FILMS NOIRS : Midi Gare Centrale/Traquée

Chez l’éditeur Sidonis Calysta, on aime les films noirs. Le programme des sorties DVD/Blu-ray de février a de quoi réjouir les aficionados du genre. On y trouve notamment ces deux bijoux superbement restaurés, l’un connu, l’autre pas, à redécouvrir d’urgence.

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« Vous avez fait la guerre Calhoun ? De mon temps, il y avait des boulets de canon, du genre qu’on voit sur les monuments aux morts. Mais malgré ça, il y avait toujours quelqu’un, un fou peut-être, qui se levait et avançait… C’est comme ça qu’on gagne les guerres.
– Et c’est comme ça que des pauvres types meurent avant l’âge. »

  

Midi Gare Centrale (Union Station)

Rudolph Maté
1950
En DVD et Blu-ray chez Sidonis Calysta le 18 février 2020

Dans le wagon du train qui la conduit de Westhampton à New York, Joyce Willecombe (Nancy Olson), jeune secrétaire d’un riche industriel, remarque deux passagers au comportement suspect, dont l’un dissimule une arme à feu. Elle avertit discrètement le contrôleur, qui ne la prend pas au sérieux mais alerte le policier en chef de Union Station, le lieutenant William Calhoun (William Holden). Joyce ignore encore que ces individus viennent d’enlever la fille de son patron…

Doté une fois n’est pas coutume d’un titre français plutôt accrocheur, Midi Gare Centrale, comme le fait remarquer Bertrand Tavernier dans les bonus de cette édition, est un polar à suspense aux accents de film noir qui, soixante-dix ans après sa parution, « tient toujours la route ». Sa réussite découle de l’association de gens talentueux, de chaque côté de la caméra. Union Station est adapté de Nightmare In Manhattan, premier roman de Thomas Walsh, auteurs de pulps et polars, dont le fameux The Night Watch (Ronde de nuit) sera porté à l’écran avec brio en 1954 par Richard Quine (Du plomb pour l’inspecteur ­ Pushover). Le scénario a été peaufiné par un maître du genre, Sydney Boehm, qui a, entre autres, collaboré au chef-d’œuvre Règlements de comptes (The Big Heat), et auquel on doit les dialogues piquants du film et moult petits détails qui confèrent aux personnages de l’épaisseur et du charme. Quant à l’habile réalisateur Rudolph Maté (Mort à l’arrivée, Marqué au fer, Le souffle de la violence…) , il fut d’abord un chef opérateur renommé, celui de To Be Or Not To Be, Elle et lui, Gilda ou La dame de Shanghai. Enfin, le film réunit le charismatique William Holden et la jeune Nancy Olson, tous deux à l’affiche de Sunset Boulevard l’année précédente, ainsi que l’excellent acteur irlandais Barry Fitzgerald, mémorable dans L’homme tranquille de John Ford. On ne saurait oublier la gare, ici personnage à part entière. L’intrigue est censée se dérouler à New York, mais c’est en fait la gare Union Station de Los Angeles qui a prêté ses décors. Rudolph Maté a brillamment exploité ce lieu de passage emprunté quotidiennement par des milliers de voyageurs pour en faire le théâtre d’un jeu du chat et de la souris où parfois les rôles s’inversent. Tous les ingrédients du film noir sont de mise (ambiances, éclairages, figures emblématiques…), et si les dialogues sont constellés d’humour, on dénote parfois une âpreté et un cynisme étonnants (chez les policiers aussi bien que chez le chef des gangsters, véritable crapule). Jamais mièvre, la romance entre la moderne et futée Joyce Willecombe et le macho William Calhoun est elle aussi assez amusante. Très critique envers les méthodes des policiers, la jeune fille prend parfois les choses en mains et se révèle plutôt efficace. Quant aux échanges entre le vieux flic campé par Fitzgerald et le jeune lieutenant droit dans ses bottes, ils sont tous simplement savoureux (voir plus haut).
1h 21 Et avec Lyle Bettger, Jan Sterling, Allene Roberts, Herbert Heyes…

 

Test Blu-ray :

Interactivité ****
Trois présentations pour un seul film, c’est Byzance ! Les passionnés du genre que sont Bertrand Tavernier (33 minutes), François Guérif (7 minutes) et Patrick Brion (9 minutes) se succèdent pour dire tout le bien qu’ils pensent du classique de Rudolph Maté. On retiendra, entre autres, que selon Bertrand Tavernier, la séquence de la filature dans le métro aérien, très impressionnante, aurait inspiré celle de French Connection, de William Friedkin. La bande-annonce d’époque figure au menu.

