Il aura fallu à peine deux ans pour que le best-seller angoissant de Stephen King soit adapté à la télévision. Brillant et cauchemardesque, ce thriller passionnant monte en puissance au fil des épisodes. A découvrir d’urgence ! (pas de spoiler dans cette chronique)
(Click on the planet above to switch language.)
« Je n’ai pas de tolérance pour l’inexplicable. »
THE OUTSIDER
Mini-série de dix épisodes développée par Richard Price en 2020 pour HBO d’après un roman de Stephen King Disponible sur OCS depuis le 13 janvier
Aux Etats-Unis, une petite ville de Géorgie est en émoi après la découverte du cadavre de Frankie Peterson. Le jeune garçon a été retrouvé dans un parc, sauvagement mutilé, avec des traces de morsures humaines. Tous les indices mènent à Terry Maitland (Jason Bateman), le coach de l’équipe junior de base-ball locale, figure appréciée de tous. Le chef de la police, Ralph Anderson (Ben Mendelsohn) dont le fils décédé a été entraîné par Maitland autrefois, est très remonté. Les preuves (empreintes, ADN et caméras de surveillance) étant irréfutables, le coach est arrêté sans égard en plein match. Le hic, c’est qu’il n’était pas dans la région au moment du meurtre. Il participait à une conférence dans un autre état et y a même été filmé…
Après l’excellente 11.22.63, voici une autre mini-série qui a de quoi réjouir les aficionados du Maître de l’horreur, souvent déçus par les adaptations télévisées de ses œuvres. On doit cette réussite à Richard Price (déjà aux manettes de la géniale The Night Of ) — à l’écrivain Dennis Lehane (Mystic River, Shutter Island…) qui a collaboré au scénario subtil — à une mise en scène intelligente (deux épisodes sont été réalisés par l’acteur Jason Bateman, également producteur ici) et à une distribution de haute volée. On y retrouve, en autres, Bill Camp, Mare Winningham, Julianne Nicholson, Cynthia Erivo, Yul Vazquez et Ben Mendelsohn, magistral dans le rôle de Ralph Anderson. C’est d’ailleurs ce personnage de flic cartésien et désenchanté qui impose à la série sa petite musique particulière et son tempo lancinant. Portrait d’une Amérique rurale sombre et triste, le show rappelle furieusement l’univers de Nic Pizzolatto (les ambiances de la série True Detective — et plus particulièrement de sa première saison, ont fortement inspirées Richard Price). La peur s’installe dès le premier épisode, non seulement face à l’horreur absolue du crime commis, mais aussi lorsque les enquêteurs comprennent qu’ils ont en main des preuves contradictoires. Un individu peut-il être à deux endroits à la fois ? Non, pense Ralph Anderson qui va chercher à tout prix une explication rationnelle. Malgré les évidences qui s’accumulent, il repousse l’idée d’une créature surnaturelle, théorie de la détective autiste surdouée qu’il a sollicitée (formidable Cynthia Erivo), et qui pourtant interpelle sa propre épouse. C’est dans le combat intérieur de ce flic buté mais intègre que réside le sel de la série, sorte de Stranger Things pour adultes, qui s’amuse à faire vaciller les certitudes du spectateur pour lui faire accepter l’impossible. Tout ça en lui fichant une trouille bleue. On n’est pas chez Stephen King pour rien ! 2 h 14 Et avec Paddy Considine, Michael Esper, Hettienne Park, Derek Cecil, Mark Menchaca…
Après le grand déballage des César, retour à la case cinéma et à deux films honorés, à juste titre, pour leurs innombrables qualités, tous deux disponibles en DVD/Blu-ray.
(Click on the planet above to switch language.)
