel 4 en janvier 2021, disponible en France depuis mars 2021 sur Canal+
En 1981, Ritchie Tozer (Olly Alexander) quitte la maison familiale sur l’île de Wight pour aller étudier le droit à Londres, mais aspire, en secret, à devenir acteur. Roscoe Babatunde (Omari Douglas) s’échappe de justesse de chez lui, avant que son père, pasteur Nigérian rigoriste, effaré par les mœurs de son rejeton, ne le mette dans un avion pour aller se purifier au pays. Pendant ce temps, le doux Colin (Callum Scott Howells) débarque de son Pays de Galles dans la capitale britannique où il a été embauché comme apprenti chez un tailleur de Saville Row. Tous les trois vont se retrouver à cohabiter dans le même appartement, qui abrite également le bel étudiant Ash Mukherjee (Nathaniel Curtis) et Jill Baxter (Lydia West), aspirante comédienne. Déterminés à croquer la vie à pleines dents, après des années passées à refouler leur inclination, les garçons vont découvrir ensemble les joies de la liberté. Mais la rumeur, venue des États-Unis, de l’existence d’une maladie inconnue et mortelle qui ciblerait les gays, va bientôt jeter une ombre sur leur belle insouciance…
Longtemps, le scénariste Russell T. Davies, créateur du premier gay drama anglais (Queer As Folk) s’est défendu d’évoquer l’homosexualité à travers le prisme du sida. Il aura fallu trente ans pour qu’il parvienne à aborder de front la décennie tragique qu’il a traversé avec plus de chance que d’autres de ses amis, partis trop jeunes. Dans une récente interview au Guardian, il a même révélé s’être senti coupable d’avoir parfois détourné le regard et fui des proches, homosexuels comme lui, mais touchés par la maladie. It’s A Sin, qui emprunte son titre au splendide tube de Pet Shop Boys paru en 1987, est un hommage à ceux qui ont été emportés dans la tourmente, mais aussi à ceux qui leur ont tendu la main, comme le personnage de Jill Baxter, totalement autobiographique (l’auteur a offert à son amie, la vraie Jill, le rôle de la mère de cette dernière dans le show). Pilier du Pink Paradise, surnom de l’appartement de la bande, Jill — sa formidable interprète, Lydia West, figurait déjà au générique de Years And Years — est une figure solaire et humaniste, autant la bonne copine que l’infirmière, celle qui console et comprend tout des drames de ces garçons, pour la plupart rejetés par leur famille. Avec délicatesse et habileté, le scénariste a brossé des portraits intimes et attachants de ces jeunes aux aspirations différentes, formant une famille de cœur aux liens indestructibles. Ils sont campés par une brochette de jeunes comédiens fougueux, emmenés par Olly Alexander, chanteur du groupe pop Years & Years. La flamboyance des moments de bonheur contraste avec la noirceur du désastre qui s’annonce. Ni la sensiblerie, ni le pathos ne sont l’apanage de Russell T. Davies qui nuance toujours ses propos. Ainsi, les réactions des protagonistes face à l’épidémie qui se profile ne sont pas toutes héroïques. Les personnages pèchent parfois par ignorance, mais parfois par orgueil et égoïsme. De manière tout aussi implacable, It’s A Sin met en exergue la stigmatisation dont la population homosexuelle a été victime et la cruauté des traitements dont les institutions et la société thatchérienne de l’époque, très largement homophobe, ont fait preuve envers les malades (parfois enfermés de force dans leur chambre d’hôpital par peur de la contagion). La violence de certains propos (dans le cercle familial notamment) amenait certains gays à penser que le Sida était véritablement une punition divine de leur mode de vie hédoniste. Mais la série ne saurait être réduite à la tragédie. Remarquablement mise en scène, boostée par les tubes d’époque, de « Enola Gay » à « Call Me » en passant par « Sweet Dreams (Are Made Of This) » ou « Smalltown Boy » (la chanson de Pet Shop Boys est subtilement effleurée), cette reconstitution magnifique déborde d’humour et d’ironie. À la manière de ses héros qui refusent de baisser les bras et de n’être que des victimes, It’s A Sin est avant tout une ode à la vie, à l’amour et à l’ouverture d’esprit. Dans la série, tout cela est symbolisé par le talisman magique des locataires du Pink Paradise. Il consiste en un tout petit mot : « La ! » 5 épisodes de 45 minutes Et avec Keeley Hawes, Neil Patrick Harris, Stephen Fry, David Carlyle, Susan Brown, Shaun Dooley…
Tandis que dans la vie réelle, le Megxit fait les choux gras des médias, la quatrième saison The Crown a raflé quatre trophées aux derniers Golden Globes. Autant dire qu’en dépit des aigreurs de ses enfants rebelles, la famille royale n’a jamais été aussi populaire. Retour sur cette série remarquable, qui retrace plus ou moins librement la vie de Elizabeth II, ponctuée par tous les grands événements qui ont secoué le Royaume Uni au siècle dernier.
