CANNES 2015 PALMARÈS & LA LOI DU MARCHÉ

 

ba32d9e8dc55251703af1c2a4e437

La 68ème édition du festival de Cannes, malgré sa sélection controversée (« un sale millésime » selon Pierre Murat sur Télérama.fr, « catastrophique » selon Vincent Malausa, sur L’obs Le Plus) s’est achevée avec une cérémonie de clôture étonnamment émouvante, et pas uniquement parce qu’elle a mis le cinéma français à l’honneur. Certes, les films plébiscités par la critique, Mia Madre, de Nanni Moretti, ou Youth, de Paolo Sorrentino, n’ont pas eu les faveurs du Jury des frères Coen, qui leur ont préféré Dheepan, de Jacques Audiard. Selon leurs commentaires lors de la conférence de presse qui a suivi la cérémonie, les jurés, apparemment sur la même longueur d’onde, se sont laissés portés par leur enthousiasme et leur émotion, sans calcul ou stratégie particulière. Et le palmarès s’est révélé plutôt juste, récompensant davantage les humbles que les stars, les films sociaux plus que les grandiloquents. En recevant, « comme une palme de résistance et d’endurance », la Palme d’or d’honneur pour sa carrière, qu’elle a dédiée à « tous les cinéastes inventifs et courageux, ceux qui créent un cinéma original, de fiction ou de documentaire, qui ne sont pas en lumière et qui continuent », Agnès Varda a donné le ton. Les timides Emmanuelle Bercot et Vincent Lindon, Prix d’interprétation féminine et masculine, lui ont emboité le pas. Elle : « Comment vous dire mon bonheur de partager mon prix avec une autre actrice, parce qu’il est un peu trop grand pour moi toute seule » ; lui, après avoir embrassé tous les membres du jury : « C’est la première fois que je reçois un prix dans ma vie. Je remercie les deux présidents du jury, Ethan et Joel Coen, je suis d’une fierté qu’ils m’aient même vu jouer… Quand je pense que j’ai fait tout ça pour que mes parents me voient, et ils ne sont plus là. » Dans la salle, Xavier Dolan n’était pas le seul à avoir la larme à l’œil.

XVM82a07c2a-0257-11e5-9752-c16807aae4d4

 

Je n’étais pas à Cannes cette année, mais je me suis précipitée au cinéma pour voir La loi du marché qui sortait le même jour dans les salles françaises. Parce que Stéphane Brizé a un talent fou, et parce que, même s’il n’est pas glamour pour un sou, Vincent Lindon, il y a longtemps qu’on le sait, est le meilleur acteur français.

069854
 « On ne fait pas n’importe quoi avec les gens. » 

La loi du marché
Stéphane Brizé
2015

Thierry (Vincent Lindon) est demandeur d’emploi depuis vingt mois, date où il a été licencié de la société où il était ouvrier. A cinquante et un an, marié et père d’un adolescent handicapé qui nécessite des soins coûteux, il ne peut se permettre de rester sans travail. De formations inutiles en stage de remise à niveau, il finit par décrocher un contrat de vigile dans un supermarché, un job qui va très vite lui poser un dilemme moral…

En 2006, j’avais interviewé Stéphane Brizé pour le magazine Epok, à l’occasion de la sortie en DVD de son deuxième long-métrage, Je ne suis pas là pour être aimé. Je lui avais demandé d’où venait son intérêt pour les métiers ingrats – la contractuelle du Bleu des villes, le film qui l’a révélé, le huissier de justice de Je ne suis pas là pour être aimé, auxquels on pourrait rajouter aujourd’hui le vigile de supermarché de La loi du marché. Il avait alors répondu : « Ce sont des fonctions qui imposent une image quasi détestable. A partir de là, il ne me reste plus qu’à aller observer l’être humain derrière le masque social. Et c’est cet être humain qui me passionne. » Dans La loi du marché, justement, Vincent Lindon incarne magistralement l’humain pris au piège d’un système qui ne l’est pas. On suit son parcours du combattant qu’est celui du chômeur en quête d’emploi, plus tout jeune et fatigué des stages caduques proposés par Pôle Emploi (telle cette formation de grutier alors qu’il n’a jamais travaillé sur un chantier, et que donc, aucun employeur ne l’embauchera), des cours de coaching (qui remettent en cause son attitude, sa manière de parler… ), des entretiens d’embauche par Skype, totalement humiliants, et des rendez-vous avec la banquière qui lui conseille de vendre son appartement, sa seule richesse. La caméra est nerveuse, et Lindon occupe tous les plans. On lit sur son visage, comme dans un livre ouvert, toute l’incrédulité devant cette violence psychologique ordinaire, qu’il reçoit comme un boxeur se prend des coups et pourtant se relève. Pas question de flancher. Parce qu’il a une famille à nourrir, et qu’il veut garder la tête haute. La séquence, sidérante, de la vente de son mobil-home est annonciatrice. Thierry n’est pas prêt à tout accepter. Le poste de vigile, qu’il décroche, faute de mieux, va le confronter à la précarité et la misère de ses concitoyens et parfois collègues : un vieux monsieur vole de la viande, une caissière des bons de réduction oubliés par des clients… Sans pathos, sans paroles inutiles, le film de Stéphane Brizé met le doigt où ça fait mal. Dans cette arène où chacun défend son bifteck coûte que coûte, le mal n’a pas vraiment de visage, et les héros sont silencieux. Apprendre en sortant de la projection que l’ex-patronne de l’INA, prise en flagrant délit d’abus d’argent public, a été réintégrée au Ministère de la Culture, ajoute encore au malaise. La loi n’est pas la même pour tous.
Avec Karine De Mirbeck, Matthieu Schaller…