 

Image ***
Format : 1.33
La restauration est probante. L’image est magnifiquement contrastée, et même s’il subsiste quelques fourmillements et petites taches, la définition offre un indéniable confort de visionnage. La comparaison avec la bande-annonce d’époque est éloquente.

Son **
DTS-HD Master Audio 2.0 en anglais et français
Sous-titres français non imposés
Gros avantage à la version originale, plus équilibrée. Dans la version française, truffée de bruits parasites, les voix sont bien plus étouffées.

 

 

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« Ça vous plaît d’essuyer les verres ?
– Ça ou autre chose… »

 

Traquée (Framed)

Richard Wallace
1947
En DVD chez Sidonis Calysta le 18 février 2020

Mike Lambert (Glenn Ford), ingénieur des mines en quête de travail, a accepté de conduire un camion jusqu’à une petite ville de Californie. Ses freins ayant lâchés, c’est sur les chapeaux de roues qu’il arrive à destination, en emboutissant quelque peu un véhicule garé dans la rue principale. Très vite arrêté par la police, il ne doit sa liberté qu’à l’intervention de la serveuse du bar local (Janis Carter) qui s’empresse de payer sa caution. Mike pense que c’est pour ses beaux yeux, mais cette jolie blonde a une idée derrière la tête…

Ne pas se fier au titre français, adaptation fantaisiste et inappropriée du titre original (Framed revêt ici le sens de « piégé »). Cette modeste production signée par un réalisateur oublié n’est peut être pas un classique, mais elle n’en est pas loin. Paru un an après Gilda (dont Glenn Ford était déjà) ainsi que Le facteur sonne toujours deux fois, ce film noir est brillamment introduit par une scène d’action haletante qui place d’entrée le héros en situation désespérée. Glenn Ford campe parfaitement cet homme droit et courageux, un type « bien » mais un brin naïf, qui se fait rouler dans la farine par une jolie blonde machiavélique. Comme toutes les grandes héroïnes du genre, Paula Craig, incarnée par Janis Carter, excellente actrice méconnue qu’on a pu voir aux côtés de John Wayne dans Les Diables de Guadalcanal, de Nicholas Ray, confère au film un caractère éminemment vénéneux. Il émane de cette séductrice tantôt perfide, tantôt tendre, une ambigüité intéressante qui la rend même extrêmement touchante. Tout comme la mise en scène, le scénario écrit par deux pointures du genre — Ben Maddow (Quand la ville dort) et John Patrick (L’emprise du crime) — est particulièrement efficace et bénéficie en outre de dialogues bien troussés. Impossible, comme le fait remarquer Patrick Brion dans les bonus de cette édition, de ne pas être conquis par la beauté de ce noir et blanc, œuvre du talentueux directeur photo Burnett Guffey, qui sera aussi celui de Tant qu’il y aura des hommes et de Bonnie And Clyde. Excusez du peu.
1h 22 Et avec Barry Sullivan, Edgar Buchanan, Karen Morley, Jim Bannon…

 

Test DVD :

Interactivité **
Le film bénéficie de deux courtes présentations, l’une par François Guérif (7 minutes), l’autre par Patrick Brion (6 minutes), à découvrir de préférence après le visionnage. Les deux critiques ne tarissent pas d’éloges au sujet de cette œuvre méconnue, digne de l’univers de James M. Cain.

Image ***
Format : 1.33
Pas d’édition Blu-ray pour ce film, mais le DVD se révèle d’excellente facture. Le noir et blanc est joliment contrasté, même en basse lumière, et la définition est rarement prise en défaut.

Son ***
DD 2.0 en anglais et français
Sous-titres français non-imposés
Une piste mono plus harmonieuse en anglais, tout à fait convenable au regard de l’âge du film.

 

Sont parus également à la même date chez le même éditeur, Le maître du gang (The Undercover Man) de Joseph H. Lewis (1949) et Le destin est au tournant (Drive A Crooked Road) de Richard Quine (1954).