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« For better or worse, the crown has landed on my head. And I say, we go ! »
THE CROWN
Série Netflix créée par Peter Morgan en 2016
Quatre saisons de 10 épisodes d’environ 55 minutes (deux saisons à venir)
En 1947 à Londres, Elizabeth (Claire Foy), fille aînée du roi George VI (Jared Harris), a vingt et un an et s’apprête à épouser Philip (Matt Smith), prince de Grèce et du Danemark, dont elle est très amoureuse. Ce dernier, dont la réputation de fêtard est notoire, est dans l’obligation de se faire naturaliser sujet britannique. Il abandonne aussi ses titres pour devenir Philip Mountbatten (nom de jeune fille de sa mère). Le roi consent bon gré mal gré à cette union, mais il est malade, et commence déjà à préparer Elizabeth, héritière légitime du trône, à prendre sa succession…
Tout incongru qu’il puisse paraître, l’attachement des Britanniques à leur monarchie est inoxydable. Symbole au charme désuet, la reine est dotée de pouvoirs institutionnels, mais aussi de réels pouvoirs politiques, dont elle n’abuse jamais. Garante des institutions, des traditions et de la stabilité du Royaume-Uni et très au fait des affaires du pays, Elizabeth II préfère œuvrer en coulisse, en prodiguant conseils et mises en garde. En public, en revanche, elle a fait sienne la devise de son aïeule Victoria : « Never complain, never explain » (« ne pas se plaindre, ne pas expliquer ») — ce qui n’est visiblement pas le cas de ses descendants… Pour comprendre les motivations de la souveraine et celles de sa famille, le commun des mortels devait jusqu’ici se contenter de décrypter les sourires de façade des photos officielles et les rumeurs propagées par les tabloïds. C’est pourquoi The Crown déchaîne les passions. Grâce à la série, on a l’impression d’être une petite souris qui se serait introduite dans le palais. Alors certes, tout aussi remarquable qu’il puisse être, ce portrait intime de la reine et des membres de sa famille n’est pas infaillible, et le show s’écarte parfois du factuel. The Crown n’est pas un documentaire. La réalité nourrit une fiction qui se veut romanesque et palpitante. Et c’est le cas. Son créateur, Peter Morgan, est un spécialiste du genre. On lui doit les scénarios de The Queen, Le dernier roi d’Écosse, Deux sœurs pour un roi ou Frost/Nixon, l’heure de vérité… Certains dialogues ont été purement imaginés, des raccourcis ont été empruntés, mais tout cela reste plausible. Corentin Lamy, Joffrey Ricome et Pierre Trouvé, dans leur récent ouvrage fort enrichissant The Crown, le vrai du faux (publié chez Gründ) ont décrypté chaque épisode des trois premières saisons. Ils ont confronté la série à des archives historiques écrites, photographiques et filmées. Leur constat :
« Les arrangements avec l’Histoire, les manipulations de la chronologie et même des contre-vérités sont réguliers dans The Crown. »
Mais ils écrivent aussi :
« Nous avons dû convenir qu’à bien des égards, la série, truffée de détails plus vrais que nature et de clins d’œil pour les connaisseurs, arrive à dépeindre, si on accepte de prendre de la hauteur, des tableaux très justes de ses personnages. »
