PRÉSUMÉS COUPABLES : Le procès Goldman/Anatomie d’une chute

(Click on the planet above to switch language.) 

Il y a quelque chose de fascinant dans une procédure de procès pénal, a fortiori dans les procès d’assise, lesquels, hormis cas exceptionnels, ne sont pas filmés en France. La dramaturgie, la dimension théâtrale, la présence d’un public, l’exposition des passions humaines, le suspense, le verbe haut et l’éloquence des avocats, tout contribue à créer un spectacle passionnant. L’histoire du cinéma est pavée de chefs-d’œuvre du genre : Le procès de Jeanne d’Arc, Douze hommes en colère, Du silence et des ombres, Autopsie d’un meurtre, La vérité… Après le bouleversant Saint Omer d’Alice Diop paru l’année dernière, le film de procès fait un retour en force via deux œuvres magistrales, respectivement signées Cédric Kahn et Justine Triet. Dans chacun, l’accusé fait un coupable idéal. Ils ont en outre un dénominateur commun : Arthur Harari, acteur dans le premier, et coscénariste dans le second.

 

« Pierre Goldman, sous-entendez-vous que la police de ce pays est raciste ?
– Ah mais non seulement je le sous-entends, mais je l’affirme ! »

  

LE PROCÈS GOLDMAN

Cédric Kahn
2023
En salles depuis le 27 septembre 2023
Présenté à la Quinzaine des cinéastes de Cannes 2023

En 1974, le militant d’extrême gauche Pierre Goldman (Arieh Worthalter) est condamné à la prison à perpétuité pour quatre braquages. Mais s’il reconnaît les trois premiers, il nie toute implication dans le quatrième au cours duquel deux pharmaciennes ont perdu la vie. Il va clamer son innocence et révéler les failles du procès dans une autobiographie écrite en prison qui va lui valoir la sympathie des intellectuels de gauche. Grâce à un vice de forme, l’instruction va être annulée par la Cour de Cassation. En 1976, débute ainsi le deuxième procès de Pierre Goldman. Il sera cette fois jugé par la cour d’Amiens et défendu par Maître Georges Kiejman (Arthur Harari), un jeune avocat particulièrement doué…

Jusqu’ici, le nom de Goldman était pour moi associé à Jean-Jacques, l’auteur-compositeur-interprète phare de la variété gauloise et personnalité préférée des Français depuis plusieurs années. À l’époque de l’affaire en question, j’étais trop jeune pour m’en soucier et plus tard, j’ai appris par ouï-dire que l’artiste dont la popularité n’a d’égale que la discrétion avait eu dans sa famille un repris de justice. Mais cela restait vague. Cédric Kahn, né comme moi dans les années 60, a eu l’opportunité de découvrir à trente ans dans la bibliothèque de ses parents le livre de Pierre Goldman (demi-frère aîné de Jean-Jacques donc), intitulé Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France. Il n’a jamais oublié cette figure hors normes au point de lui consacrer aujourd’hui un film. Le biopic n’étant pas sa tasse de thé, le réalisateur de La prière ou Roberto Succo a choisi d’évoquer Pierre Goldman au moment de son second procès, événement qui a défrayé la chronique en 1976. C’est sur une séquence de discussion houleuse entre les jeunes Maîtres Kiejman (Arthur Harari) et Chouraqui (Jeremy Lewin), proche de Goldman, qu’on aborde ce film puissant et passionnant qui va tenir en haleine pendant près de deux heures. La reconstitution du procès, basée sur les comptes rendus et les articles de journaux de l’époque, est étourdissante. Le bras de fer entre la partie civile (formidable Nicolas Briançon) et la défense, est intense. Dans son box, Pierre Goldman, révolutionnaire dans l’âme et provocateur en diable, vocifère, se moque ouvertement des témoins véreux ou « influencés ». Grâce à sa verve, il suscite souvent l’hilarité générale au grand dam de son avocat, contraint de lui demander « d’arrêter ses bons mots et de maîtriser ses humeurs ». Mais il assène également des vérités confondantes, et ce fameux « Je suis innocent parce que je suis innocent ! » entré dans les annales. Dans le rôle, Arieh Worthalter, acteur franco-belge – remarqué dans le récent Bowling Saturne, de Patricia Mazuy –, intense et habité, est impressionnant. Il restitue formidablement la pensée et la dialectique du braqueur intello et rebelle. Quant à Arthur Harari, il brille également dans la peau de Georges Kiejman, réfléchi, inquiet, mais déterminé à sauver son client. Dans cette arène où se joue le destin d’un homme se dessine le visage d’une France aux préjugés racistes, mais aussi celui d’une communauté juive douloureusement éprouvée. La photo est monochrome. Il n’y a pas de musique. Cette sobriété formelle a pour effet de mettre en valeur l’art oratoire et les émotions. On sort de ce huis clos groggy et totalement ébloui.
1 h 55 Et avec Stéphan Guérin-Tillié, Aurélien Chaussade, Christian Mazucchini, Jerzy Radziwilowicz (l’acteur polonais inoubliable dans L’homme de fer et L’homme de marbrede Andrzej Wajda campe le père de Pierre Goldman), Laetitia Masson, Chloé Lecerf, Didier Borga, Ulysse Dutilloy-Liégeois (le jeune Jean-jacques Goldman)…

