THE ADDICTION en Blu-ray

Les éditions Carlotta exhument en beauté le film culte d’Abel Ferrara paru en 1995. Métaphore de la toxicomanie, ce film de vampires étrangement barré et magnifiquement photographié dans un New York hivernal, est porté par une Lili Taylor habitée. Remarquable, cette édition propose de très bons suppléments dont le formidable Entretien avec les vampires, un documentaire réalisé par le cinéaste lui-même, parti, vingt-trois ans après le tournage, à la rencontre de ses acteurs principaux, dont le génial Christopher Walken.

 

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« Les films qui comptent sont tous en noir et blanc. »
Abel Ferrara

 

THE ADDICTION

Abel Ferrara
1995
Paru le 24 mars chez Carlotta en Blu-ray, avec une nouvelle restauration 4K approuvée par Abel Ferrara et son chef-opérateur Ken Welsch
Également disponible en DVD

Brillante étudiante en philosophie, Kathleen Conklin (Lili Taylor) prépare son doctorat à l’Université de New York. Un soir, en rentrant chez elle, elle croise une séduisante inconnue (Annabella Sciorra) qui l’entraîne brutalement dans une impasse avant de la mordre au cou. Affolée, la jeune femme se rend à l’hôpital, mais ses analyses ne révèlent rien de particulier. Pourtant de jour en jour, son comportement change tandis qu’elle est tenaillée par une insatiable soif de sang humain…

Lorsque je l’avais découvert en salle lors de sa sortie en France en 1996, ce film m’avait fait une très forte impression, celle d’avoir vécu une expérience sensorielle étrange. Vingt-cinq ans après, grâce à cette version magnifiquement restaurée, le visionnage de The Addiction suscite la même fascination. Et pourtant, Ferrara se donne du mal pour décourager le spectateur, notamment par un verbiage philosophique étayé de moult citations (Kierkegaard, Nietzsche, Sartre…), ceci parfois devant des images d’archives de charniers (de My Lai au Vietnam ou de camps de concentration nazis). La réflexion sur le mal  — « Est-on est mauvais parce qu’on fait le mal ou le fait-on parce qu’on est fondamentalement mauvais ? » — ne nécessitait pas ce gloubi-boulga intello (dans un document d’époque fourni par l’édition, on voit même le réalisateur se marrer en regardant les rushes). « Si l’homme ne tire jamais les leçons de l’histoire, dit Kathleen plus simplement, c’est parce qu’il est fondamentalement mauvais. » Il ne peut résister à la tentation. Comme beaucoup d’œuvres de Ferrara (L’ange de la vengeance, New York 2 heures du matin, China Girl, The King Of New York, Snake Eyes…), The Addiction a été écrit par le très catholique Nicholas St. John, ami et complice du réalisateur depuis l’école. On lui doit la connotation chrétienne du film (rédemption, pardon, résurrection…) que Ferrara tempère avec une bonne dose d’humour noir. Ici, les vampires sont vus comme des junkies (à moins que ce ne soit l’inverse). Il est question de dépendance, de manque, de quête de soi, mais aussi de contamination et d’un mal qui se propage, comme dans Body Snatchers, le remake de L’invasion des profanateurs que Ferrara avait réalisé deux ans auparavant. La beauté de ce film à très petit budget (l’équipe a travaillé sans être payée — elle le sera en partie par la suite) saute au visage. Chaque plan est une merveille, qui renvoie au cinéma expressionniste allemand, mais aussi à l’école expérimentale new-yorkaise. Abel Ferrara, natif du Bronx et amoureux transi de la Grosse Pomme, retrouve ici les impulsions de ses débuts, de ses premiers courts-métrages underground des années 70. Beaucoup de séquences ont été tournées en pleine rue (on pense à Shadows, de Cassavetes) et leur dynamisme est palpable. La métamorphose de Lili Taylor, d’étudiante intello en vampire enragée, est glaçante. Tantôt sublime, tantôt grotesque ou effrayante, cette plongée dans les ténèbres réserve au moins deux grands moments d’anthologie : l’apparition de Christopher Walken en vampire millénaire et sage, amateur de Burroughs et Baudelaire, et une incroyable séquence de carnage lors d’une soirée universitaire, où les vampires fondent sauvagement sur les invités sans autre forme de procès. Les discussions ampoulées vont alors céder la place à des hurlements désespérés et des grognements de bêtes enragées. Sale temps pour la philo.
1 h 22 Et avec Edie Falco, Paul Calderon, Fredro Starr, Kathryn Erbe…