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : s’éloigner un peu pour approcher au plus près de ces figures énigmatiques et donner un sens à ce qui pourrait apparaître comme absurde. Quoi qu’elle en pense, la reine sort grandie de cette série (sauf en ce qui concerne ses rapports avec Diana, où sa froideur légendaire tend à la cruauté). Le show la montre assumant avec une dignité à toute épreuve le poids de la couronne, tenant à bout de bras une famille pétrie de névroses et de griefs. Sont mis en exergue son intelligence, son humour pince-sans-rire, son humanité et sa combativité. À ce titre les échanges avec Winston Churchill et Maggie Thatcher sont un régal, et ce n’est pas un hasard si ces scènes figurent parmi les plus réussies. La première inspiration de Peter Morgan est en effet la pièce à succès qu’il avait écrite en 2013, The Audience, dans laquelle il mettait en scène les entretiens hebdomadaires entre la reine (incarnée dans la production originale par Helen Mirren) et ses Premiers ministres successifs. On sait gré à Morgan et son équipe de ne jamais sombrer dans le manichéisme. Ainsi, Margaret, personnage préféré de beaucoup de fans de The Crown et brillamment campée par Vanessa Kirby puis Helena Bonham Carter, suscite une empathie immédiate. Mais elle est autant dépeinte comme une victime (d’un amour et d’un destin contrariés) que comme une enfant gâtée constamment insatisfaite.
Reconstitution flamboyante
On apprend une foule de choses sur l’histoire du Royaume-Uni et les secrets de la Couronne, et visuellement, la série impressionne. La reconstitution est flamboyante. On est constamment ébloui par les décors, les costumes (la robe du mariage de Elizabeth II a été reproduite avec un soin méticuleux), les chansons d’époque qui soulignent les changements de décennies (les standards du jazz cèdent la place à David Bowie, The Cure, Elton John…), mais aussi par les décors naturels (les séquences en Écosse donnent envie d’acheter un billet d’avion illico). La distribution est un sans-faute qui rappelle que l’Angleterre et l’Irlande sont un vivier d’acteurs extraordinaire (on reconnaît au fil des quatre dernières saisons Jeremy Northam, Matthew Goode, Matt Smith, Tobias Menzies, Ben Miles, Greg Wise, Charles Dance, Colin Morgan, Tom Burke, Derek Jacobi, Stephen Dillane, Harry Treadaway — frère jumeau de Luke — Pip Torrens…). OK ! John Lithgow, l’interprète de Winston Churchill, est américain, mais on lui pardonne tant il est bon. Quant à la reine, elle brille grâce à ses deux interprètes surdouées : Claire Foy puis l’oscarisée Olivia Colman qui excellent toutes deux à restituer la fameuse « retenue » de la souveraine. Dans son livre L’Angleterre en séries (First Editions), Ioanis Deroide rapporte qu’Olivia Colman a changé d’opinion sur la reine depuis qu’elle l’a incarnée, et la considère même désormais comme « la féministe ultime ».
La BBC en question
Les aficionados de séries anglaises ont pu légitimement se demander pourquoi un tel programme avait atterri sur Netflix et non pas sur la vénérable BBC, un temps intéressée ? Le producteur exécutif Andy Harries s’en est expliqué dans une interview parue dans le magazine britannique Radio Times. Il s’avère que non seulement le budget (faramineux) aurait posé problème, mais la proximité entre la chaîne historique anglaise et le palais de Buckingham aurait peut-être fait obstacle à certains passages « sensibles » (les épisodes concernant la Princesse Diana notamment). Avec Netflix, pas de censure et donc davantage de liberté de création.