 

************

 

« Ce qu’on entend, ce n’est pas la réalité. C’est nous, mais ce n’est pas nous. » Sandra pendant le procès

 

ANATOMIE D’UNE CHUTE

Justine Triet
2023
En salles depuis le 23 août 2023
PALME D’OR DU FESTIVAL DE CANNES 2023

Sandra (Sandra Hüller) et son époux Samuel (Samuel Theis) sont écrivains. Ils vivent depuis un an dans un chalet isolé à la montagne, avec Daniel (Milo Machado Graner), leur jeune fils malvoyant. Un jour, en revenant d’une balade avec son chien, l’enfant retrouve son père mort au pied de la maison. Il semblerait qu’il soit tombé d’un étage supérieur. À l’intérieur, sa mère, qui faisait une sieste, ne s’est aperçue de rien. Une enquête est ouverte pour mort suspecte et Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide, accident ou homicide ?

Au-delà de la polémique suscitée par le discours de Justine Triet lors de la cérémonie de clôture, est-ce qu’Anatomie d’une chute méritait la Palme d’Or à Cannes ? Oui, absolument. Même si le glaçant The Zone Of Interest de Jonathan Glazer (lauréat du Grand Prix), aussi. Curieusement, Sandra Hüller tient le rôle principal dans ces deux films. Elle était d’ailleurs attendue pour le Prix d’interprétation qui lui a échappé au profit de Merve Dizdar, pour Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan. Qu’importe ! La troublante actrice allemande qui a grandi en ex-RDA a déjà été primée en Allemagne en 2006 et 2018 pour ses performances dans Requiem d’Hans-Christian Schmidt et Toni Erdmann de Maren Ade. Son talent fait l’unanimité. Et il n’est rien de dire qu’elle transcende le thriller judiciaire de Justine Triet. Ici, elle souffle constamment le chaud et le froid. Dans le film, l’abord glacial, les réponses équivoques et les regards insaisissables de Sandra jouent contre elle. Elle n’est pas assez éplorée, a les mœurs bien trop libres, bref, elle fait une coupable idéale. C’est ce que tente de démontrer, à cor et à cri, l’avocat misogyne de la partie civile campé par un Antoine Reinhartz déchaîné et souvent drôle. Justine Triet a coécrit le scénario avec son compagnon Arthur Harari (cinéaste de Diamant noir, Onoda, 10 000 nuits dans la jungle et acteur dans Le procès Goldman). Ce n’est pas anodin. Anatomie d’une chute est aussi la dissection d’un couple, la dissolution d’une histoire d’amour, ici deux artistes en rivalité. En flash-backs, les scènes de disputes sont d’une justesse confondante. Plus que dans ses opus précédents (les médiocres Sybil et Victoria), la cinéaste parvient à faire mouche dans tous les domaines et son film se révèle à la fois complexe, cérébral et organique. La mise en scène est inventive, les acteurs excellent (Swann Arlaud est, comme souvent, impeccable) et les séquences de procès qui voient la vie intime de l’héroïne jetée en pâture, sont aussi cruelles que passionnantes. Elles constituent la meilleure partie de ce jeu de pistes, un peu longuet dans son introduction. Et puis, il y a cet enfant à la maturité singulière, qui voit mal, mais ressent tout et possède la faculté de raisonnement d’un sage (étonnant Milo Machado Graner !). Le meilleur film de Justine Triet à ce jour.
2 h 32 Et avec Jenny Beth, Camille Rutherford, Saadia Bentaïeb, Sophie Fillières, Julien Comte, Anne Rotger, Arthur Harari (critique littéraire)…