 

TEST ÉDITION BLU-RAY

Interactivité ****
Le programme de suppléments est un régal. Le morceau de choix est Entretien avec les vampires, documentaire réalisé par Ferrara en 2018 (31 minutes). Accompagné par son fidèle chef-opérateur Ken Kelsch, il interviewe lui-même Lili Taylor, Christopher Walken et le compositeur Joe Delia. Chacun y va de ses anecdotes et confidences. Christopher Walken évoque son ami Philip Seymour Hoffman récemment décédé. Il confie aussi ne pas s’intéresser à la psychologie de ses personnages, se contentant d’apprendre ses lignes (ceci explique pourquoi il n’est pas devenu complètement cinglé). Abel Ferrara se remémore le tournage dans un entretien de 16 minutes. Il cite Quincy Jones : « Quand l’argent entre dans la pièce, Dieu en sort. » pour affirmer qu’avec un gros budget, on ne peut réaliser un film comme The Addiction. Le critique britannique Brad Stevens fait ensuite une brève analyse du film et s’attarde sur les dissensions entre Ferrara et son scénariste, causes, selon lui du message ambivalent du film. Enfin un court reportage d’époque montre le réalisateur en plein montage, à une heure tardive, et qui ne cesse de clamer son amour pour New York.
 

Image ****
Format : 1.85
Une remasterisation 4K absolument divine avec un grain argentique de toute beauté. Le noir et blanc est somptueux, contrasté, et toujours lumineux même dans les séquences nocturnes.

Son ****
DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 en VOST
Deux pistes pour la version originale. Celle en 5.1 offre une très belle spatialisation, subtile et impressionnante, qui met en valeur les passages musicaux et les montées en tension.

LAURA ANTONELLI N’EXISTE PLUS

Ce n’est pas un scoop, L’Équipe a longtemps été l’un des journaux les mieux écrits de France. Il ne s’agit pas seulement pour ces rédacteurs de décrire le beau geste ou la liesse des supporters. Ce métier nécessite une connaissance aiguë de la nature humaine. Le sport est un mélange de passion, de discipline, de dépassement de soi, de courage mais aussi de douleur et d’amertume. Il y a du romantisme là-dedans. Tout comme son aîné feu Antoine Blondin, et son collègue Vincent Duluc — spécialiste du foot qui vient de publier une biographie romancée de Carole Lombard et Clark Gable, Philippe Brunel, était, jusqu’à l’été 2020, une plume de L’Équipe. Il a quitté le journal après quatre décennies de bons et loyaux services consacrées à ennoblir le cyclisme, sa passion. L’homme sait raconter les histoires, qui, souvent, finissent mal. Il a signé les essais Vie et mort de Marco Pantani (Grasset, 2009) et Rouler plus vite que la mort (Grasset, 2018). Côté romans, on lui doit déjà La nuit de San Remo (Grasset, 2012), qui revenait sur le suicide présumé du jeune Luigi Tenco, beau chanteur italien et amant de Dalida, retrouvé mystérieusement mort d’une balle dans la tête dans sa chambre d’hôtel en 1967, lors du festival de San Remo. Avec Laura Antonelli n’existe plus, Philippe Brunel explore à nouveau un mythe de l’Italie, sa seconde patrie, et rend un hommage poétique à celle qui fut un sex-symbol des seventies, et dont la destinée fut aussi cruelle que tragique.