BANDE-ANNONCE
LA-LOI-DU-MARCHE_10-¸Nord-Ouest-Films-Arte-France-Cin‚ma
20150519_LoiMarche_01

 

PALMARES

Palme d’or : Dheepan de Jacques Audiard (France)
dheepan1090

 

Grand Prix : Le fils de Saul de Lázló Nemes (Hongrie)
1119618_cannes-2015-le-fils-de-saul-le-film-choc-de-laszlo-nemes-web-tete-02169820880

 

Prix de la mise en scène : The Assassin de Hou Hsiao-Hsien (Taïwan, Chine, Hong-Kong, France)
the-assassin-2015-hou-hsiao-hsien-01

 

Prix du scénario : Chronic de Michael Franco (Mexique)
XVMf4484124-008f-11e5-abfc-c6dd707f24a1

 

Prix d’interprétation féminine ex-aequo :

Emmanuelle Bercot dans Mon roi, de Maïwenn (France)
Pourquoi-Mon-Roi-aura-la-Palme-d-or_article_landscape_pm_v8

Rooney Mara dans Carol, de Todd Haynes (Royaume-Uni, Etats-Unis)
Capture-d’écran-2015-05-25-à-11.47.39

 

Prix d’interprétation masculine : Vincent Lindon dans La loi du marché de Stéphane Brizé
La loi

 

Prix du Jury : The Lobster, de Yorgos Lanthimos (Irlande, Grèce, Royaume-Uni, France, Pays-Bas)
75

 

Palme d’or du court-métrage : Waves ’98 de Ely Dagher (Liban, Qatar)
mea

 

Le prix AFAP de l’actrice la mieux habillée : Shu Qi, indiscutablement !

shu-qi-charmante-lors-du-dernier-tapis-rouge-de-cannes-2015

ShuQi_3314747k

CANNES 2015 : OUVERTURE

10075035-cannes-2015-ingrid-bergman-en-haut-de-l-affiche
Si sa cérémonie d’ouverture a manqué de peps, le festival de Cannes 2015 risque de s’enflammer ce soir avec la projection de Mad Max : Fury Road. Même s’il est présenté hors compétition, le blockbuster de George Miller tombe à pic pour fouetter le sang d’un festival jugé trop souvent élitiste par le public.

DSC_3888.JPG

 

Il a fait du bon boulot, Lambert Wilson, avec son discours engagé sur la place et la condition des femmes dans le monde. Des propos justes et essentiels, mais avait-il besoin d’être aussi solennel ? (ce théâtral : « Cannes est une femme »). Et cet aveu prononcé en anglais, censé être drôle, dont on se serait bien passé : « Comme vous le savez, je vais continuer cette cérémonie en français. Je sais, je sais, désolé les amis. La plupart d’entre vous ont parcouru le monde afin d’assister à une cérémonie qu’ils ne comprendront pas. Rassurez-vous, la plupart des Français ne la comprendront pas non plus. » Même la chorégraphie (sublime et pas assez applaudie) de Benjamin Millepied devant les images mythiques de Vertigo, ou la présence sur scène de Julianne Moore, au sourire désespérément hollywoodien, venue recevoir son prix d’interprétation de l’année dernière (qui se souvient de ce film de Cronenberg ?) n’ont pas suffi à contrecarrer la morosité ambiante. Voir Isabella Rossellini déclarer la cérémonie ouverte aurait été autrement plus émouvant. Heureusement, ce coup d’envoi un peu terne sera balayé aujourd’hui par la projection de Mad Max : Fury Road. Trente-six ans après son Mad Max, George Miller délaisse sa ménagerie (ses films les plus récents sont Babe et Happy Feet) pour relancer la fougueuse saga avec un quatrième épisode (deux suites sont prévues…). Le tandem Tom Hardy-Charlize Theron a déjà convaincu la critique, et la bande-annonce a fait se pâmer les fans.