REPTILE, grand Benicio Del Toro

Sur Netflix depuis quelques jours, ce film noir à la croisée de True Detective et du cinéma de David Fincher est une excellente surprise. Il réunit, entre autres, Justin Timberlake, Alicia Silverstone, Michael Pitt, Frances Fisher, et surtout, il offre à Benicio Del Toro (coscénariste et producteur exécutif ici) l’un de ses meilleurs rôles à ce jour. (pas de spoiler dans cette chronique)

(Click on the planet above to switch language.) 

 

« On mise sur qui pour l’ADN ?
– Je suis sur le petit ami.
– Moi je dirais sa copine.
– Je mise sur le taré.
– Moi je vais parier sur l’ex-mari… »

 

REPTILE

Grant Singer
2023
Disponible depuis le 29 septembre sur Netflix

À Scarborough, dans le Maine, le corps d’une jeune et jolie agent immobilier (Mathilda Lutz) est découvert par son petit ami et employeur (Justin Timberlake) dans une maison vide dont elle s’occupait de la vente. Elle a été atrocement massacrée. L’inspecteur chargé de l’affaire, Tom Nichols (Benicio Del Toro), un flic chevronné et retors, soupçonne tout l’entourage de la jeune femme. Cette affaire, complexe et dangereuse, va avoir des répercussions sur sa propre vie…

Le film noir inspire les jeunes cinéastes. Tout comme Shane Atkinson (LaRoy) et Rod Blackurst (Blood For Dust) applaudis au festival de Deauville dernier, Grant Singer (sans lien de parenté avec Bryan Singer) a une fascination pour le genre. Découvert à Toronto en septembre, le premier long-métrage de ce jeune réalisateur qui a fait ses classes dans le clip vidéo (pour Shawn Mendes, Sam Smith, The Weeknd…) vaut indéniablement le détour. D’abord pour sa distribution, étonnante : elle est constituée d’une brochette de seconds couteaux talentueux (Eric Bogosian, Frances Fisher, Domenick Lombardozzi, Ato Essandoh…) et de quasi-revenants (Michael Pitt et Alicia Silverstone, excellents tous les deux). Tous gravitent autour d’un Benicio Del Toro impressionnant. L’acteur portoricain fascine dans la peau de ce flic usé, malin, mais hanté par un passé compromettant. Tom Nichols a quelque chose d’un animal blessé. Homme de peu de mots, il a le sarcasme facile et le comportement parfois fantasque. Il est donc imprévisible. Car Reptile est bien plus qu’un thriller. Grant Singer voue un culte à In The Bedroom (2001), un polar chargé d’atmosphère, dont les personnages forts crèvent l’écran. Le réalisateur a cherché à imprégner son film de ce même sentiment qu’il a éprouvé jeune devant celui de Todd Field. Et comme il aime également les thrillers manipulateurs (ceux d’Hitchcock, de David Fincher…) qui jouent avec les nerfs des spectateurs, la musique on ne peut plus suggestive (elle est signée Yair Elazar Glotman) fait monter la tension et suscite une sensation de danger permanent. Si on peut reprocher quelques flottements dans l’intrigue parfois un peu trop prévisible et les références trop appuyées, l’originalité de la mise en scène, ses petites trouvailles efficaces et la qualité de l’interprétation font de ce Reptile une série B hautement recommandable.
2 h 14 Et avec Karl Glusman, Sky Ferreira, Amy Parrish, Mike Pniewski, Thad Luckinbill…

DRIVE, la magie en Collector

Le bijou signé Nicolas Winding Refn en 2011 revient en Blu-ray 4K Ultra HD Collector, avec un nouveau commentaire audio de son réalisateur. Une occasion idéale de redécouvrir ce film intense et hypnotique qui a marqué sa décennie.