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Passion d’amour (Passione D’Amore) d’Ettore Scola (1981)

« On n’est jamais à l’abri de rater sa vie. L’abîme est toujours proche. Un jour, tout se désagrège, s’anéantit dans le vide sans qu’on n’y puisse rien. »

 

 

LAURA ANTONELLI N’EXISTE PLUS

Roman de Philippe Brunel
Publié chez Grasset le 3 février 2021

 

À la suite du coup de fil énigmatique d’un producteur, le narrateur embarque pour Rome investi d’une obscure mission : retrouver Laura Antonelli, l’actrice solaire, oubliée, dont Visconti disait qu’elle était « la plus belle femme du monde »…

Il Maestro, qui lui avait offert en 1976 sont plus beau rôle, dans L’Innocent, disait aussi qu’elle avait « un visage d’ange sur un corps de pécheresse ». Et cela pour son malheur. L’un des films dans lesquels elle a tourné, signé Luigi Comencini, s’intitule Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? Un titre prémonitoire… Laura Antonelli était née Laura Antonaz en 1941 à Pola, en Istrie alors italienne, (aujourd’hui croate). Sa famille, comme bon nombre de familles italiennes d’Istrie après la Seconde Guerre mondiale, est condamnée à l’exil. En 1962, après des études supérieures à Naples et avec un diplôme de professeur d’éducation physique en poche, Laura s’installe à Rome. Elle passe moins de temps à enseigner qu’à tourner des spots publicitaires qui vont bientôt attirer l’attention des producteurs de cinéma. Son nom d’actrice apparaît pour la première fois, en 1964, au générique de L’espion qui venait du surgelé, de Mario Bava. Ce sera la première d’une longue série de ce que Philippe Brunel décrit comme « des comédies osées, frivoles, des pochades sans prétention ». Car la puissance érotique qui émane de ses courbes et postures va faire de Laura Antonelli un sex-symbol, un fantasme, et lui valoir le surnom de « la Bardot italienne. »

Divine créature, de Giuseppe Patroni Griffi (1975)

« Laura n’a pas la splendeur sculpturale d’Anita Ekberg, la déesse païenne, phosphorescente de la Dolce Vita, ni les pâleurs diaphanes d’une Monica Vitti insatisfaite, existentialisée par Antonioni, mais elle incarnait quelque chose de plus rare, la femme du peuple « pasta e fagioli » accessible et désirable, à la beauté embarrassante, qui vous remuait les sangs. »

 

Malicia (Malizia)

 

En 1973, Malicia, de Salvatore Samperi, va même l’ériger en icône du cinéma érotique. Elle y campe une domestique fraîchement engagée par un veuf, et dont la sensualité ne tarde pas à mettre en émoi toute la maisonnée, dont un adolescent de quatorze ans. Le succès, phénoménal, va aussi cantonner la comédienne, excellente au demeurant, à ce genre de rôle. Rares sont les films qui en réchappent. On retient surtout Les mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau qu’elle tourne en 1971 aux côtés de Marlène Jobert et Jean-Paul Belmondo (qui sera son compagnon durant huit ans), Sans Mobile apparent de Philippe Labro, L’innocent, et Passion d’amour d’Ettore Scola. Après avoir connu l’ivresse de la gloire durant la décennie 70, Laura Antonelli va peu à peu basculer du côté obscur au cours de la suivante. La chute sera inexorable.

Les mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau (1971)

Avec Jean-Paul Belmondo au Festival de Cannes en 1974

L’innocent (L’innocente) de Luchino Visconti (1976)

Péché véniel (Peccato Veniale) de Salvatore Samperi (1974)

 « La mélancolie, c’est comme une maladie, on ne s’en débarrasse jamais… »

En 1991, elle est arrêtée pour possession de cocaïne et fait la une de la presse à scandale. Cette exposition malsaine lui vaut d’être sollicitée pour reprendre son rôle de soubrette dans le piètre remake de Malicia, Malicia 2000, paresseusement réalisé par le même Salvatore Samperi. Sur le tournage, des injections de collagène destinées à atténuer ses rides vont lui provoquer une allergie si sévère qu’elle sera quasiment défigurée. Laura Antonelli, fragile, mal entourée, va dès lors entamer une lente descente aux enfers. Elle s’isole, se débarrasse de tous ses biens matériels et se tourne vers la religion. Jusqu’à sa mort, survenue en 2015 (à soixante-treize ans), elle vivra en ermite, méconnaissable, dans un modeste deux-pièces de Ladispoli, ville côtière à quarante kilomètres de Rome.

