« Il n’y a pas de choc des civilisations, il y a une rencontre de civilisations. » Abderrahmane Sissako
Finalement, les César ont du bon ! Injustement ignoré par le palmarès de Cannes en mai dernier, Timbuktu, fable poétique et ode à la résistance qui témoigne de la barbarie perpétrée par les djihadistes dans le nord du Mali, a raflé vendredi soir sept trophées sur les huit nominations annoncées, dont les plus prestigieux (Meilleurs film, réalisateur et scénario original). Sur scène, son réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako a rendu hommage à la France « capable de se dresser devant l’horreur » et a mis de la solennité et de la gravité dans une cérémonie toujours aussi longue, mais plus réussie que d’habitude, animée avec brio par un Edouard Baer survolté.
Président inattendu de cette 40ème, Dany Boon, drôle comme il ne l’a pas été depuis longtemps, a d’emblée donné le ton en ironisant sur son manque de réussite aux César, où il a été trois fois nominé par le passé et est toujours reparti bredouille : « Mais, comme dirait Raymond Devos, trois fois rien, c’est déjà quelque chose. » Dans la foulée, il a évoqué avec humour l’absence, dans la liste des nominations, de Lucy de Luc Besson et de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?, les deux succès populaires retentissants de l’année. On saluera aussi les petits intermèdes plutôt pertinents (les enfants des nommés abandonnés par leurs parents en pleine période de vacances scolaires, le duel des auditions de Pierre Niney et Eric Elmosnino pour le rôle d’ Yves Saint Laurent, ou ce tournage de court-métrage improvisé auquel la Ministre de la culture Fleur Pellerin, « la fine fleur du gouvernement » s’est prêtée de bonne grâce). Ajoutés à cela la superbe prestation de Fatouma Diawara interprétant la chanson de Timbuktu, l’hommage émouvant et en chansons à Alain Resnais par ses comédiens fétiches devant une Sabine Azéma en larmes, et un second, à François Truffaut, par -M- revisitant la chanson de L’amour en douce créée par Alain Souchon alors qu’Edouard Baer tendait une trompette à Ibrahim Maalouf, et vendredi soir, les César avaient un petit goût d’Oscars.
Côté compétition, les cartes ont été rebattues à chaque récompense engrangée par Timbuktu, qui n’a finalement laissé que des miettes aux autres films français en compétition. Saint Laurent, le grand favori aux dix nominations, est le premier à en avoir fait les frais. Le biopic de Bertrand Bonello, en dépit de qualités manifestes, s’est seulement vu attribuer le César des Meilleurs costumes. Malgré tout, ce trophée symbolique a tout d’une revanche pour une équipe à qui Pierre Bergé (il a tenté de faire barrage à cette production depuis le début) a interdit l’accès aux archives et collections du grand couturier. Aussi furibond que mauvais joueur, l’homme d’affaires a d’ailleurs tweeté, à l’issue de la cérémonie : « YSL Bonello. César du costume. Os à ronger. César de complaisance qu’il ne mérite même pas. Film méchant, homophobe, où seul Ulliel existe. »
Le duel entre les deux Saint Laurent a finalement été désamorcé par Pierre Niney, venu chercher son César du Meilleur acteur. Très sport, le jeune acteur s’est adressé à son concurrent et ami Gaspard Ulliel, en regrettant que les médias aient fait des gorges chaudes de cette guerre entre les deux productions (un César au final pour chacune). On peut déplorer l’aspect « singe savant » de son jeu dans le film, mais Pierre Niney, comédien surdoué, n’a cependant pas volé sa récompense, même si le grand atout de ce biopic restera l’incarnation de Pierre Bergé par Guillaume Gallienne, immensément attachant en amant protecteur et jaloux. Hélas, ce dernier, nommé pour le César du Meilleur second rôle, s’est fait damer le pion par Reda Kateb, épatant aussi pour son rôle de médecin humaniste dans Hippocrate. Sur scène, tout en humilité, l’acteur de trente-sept ans, qui fait une carrière internationale, n’a pas boudé son plaisir, et a dit tout le bien qu’il pensait des seconds rôles, « ceux qui ne prennent pas toute la lumière. »
L’autre grand favori de la compétition, Les Combattants, de Thomas Cailley, a en revanche reçu les honneurs qu’il mérite. Sacré Meilleur premier film, il voit ses deux jeunes comédiens principaux récompensés. Kévin Azaïs, frère de l’acteur Vincent Rottiers, remporte le César du Meilleur espoir (son discours, désarmant de naturel, a suscité l’hilarité générale), tandis qu’Adèle Haenel obtient celui de la Meilleure actrice (un an après avoir obtenu le César du Meilleur second rôle pour Suzanne), écartant ses prestigieuses aînées Marion Cotillard, Juliette Binoche et Catherine Deneuve. Désopilante dans le film de Thomas Cailley, la comédienne est venue recevoir son trophée en robe de soirée, mais avec la même allure de baroudeuse qui fait merveille dans Les combattants.