Le prestige de la Couronne
Nul doute que la série fera date. Depuis sa création en 2016, elle croule sous les récompenses (dix Emmy Awards, sept Golden Globes…). Le 28 février dernier, les impressionnants Josh O’Connor (le jeune prince Charles), Emma Corrin (Diana) et Gillian Anderson (Margaret Thatcher) et ont été couronnés pour leurs performances respectives dans la saison 4 et la série raflait pour la deuxième fois le Golden Globe de la Meilleure série dramatique.
La suite
The Crown devrait revenir pour deux saisons (couvrant les décennies 1990-2000 et 2000-2010) et ne devrait donc pas arrêter de surprendre. La cinquième, annoncée pour 2022, verra l’arrivée d’Imelda Staunton dans le rôle de la reine, et de Lesley Manville dans celui de Margaret. Le duc d’Édimbourg sera campé par Jonathan Pryce et la princesse Diana par Elizabeth Debicki. En attendant, les fans peuvent se plonger dans les deux ouvrages précités riches d’enseignements, des outils idéaux pour distinguer le vrai du faux.
Top 5
Chaque épisode de The Crown étant presque un film à part entière, voici mes cinq préférés jusqu’ici :
1 – Aberfan, réalisé par Benjamin Caron (Saison 3, épisode 3), qui retrace de manière bouleversante la catastrophe survenue au Pays de Galles en 1966. L’échange entre le Premier Ministre de l’époque, Harold Wilson (Jason Watkins), et la reine, accusée par l’opinion de manquer de compassion, est remarquable.
2 – Tywysog Cymru, réalisé par Christian Schwochow (saison 3, épisode 6), se penche sur le séjour forcé du Prince Charles à Aberystwyth, au Pays de Galles, où il est très fraîchement accueilli avant de se lier d’amitié avec son tuteur, campé par l’excellent Mark Lewis Jones, natif du cru.
3 – Assassins, réalisé par Benjamin Caron (saison 1, épisode 9), pour la performance de John Lithgow, impérial en Winston Churchill qui se fait peindre le portrait et n’apprécie guère ce qu’il voit.
4 – Act of God, réalisé par Julian Jarrold (saison 1, épisode 4), pour la reconstitution très impressionnante de ce qu’on a appelé « Le grand smog de Londres » en décembre 1952.
5 – War, réalisé par Jessica Hobs (saison 4, épisode 10), la dernière confrontation entre Maggie Thatcher et la reine est truculente. De leur côté, Diana et Charles tombent les masques, ce qui vaut de belles performances de la part d’Emma Corrin et Josh O’Connor.
Les séries en costumes ont le vent en poupe. Même la France s’y met (Le bazar de la Charité, Paris Police 1900, Les aventures du jeune Voltaire…). Coquine, sulfureuse et haute en couleurs, l’américaine La chronique des Bridgerton, apparue sur Netflix à Noël 2020, a donné un coup de fouet au period drama, en séduisant un public peu habitué au genre. Retour sur cette série phénomène ainsi que sur deux pépites à découvrir absolument.