Voyage en Italie

Au moment où Philippe Brunel écrit le livre, Laura Antonelli est encore de ce monde. Au dernier journaliste qui avait souhaité la rencontrer elle avait répondu : « Laissez-moi. Laura Antonelli n’existe plus. » Le récit de cette quête fiévreuse transporte dans une Italie écrasée de soleil, des plages de Maccarese à Ladispoli en passant par la villa de Cerveteri, autrefois demeure de l’actrice et de tous les scandales. Les quartiers de Rome n’ont pas de secrets pour l’auteur. On y croise les fantômes de Luchino Visconti, Danilo Donati, Pier Paolo Pasolini, Alida Valli, Anna Magnani, mais aussi des amis de Laura Antonelli, tel Marco Risi, fils de Dino, ou l’acteur Lino Banfi. Toutes ces rencontres, ces rendez-vous dans des lieux insolites parfois, finissent par lever le voile sur le mystère Laura Antonelli. À l’expérience de journaliste viennent se mêler les souvenirs de jeunesse. La plume à la fois alerte et poétique de Philippe Brunel bouleverse et tient le lecteur en haleine. Jusqu’à la fin, le suspense est total.

 

« Je n’ai toujours pas résolu ce qui m’attirait dans cette histoire, au-delà de cette fascination qu’on éprouve devant l’absurdité de notre présence au monde… »

Laura Antonelli

REGARDER LES CÉSAR QUOI QU’IL EN COÛTE

« Au début on l’a appelé “le Covid”, mais quand on a compris que ce serait très très long et très très chiant, on l’a mis au féminin. »

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CÉSAR 2021

« Pourquoi moi pour présenter les César ? Cinq nominations, zéro César. C’est quand même un peu sadique de me le proposer, et c’est carrément maso d’accepter. Mais bon, je suis actrice, donc en même temps j’ai un respect de moi-même assez limité. Mais c’est maso. C’est comme avoir une pharmacienne à la culture en temps de pandémie. »

Si quelques vannes méritent d’être relevées, tout ça n’était pas classe et avait un goût amer. Marina Foïs, aidée (ou pas) par les textes trash et cash de Laurent Lafitte et Blanche Gardin, a tenté de donner du peps à une cérémonie forcément singulière (cent cinquante nommés répartis dans la salle de l’Olympia, qui en contient deux mille…). Mais, en dépit de sa jolie robe à paillettes signée Nicolas Ghesquière pour Vuitton, on a compris dès son entrée en scène (elle a ramassé une crotte qui aurait été oubliée par le chien de Florence Foresti) que d’élégance, il n’y aurait point.

En fait, on n’était pas là pour parler de cinéma…

« Comme Dieu merci, à Noël, les salles de spectacles étaient fermées, il y avait moins de flux de gens. On a donc pu organiser des gros flux dans les grands magasins et les centres commerciaux… Tout ça pour soutenir le personnel soignant et pour qu’il y ait du monde en réa. Parce que quoi de plus triste qu’un lit vide ? C’est comme une salle vide pour un artiste. »

Sur la scène de l’Olympia, en cette 46e cérémonie des César présidée par Roschdy Zem (meilleur acteur qu’orateur) et organisée par une nouvelle Académie a priori plus démocratique, l’heure n’était plus à la charge contre Roman Polanski, ni à la défense de la parité ou de la diversité (sauf pour Jean-Pascal Zadi, dans un discours très politique, avec une volonté assumée de vouloir « foutre la merde »), mais à la dénonciation de l’impact des mesures sanitaires sur le monde de la culture. La réouverture des salles se faisant attendre, Marina Foïs et bien d’autres intervenants y sont allés de leurs revendications, avec plus ou moins d’esprit. C’est un fait, le secteur de la culture est en détresse, et beaucoup de situations, dont celle des intermittents, sont alarmantes. Mais on préfèrera retenir le discours d’Anny Duperey (formidable dans la récente série La faute à Rousseau) au numéro « malaisant » de l’insoumise Corinne Masiero. L’interprète du Capitaine Marleau s’est entièrement dénudée, dévoilant sur son corps, côté face, l’inscription « No culture, No futur » (avec une faute donc…) et, côté pile, « Rend nous l’art, Jean ! » (avec une autre faute…). Juste avant, elle était apparue dans le costume de Peau d’âne, portant en dessous une robe ensanglantée, et arborant deux Tampax usagés en guise de boucles d’oreilles, recyclant, quarante-cinq ans plus tard et probablement sans le savoir, le moins relevé des gimmicks punk. À Marina Foïs qui s’étonnait (faussement ou pas) de l’accoutrement, elle a répondu avec mépris : « Pourquoi tu dis que c’est dégueu, t’es vegan ? » Ces derniers ont dû apprécier…