Mad-Max-Fury-Road-cars-700-1

BANDE-ANNONCE

A noter que Charlize Theron, interrogée par Oliver Delcroix du Figaro (interview parue dans l’édition du 14 mai) au sujet de son rôle de baroudeuse dans le film, qui tranche avec son image glamour, a déclaré avec agacement : « Vous ne pouvez pas nous réduire à une seule dimension : nous sommes tout à la fois. Cette façon de représenter les femmes au cinéma relève carrément du complexe de la Madone… Je ne voudrais pas paraître présomptueuse, mais je pense que, nous les femmes, sommes plus à même d’embrasser les tenants et les aboutissants de ce conflit, celui du film et les autres. Ne serait-ce que parce que nous pouvons enfanter. » Lambert Wilson a dû être aux anges.

mad-max-fury-road-charlize-theron

SIN CITY : J’AI TUÉ POUR ELLE & Palmarès Festival du film américain Deauville 2014

kht9p6yzi83223z
Une histoire d’opération de dents de sagesse et de rentrée scolaire m’aura empêchée d’assister aux projections de la semaine américaine à Deauville. Pour rien au monde cependant, je n’aurais manqué le film de clôture, la suite du génial Sin City, d’autant qu’il était introduit par l’icône Frank Miller en personne après une cérémonie de palmarès pleine de fraîcheur, loin d’être guindée (membres du jury, Claude Lelouch est venu en baskets et Marie-Claude Pietragalla a tenu à esquisser quelques pas de danse), à l’image de ce festival, qui fait la part belle à la jeune création.

 

whiplash-double-vainqeur-du-public-et-du-jury_3
Nicholas Britell, Miles Teller et Damien Chazelle

Cette année la surprise est venue de Whiplash, du jeune Damien Chazelle, l’histoire d’un jeune batteur de jazz du Conservatoire de Manhattan, découvert à Cannes 2014 dans la sélection Un certain regard. Le film, en grande partie autobiographique, rafle à Deauville le Prix du public et le Grand Prix, sept mois après avoir obtenu le Prix du public et le Grand prix du Jury à Sundance (il est inspiré du court-métrage homonyme réalisé par Chazelle en 2013 et déjà primé à Sundance). Sur la scène, le réalisateur, son coproducteur Nicholas Britell et le jeune comédien-vedette Miles Teller ont rendu un chaleureux hommage à Deauville. Le cinéaste américain, francophone par son père, y passait ses vacances lorsqu’il était enfant. Quant à Miles Teller (vu dans le récent remake de Footloose, Projet X et Divergente), il s’est réjoui de sa bonne fortune, une belle compensation pour celle qu’il a avoué avoir perdue au casino durant son séjour.

Whiplash_miles-teller-jk-smmons
Miles Teller et JK Simmons dans Whiplash

Bande-annonce

 

jury-revelation-deauville-2014-09-13
Anne Berest, Lola Bessis, Clemence Poésy, Christine & The Queens et Freddy Highmore

La remise du Prix de la Révélation Cartier, qui récompense une œuvre pour ses qualités novatrices, a valu un joli moment d’euphorie, grâce à la spontanéité des membres de son jeune Jury présidé cette année par Audrey Dana. Les comédiens Freddy Highmore, Clémence Poésy, la romancière Anne Berest, la chanteuse Christine and the Queens et Lola Bessis (la fille de Daniela Lumbroso est coréalisatrice et vedette du film franco-américain Swim Little Fish Swim, paru sur les écrans français en juin 2014) ont gratifié le public d’un numéro véritablement charmant, avant de décerner le Prix à A Girl Walks Home Alone At Night de Ana Lily Amirpour. Sous influence David Lynch, Thomas Alfredson et Frank Miller, cette coproduction américo-iranienne en noir et blanc est un film de vampires militant, qui dénonce la condition de la femme en Iran.

a_girl_photo7
Sheila Vand dans A Girl Walks Home Alone At Night
Bande-annonce

Si les films les plus attendus ont fait chou blanc au palmarès (voir chronique programme), The Good Lie de Philippe Falardeau, drame sur l’odyssée de quatre survivants d’un massacre au Soudan, est le logique gagnant du Prix du Jury présidé par Costa-Gavras. It Follows, combiné de teenage movie mélancolique et de film de zombies, signé David Robert Mitchell, obtient celui de la Critique Internationale et Things People Do, thriller familial et premier long-métrage de Saar Klein — monteur, entre autres, de La ligne rouge de Terrence Malick et Presque Célèbre de Cameron Crowe — celui du 40ème anniversaire.

image
Reese Witherspoon et Ger Duany dans The Good Lie

It-Follows-1
It Follows

536878.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx
Jason Isaacs et Wes Bentley dans Things People Do

Enfin, le Prix Michel-d’Ornano, qui récompense un premier film français et aide à sa promotion et son exportation, est allé cette année à la comédie Elle l’adore, de Jeanne Herry (fille de Miou-Miou et Julien Clerc), avec Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte. Pierre Lescure, membre du Jury du festival, la considère déjà comme la comédie de l’année.