« Je pense m’être exprimé clairement, je ne veux pas d’une autre affaire Dreyfus ! – Ce n’est pas une autre affaire Dreyfus mon général, c’est la même. »
J’ACCUSE
Roman Polanski 2019
Paru en France le 13 novembre 2019
Disponible en DVD et Blu-ray le 18 mars 2020 chez Gaumont Lion d’argent (Prix du Jury) du Festival de Venise 2019 César 2020 du Meilleur réalisateur, de la Meilleure adaptation et des Meilleurs costumes (12 nominations)
En janvier 1895, le capitaine Alfred Dreyfus (Louis Garrel), accusé de haute trahison pour avoir livré des secrets d’État à l’Allemagne, est condamné à la dégradation militaire publique et à la déportation sur l’île du Diable. Peu de temps après, le très estimé commandant Marie-Georges Picquart (Jean Dujardin), qui avait eu Dreyfus comme élève à l’école militaire, est promu lieutenant-colonel et chef de la Section de Statistique, autant dire des services du renseignement. En enquêtant sur les activités troubles d’un certain commandant Esterhazy, Picquart va découvrir que ce dernier est le véritable auteur des lettres compromettantes attribuées à Dreyfus…
Impressionnant. C’est l’adjectif qui vient à l’esprit dès la première séquence. Et le reste l’est tout autant. Du bouton d’uniforme jusqu’à la reconstitution de ce Paris fin de siècle, le film de Roman Polanski est un éblouissement. Pourtant, il s’en dégage une solennité et une incroyable austérité ; celle de son personnage principal, campé par un excellent Jean Dujardin, raide comme la justice. Les partis pris du cinéaste sont payants, et notamment d’avoir sollicité la fine fleur du cinéma français. Bon nombre des acteurs, choisis pour leur ressemblance avec les vrais protagonistes, sont issus de la Comédie Française. Filmé comme un thriller d’investigation, avec un réel sens du suspense, J’accuse dépeint admirablement l’atmosphère viciée de cette France antisémite et de son armée bête et méchante, soudée jusqu’à l’absurde, qui n’a jamais mieux porté son nom de Grande Muette. Les historiens mettent cependant en garde : même si le Picquart du film est dépeint à juste titre comme ambigu et antisémite, ses intentions sont plus nobles que celles du véritable personnage, davantage soucieux de protéger l’honneur de l’armée que de défendre un malheureux accusé à tort. Il faut donc prendre cette œuvre pour ce qu’elle est véritablement : l’adaptation de D. roman historique de Robert Harris publié en 2013 (le titre original, An Officer And A Spy est également celui du film à l’international). L’écrivain britannique, coauteur du scénario avec Roman Polanski, avait d’ailleurs prévenu avoir pris quelques libertés avec certains détails de l’histoire, romanesque oblige. J’accuse n’en reste pas moins un film puissant, passionnant, instructif et magnifique. 2 h 12 Et avec Grégory Gadebois, Emmanuelle Seigner, Wladimir Yordanoff, Didier Sandre, Melvil Poupaud, Mathieu Amalric, Eric Ruf, Laurent Stocker, Vincent Pérez, Michel Vuillermoz, Denis Podalydès, Hervé Pierre, André Marcon…
Test Blu-ray :
Interactivité *** Le making of de 32 minutes, co-réalisé par Morgane Polanski, fille du cinéaste, est truffé d’interviews et emmène sur le vif du tournage. Six ans de préparation et quatre mois de tournage ont été nécessaires pour ce film très documenté, caractérisé par un souci d’authenticité. On découvre également le cinéaste au travail, au plus près de ses acteurs.
Image ****
Format : 1.85 Le Blu-ray restitue toute la beauté de la photographie un peu métallique (elle est signée Pawel Edelman, chef-opérateur fétiche de Polanski depuis Le Pianiste), des couleurs (qui immergent dans l’époque) et de la lumière, même dans les intérieurs plus sombres. Le piqué est excellent.
Son ***
DTS-HD Master Audio 2.0 et 5.1 en français
Audiodescription
Sous-titres français pour sourds et malentendants La version DTS-HD 5.1 est d’une rare puissance même si la plupart des bruits d’ambiance proviennent des enceintes frontales. Les basses impressionnent dès le menu animé.