« J’ai une idée étrange qui m’est passée par l’esprit en coulisses. Je me suis dit que c’était extraordinaire quand même que ces derniers mois il y ait tellement de nos grands, de nos aînés, qui soient partis quasiment en même temps. Tous les copains d’ Un éléphant ça trompe (énormément NdlR), Jean-loup, Jean-claude, Bacri, tout ça… Quelle que soit la cause de leur mort, m’est venue l’idée saugrenue qu’ils avaient quelque part choisi de ne pas voir ce qu’on vit. Alors Roselyne, je pense qu’il va falloir se battre plus fort pour nous, avant qu’ils se tirent tous ! »

A noter que la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a été interpellée maintes fois au cours de la soirée et rhabillée pour l’hiver, mais elle n’était pas présente dans la salle (seulement en coulisses).

Séquence émotion

 

Heureusement, les César, c’est aussi la nostalgie. Le choix de l’affiche en disait déjà long. Les séquences consacrées aux disparus de 2020 ont non seulement insufflé de l’émotion à une soirée militante, mais rappelé que le cinéma français pouvait avoir de la gueule. On a frémi à l’apparition de Jean-Pierre Bacri en personnage animé, lauréat d’un César d’honneur posthume, assis dans le public, mais aussi durant les hommages à Claude Brasseur, Caroline Cellier, Michel Piccoli, Jean-Claude Carrière (par un Louis Garrel très ému), à Ennio Morricone par l’orchestre dirigé pour l’occasion par Benjamin Biolay, plus dandy que jamais, qui a plus tard interprété avec sa classe coutumière « Que reste-t-il de nos amours ? » de Trenet (même si on aurait préféré une chanson de Christophe — un extrait de La route de Salina au hasard —, cinéphile devant l’Éternel, expédié dans le diaporama des disparus).

 

Une pointe de déception

Le moment attendu, la remise du César Anniversaire, nouveauté de 2021, a un peu fait pschitt. Récompensée pour le quarantième anniversaire de la création du fameux café-théâtre de la Porte Saint-Martin, la troupe du Splendid était sur scène et pour l’occasion, Thierry Lhermitte avait revêtu son costume de Le père Noël est une ordure. Mais tout ce petit monde semblait guindé, et bien moins drôle qu’avant. Christian Clavier a glissé :
« Je remercie l’Académie pour cet honneur. Ils se sont quand même débrouillés pour nous le donner l’année où il n’y a personne. Mais enfin bon… »

Gérard Jugnot, sortant un fatras de papiers au moment de prendre le micro a marmonné « Ah non, c’est pas mon discours, ça, c’est mes tests PCR… » et a terminé par un chaleureux :
« Je remercie la chance, le destin, Dieu peut-être, de nous avoir réunis et d’avoir rencontré ces crétins. Et je m’aperçois quand même que nous sommes depuis plus de cinquante ans… cas contact. »

 

PALMARÈS

Avec ses treize nominations, l’épatant Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, d’Emmanuel Mouret partait favori. A mon grand dam, il n’aura pourtant récolté qu’un seul César, celui du Meilleur second rôle féminin, pour la formidable Émilie Dequenne. Comme Été 85 de François Ozon (douze nominations) et Antoinette dans les Cévennes (huit nominations), le film d’Emmanuel Mouret s’est fait coiffer au poteau par Adieu les cons. La fable burlesque et lyrique d’Albert Dupontel a remporté à elle seule sept statuettes dont celles des Meilleur Film, Meilleure réalisation, Meilleur scénario et Meilleur second rôle (pour Nicolas Marié). Le film — que je n’ai l’ai pas encore vu pour cause de pandémie — a également été récompensé par le César des Lycéens, autre nouveauté de cette édition. Dupontel, qui boude les César depuis ses débuts, a brillé par son absence.

 

Le César du Meilleur premier film a récompensé l’audace de Deux, de Filippo Meneghetti, histoire d’amour entre deux femmes d’âge mûr, campées par deux comédiennes exceptionnelles, Martine Chevallier et Barbara Sukowa.