PARASITE en Blu-ray

En 2019, pour une fois, la Palme d’Or du festival de Cannes a fait l’unanimité. On pouvait s’y attendre. Le Sud-Coréen Bong Joon Ho est l’un des cinéastes les plus audacieux, originaux et talentueux de son époque. Les précédents Memories of Murder, The Host ou Snowpiercer – le transperceneige, adaptation brillante de la BD de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, ont mis en exergue le génie de cet artiste qui ose brasser les genres pour mieux parler de ses contemporains et des inégalités sociales. En lice pour l’Oscar du Meilleur Film étranger, Parasite, qui rappelle les grandes heures de la comédie italienne (on pense à Affreux, sales et méchants, Les monstres et Les nouveaux monstres) est désormais disponible en DVD/Blu-ray et on s’en réjouit. (Pas de spoiler dans cette chronique)


« Elle est riche, mais quand même gentille.
– Elle est gentille parce qu’elle est riche. Moi aussi si j’avais tout ça, je serais gentille, encore plus qu’elle. »

  

PARASITE (Gisaengchung)

Bong Joon Ho
2019
Dans les salles françaises depuis le 5 juin 2019
Disponible en DVD et Blu-ray chez The Jokers depuis le 4 décembre
Palme d’Or du festival de Cannes 2019

La famille Ki-taek — le père, la mère et leurs deux enfants, jeunes adultes — s’entasse dans un appartement miteux et envahi de cafards situé dans le sous-sol d’un immeuble de la ville basse. Tous au chômage, ils survivent en assemblant des boîtes de pizzas pour une société de livraison. Mais un jour, un étudiant, ancien camarade de classe de Ki-woo (Choi Woo Shik), le fils, propose à ce dernier de prendre momentanément sa place chez les Park, une richissime famille de la ville haute, où il donne des cours d’anglais. Aussitôt, la sœur de Ki-woo (Park So Dam), véritable faussaire, lui confectionne un CV au-dessus de tout soupçon. Les Ki-taek retiennent leur souffle car si Ki-woo se débrouille bien, ce job providentiel pourrait tous les sortir de la mouise…

Lors de la sortie du film, Bong Joon Ho avait demandé à la presse de ne rien divulguer de l’arc narratif au-delà de ce qu’on pouvait voir dans la bande-annonce (Quentin Tarantino avait fait de même à Cannes pour Once Upon A Time… In Hollywood, s’attirant illico les foudres des journalistes.) Il est indéniable que les effets de surprise font partie non seulement du plaisir mais également de l’expérience de la découverte du spectateur. Et dans ce Parasite, engrenage savamment conçu, on va de surprise en surprise sans qu’on puisse deviner l’issue de l’intrigue, pourtant d’une limpidité éclatante. Ce n’est pas le seul talent de Bong Joon Ho, dont le cinéma est un puissant mélange des genres (il prétend être habité en permanence par des émotions diverses) : la cruauté fait de l’œil à la comédie, l’absurde est empreint de poésie et l’horreur surgit quand on s’y attend le moins. Comme chez ses aînés Ettore Scola ou Dino Risi, les inégalités sociales, la lutte des classes, ne sont pas chez lui de vains thèmes, et, comme dans beaucoup de ses films précédents, elles se traduisent aussi visuellement : dans les espaces de vie, l’architecture, le déplacement des personnages… Grâce à sa brochette d’acteurs excellentissime (Song Kang-ho, interprète du père de la famille Ki-taek, est un comédien fétiche du réalisateur), ce jeu de massacre intelligent, drôle et ingénieux est bien plus qu’une mécanique bien huilée. Satire sociale et politique, Parasite met en évidence l’infranchissable frontière qui se dresse entre les riches et les pauvres dans les sociétés capitalistes, sans pour autant faire des pauvres des enfants de chœur. Un film aussi pertinent qu’implacable.
2 h 12 Et avec Lee Sun kyun, Cho Yeo Jeong, Lee Jung Eun…

 

Parasite en vidéo

 

 

 

The Jokers, éditeur du film, a orchestré une sortie vidéo en deux temps. Paru le 4 décembre les DVD et Blu-ray simples, sans bonus, bénéficient du meilleur encodage possible, pour laisser la place à l’image et au son.

 

 

Test Blu-ray :

Image ****
Format : 2.35
La qualité du piqué donne des frissons. Les couleurs sont explosives. Et la précision est de mise, en haute ou en basse lumière. Une merveille.

Son ****
TrueHD 7.1 et 2.0 en coréen
DD 5.1 et 2.0 en français
Sous-titres français non imposés
Sous-titres pour sourds et malentendants
Audiodescription
Une piste TrueHD harmonieuse et aussi efficace, dynamique que sensible. La pureté du son égale celle de l’image. Une immersion idéale.