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« S’il n’y avait pas de mères trop zélées à tous les coins de rue, cette période de l’année serait moins atroce » Simon Bassett, duc de Hastings
LA CHRONIQUE DES BRIDGERTON (Bridgerton) Saison 1
Série américaine créée en 2020 par Chris Van Dusen d’après les livres de Julia Quinn
Diffusée sur Netflix depuis le 25 décembre 2020
En 1813, à Londres, voici venue la saison des mondanités. Parmi les nouvelles prétendantes au mariage, qui doivent être présentées à la reine, Daphné Bridgerton (Phoebe Dynevor), issue d’une des familles les plus influentes de Grosvenor Square, est probablement la plus exquise. D’ailleurs, elle va être la seule à recevoir un compliment de la souveraine, ce qui lui vaut de devenir la cible de la mystérieuse et impitoyable Lady Whistledown, la chroniqueuse qui divulgue chaque semaine de manière anonyme les potins de la haute-société. Pour échapper à cela et à un prétendant trop embarrassant, la jeune fille décide de sceller un pacte avec le beau duc de Hastings (Regé-Jean Page), héritier fortuné, lui aussi harcelé par des intrigantes, et qui n’a aucune intention de se marier…
Servie pour les fêtes de fin d’année, idéale pour remonter le moral des troupes en temps de pandémie, La chronique des Bridgerton est une production Shondaland, la société de Shonda Rhimes, à laquelle on doit les mastodontes Scandal, Murder ou Grey’s Anatomy ; autant dire qu’on n’est pas, ici, au royaume de la subtilité. La série, aussi corsée que corsetée, est basée sur la saga de l’Américaine Julia Quinn, spécialisée dans la romance historique « à l’eau de rose ». Contrairement à ses consœurs britanniques produites par la BBC, et en particulier aux adaptations des œuvres de Jane Austen où le moindre baiser est proscrit, le show créé en 2020 par Chris Van Dusen fait dans l’audace et le subversif, mais parfois avec des gros sabots. L’acteur Regé-Jean Page a déclaré chez Jimmy Fallon que la série était le croisement des univers de Jane Austen, Gossip Girl et 50 nuances de Grey. De fait, ici, l’amour ne s’arrête pas à la porte de la chambre à coucher. Il ne suffit pas d’évoquer l’éducation sexuelle de la jeune Daphné, il faut en montrer explicitement l’apprentissage le temps de scènes à l’érotisme soft, dont une, séquence clé de l’intrigue, est traitée par les scénaristes avec une légèreté quelque peu discutable. Quant à la peinture de la Régence anglaise (1811-1820), elle se révèle plutôt pittoresque. Partant du fait que les origines de la reine Charlotte, épouse du roi George III, sont toujours sujettes à controverse de la part des historiens, la voici ici noire, campée par l’actrice guyano-anglaise Golda Rosheuvel. Ce mariage royal interracial aurait engendré une société multiculturelle (colorblind) où les aristocrates sont aussi bien blancs que noirs sans que personne ne trouve à y redire. Un parti pris assumé par Chris Van Dusen, pour réécrire l’histoire en mode « et si… » et qui tend à démontrer que le monde d’alors était bien plus diversifié qu’on croit. La chronique des Bridgerton se dévore comme un plaisir coupable, car même si tout cela ne vole pas très haut, on se laisse embarquer par le tourbillon d’intrigues, mais aussi par la beauté un peu kitsch des décors, des costumes, de la bande-son truffée de tubes pop revisités, et par les personnages attachants. Plus que Phoebe Dynevor, c’est Claudia Jessie, l’interprète d’Eloïse, la sœur de Daphné, et Nicola Coughlan (Penelope Fatherington), qui tirent leur épingle du jeu. Mention spéciale également à la chevronnée Polly Walker (Portia Featherington), toujours excellente. Quant au beau Regé-Jean Page, coqueluche de ces dames et bon acteur de surcroît, il se murmure qu’il figure désormais sur la liste des prétendants au rôle de James Bond. La saison 1 compte huit épisodes. La deuxième est attendue courant 2021. À noter que si Lady Whistledown cultive le mystère, sa voix est bien reconnaissable : c’est celle de Julie Andrews. 8 épisodes d’environ 1 h. Et avec Jonathan Bailey, Harriet Cains, Bessie Carter, Ruth Gemmel, Luke Newton, Luke Thompson, Ben Miller, Ruby Barker, Joanne Henry, Jessica Madsen…
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« Quelle position occupez-vous dans cette maison ? – Debout, en amazone, à cru, allongée. Et vous, quelle est la vôtre ? »
HARLOTS (Les filles de joie)
2017-2019