1569526-affiche-de-elle-l-adore-600x315-2
Bande-annonce

1965920339_B973567866Z.1_20140915110016_000_GO2348QJI.5-0
Frank Miller

 

 Sin City : J’ai tué pour elle (Frank Miller’s Sin City : A Dame To Kill For)

Sin-City-A-Dame-To-Kill-For-Szenen-04-Ava-Lord-Eva-Green-Dwight-McCarthy-Josh-Brolin 
Frank Miller et Robert Rodriguez
2014

Tandis que Johnny (Joseph Gordon-Levitt), jeune joueur de poker surdoué et trop sûr de lui, débarque à Sin City pour affronter le sénateur crapuleux Roark (Powers Boothe), Nancy Callahan (Jessica Alba), stripteaseuse au Kadie’s Club Pecos, prépare sa vengeance pour exterminer le même Roark, responsable quatre ans auparavant de la mort de John Hartigan (Bruce Willis), son flic protecteur bien aimé. Pendant ce temps, Dwight McCarthy (Josh Brolin) se morfond en pensant à Ava Lord (Eva Green), la belle qui lui a brisé le cœur, et le colosse justicier Marv (Mickey Rourke) veille sur Nancy et tous les paumés du secteur…

Neuf ans après, voici donc, tournée en 3D, la suite du génial Sin City par les mêmes, toujours adaptée du roman graphique de Frank Miller. Le fameux dessinateur (entre autres, de Daredevil, Elektra et Batman : The Darknight) et scénariste, âgé de cinquante-sept ans, a introduit lui-même le film, présenté en clôture du festival américain de Deauville. En fauteuil roulant, amaigri par une maladie mystérieuse (des rumeurs de cancer circulent aux Etats-Unis), mais l’œil pétillant, Frank Miller ne s’est pas fait prier pour livrer des anecdotes sur le tournage et dire tout le bien qu’il pense de son complice Robert Rodriguez « J’avais trois frères, désormais j’en ai quatre ». Hommage au film noir, Sin City 2, comme son prédécesseur, n’est autre qu’un film-fantasme. Le cinéaste revendique cette vision d’une ville fantomatique et viciée, où « les hommes sont de gros durs, les femmes, sublimes et les voitures, vintage. » Si le film ne bénéficie pas de l’effet de surprise suscité par le premier opus, véritable choc visuel, la 3D, très réussie, accentue l’immersion dans la bande-dessinée, et tous les plans sont un total émerveillement. Le bât blesse plutôt du côté de la narration qui peine un peu à emmêler avec fluidité ses trois histoires de vengeance, parfois décalées dans le temps. Il serait néanmoins indécent de ne pas être séduit par la mélancolie qui émane de cette ode aux désespérés et aux cœurs brisés, qui jongle avec les clichés et ressuscite les plus belles figures du genre, telle cette femme fatale incarnée par Eva Green (à la divine plastique), sorte de fusion de Rita Hayworth et Ava Gardner. Moins nerveux et hystérique que son prédécesseur, ce néo-film noir recèle encore des scènes d’action de toute beauté, d’autant que la violence reste résolument graphique. Si, en gros dur au cœur tendre, Mickey Rourke remporte tous les suffrages (Marv est le fil rouge du film), Joseph Gordon-Levitt va faire chavirer les midinettes, tandis que Jessica Alba, avec ou sans chapeau de cow-boy, est une révolution à elle toute seule.

2211496-jessica-alba
Sin-City-A-Dame-To-Kill-For1
Sin-City-J-ai-tue-pour-elle-photo-Joseph-Gordon-Levitt
328409.jpg-c_640_360_x-f_jpg-q_x-xxyxx
Sin-City-2-
Mickey-Rourke
22FRANK2-articleLarge
sin_city_2
movies-sin-city-2-a-dame-to-kill-for-mickey-rourke-marv
BANDE-ANNONCE

Un grand merci à Eric Cavillon, du groupe Lucien Barrière, aussi gentleman que Marv, et bien plus beau.