 

Le 28 février, deux nouvelles éditions, actuellement en préparation, seront proposées, en quantité limitée :

 – Le steelbook au visuel exclusif inclura le DVD, le Blu-ray, le Blu-ray 4K HDR et un Blu-ray comprenant plus trois heures de bonus dont un documentaire de 52 minutes sur la création du film.

– Un coffret Collector limité à 1500 exemplaires, disponible uniquement sur la future boutique en ligne des Jokers, sera constitué du Steelbook précité ainsi que du story-board du film dessiné et annoté par Bong Joon Ho. Du lourd donc.

 

THOMAS VDB : Bon chienchien

Qu’on l’ait loupé en vrai ou pas, il faut se ruer sur le DVD de Thomas VDB, disponible chez M6 Vidéo depuis le 6 novembre dernier. Tombant pile-poil pour Noël, Bon chienchien est bien plus qu’un cadeau, c’est un service à rendre aux potes. On le dit tout de bon : depuis 2017, c’est le spectacle d’humour de l’année !

  « Ce n’est pas que je n’aime pas le sport… enfin si, je n’aime pas le sport… mais j’ai un problème psychologique avec le fait que les gens puissent me voir faire du sport. »

 


Mis en scène par Kader Aoun
Spectacle enregistré à la Cigale en décembre 2018
DVD disponible depuis le 6 novembre 2019 chez M6 Vidéo
En tournée jusqu’au 21 décembre 2019

Pas de danger que ses blagues aient été piquées à ses confrères américains. Tout sent le vécu. Ne pas s’attendre à de la satire politique, à des exposés sur le vivre ensemble, l’écologie, le mouvement #MeToo, les Gilets Jaunes… Non pas que Thomas VDB s’en moque comme de l’an quarante, mais en tout cas on ne trouvera rien de tout ça dans ce Bon chienchien qui fait autant référence à sa coiffure ébouriffée qu’à son amour indéfectible pour la race canine (« Je suis vraiment le copain des chiens, j’adore les chiens, j’ai un truc avec eux, et dès que je vois un chien dans la vie, il y a une question que je n’arrête pas de me poser, c’est : “c’est qui le pépère ?” ». Pour autant, en dépit de ce titre ubuesque, le spectacle ne repose en aucune façon sur les chiens. Thomas Vanderberghe (de son vrai nom) livre ses réflexions de jeune quadragénaire, papa récent et mélomane depuis toujours. Lui, qui a œuvré durant sept ans dans la presse musicale (son show précédent, Thomas VDB chante Daft Punk, était à se tordre de loufoquerie), avoue désormais s’ennuyer pendant les concerts. « Quand je commence à compter le nombre de projecteurs, il est temps que je m’en aille ! » Il ne comprend pas non plus cette mode qui consiste à mettre des DJ partout et surtout là où ils n’ont rien à y faire, et n’apprécie pas le vin sans sulfites (« Je ne sais pas si certains parmi vous ont déjà goûté un vin sans sulfites, parce que ça m’a donné à penser une chose : ce qu’on aime habituellement dans le vin, c’est les sulfites. ») Il se dit fou de culture (« Je suis un fou de lire »), mais surtout d’achat d’ouvrages qu’il ne lit jamais parce que son temps libre est surtout consacré à visionner des vidéos rigolotes (à base de chiens…) sur Internet. Les absurdités du monde moderne, celui des bobos en particulier, l’interpellent, et il livre avec force détails désopilants ses astuces pour prendre en défaut les internautes malveillants ou simplement lourdingues. Bref, on retrouve le personnage d’hurluberlu du tandem irrésistible qu’il formait avec Mathieu Madénian dans AcTualiTy sur France 2 et qui lui vaut, depuis 2017, une belle notoriété. C’est fatal : dès qu’il déboule sur scène, on rit. Son air d’être tombé de son lit, sa gestuelle de fou furieux, son phrasé bredouillant et ses petites expressions désuètes (« autant que faire se peut »…) sont hilarants. Thomas VDB, c’est le copain qu’on voudrait tous avoir, drôle, un peu branque, flemmard, espiègle et immensément attachant.

Dans le générique de fin de ce spectacle, Mathieu Madénian est, pour entre autres choses, remercié pour son accent rigolo et son amitié.

Sont également remerciés les disques de Sparks, Queen, Nada Surf, Spoon, des Walkmen, New Pornographers et de Weezer…

 

 

Le DVD, de belle facture, ne propose pas de suppléments, mais le spectacle, de 80 minutes, est introduit par un sketch inédit et plutôt amusant.