Série anglo-américaine créée par Moira Buffini et Alison Newman Trois saisons, disponibles En DVD et Blu-ray chez Koba Films, en intégrale ou éditions séparées
En 1763, Margaret Wells (Samantha Morton), propriétaire d’une maison close située dans les bas-fonds de Londres, souhaite à tout prix s’établir dans les quartiers plus huppés afin que ses filles puissent profiter d’une clientèle fortunée. Cette ambition n’est pas du goût de sa rivale et ancienne patronne, la retorse Lydia Quigley (Lesley Manville), qui fournit déjà la haute société dans sa maison de grand standing. Tandis qu’entre les deux femmes, les coups bas et tordus se multiplient, Margaret tente de trouver un protecteur à sa fille cadette, Lucy (Eloise Smyth), belle et cultivée, et qui n’a aucune prédisposition pour le métier…
La série Harlots (Harlot signifie prostituée ou fille de joie) est la formidable création de la talentueuse scénariste Moira Buffini (Jane Eyre, Tamara Drewe, The Dig… ) et de la comédienne Alison Newman (Les enquêtes de Morse, Femmes de footballeurs…). Contrairement à ce que le sujet laisserait entendre, et à l’opposé de La chronique des Bridgerton (voir plus haut) on ne dénote ici aucune complaisance ni aucun voyeurisme. Les deux scénaristes se sont emparées du livre The Covent Garden Ladies, de l’historienne Hallie Rubenhold, qui s’est livrée à un véritable travail d’investigation au sujet de l’une des publications anglaises les plus sulfureuses du XVIIIe siècle, Harris’s List Of Covent Garden Ladies. Ce guide a répertorié chaque année de 1757 à 1795 le nom des filles de joie et leurs spécialités, avec évaluations et tarifs à l’appui (son homologue français s’intitulait L’almanach des demoiselles de Paris, de tout genre et de toutes les classes ou Calendrier du plaisir). Harlots propose en quelque sorte la vision inversée de ce drôle d’inventaire écrit par des hommes. Ici, le regard sur la société est celui des prostituées, et ce sont elles les héroïnes, comme l’étaient également les protagonistes de l’excellente série française Maison close. À Londres, à l’ère georgienne, une femme sur cinq se prostitue à cause de la pauvreté. Elles sont courtisanes célèbres et aisées, entretenues ou non, filles de la rue où pensionnaires de bordels. Elles ont toutes une histoire et leurs tribulations mettent en exergue la condition de la femme, la répression de l’homosexualité, les inégalités et l’hypocrisie en vigueur dans une société puritaine marquée par le conservatisme religieux. Ces êtres déconsidérés sont aussi des guerrières qui se battent pour leur indépendance et se défaire du joug des hommes (contrairement aux femmes mariées qui doivent se plier aux convenances, certaines prostituées jouissent d’une vraie liberté). La série suit l’affrontement de deux propriétaires de maison close, liées par un passé commun et qui se détestent ouvertement. Elles sont incarnées par deux formidables comédiennes anglaises : Samantha Morton (Minority Report, Control, The Walking Dead…) toute en gouaille, parlé cru et rondeurs, et Lesley Manville (The Crown, Phantom Thread, Another Year…), toute en perfidie. Autour d’elles gravitent des actrices de tempérament dont la belle Jessica Brown Finlay, vue dans Downton Abbey, Holli Dempsey, Kate Fleetwood, Eloise Smyth et la star américaine Liv Tyler, qui porte admirablement la perruque Marie-Antoinette. On se régale de ces joutes verbales et ces jeux de dupes où la violence et la mort s’invitent de temps à autre, autant qu’on aime la solidarité entre ces filles, courageuses et attachantes. Quant à la reconstitution de Londres (et notamment les quartiers de Soho, Covent Garden et St James Square), elle force l’admiration, comme la beauté des décors et des costumes, et la musique electro-pop anachronique et baroque de Rael Jones. Arrêtée en 2019, Harlots compte trois saisons… remarquables. 3 x 8 épisodes. Et avec Josef Altin, Bronwyn James, Pippa Bennett-Warner, Danny Sapani, Douggie McMeekin, Dorothy Atkinson, Julian Rhind-Tutt, Jordon Stevens, Hugh Skinner, Edward Hogg, Nicola Coughlan…
Mention spéciale pour la version Blu-ray, qui met en valeur l’excellent travail des chefs opérateurs qui ont collaboré à la série. Les bonus ne sont pas légion mais on profite de d’interviews passionnantes (des créatrices, de Liv Tyler) ainsi que de secrets de tournage, et notamment de la reconstitution de ce Londres georgien.