 

(Click on the planet above to switch language.) 

« Qu’est-ce que Drive sinon une histoire d’amour ? » (Nicolas Winding Refn) 

 

DRIVE

Nicolas Winding Refn
2011
Édition Collector Steelbook limitée (Combo Blu-ray 4K Ultra HD et Blu-ray) chez Wild Side Video depuis le 6 septembre 2023

Cascadeur et mécanicien le jour, un jeune as du volant (Ryan Gosling) accepte des missions de chauffeur pour la pègre, la nuit. La rencontre de sa voisine de palier (Carey Mulligan), jeune mère discrète qui élève seule son petit garçon depuis que son époux (Oscar Isaac) est en prison, va remettre en perspective l’existence de ce jeune homme solitaire, silencieux et singulièrement mélancolique. Mais les ennuis ne vont pas tarder à arriver… 

Prix de la mise en scène à Cannes en 2011, Drive, librement adapté d’un roman de James Sallis, a fait l’unanimité à sa sortie. Le réalisateur danois Nicolas Winding Refn, qui s’était fait remarquer avec la trilogie Pusher puis Bronson et Le guerrier silencieux (Valhalla Rising), revisitait ici la mythologie du film noir, et mariait avec brio le film d’auteur et le pur divertissement. La réussite de Drive tient aussi à la fusion d’un cinéaste et d’un acteur tous deux surdoués. Le fétichisme de l’un (très cinéphile) et le magnétisme de l’autre font merveille. Ryan Gosling est impeccable dans la peau de ce héros (guerrier ?) silencieux et énigmatique qui, par amour, va abattre des montagnes. La Britannique Carey Mulligan fait une exquise demoiselle en détresse, et on se réjouit de la présence des talentueux Bryan Cranston, Albert Brooks, Oscar Isaac, Ron Perlman ou Christina Hendricks. Ce conte de fées dans une Los Angeles poétique, sublimée par la photo léchée de Newton Thomas Sigel, est digne des plus beaux films noirs de Michael Mann, Brian De Palma ou feu William Friedkin. Les ambiances de rêve éveillé et l’extrême romantisme contrastent avec la sauvagerie de séquences à la violence exacerbée : une juxtaposition qui constitue un cocktail fascinant. Ce mélange de pureté et de perversion est aussi la marque du réalisateur de The Neon Demon ou Only God Forgives pour qui le cinéma est avant tout affaire d’émotions et de chocs visuels. « Je ne voulais surtout pas en faire un film de bagnoles. C’est surtout l’histoire de la transformation d’un homme en super-héros. » dira-t-il. Bercé par une bande-son electro hypnotique signée Cliff Martinez, et par « Nightcall » du Français Kavinsky (en mode Giorgio Moroder), Drive reste à ce jour le plus beau film de Nicolas Winding Refn.
1 h 40 Et avec Russ Tamblyn, Kaden Leos, James Biberi, Jeff Wolfe…

 

STEELBOOK COMBO BLU-RAY 4K ULTRA HD ET BLU-RAY ****

L’image en 4K est tout bonnement renversante et la piste sonore (proposée en Dolby Atmos pour la VO) n’est rien moins qu’explosive.

Côté bonus, l’édition reprend le making of et l’interview du réalisateur (Drive Without A Driver, 26 minutes) réalisés pour le Blu-ray de 2012. La pièce de choix ici est le nouveau commentaire audio de Nicolas Winding Refn accompagné de l’Anglais Peter Bradshaw, journaliste au Guardian. Les deux hommes, qui correspondent depuis longtemps, évoquent non seulement le film, mais l’art en général (« L’art est une expérience qui t’accompagne tout au long de ta vie. ») Cette discussion riche en aphorismes est passionnante. Le cinéaste évoque également son amitié avec Ryan Gosling (leur rencontre est à l’origine de Drive) à propos duquel il ne tarit pas d’éloges ; il parle de sa fascination pour Los Angeles, de son admiration pour Gaspar Noé, et de ses rapports avec l’industrie du cinéma (le feuilleton de finalisation du film et de sa sélection au festival de Cannes ne manque pas de sel). On y apprend également que NWR a tout simplement piqué l’idée du scorpion du blouson du Pilote au mythique Scorpio Rising de Kenneth Anger.