***************************
« Avant, les électeurs exigeaient toujours plus de droits, toujours plus de démocratie, et dans les dernières années de mon mandat, j’ai eu l’impression qu’ils se méfiaient de la démocratie elle-même. »
ALICE ET LE MAIRE
Nicolas Pariser 2019
Paru en France le 2 octobre 2019
Disponible en DVD et Blu-ray depuis le 5 février 2020 chez M6 Vidéo César 2020 de la Meilleure actrice
Normalienne, agrégée de lettres et diplômée en philosophie, Alice Heimann (Anaïs Demoustier), qui n’a qu’une petite expérience d’enseignante à l’étranger, vient d’être embauchée à la mairie de Lyon. Le matin même où elle se présente, on lui annonce que son poste vient d’être supprimé, mais qu’un autre a été créé dans la foulée spécialement pour elle. Il se trouve que le maire, Paul Théraneau (Fabrice Luchini), épuisé par des années de vie politique, n’a plus d’idées et « n’arrive plus à penser ». Il compte sur cette jeune philosophe pour l’aider à se remettre en selle…
Inévitablement, on pense à Eric Rohmer et à L’arbre, le maire et la médiathèque dans lequel excellait déjà Fabrice Luchini. Avec sa fraîcheur, ses grands yeux innocents et son sourire amusé devant les situations cocasses et parfois ubuesques qui se présentent à elle, Alice (excellente Anaïs Demoustier), fait elle-même une héroïne très rohmérienne. Mais chez Nicolas Pariser, qui a suivi les cours du cinéaste précité à la Sorbonne, le badinage n’est pas de mise. Le réalisateur s’intéresse surtout à cette relation inattendue entre la jeune intellectuelle – qui n’a aucune expérience, ni de la politique ni de la vie – et ce maire au bout du rouleau, qui cherche désespérément un sens à son action. Au fil des dialogues destinés à rattacher la politique et le réel à l’aide de la littérature et de la philosophie, va se tisser, entre ces deux êtres en déséquilibre, une jolie complicité. D’abord considérée comme le messie qui pourrait sauver la mairie de la débâcle, Alice va bientôt se mettre tous les membres du cabinet à dos et, notamment, les communicants qui se voient peu à peu déposséder de leur influence. La machinerie se grippe alors et l’efficace chef de cabinet (épatante Léonie Simaga) apparaît de plus en plus déboussolée. Le cinéaste, qui signe ici son deuxième long-métrage après Le grand jeu (2015), manie, avec subtilité, l’ironie (certaines scènes sont franchement comiques) et la mélancolie. Car si ses personnages manquent un peu de chair, la comédie, un brin désenchantée, a le mérite de viser juste. Elle cible la crise de la démocratie, mais aussi celle des vocations chez les jeunes gens surdiplômés, déconnectés, eux aussi, du réel. Le film pourrait se résumer dans la question qui taraude le réalisateur : « Pourquoi est-ce que ceux qui agissent ne pensent pas, et pourquoi ceux qui pensent n’agissent pas ? ». 1 h 43 Et avec Nora Hamzawi, Alexandre Steiger, Maud Wyler, Pascal Reneric, Antoine Reinartz…
Test DVD :
Interactivité *** Le temps d’une interview d’une trentaine de minutes, le réalisateur revient sur son parcours (études de droit, critique de cinéma) et son travail auprès du grand cinéphile Pierre Rissient dont il a été l’assistant. Il évoque aussi ses premiers courts-métrages (ses gammes) et la raison pour laquelle la politique est un thème peu abordé par le cinéma français. Enfin, il ne tarit pas d’éloges au sujet de Fabrice Luchini, qui lui a en quelque sorte inspiré le film.
Image *** Format : 1.85 Le DVD propose une image naturelle, contrastée, dominée par les bleus intenses. Bien qu’elle n’atteigne pas la pureté de l’image du Blu-ray, la définition est ici tout à fait convaincante.
Son *** Audiodescription Sous-titres français pour sourds et malentendants Une piste 5.1 harmonieuse et très agréable.
C’est Mark Ruffalo, l’interprète de Hulk dans la récente saga Marvel, qui est à l’origine de ce thriller judiciaire environnementaliste inspiré de faits réels, dans la lignée des films engagés d’Alan J. Pakula ou Sidney Lumet. En acteur et producteur futé, il a confié la mise en scène au talentueux réalisateur de Safe, Velvet Goldmine, Loin du Paradis ou Carol, qui a rendu cette aventure humaine passionnante et incroyablement cinématographique.