La fille au bracelet de Stéphane Demoustier, frère d’Anaïs (il était en 2014 le réalisateur de l’intéressant Terre battue) a remporté le César de la Meilleure adaptation (d’un thriller argentin, Accusada, de Gonzalo Tobal).

Sans surprise, le César de la Meilleure actrice est allée à la pétillante et sympathique Laure Calamy, héroïne d’ Antoinette dans les Cévennesla comédie rafraîchissante de Caroline Vignal, qui a fait l’unanimité lors de sa sortie, en septembre dernier. Entre rires et larmes, son bonheur faisait plaisir à voir :

« Je repense à la jeune provinciale que j’étais. Je repense au Centre National Dramatique d’Orléans et au cinéma Les Carmes où j’ai eu mes premières émotions, notamment au festival Frank Capra où j’ai découvert La vie est belle. Je pense du coup à ceux qu’on appelait des fous, qui au sortir de la Seconde guerre mondiale, ont décidé de créer la décentralisation et des théâtres dans les provinces pour que l’accès à l’art ne soit pas uniquement parisien. Sans tous ces James Stewart-là, la provinciale que j’étais aurait eu une vie beaucoup plus sinistre. »

 

Le toujours excellent Sami Bouajila, a été récompensé par le César du Meilleur acteur pour son rôle dans Un fils, drame sur fond de terrorisme de Mehdi M. Barsaoui. Il a ému l’assemblée en évoquant l’histoire de son père récemment décédé, originaire de la région de Tunisie où le film a été tourné.

 

La remise du César du Meilleur espoir féminin a été introduite par une vidéo touchante mais non dénuée de cruauté dans laquelle Jean-Louis Trintignant a cité la chanson de Georges Brassens :

« Marquise, si mon visage a quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu’à mon âge, vous ne vaudrez guère mieux…
Le temps aux plus belles choses se plaît à faire un affront
Et saura faner vos roses comme il a ridé mon front. »

La statuette est revenue à la jeune Fathia Youssouf, quatorze ans, pour son rôle dans le sulfureux Mignonnes de Maimouna Doucouré. L’adolescente a invité les jeunes de son âge à « suivre leurs rêves ».

 

Le César du Meilleur espoir est allé à Jean-Pascal Zadi, acteur et réalisateur avec John Wax de Tout simplement noir, phénomène de l’été 2020. Ce faux-documentaire inégal, fichu comme une succession de sketches, était bien plus amusant que le discours du lauréat :

« Quand on parle d’humanité on est en droit de se poser la question si l’humanité de certaines personnes n’est pas souvent remise en cause… Dans cette optique, j’ai envie de parler d’Adama Traoré, de Michel Zecler… »

Et aussi

Le César du Meilleur documentaire a couronné Adolescentes, de Sébastien Lifshitz, déjà distingué en 2013 pour Les invisibles. Le réalisateur a suivi durant cinq ans deux jeunes filles, amies d’enfance. Ce portrait sensible de la jeunesse est aussi la chronique pertinente d’une époque. Dans la foulée, le film a également remporté les César du Meilleur montage et du Meilleur son.

 

Évocation de la fuite des Républicains persécutés par la dictature franquiste, et qui vont se retrouver parqués dans des camps dans le sud de la France, Josep, d’Aurel, a remporté le César du Meilleur film d’animation.

 

Drunk, ou la dérive de quatre potes qui décident de vivre dans l’ivresse, du Danois Thomas Vinterberg (Festen, La chasse…) a raflé le César du Meilleur film étranger.

 

Le César de la Meilleure musique est allé à Rone pour la bande originale planante de La nuit venue, premier long-métrage de Frédéric Farrucci, avec Camélia Jordana et la révélation Guang Huo.

 

Glamour

L’ambiance n’était pas à la fête, et pas sûr que le spectacle ait donné envie d’aller au cinéma. Merci tout de même à Fanny Ardant pour sa fougue, à la charmante Catherine Bozorgan, productrice et compagne d’Albert Dupontel, qui ne s’attendait pas à être la star de la soirée, et à la toujours sublime Virginie Efira, pour avoir mis une touche de glamour dans une soirée qui en était fort dépourvue.

 

En attendant, là-haut, ils doivent bien rigoler…

Crédits photos : Villiard-Pool/Sipa, Canal+, Getty Images