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« Ne voulez-vous donc pas voir une Russie forte et dynamique, débordante d’idées humanistes et progressistes, où l’on vivrait avec dignité et résolution ? – Si, bien sûr, tout comme voir un cochon qui parle ou un chien en cuisine. Mais je crains de mourir désenchanté. »
THE GREAT
Série américaine créée par Tony McNamara Diffusée pour la première fois sur la chaîne américaine Hulu en mai 2020, disponible sur Starzplay
Il y a fort longtemps, au milieu du XVIIIe siècle, la jeune Catherine (Elle Fanning), qui vient d’épouser le tsar Pierre III (Nicholas Hoult), arrive à la cour de Russie pleine d’espoir. Issue d’une famille de la noblesse allemande désargentée, cette jeune fille cultivée férue des philosophes des Lumières, mesure la chance qui lui est offerte et est prête à aimer sans réserves son mari. Elle déchante en découvrant que Pierre est un enfant gâté, stupide et cruel, et que ses courtisans ne valent pas mieux. Très vite, avec l’aide de sa servante Marial, noble déchue (Phoebe Fox), elle fomente un complot pour renverser le tsar…
Derrière cette série satirique, qui fut d’abord une pièce de théâtre, on ne s’étonne pas de trouver Tony McNamara, coscénariste de La favorite qui avait valu à Olivia Colman l’Oscar de la Meilleure actrice en 2019. C’est même en lisant le scénario de The Great, déjà en projet à l’époque, que Yorgos Lanthimos a trouvé le ton idéal pour son biopic féroce sur la reine Anne. Plus légère et déjantée que La favorite cependant, The Great se penche avec humour, ironie, et un certain sens de l’absurde, sur la jeunesse et l’ascension de la Grande Catherine. C’est une jeune femme sensée et éclairée qui déboule, comme un chien dans un jeu de quilles, dans la cour d’un tyran débauché, entouré de courtisans à sa botte et qui mène le pays à sa perte. Incultes, ignares et fiers de l’être, les gens de la cour sont incapables de soutenir une quelconque conversation sans trivialité. Tout comme les situations, souvent grotesques, les dialogues ne sont pas piqués des vers.
Marial : « Comment était votre nuit ?
Catherine : J’ai réussi à ne pas me faire violer ? Et la vôtre ?
Marial : Pareil. S’ils inventent un jour autre chose de plus pratique que les boutons, on est toutes dans la merde. »
Après de nombreux déboires, Catherine va devenir une experte en manipulation, parvenant à tourner la bêtise de son époux à son avantage. Mais Peter est un tyran complexe. Il dissimule mal une enfance triste et un complexe d’Œdipe. Sa fragilité émotionnelle désarçonne parfois son épouse qui finit par le prendre en pitié. En parfaite alchimie, les doués Elle Fanning et Nicholas Hoult (déjà dans La favorite) rivalisent de drôlerie. Leur performance leur a valu à chacun une nomination aux prochains Golden Globes. Grâce à eux et la brochette de comédiens qui leur renvoient la balle avec la même fougue, on s’amuse beaucoup durant ces onze épisodes enlevés et irrévérencieux dont les anachronismes sont totalement assumés dès le générique par la mention « An occasionally true story » (« basée sur des faits historiques, en quelque sorte »). The Great est à l’histoire de Catherine de Russie ce que MASH était à la guerre de Corée : déjantée certes, mais truffée de réflexions pertinentes (ici sur le féminisme ou la politique). Conçu pour être une mini-série, le show a tant fait l’unanimité qu’il bénéficiera d’une deuxième saison, attendue dans le courant 2021. Huzzah ! (Hourra !) 10 épisodes de 55 minutes. Et avec Sacha Dhawan, Adam Godley, Charity Wakefield, Douglas Hodge, Richard Pyros, Sebastian de Souza…