(Click on the planet above to switch language.)
« Le système est corrompu. On nous fait croire qu’il nous protège, mais c’est faux. Nous nous protégeons nous-mêmes, nous et personne d’autre. Ni les compagnies, ni les scientifiques, ni le gouvernement. Nous. »
Dark Waters
Todd Haynes 2019
Dans les salles françaises depuis le 26 février 2020
Le jeune et modeste avocat Robert Bilott (Mark Ruffalo) vient d’être promu dans un prestigieux cabinet d’affaires de Cincinnati (Ohio) spécialisé dans la défense de l’industrie chimique. Un matin de 1998, il est sollicité par un fermier de la petite ville de Parkersburg, en Virginie-Occidentale, celle de sa grand-mère et dont il est originaire. L’éleveur, photos édifiantes à l’appui, accuse l’usine du puissant groupe DuPont, premier employeur local, d’empoisonner l’eau et la terre, et d’être responsable de la mort de quasiment tout son cheptel. Non sans réticence, et surtout par égard pour sa grand-mère, Rob accepte de se rendre sur place. Il va découvrir que la contamination ne touche pas seulement les animaux…
Ça commence comme un film d’horreur des années 70, par un bain de minuit de jeunes gens dans une rivière à l’apparence inoffensive. Mais ici ni requin ni piranhas, juste une substance chimique toxique invisible. Nous sommes en 1975. Dès son ouverture Dark Waters en appelle aux codes et à l’esthétique de cette période du cinéma engagé, symbolisés par Klute, Les Hommes du Président ou Les trois jours du condor. Le gris sera la couleur dominante, celle des tours d’acier de Cincinnati, du ciel plombé de Parkersburg, où le scandale sanitaire a éclaté, jusqu’à la mine de Rob Billot, incarné par un Mark Ruffalo sombre, sourcilleux et inquiet. Basé sur l’article de Nathaniel Rich « The Lawyer Who became DuPont’s Worst Nightmare » (L’avocat devenu le pire cauchemar de DuPont) publié en 2016 dans le New York TimesMagazine, le film reconstitue les événements avec une authenticité et une méticulosité stupéfiantes. La mise en scène de Todd Haynes, volontairement anti-spectaculaire, est presque procédurière. Elle permet de suivre avec passion les pérégrinations de cet avocat intègre, d’abord acharné à comprendre un sujet qu’il ne maîtrise pas (les substances ont des dénominations nébuleuses — PFOA, PFOS…), puis bien décidé, alors que la partie adverse lui met constamment des bâtons dans les roues, à faire éclater la vérité. Rien ne peut détourner Rob de sa mission : ni les avertissements de ses collègues cyniques, ni la lenteur des procédures, ni son épouse (excellente Anne Hathaway) que cette quête de justice qui tourne à l’obsession inquiète. La caméra de Todd Haynes saisit admirablement les états d’âme de cet homme que rien ne destinait à devenir le chevalier des laissés pour compte. Elle navigue entre les gratte-ciels de Cincinnati et les zones rurales de Virginie-Occidentale où la misère sociale saute au visage. Les formidables Tim Robbins, Bill Pullman, Bill Camp, Victor Garber ou Mare Winningham contribuent à la réussite de ce thriller d’investigation aussi haletant que militant. Tout aussi désireux de rendre hommage à une communauté gravement exposée durant plusieurs décennies que de mettre en garde contre les pratiques criminelles de l’industrie chimique dans le monde – toujours soutenue aujourd’hui par les institutions publiques – Mark Ruffalo a travaillé main dans la main avec le vrai Robert Bilott. Ici, pas de happy end à la Erin Brockovich, le constat est glaçant : « Nous sommes tous contaminés. » Ironie, même si c’est tout sauf drôle, de l’histoire : la Virginie Occidentale soutient massivement Donald Trump, dénué de conscience écologique, qui se félicite d’avoir fait abroger bon nombre de régulations de santé publique mises en place sous Barack Obama. 2 h 06 Et avec Louisa Krause, William Jackson Harper, Bruce Cromer…