“Place aux jeunes !” semblait être le mot d’ordre de cette quarantième qui a offert à Kristen Stewart, autre jeune fonceuse en robe du soir, le César du Meilleur second rôle féminin pour sa performance remarquée dans Sils Maria, d’Olivier Assayas. C’est la première fois qu’un César est attribué à une actrice américaine.
Parmi les autres petits événements de la soirée, qui a, selon l’usage, traîné en longueur, on notera les larmes de la jeune Louane Emera, ex-candidate de The Voice, qui a décroché le César du Meilleur espoir féminin pour son rôle dans La famille Bélier (comédie largement plébiscitée par le public),
la présence rare d’Etienne Daho, venu remettre (en chansons et avec l’actrice-chanteuse Cécile Cassel) le César de la Meilleure musique, la distinction attendue de Mommy au César du Meilleur film étranger (même si on pouvait lui préférer Grand Budapest Hotel), et l’hommage à rallonges de Marion Cotillard, dont la robe Dior (aussitôt rebaptisée « robe badminton » sur Tweeter) n’a pas fait l’unanimité, au génial Sean Penn, aussi chic que hagard, et qui n’en demandait pas tant. Enfin, si personne n’a mentionné Charlie au cours de la soirée, le dessinateur et réalisateur Joann Sfar, venu remettre le César du Meilleur film d’animation, a fait une allusion poignante aux événements tragiques de janvier en concluant « On n’est même pas sûr de pouvoir encore travailler tranquille. Mais on va essayer… »
PALMARÈS
Meilleur film : Timbuktu
Meilleur premier film : Les Combattants (de Thomas Cailley) lire critique
Meilleur réalisateur : Abderrahmane Sissako (Timbuktu)
Meilleur actrice : Adèle Haenel (Les Combattants)
Meilleur acteur : Pierre Niney (Yves Saint Laurent)
Meilleur scénario original : Abderrahmane Sissako et Kessen Tall (Timbuku)
Meilleure adaptation : Volker Schlöndorff et Cyril Gely (Diplomatie)
Meilleur second rôle féminin : Kristen Stewart (Sils Maria)
Meilleur second rôle masculin : Reda Kateb (Hippocrate) lire critique et test DVD
Meilleur espoir féminin : Louane Emera (La famille Bélier)
Meileur Espoir masculin : Kévin Azaïs (Les Combattants)
Meilleur documentaire : Le sel de la terre (de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado)
Meilleur film étranger : Mommy (de Xavier Dolan)
Meilleur film d’animation : Minuscule, la vallée des fourmis perdues (de Thomas Szabo et Hélène Giraud)
Meilleur court-métrage d’animation : Les petit cailloux (de Chloé Mazlo)
Meilleur court-métrage : La femme de Rio (d’Emma Luchini et Nicolas Rey)
Meilleure musique : Amine Bouhafa (Timbuktu)
Meilleurs costumes : Anaïs Romand (Saint Laurent)
Meilleur son : Roman Dymny, Thierry Delor et Philippe Welsh (Timbuktu)
Meilleure photo : Sofian El Fani (Timbuktu)
Meilleurs décors : Thierry Flamand (La Belle et la bête de Christophe Gans) lire critique
Meilleur montage : Nadia Ben Rachid (Timbuktu)
César d’honneur : Sean Penn